Nouveau jour pour Hyrule et pour moi

Ganondorf est vaincu. Je n'ai même pas ressenti d'empathie pour lui quand il s'est retrouvé la gorge déchirée par l'épée de légende, enfoncée violement en lui par Link.

Le combat ne s'est finalement pas arrêté au moment j'ai cessé d'écrire. Immédiatement après que mes pieds ait touché le sol, juste le temps pour Link de reprendre son souffle, la tour était déjà en train de s'effondrer sur elle-même. Ganondorf, avant de rendre son dernier soupir, essayait de nous tuer, pour que nous tombions avec lui et les cendres de son royaume tyrannique. Link et moi avons fui jusqu'en bas la tour – ce dernier courait d'ailleurs tellement vite que je pense qu'il voulait me semer, ou qu'il avait oublié mon existence, au choix – afin de ne pas mourir écrasés sous les décombres. Nous sommes sortis à temps, fort heureusement, mais nos péripéties ne se sont pas terminées là. Nous avions oublié un léger détail : Ganondorf possédait encore et toujours la Triforce de la Force, et la relique l'a empli d'une telle puissance que la tour qui s'était effondrée sur lui ne lui avait causé presque aucune égratignure. Il s'est dégagé des ruines en jaillissant du sol. Dans les airs en face de nous, exaltant à la fois de magie noire et divine, il paraissait être un démon des temps anciens. Ses yeux ne possédaient plus de pupilles, ils étaient devenus entièrement dorés. Tout en lui transpirait la haine et la fureur : il voulait notre mort, sa quête de pouvoir ne semblait plus lui importer désormais. Seule la perte de nos vies aurait pu le satisfaire. Il a hurlé, la terre en a tremblé.

Puis Link et moi avons été séparés.

Il se trouve que je me suis encore une fois retrouvée évincée des combats car une barrière magique s'est dressée entre mon héros et moi-même. Link a fait tout le boulot et moi, je n'ai eu aucune utilité. La seule péripétie notable qu'il s'est produit est que j'ai failli me faire tuer par l'épée de Link – oui, oui, tuée par l'arme de mon propre héros. Observer ce combat de loin a été une chose incroyablement frustrante. Personnellement, j'avais imaginé un combat à deux contre un, les Triforces du Courage et de la Sagesse contre celle de la Force, je pensais me battre aux côtés de Link, sauver mon royaume moi-même ! Et... voilà que je me suis retrouvée sur le côté, à regarder un homme dont la tunique verte avait viré au rouge se battre contre un porc bleu géant. Le sort donne toujours les rôles les plus inutiles aux princesses. J'ai pourtant bien fait mes preuves en tant que Sheik, j'aurais dû prendre part au combat ! Si seulement les Déesses laissaient les princesses d'Hyrule être un peu plus que de vulgaires poupées qu'on convoite pour leur pouvoir... Enfin, j'ai tout de même eu un rôle à la toute fin. Grâce au pouvoir qui s'est transmis parmi mes ancêtres et qui est parvenu jusqu'à moi, Link a pu achever le monstre et les sages l'ont envoyé purgé ses peines dans le Saint-Royaume.

Avant de disparaitre de ce monde, Ganondorf a fait une promesse. Il a juré revenir pour tuer nos descendants de ses mains. Quand il l'a dit, Link a simplement rit, convaincu qu'il ne s'agissait là que de menaces lancées en l'air, mais je ne peux m'empêcher de croire que notre ennemi le fera réellement. J'ai la certitude que ce combat n'est pas réellement fini, et que dans cent, mille, ou dix mille ans, Ganondorf reviendra, toujours aussi puissant avec sa Triforce de la Force, l'esprit plein de nouveaux plans et poussé par une volonté encore plus forte. Cependant je ne le laisserai pas faire. Je mettrai tout en œuvre pour que le Hyrule du futur soit préservé, pour que plus jamais mon royaume ne connaisse telle catastrophe. Je créerai de nouveaux moyens pour protéger mon monde, je ferai en sorte que chaque membre de la famille royale ait entre ses mains ce qu'il faut pour se dresser contre le Mal, avec ou sans héros. C'est mon rôle. Et quand Ganondorf reviendra, mes héritiers seront là pour lui tenir tête, et le détruire comme Link et moi n'avons pas pu le faire. J'en fais le serment auprès des Déesses.

Link, d'ailleurs. Notre Héros. Je l'ai renvoyé dans le passé.

En le voyant ainsi, blessé et perdu devant moi, j'ai compris qu'il n'était pas fait pour cette époque, cette réalité. Il n'est qu'un enfant coincé dans un corps de jeune homme, un petit garçon qui n'a pas été préparé à voir toute cette horreur et qui s'est retrouvé propulsé dans le monde des adultes, un monde fait de sang et de ténèbres. J'ai déjà mentionné le fait que j'ai été forcée de grandir trop vite pour assumer mon rôle de princesse. Pour Link, c'est pire encore. Il a été projeté dans la violence et la mort beaucoup trop tôt, et cela par ma faute. Si je n'avais pas été aussi idiote, j'aurais compris à temps qu'il fallait fuir avec les pierres ancestrales ou l'ocarina du Temps, plutôt que se rendre au Temple du Temps et offrir ainsi un boulevard à Ganondorf pour conquérir le monde.
En renvoyant Link au temps de son innocence, j'ai voulu réparer mes erreurs. Malgré tout ce que j'ai pu dire sur lui, je souhaite qu'il aille vivre une enfance heureuse dans le Hyrule du passé. J'espère que la petite Zelda qu'il y verra sera gentille avec lui. Il manque peut-être d'esprit à certains moment, mais elle n'a pas idée de tout ce qu'il a vécu, et de tout ce qu'il a fait pour moi – et donc pour elle. Je sais qu'il ne sera jamais un enfant comme les autres. Peut-être continuera-il de mener une vie d'aventurier et de voyageur, peut-être rejoindra-t-il mon armée, ou peut-être décidera-t-il de vivre simplement, comme un habitant d'Hyrule lambda. Toutefois, même s'il choisit encore une voie violente, je veux lui offrir au moins une parenthèse calme et insouciante de bonheur dans son existence. Qu'il vive encore une fois comme l'enfant qu'il était lorsqu'il demeurait dans la forêt.
Peut-être ai-je fait une erreur en le renvoyant là-bas. Laisser le monde du présent sans héros est un pari risqué, mais je ferai tout pour qu'Hyrule reste prospère et calme pour les années à venir. Je sais les Déesses de mon bord, elles veillent sur nous depuis la nuit des temps et continueront à protéger notre peuple.

Après le combat et le départ de Link, je me suis rendue seule au village Cocorico. En pénétrant toute boitillante dans le village, je n'ai pas eu à me présenter car on m'a de suite reconnue, sans doute grâce à mes vêtements et leurs parures. Les villageois m'ont conduite en me soutenant dans une maison et ont soigné mes blessures. J'étais si épuisée que j'ai peu de souvenir de ce moment-là. Je sais juste que j'ai sombré dans le sommeil contre mon gré, après avoir senti des mains bander mes meurtrissures. Au bout de plusieurs heures, plongée dans un sommeil réparateur, je me suis réveillée et ai insisté pour aller voir l'extérieur. Je voulais contempler mon royaume, sentir le vent sur mon visage et l'herbe sous mes pieds. Les villageois ne voulaient pas que je fasse d'efforts et me tannaient de me reposer encore un peu, mais devant ma volonté, ils ont fini par céder. J'avais les membres engourdis et l'impression de ne pas voir vu la lumière depuis trop longtemps.
Dehors, le soleil m'a éblouie et j'en ai été heureuse. J'ai vu un ciel bleu parsemé de tout petits nuages blancs que le vent semblait déplacer d'une caresse. Les enfants du village jouaient, inconscients du combat qui avaient eu lieu des heures – ou des jours, que sais-je – auparavant. Les ouvriers travaillaient à la reconstruction d'une maison qui avait brûlé, les ordres criés de leur chef donnant le rythme du travail. Les gens paraissaient heureux, heureux de vivre ici, à Hyrule, et cette vision m'a donné de l'espoir. Mon pays va se reconstruire et redevenir le royaume grand et beau que j'ai connu. J'en ai la certitude.

Avant de fermer ce journal pour le restant de mes jours, je me dois d'aborder un dernier sujet : c'est étrange comme le cerveau humain occulte certaines choses... La presque gentillesse de mon geôlier est en passe de devenir encore moins qu'un souvenir. Quand je parlerai de lui à l'avenir, je dirai simplement qu'il a été l'usurpateur de mon trône et de ma couronne, l'homme que je déteste le plus au monde. Je sais que jamais je ne ferai mention de ces vingt jours de cohabitation où il a pris soin de moi à sa manière. Jamais je ne parlerai de ses quelques traits d'humour, de son talent pour la musique, de son perfectionnisme ou de ses parties d'échecs. Ce carnet restera l'unique souvenir de cette courte période. Je le rangerai sans doute au fond d'un tiroir que je n'ouvrirai plus, et peut-être que dans quelques dizaines ou centaines d'années, mes descendants le trouveront et le liront. Peut-être que quelqu'un lit ces lignes en ce moment-même, quelqu'un de mon sang.

Si c'est le cas, sachez que vous êtes les seuls à avoir connaissance de cette histoire. Elle a pu vous toucher, vous faire rire, vous donner une certaine sympathie pour Ganondorf. Mais sachez aussi que vous êtes mes descendants, vous êtes de sang royal : ainsi, les sentiments de ce genre n'ont pas leur place dans notre lutte contre le Mal.

Il n'y a pas de pitié pour nos ennemis.

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