chapitre deux
Aujourd'hui, c'est mon anniversaire. Les autres me laisseront peut-être tranquille. J'en doute. La première mauvaise étape de la journée : le réveil. Je n'ai pas envie de me lever, d'aller à l'école, de retrouver Killian et sa bande. Je sais que ce jour est spécial. Pour d'autres. Moi je vais juste avoir le droit à un cadeau, un petit gâteau. Je sais, je ne devrais pas me plaindre, c'est déjà bien. Je préfèrerais quand même troquer tout ça contre une fête avec des amis. Les amis valent mieux que tous les cadeaux.
Je me lève à contre-cœur. Ma tête tourne et mes yeux se ferment tout seuls. J'ai encore passé la nuit à pleurer et me suis endormi à une heure du matin. Chaque jour, je dois me réveiller à six heures et demie pour prendre le bus à sept heures.
Je me regarde dans le miroir accroché à ma porte de chambre. J'ai une tête horrible. Je suis moche, inutile, débile, déprimant et seul. Je ne suis qu'un boulet pour ma famille et pour l'école. Mais hors de question que je laisse Killian me détruire jusqu'à la mort.
Deuxième étape, le petit déjeuner sans déjeuner. Mes parents sont déjà partis au travail, je suis sensé manger tout seul. Si je mange le matin, je n'ai pas faim pour le reste de la journée et à midi, je ne mange pas. Je me contente de passer à la cantine leur annoncer que je suis là et de repartir avant que les ennuis arrivent. Je n'ai presque jamais faim à force de me limiter. Je me contente de boire un verre d'eau avant d'aller m'habiller.
Je choisis sans vraiment faire attention un pantalon et un t-shirt gris puis j'enfile une jaquette bleue. Je n'ai que des vêtements banals. Je les ai choisis dans l'espoir d'arriver à me fondre dans la foule incognito mais j'ai l'impression d'être sans cesse éclairé par un projecteur. La popularité n'est pas une bonne chose pour moi. Où que j'aille, je me fais remarquer, on me fait des croche-pieds et on se moque de moi. Je suis pourtant normal. Enfin, je crois.
Non, je ne suis pas normal. Pourquoi serai-je toujours la cible sinon ? J'imagine mon visage peint de cercles concentriques de différentes couleurs et Killian une fléchette à la main qu'il lance et qui m'atteint pile entre les deux yeux. Je ne peux m'empêcher de grimacer. Au lieu de rêvasser, je devrais me dépêcher. Je me donne un coup de peigne pour avoir l'air un peu moins minable, enfile mes basquettes et sors en fermant la porte à clé derrière moi.
Dehors, une odeur de fleurs flotte dans l'air. Normal, c'est le mois de Mai. Je descends la rue jusqu'à l'arrêt du bus, que j'attends durant quelques minutes. Le bus arrive, il est blanc avec un peu de jaune, de bleu et de violet. J'aime bien le blanc, c'est comme la paix, comme les pages de Stiff. Je sais, c'est idiot de donner un nom à un cahier. Je dois être le seul garçon de la planète à avoir un journal.
Dans le bus m'attend quelqu'un. Je frissonne rien qu'en le voyant. Pourtant, il tient quelque chose d'inattendu : une boîte, emballée dans un papier bleu avec des motifs en losanges plus foncés. Le paquet n'est pas très gros, ni trop petit. Il fait la taille d'un livre. Mon nom est écrit dessus avec un marqueur noir. Killian m'a apporté un cadeau. Dans la première minute, je reste paralysé. J'oublie de m'assoir alors que le moteur du véhicule se met en route.
- Pour toi, me dit Killian en me tendant la boîte. C'est bien ton anniversaire aujourd'hui, non ?
Je hoche la tête surpris.
- Écoute, continue-t-il. Je suis désolé pour ce que je t'ai fait hier. Il désigne ma griffure. Je sais que je n'ai pas toujours été très gentil avec toi et...
- Jamais ! Je l'interromps, retrouvant le sens de la parole. Tu n'as jamais été gentil avec moi !
Il a un petit rire et baisse les yeux.
- Tiens, je t'ai fait ça. C'est pour me faire pardonner.
Il me tend la boîte que je saisis après une légère hésitation. Un cadeau de la part de Killian... Cette journée s'annonce meilleure que les précédentes.
- Est-ce que tu pourrais l'ouvrir chez toi ? Ça me gêne un peu quand les gens ouvrent les cadeaux devant moi.
- Pas de soucis ! Je range la boîte dans mon cartable et je réfléchis à ce qui pourrait bien m'arriver durant cette journée spéciale.
La suite se passe plutôt bien. Personne ne m'embête, ce qui me surprend et on me chante même "joyeux anniversaire" en classe. D'accord, je suis un peu grand pour ça mais je ressens une immense bouffée de plaisir. Tout se passe bien jusqu'à mon retour à la maison.
Je m'écroule sur mon lit, secoué par les sanglots. Killian n'a pas été gentil. Il ne le sera jamais. Le cadeau n'était pas un livre ou un quelconque gadget. C'était une lettre, dans une boîte en carton. Si ce n'était que ça, ça irait ; mais ce que la lettre disait m'a détruit. Il n'y a pas d'autre mot. Killian a fait semblant d'être gentil et serviable pour mieux pouvoir me détruire plus tard.
En fait, j'ai déjà reçu ce genre de lettre, je n'ose d'ailleurs même plus les compter. Mais faire semblant d'être ami avec moi pour me trahir, c'est juste... horrible. J'ai envie de fermer mes yeux pleins de larmes pour toujours.
Je recopierai plus tard le contenu de la lettre dans mon journal car pour l'instant, je ne peux plus y penser. J'ai l'impression d'avoir la tête remplie de plomb, ou de vide. Je sens sur mon coussin, l'humidité de mes larmes et de ma sueur qui colle au visage. Je me sens mal. Je ne suis qu'une marionnette, qu'un défouloir. Je me sens tellement inutile.
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