2. Acteur & Amour
— Taehyung-ssi c'était incroyable ! Quelle scène, quelle émotion !
Le réalisateur me félicita avec enthousiasme, applaudissant ma performance avec un sourire satisfait qui atteint ses yeux plissés par l'âge.
— Beau boulot tout le monde, on fait une pause ! ajouta-t-il.
J'attrapais le mouchoir qu'une jeune femme du staff me tendit rapidement et essuyais mes larmes. Je revenais peu à peu à la réalité, ma tristesse s'effaçant devant ma fierté d'avoir donné le meilleur de moi-même pour cette scène si importante au développement de mon personnage.
Les scènes chargées en émotions étaient toujours difficiles, il fallait se mettre en condition, plonger dans des souvenirs douloureux pour donner le meilleur de son jeu d'acteur, alors on oubliait ceux qui était derrière la caméra et on se laissait aller. Ceux qui travaillent dans le milieu savent pertinemment que l'émotion est plus réelle que jouée, c'est pourquoi le réalisateur avait décidé de prendre une pause pour que je reprenne mes esprits.
Tout le monde était au petit soin avec moi pour ce tournage, en même temps j'étais l'acteur en tête d'affiche pour le film, alors on me chouchoutait. Honnêtement, j'étais déjà payé une blinde pour ce rôle alors je n'aurais pas vraiment eu de quoi me plaindre, même s'ils avaient tous été insupportables et désagréables.
J'esquissai un sourire rassurant au staff derrière les caméras avant de m'éclipser de la salle pour aller me chercher un petit remontant. J'avais bien pleuré, et étrangement ça faisait toujours du bien de se vider comme ça.
Fût un temps je pleurais beaucoup et souvent, et j'avais de bonnes raisons de le faire, j'étais une merde autant être honnête dès le départ. Aucun talent, aucun ami, aucune confiance en moi... Mes débuts dans la vie annonçaient une couleur morose.
Mais aujourd'hui ma vie avait tout d'un rêve. J'avais percé dans le milieu du cinéma, et j'avais bien bossé pour en arriver là.
Pour ce film, je jouais le rôle d'un jeune délinquant, un adolescent incompris par ceux qui l'entouraient et qui ne voyaient en lui qu'une brute épaisse, alors qu'il avait le cœur sur la main. Les gens n'arrivaient pas à voir au delà de son apparence et vu qu'il avait du mal à s'ouvrir aux autres, ça n'arrangeait rien.
Quand sa camarade de classe réalisa qu'il était gentil derrière ses aires de gros durs et qu'en vérité, il ne déclenchait des bagarres que pour aider des élèves harcelés, elle lui avoua avoir des sentiments pour lui. Touché, il fondit en larmes parce que c'était la première fois qu'il était compris, accepté et surtout aimé. Un cliché je sais, mais les k-drama les adore.
Personnellement, je ne savais pas ce que ça faisait d'être aimé de la sorte non plus, pas encore du moins. Alors j'avais su m'identifier au personnage sans problème, ce n'était pas ma famille qui aurait su me le montrer.
J'imaginais que ça me ferait plaisir au point de pleurer aussi si quelqu'un me faisait une telle déclaration. Mais imaginer ce n'était pas suffisant, mieux valait prendre un souvenir existant pour que ça fonctionne à coup sûr. J'avais l'embarras du choix en ce qui concernait mes souvenirs tristes d'enfance et d'adolescence, alors pleurer sur commande ce n'était pas bien compliqué pour moi.
Je les détestais tous dans ma famille, même mon frère jumeau, surtout lui. Pourtant, je les avais aimés du fond du cœur alors que franchement il n'y avait pas beaucoup de raisons de le faire, mais cet amour ils ne me l'avaient jamais rendu. Alors j'avais fini par abandonner, tant pis pour eux.
Maintenant j'étais connu, riche et je vivais mon rêve, mes parents avaient dû s'en mordre les doigts de leur vivant. Quand ma tête apparaissait sur une nouvelle affiche d'un film à gros budget, accrochée un peu partout dans les endroits de la ville les plus fréquentés, dans le métro, les arrêts de bus, les cinémas. Quand ils regardaient la télé et qu'une bande annonce passait, quand ils changeaient de chaîne pour ne pas voir ma tronche et que là, ils tombaient sur une publicité que j'avais tourné pour une des nombreuses marques de vêtements ou de parfums qui s'arrachaient ma gueule d'ange...
À chaque fois, ils devaient se rappeler qu'ils ne m'avaient jamais encouragé, n'avaient jamais cru en moi, m'avaient foutu dehors et que si j'en étais là aujourd'hui, je ne le devais qu'à moi.
Quant à mon frère, ça devait être drôlement dur pour lui d'admettre que finalement, j'étais meilleur que lui. Je me demandais si parfois, il ne vivait pas un peu mon succès par procuration comme le narcissique qu'il était. S'il ne s'amusait pas à imaginer que le beau gosse à la télé s'appelait Daehyun au lieu de Taehyung. Assez ironique quand je pense que pendant notre enfance, c'était moi qui rêvais d'être lui.
Avant qu'il ne devienne un meurtrier, j'avais entendu dire qu'il galérait dans une petite agence à faire des rôles secondaires à la con. Vu l'ampleur de ma carrière, j'aurais pu facilement l'aider en tirant quelques ficelles, mais je ne regrettais pas de l'avoir laissé dans sa merde comme il m'avait laissé dans la mienne.
Une petite voix me disait que peut-être ça aurait épargné à mes parents la mort, mais d'un autre côté, ils avaient simplement fait les frais de leur mauvaise parentalité. Une petite justice cosmique qui me faisait plaisir.
— Hyung, ça va ?
Je me retournai après avoir ramassé la brique de lait à la fraise que le distributeur balança à mes pieds, tout en effaçant mon sourire de psychopathe avant qu'il ne le voie.
Jungkook me regarda avec ses yeux plein de douceurs, ça ne faisait qu'une semaine qu'il avait rejoint le set, mais je savais déjà que c'était une perle rare, le genre de personne gentille qu'on ne rencontre vraiment pas souvent dans ce monde. Il était toujours ultra poli avec le staff, les maquilleurs et les habilleurs, il avait même débarqué avec des petits biscuits pour tout le monde le premier jour. Bref, un ange.
— T'inquiète pas va, ce n'est que de l'acting ! le rassurais-je.
— Ha, c'est vrai, mais tu joues tellement bien qu'on l'oublie facilement, dit-il avec un sourire sincère désarmant.
J'avais l'habitude des compliments, mais j'avais souvent l'impression qu'ils étaient distribués avec des arrières pensées pour m'amadouer, Jungkook était différent.
— Tu dis ça mais de ce que j'ai vu, tu as un don. Je ne jouais pas aussi bien que toi à ton âge, tu sais ?
— Arrête, on n'a que deux ans d'écart...
— Exactement ! m'exclamais-je.
Le brun rougit devant mon compliment détourné, je savais qu'il m'admirait un peu, moi aussi je regardais mes hyungs avec des étoiles dans les yeux à mes débuts. Et tous n'étaient pas aussi sympas que moi. Jungkook avait vraiment du talent, il méritait qu'on l'encourage.
— Alors quoi, je suis ton rival ? Comme dans le film ? ricana-t-il.
Jungkook jouait en effet l'antagoniste du film, le bad boy issue d'une famille de bourge a qui tout réussissait, malgré son comportement atroce envers les autres. Il avait des vues sur la même fille que mon personnage, bien que d'après le script, il décidait plus d'essayer de l'avoir parce qu'il avait remarqué l'attention particulière que lui portait le protagoniste. C'était là toute l'intrigue du film, quel garçon allait choisir la fille, et allait-elle le regretter ?
En toute honnêteté, je craquais sur Jungkook, la version adorable je veux dire, depuis quelques jours déjà. A chaque fois qu'il souriait, c'était comme une piqure de rappel, ça me faisait mal et en même temps ça me faisait du bien.
Et pourquoi pas après tout ? Mon super appartement, aussi esthétique et cher qu'il était, manquait cruellement d'une présence.
J'avais toujours évité les relations amoureuses trop sérieuses par peur des scandales, mais ma carrière avait suffisamment décollé pour que je me permette de prendre un risque. S'il était intéressé, je savais que Jungkook garderait notre petit secret. Je n'avais pas envie qu'on sache que j'étais gay, ça aurait pu poser problème à mon image dans cette Corée encore trop conservatrice, et j'étais sûr qu'il le comprendrait. Ce serait dans son intérêt aussi au final.
— On pourrait être autre chose que des rivaux... sous-entendais-je.
— Ah ? Des alliés ? Des amis ?
Je ris devant son innocence, il avait l'air déjà tellement heureux rien qu'à la mention d'amitié que j'avais presque envie d'en rester là. Même s'il avait remarqué mes avances, par respect il n'aurait probablement pas répondu en flirtant, ou bien par timidité, ce qui le rendait d'autant plus mignon.
— Je pensais à des amants, mais on peut commencer par des amis, dis-je avec un clin d'œil.
— Oh, j-je ne pensais pas que... Comment tu as su...
Je regardai le rouge commencer à lui monter aux joues tandis qu'il cherchait ses mots, un sourire se dessina sur mes lèvres, visiblement je ne laissais pas notre maknae indifférent tout compte fait.
— J'en avais aucune idée à vrai dire, mais ça aurait été un crime de ne pas essayer quand même.
— Arrête hyung, je ne peux pas tourner la scène suivante si je suis rouge comme une pivoine !
— Haha, c'est vrai que ça ne collerait pas du tout au personnage...
C'était assez comique de voir qu'il était même l'exact opposé de lui, et c'était aussi ça qui m'impressionnait, je savais que c'était difficile de jouer un personnage avec qui on avait peu de points communs. Mais Jungkook n'avait rien à voir, il était trop chou, après chaque scène où il jouait les persécuteurs, il s'empressait de se plier en deux et de s'excuser auprès des acteurs une fois les caméras coupées.
— J'arrête si tu acceptes qu'on se voie ce week-end.
Je pouvais déjà voir les étoiles danser dans ses yeux, mon cœur fit un petit bon de joie car je connaissais la réponse à ma demande. Pourtant il hésita à me la donner, sûrement qu'il se posait tout un tas de questions inutiles.
— Si tu ne veux pas, je ne le prendrai pas mal, sois juste honnête.
Même si évidemment j'aurais été un peu déçu, en aucun cas je ne lui en aurais voulu de me mettre un râteau. J'aurais été plus que ravis de l'avoir dans ma vie en tant qu'ami.
— Non, ce n'est pas ça ! Ça me ferait vraiment plaisir de passer un moment avec toi... C'est juste que...
— Tu as peur de ce que les autres vont en penser ?
— Je suis un livre ouvert ou quoi ? demanda-t-il avec un ricanement d'auto-dérision.
— Pas du tout, j'y ai pensé aussi. Pour l'instant, on n'a qu'à dire qu'on est deux collègues en bonne voie pour devenir amis ? Pas besoin de se prendre la tête, on verra bien.
— Ah oui, tu as raison, je réfléchis trop désolé.
— T'excuse pas, ça fait partie de ton charme.
— Hyung ! m'engueula-t-il.
— Quoi ? Tu n'as pas encore accepté, j'ai le droit de t'embêter.
— T'es pas possible, ça va j'accepte, je capitule ! dit-il en rigolant.
— Haha super, il y a un nouveau bar en ville, j'irais bien y faire un tour ce week-end si ça te dit.
— J'en ai entendu parler, ça me plairait bien aussi !
Rien ne me résistait dans la vie, tout roulait comme sur des roulettes, tout était parfait. Le travail de mes rêves, pas de famille toxique à l'horizon, des amis et des contrats qui valaient de l'or. Et bientôt peut-être, un petit-ami gentil et mignon avec qui partager ma passion. Je n'aurais pas pu demander mieux, parfois je me dis que j'aurais bien aimé continuer à vivre dans ce mensonge. Une réalité qu'on ne connaît pas ne peut pas nous faire du mal après tout.
Je pensais que peut-être l'univers était réellement juste quelque part, et qu'il y avait une forme de karma. Que j'avais fait un truc vraiment bien dans une autre vie... Ma parole, j'étais débile.
La journée de tournage se termina et je partis faire des petites courses sur le chemin du retour chez moi, mais évidemment pas avant d'avoir dit au revoir à Jungkookie. J'espérais qu'il me laisserait l'appeler comme ça, parce que je trouvais que ça lui allait comme un gant.
Une fois dans la petite superette, je me mis moi aussi à réfléchir beaucoup trop par rapport à ce rendez-vous alors que j'arpentais les rayons. Devais-je prendre une bouteille au cas où la soirée se finisse chez moi ?
Cette éventualité m'aurait bien plu, mais j'avais aussi envie de prendre mon temps avec le jeune brun. Après on pouvait aussi faire une soirée entre amis... en tête à tête, mais ça ne me paraissait pas une bonne idée, il allait faire un truc mignon parce que de toute façon tout ce qu'il faisait me faisait fondre, et je n'allais pas résister à l'envie de me rapprocher de lui. Mais et s'il me proposait d'aller chez lui ? Je n'avais pas envie de voir sa petite bouille triste si je refusais.
Oh et pis merde, j'en pris une au cas où, ça servirait bien un jour. Si jamais le rendez-vous finissait en fiasco, j'allais pouvoir la boire en compagnie de ma dépression. Mais en toute sincérité, à ce moment-là je me sentais invincible, je n'avais aucune idée que tout allait bientôt s'écrouler.
Je regrette beaucoup de choses, mais cette bouteille en revanche, je ne regrette pas de l'avoir acheté.
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