68. Let's go crazy

Aujourd'hui, presque 2 ans après le diagnostic, je peux le dire : je vais mieux. Je dirai même que la plus grande majorité du temps, je vais bien.

En réalité, passer le test du QI m'a permis d'y voir beaucoup plus clair sur ce que je suis. Je peux enfin comprendre le fonctionnement de mon intelligence et mon raisonnement, mais aussi comprendre la complexité de mes émotions qui sont là, à fleur de peau et qui perdent parfois la raison.

Si le chiffre en lui même n'a rien changé à ma souffrance passée et à celle que je peux encore ressentir aujourd'hui, je porte enfin un regard différent sur moi-même et sur cette douleur.

J'ai pu, grâce à cet éclaircissement sur moi-même, mettre du sens sur ce que j'avais mal vécu, sur ce rejet, cette solitude, sur cette vitre entre les autres et moi-même, sur cette incompréhension de tout.

Mais il ne faut pas se faire d'illusion, savoir que l'on est surdoué, ne règle pas tout instantanément. Il y a toujours ces moments où je suis au plus bas, où les doutes reviennent. Il y a toujours ces périodes où je vais terriblement mal. Parce que, quoi qu'on fasse, la souffrance semble inhérente à l'espèce humaine.

Forcément, tout ressenti étant décuplé chez moi, quand je vais mal, je vais très mal. Mais je crois que j'apprends petit à petit à prévenir ces jours sombres et à me pardonner quand ils me submergent, quand je n'ai pas su y être suffisamment attentive.

Alors c'est vrai, il y a des jours où je trouve ma vie si compliquée que j'aimerais que cette malédiction s'arrête, que mon cerveau s'arrête de penser, que je cesse d'être. Il y a des jours où j'aimerais que tout soit différent. Que je sois différente. Que les autres soient différents.

C'est quand je prends le temps, quelques fois, d'observer ceux qui m'entourent - inconnus, famille, amis - que je perçois cette vitre, que je ressens profondément cette différence qui me coupe de ces gens.

Je suis là, près d'eux, sans pouvoir exprimer ce que je suis véritablement, sans que je puisse m'empêcher de me demander "Pourquoi ?". Pourquoi sont-ils tels qu'ils sont ? Pourquoi suis-je si inadaptée à la vie ? Pourquoi je ne les comprends pas ? Pourquoi je me sens mal ?

Il y a des jours où vivre avec les autres m'est atrocement douloureux. C'est pourquoi j'ai préféré me construire petit à petit mon monde intérieur, cet univers qui n'appartient qu'à moi et où je me sens bien. C'est pour cela que j'ai crée des personnages imaginaires qui me comprennent, que je me suis imaginée des situations qui me faciliteraient la vie avec les autres, avec moi-même.

Je savais que tout ça n'était pas réel, mais y croire me faisait tellement de bien, me permettait de me déconnecter de ma souffrance un instant.

Au fond, être avec les autres me rappelle systématiquement ma différence. Parce qu'être bizarre à plusieurs, c'est sympa et ça en devient même une norme, mais être bizarre, en étant seul, c'est terriblement ennuyant. Et ça fait tellement peur.

Alors c'est vrai, il y des jours comme ça.

Et puis il y a des jours, où être zèbre est, en fin de compte, une pure merveille ! Toutes les émotions que mes sens captent finement en permanence sont amplifiées et rendues extrêmement intenses ! Une musique qui fait frissonner chaque centimètre de mon corps, une odeur qui me rappelle un moment mélodieux, une caresse qui anime en moi des sentiments cachés...

Ce qui est tellement beau, c'est que tout est source d'émerveillement.

Ce soir par exemple, j'ai été charmée par le coucher de soleil. J'allais prendre la route pour rejoindre ma vie étudiante, quand je me suis arrêtée quelques secondes pour profiter de ce qui se déroulait sous mes yeux. Tout était teinté de rose : les arbres, la façade de notre maison, les vêtements des passants. Tout ce qui m'entourait avait alors une allure plus douce, comme si tout était plus paisible, plus pur, plus élégant.

C'est aussi tout cela être zèbre. C'est se faire surprendre par la beauté de ce qui nous entoure, de ce que l'on voit tous les jours sans véritablement regarder. Être surdoué, c'est avoir un regard différent sur le monde et sur les choses.

En réalité, si tout est plus haïssant, horrible, révoltant, intolérable, tout est aussi plus beau, plus incroyable, plus magique. Et c'est ça que j'essaye de ne pas oublier quand je vais mal. J'ai appris à m'en souvent pour que l'ouragan passe sans trop me déstabiliser, sans trop me pourrir. C'est grâce à ces moments de joie que je tiens et que je peux me dire à moi-même : "Tiens bon, ce n'est qu'une mauvaise période à passer. Une période qui sera douloureuse et qui sera peut-être longue. Mais n'oublies pas que les jours meilleurs reviendront."

J'ai maintenant compris que j'allais devoir vivre avec cette différence. Non pas faire avec malgré tout, mais bien tirer profit de cette particularité, autant que je le pourrais.

En fait, c'est difficile de vivre avec autant de paradoxe. Je me sens parfois toucher la folie : je me demande alors pourquoi mon humeur change aussi vite, pourquoi un jour la vie est belle, et le lendemain, tout est laid.

Nos sentiments prennent le pas sur la raison, sur la réalité concrète. C'est difficile à l'admettre, mais c'est la vérité. A quel moment avons-nous raison ? Quand tout est rose ou quand tout est noir ?

Alors oui, je crois être remplie de contradiction, mais n'est-ce pas le propre de l'humain ?
C'est en acceptant de ne pas être constamment cohérente sur tout que j'ai compris qu'il était impossible d'être parfait, que j'ai compris que j'avais le droit aller très mal, puis d'aller bien ensuite, que j'ai compris que je devais arrêter de me culpabiliser pour tout.

Maintenant, j'essaye de me souvenir autant de fois que je le peux, qu'après chaque émotion ou pensée négative qui me traverse, suivront des moments de bonheur et de plaisir toujours plus intenses.

Véritablement, je me dis que l'avenir ne sera que nouveauté, extase et douceur, tel un arc-en-ciel qui succède à la pluie.

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