Chapitre 1 : Découverte
1er Novembre - 10h16
10h16 et tout bascula. Je me sentis tomber en arrière, sans que je puisse opposer la moindre résistance. Je ne pouvais plus bouger, plus esquisser un geste. Dans quelques dixièmes de seconde, j'allais m'écraser au sol, et ce serait la fin. Toutes sortes de pensées parasites prirent place dans mon esprit. Non ! Je ne voulais pas y penser !
Mais alors que j'étais sur le point de m'écraser la tête contre le carrelage, je fus retenue à quelques millimètres seulement du sol. C'était comme si un fil invisible me retenait, c'était mon seul espoir. Ma vie ne tenait qu'à un fil.
Reprenant mes esprits, je constatai que plusieurs secondes s'étaient écoulées et que j'étais toujours suspendue en l'air, chose incompréhensible bien que véridique. Si le fil invisible cassait, ma tête n'aurait d'autre choix que de heurter violemment le sol dur, ce qui risquerait de me faire assez mal, mais si le fil tenait...
Je ne savais pas comment me sortir de cette situation. Si je voulais avoir un espoir de revenir debout, les deux pieds fermement ancrés dans le sol, je devais bouger de ma position quelque peu inconfortable, mais je savais que je risquais de rompre le fil en esquissant le moindre mouvement, ne serait-ce qu'un tout petit peu.
Aussi calmement que l'on pouvait l'être quand on se retrouvait dans une telle impasse, je décidai d'examiner ma situation. Certes, j'étais coincée entre la position allongée et celle debout, mais ma tête n'était qu'à une dizaine de centimètres du sol.
Je m'aperçus que je pouvais tourner légèrement ma tête vers la gauche ou la droite, mais je n'arrivais pas à opiner du chef. Mes jambes étaient raides, tendues et serrées, mais mes bras étaient libres dans leurs mouvements.
Cherchant une quelconque prise pour m'y agripper et pouvoir essayer de me redresser, mes mains ne rencontrèrent que du vide. Inévitablement, je pestai. Comment pouvoir me sortir de ce pétrin si je n'avais rien sous la main ? Alors, j'eus une soudaine idée, une inspiration, sans doute saugrenue, mais mieux valait essayer que ne rien tenter. Je dirigeai alors mes mains de façon à ce qu'elles touchent les carreaux glacés de carrelage, concentrée sur un seul et même objectif. Parvenue à mes fins, j'entrepris de reculer grâce à mes mains, qui me guidaient jusqu'à ma destination. Lentement, une main après l'autre, je progressai ; millimètres par millimètres, centimètres par centimètres. Je réussis tant bien que mal à me traîner jusqu'au mur le plus proche. Je sentis alors une légère secousse dans mon dos, signe que j'étais arrivée. Je pus glisser mes mains derrière mon dos et les plaquer sur le mur, puis je remontai progressivement, en m'appuyant sur ce support pour progresser dans mon ascension. Alors, petit à petit, je pus me redresser et me retrouver non pas à l'horizontal comme je l'étais quelques instants auparavant, mais à présent presque à la verticale.
Inspirant et expirant profondément, je calmai mon rythme cardiaque, mais malgré des efforts répétés, je ne parvins pas à estomper la vague d'angoisse qui m'envahissait et refusait de partir, me donnant la nausée et un léger tournis.
Mais malgré ça, un autre sentiment s'était emparé de mon corps, se logeant dans ma poitrine. Je ne sais comment c'était possible, mais à ce moment-là, je ressentais de l'euphorie. C'était à la fois très étrange, mais aussi... satisfaisant ! Je ris malgré moi, et à ce moment-là, je passai par tous les états émotionnels sans savoir pourquoi. D'abord l'euphorie, vint ensuite l'incompréhension, puis la rage et la haine se mélangeant, et la crainte. L'angoisse se détacha, passant par le bouleversement que l'on peut ressentir quand on est triste, et le dégoût s'installa juste après. Finalement, ce fut la frustration qui prit le dessus.
Mon rire s'étrangla dans ma poitrine, soudain sonnant faux. Ce n'était pas normal, je le savais, mais je n'y pouvais rien. Trouvant la force pour me ressaisir, je clignai des yeux et regardai autour de moi. Je voyais la silhouette de ma cheminée se dessiner à contre-jour. Je voyais aussi les flammes rouge et orange danser dans l'âtre, mais je les percevais différemment. Je les voyais sous un autre jour. C'était cela qui me frustrait. Les choses m'apparaissaient différemment, sous une autre facette. Je n'arrivais pas à déterminer comment c'était possible, et ça m'embêtait, car d'habitude, j'avais toujours réponse à tout.
Je fermai les yeux et me mis à réfléchir. Quelque chose avait changé. Ce n'était pas désagréable, non. C'était juste surprenant. Je savais que le changement avait opéré au moment même où l'aiguille des secondes avait basculé de 59 secondes à un nouveau cycle en repartant de 0. Au moment pile où 10h15 était devenu 10h16. La date précise, l'heure précise, la minute précise où j'avais eu 20 ans.
20 ans. Je laissai ces deux mots entrer petit à petit dans ma tête, et envahir mon cerveau, pour que je prenne bien conscience de leur signification. L'étrange phénomène qui avait ensuivi mes 20 ans signifiait tout. Il me faisait passer un message silencieux. Et j'en saisissais parfaitement le sens. Ou du moins, la majeure partie. Cet événement avait fait basculer ma vie. Plus rien ne serait jamais comme avant, je le pressentais. C'était le début d'une nouvelle ère qui s'ouvrait à moi. Ma vie avait brusquement changé. Du jour au lendemain. Elle avait pris un grand tournant. Sans crier gare, comme un prédateur bondissant sur sa proie. J'avais été la proie, et j'avais été subitement surprise par cet assaut, de la part du destin. Mais au contraire, je ne me considérais pas comme une victime, je n'étais pas déçue ou horrifiée. Je prenais cela comme un cadeau de la vie. J'avais finalement accepté sans peine ce petit coup de pouce, et cette évidence m'avait frappée. Pour une fois, ma vie prenait un sens. À quoi servait une vie sans action ? À rien, n'est-ce pas. Ma vie était monotone. Avant. Mais là, j'avais enfin une occasion que ça change. Un peu de pépites dans cette vie où jamais rien ne changeait. Enfin, j'avais l'occasion dont j'avais toujours rêvée. Vivre mon aventure. Jour après jour, je me morfondais. Mais maintenant, tout cela était du passé car bientôt, tout changerait, j'en étais persuadée. Je changerai et ma vie aussi. Finalement, je me rendis compte que je l'avais toujours su. Inconsciemment, bien sûr. Au fond de moi, je savais qu'un jour ou l'autre, quelque chose se produirait. Mais je ne l'avais jamais vraiment bien compris, du moins jusqu'à aujourd'hui. J'avais toujours cru que c'était un rêve, où de l'espoir dans un monde où il n'y avait pas lieu d'en avoir pour moi. Et pourtant, à ce moment précis, je ressentais cet espoir. Plus fort et plus présent que jamais, et surtout, réel.
Je rouvris les yeux. Je venais de comprendre. J'avais un don, j'allais découvrir lequel et essayer de comprendre sa signification. J'allais m'en servir : il allait me servir.
Pour une fois, la chance avait tourné en ma faveur et semblait me sourire. Je n'allais pas la laisser passer cette fois. J'allais la saisir.
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