61. Qu'est-ce que j'en fais maintenant ?

J'ai mis plusieurs semaines à sortir de cette colère contre moi-même, à sortir de cet enfermement dans lequel je me contraignais moi-même.

A travers ce chaos émotionnel qui dure depuis l'annonce du diagnostic, je suis enfin parvenue à en tirer une lueur d'espoir qui me fait prendre conscience, qu'à présent, je n'ai plus de raison de me penser imposteur.

Aujourd'hui, je n'ai plus la moindre excuse pour nier l'évidence. Je peux l'accepter, je dois l'accepter. Je ne dois plus avoir honte de ce que je suis, je ne dois plus chercher à gommer mes réussites. Je vais pouvoir m'autoriser à aller plus loin, à aller là où je veux sans avoir peur d'être démasquée, sans avoir peur d'être jugée. C'est étrange d'appréhender une réussite, mais en réalité, c'est parce que ce n'est pas ce que je suis censée faire. J'ai toujours cru ne pas être digne de réussir. Comme si je n'étais que bonne à échouer.

Au fur et à mesure que le temps passe, tout devient plus clair et les événements passés prennent enfin un sens. Comprendre l'incompréhensible, saisir ce qui m'était jusque là insaisissable : là est tout l'intérêt du diagnostic.

Mais revenons en au dernier rendez-vous avec la psychologue. Depuis quelques jours, les souvenirs me reviennent petit à petit.

Après m'avoir montré une série de chiffres qui ne me parlait absolument pas, la psychologue m'a expliqué qu'il était impossible de calculer mon score global d'intelligence : mes résultats à chaque épreuve sont bien trop hétérogènes pour pouvoir en faire une moyenne représentative de la réalité. Après tout, qu'est-ce que j'en ai à foutre du chiffre ?

Avant de rentrer dans le vif du sujet, elle m'explique que mon profil appelé "hétérogène" peut être responsable de cette confusion que je connais bien lorsque je réussi une tâche apparemment difficile pour les autres et que j'échoue là où la majorité réussie avec brio. C'est un sentiment qui n'est pas toujours facile à vivre car comment juger sa propre performance, sa propre intelligence, ses propres capacités ? C'est pour cela que j'en suis venue à la conclusion que je devais être vraiment nulle, vraiment sans intérêt.

Après ce premier élément de réponse, elle me détaille, un à un, mes résultats aux 4 échelles qui correspondent à la compréhension verbale, au raisonnement perceptif, à la mémoire de travail ainsi qu'à la vitesse de traitement. De jolis noms qui, selon l'auteur de ce test, David Wechsler, représentent différentes mesures de l'intelligence.

La psychologue choisit tout d'abord de me parler de mon point fort. Sans doute perçoit-elle ma tension, mon angoisse, ma peur et la confiance ridicule que j'ai en moi-même.
"Votre meilleure performance se situe au niveau de la compréhension verbale où votre QI s'élève à 140" m'avait-elle dit. Mais comment je pouvais croire à ce chiffre bien trop éloigné de la réalité ?

Cet indice correspond à la compréhension des mots, des concepts en général qui est évalué à travers des épreuves où il faut trouver le point commun entre deux objets, donner la définition précise d'un mot ou encore expliciter le sens de certaines expressions. Ce qui est étrange, c'est qu'après avoir passé ces différentes épreuves, je n'étais vraiment pas satisfaite de moi. Je pensais que mes réponses, bien qu'elles soient probablement justes, étaient trop incomplètes et largement améliorables.

En plus de ça, je n'emploie pas de mots savants ou complexes comme peuvent le faire certaines personnes. Même si je lis beaucoup, je n'utilise pas de formulations littéraires pour m'exprimer. Alors, d'où peut bien venir cette qualité ?

Elle a alors pris le temps de m'expliquer la raison pour laquelle ce chiffre était tout à fait légitime. Elle est d'ailleurs catégorique : ce potentiel provient de ce langage interne, de ce dialogue incessant avec moi-même qui perdure depuis que j'ai acquis la capacité de parler. Ainsi, ces longs moments de questionnements sur le monde, le sens de la vie ainsi que sur moi-même ont permis d'entretenir cette particularité.

C'est terriblement frustrant de savoir que l'on a une force mais restée inexploitée pendant tout ce temps. Comment faire pour la mettre à profit maintenant que j'en ai pris conscience ? Comment faire pour qu'elle me permette d'avancer ? Comment faire pour qu'elle devienne une véritable ressource pour moi ?

Mes scores à l'indice de raisonnement perceptif et à la vitesse de traitement sont également au-dessus de la moyenne.
D'ailleurs, cela me fait sourire quand je repense au temps impressionnant qu'il me faut pour finir ma tasse de thé. Généralement, je la trimbale un peu partout, jusqu'à ce que le liquide soit froid.

Vient enfin mon point faible : "Votre QI à l'indice de mémoire de travail est de 90. Finalement, vous restez toujours dans la moyenne, mais disons que ça dénote fortement avec le score précédent".

Elle explique que cela peut être un frein à un bon apprentissage ou à l'expression de mon potentiel étant donné que ma mémoire à court terme n'est pas à ma hauteur de mes compétences dans les 3 autres indices.

Alors oui, si connaître ces résultats ne change rien à la réalité, ils me permettent d'avoir conscience de mes forces et mes faiblesses, de savoir ce que je peux exploiter pour avoir davantage confiance en moi, pour enfin espérer donner du sens à ma vie, mais ils me permettent également d'accepter mes faiblesses.

Poser un mot sur un ressenti, c'est être reconnu, c'est être déculpabilisé, c'est se dire qu'on n'est pas si bizarre au fond.
Savoir que je suis surdouée, c'est accepter ma vision si particulière du monde, c'est avancer en sachant qui je suis et pourquoi je le suis.

Depuis ce diagnostic, je ne cesse de revivre certains événements passés pour tenter de les analyser en tenant compte de ce nouvel élément de compréhension. Je voyage dans le temps pour éclaircir ce que je n'ai jamais compris, pour répondre à toutes ces questions restées sans réponse. Et en réalité, même si cela peut paraître étrange, je parviens à démêler l'inexplicable et résoudre certains pans de ma vie qui me paraissaient jusqu'alors si énigmatiques.

Outre le soulagement de pouvoir mettre bout à bout toutes les pièces du puzzle, j'ai pu discuter avec la petite Manon que j'étais. J'ai pu lui expliquer pourquoi elle réagissait de cette façon, pourquoi elle ressentait de telles émotions. J'ai pu la prendre dans mes bras et lui dire que tout allait bien se passer. J'ai pu lui faire promettre, qu'à partir d'aujourd'hui, elle devrait s'accepter tel qu'elle est, sans essayer d'être ce qu'elle n'est pas.
Grâce à ce diagnostic, j'ai pu faire la paix avec mon passé pour commencer à m'accepter aujourd'hui et mieux rebondir ensuite. N'est-ce pas là tout l'intérêt ? De mieux vivre sa vie future ?

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