Chapitre 3 : Je vous souhaite un joyeux Noël...

Gabrielle

Qui aurait pu croire que Damian et Lucifer seraient aussi sages ? Lorsque j'ai évoqué la possibilité de fêter Noël, ils m'ont ri au nez. Pour ces deux-là, une célébration n'a d'intérêt que si elle se termine dans la débauche et la luxure. Orgies, bacchanales, pas de problème. Mais il a suffi que je prononce le mot « dîner de famille » pour qu'ils se ferment comme des huîtres.

Certes, Damian fut le plus facile à convaincre. Je n'ai pas grand chose à faire pour qu'il m'accorde le moindre de mes souhaits. Néanmoins, il s'est tenu loin des préparatifs et j'ai craint, un instant, qu'il n'ait oublié. Puis ce fut au tour de mon frère de me donner des sueurs froides. Lui qui avait promis d'être à l'heure... J'ai laissé couler juste par égard envers Pandore qui a dû se démener comme une folle pour lui faire lâcher son cocktail et ses mannequins Victoria's Secret. Ma mère a occulté les traces de rouge à lèvres sur sa joue et mon père a fait mine de ne pas relever ses pupilles bien trop dilatées.

— Que serait une réunion de famille sans quelques dramas ? m'a soufflé ce dernier.

Le festin préparé par Haroun et son équipe a définitivement effacé leurs dernières réticences. Le défilé de plats, les délicieuses effluves de la cuisine traditionnelle et la perspective de savourer des mets d'exception ont eu raison de la mauvaise volonté de mes deux démons favoris. Bien entendu, nous n'avons pas échappé aux blagues douteuses et allusions graveleuses à peine dissimulées. Le pire ? C'est lorsque mon père s'est mis à rire de leurs âneries ! Ma mère l'a sermonné tout bas avant de rire à son tour à une blague de son fils préféré. Un dîner de famille classique, en somme.

Au moment du dessert, les trois hommes se lancent dans un débat sur les perspectives d'avenir des humains.

— Je suis plutôt inquiet, Lucifer. Même s'ils n'ont jamais été très dociles, les humains ont, cette fois, pris un chemin plutôt dangereux. Cette histoire de réchauffement climatique me contrarie, admet mon père.

— Arf, t'en fais pas ! Tout rentrera dans l'ordre au plus vite. N'y a-t-il pas tout une armée de dryades, là, en bas ?

— Tu dois bien être placé pour le savoir, le taquine Damian avec un rictus entendu.

— Bof, rétorque mon frère. Tu sais, moi, ces hippies qui dansent dans les bois avec des fleurs sur la tête...

— Lucifer !

Notre mère se renfrogne et darde sur lui un regard noir.

— Y'en a des canons, renchérit Damian avant que je lui balance un coup de coude dans les côtes.

— Moui, pas faux.

C'est un cauchemar. L'atmosphère s'alourdit au fur et à mesure que la colère de ma mère augmente. En parallèle, je sens la pulpe de mes doigts crépiter et mon pouvoir s'agiter sous ma peau. Ce qu'ils peuvent m'agacer, par moment, ces démons ! De toute évidence, je ne suis pas la seule à enrager contre mon frère, puisque ma mère lui balance :

— Fais preuve d'un peu plus de tolérance, je te prie.

— Maman chérie. Dois-je te rappeler que je ne suis pas exactement réputé pour mon sens de la compassion ?

— Et dois-je te rappeler que je t'ai élevé mieux que cela ?

Pandore lève la main, tentant d'éteindre la tempête qui s'annonce.

— Pouce ! S'il vous plaît !

Je connais bien assez Lucifer pour deviner la suite. Dans d'autres circonstances, il plierait face à la femme la plus importante de sa vie, faisant même amende honorable. Mais ça, ce serait dans un contexte classique, où nous serions dans la maison familiale, au cœur du Royaume qui nous a vu naître. Pas ici, dans son fief, au nez et à la barbe de ses sujets – si tant est que l'on puisse réduire Damian au rang de simple habitant des Enfers.

Et contre toute attente, c'est mon cher et tendre qui parvient à désamorcer la situation avec une aisance déroutante. Il se lève, lisse sa veste d'une main tandis que l'autre fourrage dans ses cheveux un peu trop longs et lance :

— Je sais que Nicklaus n'a pas remis les pieds ici-bas depuis des décennies mais... Que diriez-vous de vous joindre à moi autour du sapin ?

Tous les yeux se braquent sur lui. Sans se départir de son air satisfait, il claque des doigts puis enfonce ses mains dans ses poches. Aussitôt, une armée de lutins entre dans la pièce. Tête basse, à pas précipités, ils trottinent en file indienne et s'empressent de déposer des dizaines de paquets au pied de l'arbre, sous le regard attendri des membres de ma famille. Et lorsque le dernier disparaît, sitôt sa tâche accomplie, chacun se lève et se dirige vers le salon.

Moi, j'ai presque du mal à me lever. Les jambes en coton, l'estomac noué, me voilà bien trop émue par l'attention de Damian. Sans prononcer un mot, il se rassoit sur sa chaise qu'il rapproche encore un peu de la mienne, cale son bras sur le dossier derrière moi puis se penche pour me murmurer :

— Un problème, mon Ange ?

J'aimerais être moins émotive. Je voudrais être capable de le remercier, tout simplement et de savourer l'instant présent. C'est trop compliqué. Cet homme s'échine jour après jour à devenir meilleur, à me prouver que nous avons fait le bon choix en bravant les règles et en vivant notre histoire en dépit du bon sens. Il est bien trop parfait. Mais ça... hors de question de le lui avouer !

— Cesseras-tu un jour de me surprendre ? réponds-je néanmoins à voix basse.

Le coin de sa bouche se relève. Ah, ce sourire en coin !

— Tu sais bien que non. D'ailleurs, tu me dois une faveur.

— Tiens donc ! Et laquelle ?

Il se penche à mon oreille et souffle :

— Tu m'as frustré, petit monstre. Et je déteste être frustré. Tu devras donc te rattraper, et vite, de préférence.

Il dépose un baiser léger dans mon cou, mordille subrepticement ma peau.

— Oh et... tant que j'y songe. Un de ces paquets vient de moi. Sans passer par la case Noël. Alors si tu ne veux pas te taper une honte légendaire devant tes parents... Tu attendras que nous soyons seuls pour l'ouvrir.

Sans me laisser l'opportunité de répondre, il se redresse et, me tendant la main, ajoute à voix haute.

— Allez, Paillette ! C'est l'heure des cadeaux !

Par chance, l'attention de mes parents est dirigée vers Pandore qui s'est auto-proclamée « distributrice de paquets », commentant – comme à son habitude – les tailles et la qualité des emballages. Ah, ma douce frangine et sa passion pour les boîtes ! Merci de canaliser tous les regards : ainsi personne ne voit Damian me coller une tape sur fesses... et mes joues s'empourprer d'excitation. Satané démon tentateur !

***

— Et c'est comme cela qu'elle nous a convaincu de célébrer absolument toutes les fêtes du Royaume.

— Tous les ans ? La vache !

N'importe quel autre jour de l'année, j'aurais mis fin à cette conversation lunaire. Mon père s'amuse à raconter la moindre anecdote sur mon enfance à Damian qui, bien trop heureux de l'écouter, en oublie de surveiller son langage. Mais pas ce soir. Pas quand je dois deviner quel cadeau vient de mon mari et peut, potentiellement, outrer mes parents et mon frère. Heureusement que Pandore est de mon côté, sur ce coup-là.

— Tu n'as pas une petite idée ? chuchote-t-elle alors que notre père poursuit son récit.

— Ben non. Et puis, c'est toi, l'experte, non ?

Ma soeur renifle et se dandine, visiblement agacée. Je sais, c'est nul de l'accabler. Mais mince ! Je connais les idées cadeaux de Damian ! Je ne peux décemment pas me permettre de...

— Gabrielle ?

La voix teintée d'inquiétude de ma mère me fait lever le nez. Pandore et moi sommes assises en tailleurs sur le sol tandis que les autres se partagent les sofas.

— Ma puce, je sais que tu aimes Noël et, en d'autres circonstances, j'aurais adoré te voir faire durer le plaisir. Mais nous devrons bientôt rentrer.

Mes doigts resserrent un peu plus leur prise sur mon mug fumant. Dieux, qu'est-ce que je ne donnerais pas pour avoir un bon Irish coffee au lieu de ce chocolat stupide !

Alignés devant moi, quatre jolis cadeaux. De tailles assez similaires, enrubannés avec soin et témoignages d'amour de mes proches.

Un de mes parents.

Un de mon frère.

Un de ma soeur.

Un de Damian.

En tant que mon alliée sur ce coup-là, Pandore a pointé du doigt le violet.

— Celui-ci, c'est moi. Et je suis presque sûre que le noir, c'est Luc'.

C'est là tout le drame. Presque. Ma soeur a choisi le mot juste. Quelle idée de tergiverser, aussi ! Si j'avais ouvert en même temps que les autres... Mais non. J'ai attendu. Regardé les autres déballer les leurs, s'extasier devant les petites attentions de chacun ; fondu face au talent de Damian pour séduire ma famille.

— Tu sais, mon Ange, ils ne vont pas te manger.

— Mais nous, on risque de se fossiliser, le contre Lucifer. Et j'ai un rencard qui...

D'une tape derrière la tête, ma mère fait taire mon aîné. J'en profite pour prendre mon courage à deux mains. Dans le violet, je découvre un mug couvert de confettis sur un fond clair. Et les mots « Morue d'enfer » écrit en lettres capitales.

Pandore et moi sommes comme chien et chat. Depuis toujours, elle me gratifie des surnoms les plus ridicules, cherchant sans cesse à me faire enrager. Mais Morue est le petit nom qu'elle réserve à nos moments de complicité. Accolé à la mention de mon nouveau lieu de résidence... Son cadeau m'arrache une larme.

— Merci, Pandore.

Je l'enlace, tentant de dissimuler mon émotion.

— De rien, Morue, souffle-t-elle. Tu vas me manquer. Mais au moins, tu penseras à moi dès le réveil.

Dans la boîte suivante, je retrouve bien le cadeau de Lucifer : une édition reliée de mon roman préféré, en parfait état.

Plus que deux tentatives.

Plouf plouf...

Mince, ce que je hais les démons ! 

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