36. Au bord de la déscolarisation

Mardi 5 février 2013, 17h47

Je ne me suis jamais sentie aussi seule qu'aujourd'hui. Ce matin, on avait 4h de cours. D'abord de la SVT et ensuite des mathématiques ou peut-être de la physique. Je ne sais plus. Pourquoi je suis allée en filière scientifique d'ailleurs ? J'avais choisi cette orientation comme on apprend à lire ou à faire ses lacets : simplement parce que c'est comme ça. Au passage, c'est normal que je n'aie su faire mes lacets qu'après le CP ? En fait, je n'avais jamais pensé à une autre alternative possible, comme si c'était la continuité évidente. Evidence que je n'ai pas remise en question l'an dernier au moment de faire mes vœux.

J'aime bien les sciences, c'est vrai, mais pas de la manière qu'elles nous sont enseignées. En plus, dans ce lycée, j'ai l'impression que "science" rime avec "être borné", "fermeture d'esprit", "obéir". Comme si les scientifiques étaient simplement des exécuteurs de tâches sans cerveau : "d'après l'énoncé, calculez la force qu'exerce A sur B avec la formule qui convient", "équilibrez l'équation de la réaction suivante", "calculez la vergence C en fonction de la distance focale ci-dessus". Ce n'est pas vraiment ce qui m'attire.

Moi, je veux appréhender le monde dans lequel nous vivons. Je veux comprendre l'univers, ses limites, ses particularités. Je veux réfléchir - à mon niveau bien sûr, je ne suis pas une grande scientifique - sur de nouvelles hypothèses, à de nouvelles conceptions possibles de l'univers, à de nouveaux projets éventuels. Je veux saisir la manière dont une petite modification d'un gène peut changer le comportement d'une personne et la perception qu'elle a de ce monde.

Finalement, toutes les heures de cours se ressemblent, tous les jours se ressemblent. J'ai parfois même du mal à savoir si tel événement appartient à la veille ou bien à aujourd'hui. Ce qui est sûr, c'est que ces cours du matin, quels qu'ils soient, sont 4h de plus que j'ai réussi à affronter.

Maintenant, chaque journée devient presque un exploit pour moi. Mais je me le demande, et je te le demande à toi aussi mon cher journal : Comment je fais pour tenir dans cet environnement qui me pourrit de l'intérieur ? Et jusqu'à quand je vais pouvoir résister avant d'imploser ?

Derrière la musique des Guns N' Roses que j'ai mise à fond dans ma chambre, j'entends ma mère m'appeler de la cuisine. "Tu ne veux pas m'aider à passer l'aspirateur s'il-te-plaît ?". L'aspirateur ? Quand je le passe, c'est quelque chose !

A chaque fois, je le cogne après les meubles, les murs et tout ce qui traîne sur le passage. Quand j'ai fini une pièce, je suis déjà essoufflée d'avoir dû tirer ce truc à bout de bras. Mes bras "en pâte à sel" comme dirait mon père. Il n'a pas tord, je ne suis pas très sportive et puis mon corps se fatigue vite.

Mise à part ça, c'est un véritable spectacle de me regarder passer l'aspirateur : je me prends les pieds dans le fil relié à la prise, je m'enroule dans le tuyau jusqu'à rester parfois bloquée. Le rappel de ce souvenir devrait me faire sourire, mais il en est autrement. J'ai l'impression que j'ai perdu cette capacité à rire, celle d'être heureuse. J'aimerais tellement que tu m'expliques comment on fait pour être heureux, cher journal.

Me voilà revenue. Comme d'habitude, ça été épique de passer l'aspirateur. Bref. Après une matinée assommante, j'ai passé une après-midi horrible. Je sais, c'est peut-être fort. J'ai bien conscience qu'il y a bien plus grave, mais, à l'heure qu'il est, je n'ai plus l'énergie vitale, ni la pulsion de vie nécessaire pour faire face à ce genre de petites choses qui sont insignifiantes au regard de l'univers.

Cet après-midi, on avait 1h30 de SVT et 1h d'italien, avec 30 minutes de liberté entre ces deux cours. J'aurais dû les savourer comme je le fais avec mon thé après les cours. Mais ça ne s'est pas passé comme je l'espérais.

J'ai essayé de m'intégrer avec ceux qui devaient aussi attendre l'autre cours. J'ai essayé de rester avec eux dans cette salle des lycéens, j'ai fait des efforts pour sourire à leurs blagues. Mais je n'y arrive pas.

Je sentais cette vitre entre eux et moi. Cette vitre qui s'opacifiait de plus en plus. Comme lors de certaines réunions de famille, où certains ayant un peu trop bu deviennent des bêtes de foire, ou bien où on y parle de sujets qui n'appellent pas vraiment le débat. Et mes parents savent à quel point j'adore les débats ! Là, c'était la même chose. Une vitre invisible mais tellement douloureuse pour moi, qui suis seule de l'autre côté.

Je me suis emparée de mon sac à dos que j'ai balancé violemment par dessus mon épaule avant de partir. Personne ne m'a retenue, personne ne s'est retourné. Peut-être que je suis devenue invisible à leurs yeux. Invisible au monde entier.

Je marchais sans trop savoir où j'allais. L'enfer c'est les autres, alors je les fuis. Sartre a oublié de dire que l'enfer c'est aussi le lycée, mais je suis obligée d'y rester enfermée. Alors je me suis dirigée vers les toilettes Avec cette odeur, j'aurais pu y aller les yeux fermés. Pourquoi les gens sont aussi irrespectueux ? Heureusement, ce ne sont pas les toilettes des filles qui ont cette odeur.

Face au miroir, j'ai pu lire cette tristesse sur mon visage. Non, c'était pire que ça, c'était du désespoir. Mais qu'est-ce que je suis censée faire de ma vie ? Je ne suis qu'une extra-terrestre qui n'a pas sa place ici. Nulle part. Tu sais où j'ai passé les 20 minutes restantes cher journal ? Je n'aurais jamais crû faire ça un jour, mais je me suis enfermée dans un toilette. Seule. Assise par terre, à me demander comment j'allais pouvoir faire pour ne pas craquer avant la fin de l'année. Crever avant la fin du mois.

Je suis en train d'atteindre mes limites. Je ne peux plus. Je ne tiens plus ici et je ne sais plus quoi faire pour aller mieux. Aide moi s'il te plait ! Je t'en prie.

C'est le même rituel chaque soir. Je me réfugie dans mon journal intime. Il ne m'apporte rie, mais je peux enfin exprimer tout ce que je contiens en moi à longueur de journée. Ecrire me fait aussi prendre du recul, et aujourd'hui, je réalise à quel point je suis au fond du trou. Je ne peux plus continuer à aller à l'école. Je dois arrêter ! Je trouverai d'autres moyens. Il y a forcément d'autres moyens d'aller à la fac sans avoir à se meurtrir au lycée. Je vais en crever !

Parce que cette boule au ventre ne me quitte jamais. Parce que l'angoisse me suit partout, jusque dans mon sommeil.

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