Jour 3551

2050, quelque part sur la côte basque

Le vent se levait alors que les derniers rayons du soleil jouaient leur débâcle dans le ciel. En cette douce soirée de février de fins fils lumineux se dessinaient dans un océan de couleurs crépusculaires alors que le soleil disparaissait derrière les vagues, rupture entre les cieux et la terre. La beauté de ce spectacle estival contrastait avec l'ambiance des lieux qu'elle côtoyait. Se succédaient des dizaines d'immeubles désaffectés, des routes fissurées et des vestiges de ce qu'aurait été un semblant de falaise verdoyante tombée en ruine sous la force des éléments. Ce paysage aux aspects apocalyptiques bordait une large plage qui ne semblait jamais finir. Sur le sable sec jonchaient différentes broutilles que l'océan avait rejetées dans un nid d'écume. Le silence entrecoupé par le bruit des vagues qui s'échouaient faiblement contre les rochers avait une sonorité morbide, un aspect qui donnait l'impression que quelque chose de terrible s'était déroulé en ces lieux.
Mais alors que l'environnement laissait penser que la terre s'était arrêté de tourner, il y a bien des années, vous auriez juste eu à tendre un peu plus finement l'oreille pour contredire ces faits. Coincé entre la falaise et le front de l'océan, un hôtel à l'architecture étrange et à l'aspect abîmé par l'air marin trônait fièrement, comme une preuve que malgré ce qui l'entourait lui était toujours là, un pilier bien excentrique du monde vivant, une preuve de ce que la race humaine avait eut à offrir. Car oui, ces lieux, situés sur le littoral français rappelant une ancienne station balnéaire totalement abandonnée, étaient dépourvus de toute forme de vie, sauf une.
Une simple vie humaine, sûrement la seule à des kilomètres à la ronde. De ses frêles jambes, elle montait les escaliers en pierres de l'hôtel, ayant abandonné l'idée de monter dans un ascenseur après tant
d'années. Ses pas résonnaient dans les couloirs vides de l'infrastructure où elle se trouvait. On entendit une porte qui grinça, des bruits de pas plus lents et amortis, puis plus rien. Son cœur battait la chamade, mais elle se contentait de fixer le plafond, sa sacoche serrée contre elle alors qu'elle s'était laissé retomber sur le vieux matelas poussiéreux de la chambre dans laquelle elle avait pénétré. La jeune fille grelottait, les températures estivales n'étaient pas à son avantage, et alors qu'elle était en intérieur un fin nuage de fumée se formait lorsque sa faible respiration transperçait l'air. Elle était réellement frigorifiée, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de sourire : elle avait réussi, elle avait atteint son objectif. Et alors que le calme régnait, elle brisa le silence des lieux en se redressant subitement, froissant les draps sur lesquels elle reposait. Toujours de sa main tremblante, elle se mit à vider son sac, semblait chercher quelque chose avec une énergie nouvelle, une énergie remplie d'espoir.
Aussi loin qu'elle s'en souvienne, la petite brune n'avait jamais connu la civilisation qu'elle découvrait dans ses lectures, de vieux livres qu'elle avait déniché dans une vielle librairie de son petit village lui aussi abandonné. Elle était née dans un coin reculé des terres basques, un lieu perdu dans les montagnes. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne sa famille avait toujours vécu dans la peur du monde extérieur : que ce soient ses frères ou ses parents. Cette peur, elle n'en avait jamais connu la raison, elle ne l'avait jamais comprise. Malgré son envie brûlante de réponses et de vérités, elle s'était toujours abstenue de quitter ce petit village vide où ses parents l'avaient élevé, alors les seules connaissances qu'elle avait accumulé provenait de vieilleries qui étaient entreposées en ces lieux. Ce fut finalement à l'aube de ses 15 ans que l'adolescente avait pris son courage à deux mains, prenant la route en quête de ses réponses : elle avait quitté son doux petit village pour tenter de goûter à un monde meilleur à ses yeux. Elle parcourait les terres depuis de longues semaines, découvrant un monde vide de toute âme, un monde bien différent de celui des contes de fées. Et en ce matin de février elle l'avait trouvé cette première trace de civilisation, cette première preuve que ce monde dont elle rêvait depuis qu'elle savait lire avait existé. Ce n'était qu'une simple cassette, mais elle semblait si réelle si conforme aux cassettes décrites dans les histoires qu'elle lisait, dans ces pages qu'elle enviait. Oui, cette cassette était le plus beau cadeau qu'on lui ait fait. Alors, quand elle l'avait trouvé dans ce petit coffre au détour d'une vielle chambre d'hôte, elle ne s'était pas posé de questions : elle avait couru. Elle courrait, elle courrait car elle avait choisi il y a bien longtemps d'obtenir ces réponses. Elle courrait car en cette soirée de février elle était libre d'enfin connaître la vérité, ces quelques mots qu'elle cherchait depuis toujours.
De ses doigts fins, elle se saisit de la fameuse cassette, la détaillante avec des yeux remplis d'étoiles, ces mêmes étoiles qui apparaissaient petit à petit dans le ciel de février. Ses doigts s'attelèrent à caresser le plastique du boîtier découvrant pour la première fois un semblant de vérité. Puis alors qu'elle retournait l'objet de ses désirs, elle put le lire, lire cette petite inscription écrite au feutre noir légèrement usé.

«À toi, enfant du futur, cadeau du présent et trésor du passé. 08/01/2035 »

Ce ne fut pas temps la dénomination qui intrigua la jeune fille, ce qui l'interpella fut la date tracée sur l'étiquette. Cette cassette avait 15 ans 5 semaines et deux jours. Ces deux jours attirèrent son attention, l'enregistrement qu'elle avait écouté avait été réalisé deux jours avant qu'elle ne vienne au monde. L'attente devenait interminable, toutes ces questions qui tourmentaient son esprit et heurtaient ses pensées, commençaient réellement à lui faire mal à la tête. Elle se décida à ne pas poursuivre ses réflexions plus que cela. Elle se contenta de se lever, s'avançant vers le bureau pour placer la cassette dans le magnétophone. Elle eut un temps d'arrêt, quelques secondes durant lesquelles elle se posa une question : était-elle prête à entendre la raison pour laquelle son cœur était noyé dans la solitude depuis si longtemps ? Mais alors qu'un frisson lui parcourut l'échine à cette pensée la réponse ne lui eut jamais semblé aussi évidente.
C'est donc avec une détermination nouvelle qu'elle referma la petite machine sur la cassette avant de se retourner pour aller s'écrouler sur le lit, fixant le plafond de son regard tourmenté, accentué de détermination, de malice et de curiosité.
Un long silence suivit son acte, de longs instants de calme. Puis un grésillement bien sonore résonna dans le silence morbide de la pièce, le rythme cardiaque de l'adolescente s'accéléra alors qu'une voix s'éleva dans la cacophonie de la nuit de découverte qu'elle s'apprêtait à vivre.

« Jour 3551, cassette 355, c'est parti.... Si tu entends ceci, c'est que finalement tout ce travail que je fais depuis presque 10 ans aura p'têtre servi à quelque chose youpi.. Ouais même moi j'y crois pas. Tu sais depuis que je suis môme, je n'ai pas pensé une seule fois que la vie c'était simple, que le monde était en paix et que l'humain n'était pas juste une créature égoïste qui a pour seul objectif de succomber à ses désirs. Mais là si t'écoutes ça, c'est qu'ils ont réussi, ils nous ont eus mais toi t'es là. T'as réussi à y échapper, t'es un oiseau qui a quitté cette cage et j'peux qu'être admiratif de ta personne même si on s'connaît pas. Puis.. si t'es là c'est que malheureusement on n'aura jamais la chance de se rencontrer alors profite et écoute bien c'que j'vais t'raconter là......bzzzzzzz... C'était y'a un peu plus de 10 ans que toute cette merde nous ait tombé dessus. Au début, il ne représentait rien, on les croyait fous, on se moquait d'eux et de leurs idées. De toute façon, l'humain est par nature hostile à ce qui diffère de lui, à ce qui le fait sortir de sa zone de confort. C'est assez ironique quand tu comprends que sortir de cette zone c'est ce qui nous fait évoluer, c'est grâce à ça qu'on est là après tout. Mais tu sais, toutes les évolutions ne vont pas dans le bon sens, certaines seront juste là pour te rendre la vie moins facile, c'est l'jeu. Mais comme je te l'ai dit, même si l'humain est hostile à l'inconnu et au différent, je pense que c'est avant tout un amoureux du changement. Alors quand ce groupe de gars aux idées folles a débarqué sans prévenir personne, même si on détestait ça, on s'est senti obligé de les écouter, eux qui avaient l'air si sûrs de ce qu'ils avançaient. Ils ont commencé à clamer leurs idées hauts et forts, dans les rues, sur les réseaux sociaux, dans les quelques médias qu'ils réussissaient à soudoyer avec un peu d'argent et quelques pistons. Ça peut te sembler vraiment étrange, tu dois être seul alors imaginer tout ça, ça doit te sembler fou et un peu bête mais j'te le jure, c'est la simple vérité. Leurs idées étaient claires, radicales et très extrêmes. Alors quand on les voyait défiler on s'moquait d'eux, c'était des clowns et nous leurs spectateurs. Ils disaient que ce monde était voué à l'échec tant que l'humain y régnait, ils nous expliquaient qu'en continuant à y vivre, on se faisait du mal, on s'exposait à des forces bien plus puissantes que nous. Alors, oui, le monde allait mal, c'était un fait, il y avait beaucoup de problèmes politiques, environnementaux et tout ce qui va avec, mais jusqu'à sublimer l'idée de l'extermination humaine pour le bien de tous, c'était extrême. Et pourtant, ils avaient des arguments bien construits et des réflexions convaincantes, c'était pas juste des beaux parleurs : c'était un groupe intelligent qui savait où placer ses pions.
Je l'ai compris un jour où j'me baladais dans la rue un soir, je me souviendrais toujours de ce 9 juillet 2024. Les catastrophes environnementales se multipliaient dans le monde, bien loin de la France, mais leurs nombres n'avaient jamais été aussi élevés : c'était un record terrifiant. Cela faisait plusieurs longues semaines que l'humanité vivait dans la peur d'être touchée.
Mais moi, j'étais jeune à peine la vingtaine et tout ce qui m'intéressait, c'était les femmes et les hommes, alors une petite déferlante de catastrophes naturelles c'est pas c'qui allait m'empêcher de profiter de ma soirée. En-tout-cas, c'est ce dont j'étais persuadé. Mais alors que j'rentrais chez moi tranquillement vers deux ou trois heures du matin, je laissais mon regard dériver sur les façades des immeubles, sur les vitrines des magasins et puis sur le sol sec et légèrement sale de la pollution urbaine. Et c'est là que je l'ai aperçu. C'était juste un énième flyer de ce groupe, ces gens aux idées saugrenues. Il m'a fallu deux secondes pour poser les yeux dessus, puis deux secondes pour me faire tirer dans une ruelle plus
sombre. L'ambiance était glauque et oppressante, j'avais un peu bu mes souvenirs sont flous, mais malgré tout, je l'ai senti. La peur et la tension régnaient, en plus de l'odeur âcre de la drogue et de l'alcool. Ces gars m'ont plaqué au mur, et m'ont tabassé en me hurlant de croire à ces conneries, de rejoindre le mouvement pour sauver le monde, ils me disaient que j'étais encore libre de sauver ma peau avant de dépérir dans la souffrance. Mais les coups que je recevais me hurlaient que je ne serais jamais libre, ils semblaient me raconter que peu importe où j'irais et ce que je ferais mon destin était tracé. Cette douleur qui semblait m'offrir la vie rêvée en me promettant un destin morbide, m'a fait réaliser quelque
chose. Alors que je ne faisais que rigoler de ces drôles de personnages et de leurs idées, eux avaient commencé à rentrer dans la tête des gens, la machine était en marche et ne s'arrêterait pas. Ces gars qui se défoulaient sur moi, ils n'étaient pas des leurs, mais eux, là-haut, se sont servis de ces mecs pour faire transmettre un message aux pauvres types comme moi, j'avais bien compris que mon cas n'était pas isolé. Les mois ont passé et la situation a bien vite empiré, les éléments semblaient se déchaîner plus personne n'était en sécurité. Les tensions entre les pays n'ont fait qu'accroître alors que plus que jamais le contexte semblait leur donner raison à eux qui ne s'arrêtaient jamais. Pendant ces mois-là, ils ont continué leur petit chemin, que ce soit sous la lumière des projecteurs ou dans l'ombre d'une ruelle. Les apparitions médiatiques se sont enchaînées, de plus en plus de personnes semblaient adhérer à leur cause. Leur plan totalement fou était très simple : empêcher la procréation et accompagner la population à choisir une mort douce tant qu'il était encore temps. Temps de quoi ? Temps que le monde n'aurait pas décidé de nous exterminer dans d'affreuses souffrances. Et alors que quelques mois auparavant ils n'étaient qu'une blague, grâce à leurs agissements, ils étaient devenus une solution. Les gens faisaient le choix de les rejoindre, par leur liberté, ils consentaient à leurs idées, ils consentaient à choisir de disparaître dans un espoir désespéré de trouver la paix. Tu sais même après dix ans cela me paraît fou, je n'ai jamais compris comment on pouvait renoncer si vite, comment ces gens avait pu de leur propre chef choisir la mort. Comment on pouvait utiliser sa liberté pour consentir à de telles choses. Et pourtant, ils l'ont fait, grâce à un stratagème bien mené, ils ont atteint leurs objectifs. Ils ont influencé tellement de monde pour obtenir leur consentement, leur consentement à leur enlever la vie. Moi, je voulais et j'ai toujours voulu vivre ma vie, utiliser ma liberté pour me battre jusqu'au bout, je consentais à une mort affreuse si c'était pour être sûr d'avoir tout tenté et que le voyage valait mieux que la destination. Tout a réellement basculé ce 19 avril 2025, ce jour-là, ils ont reçu l'approbation mondiale, les plus grands dirigeants s'étaient joints à eux. C'était la fin des guerres et le début d'une paix bien étrange. Pour moi, c'était mon plus grand combat qui commençait : un combat pour la vie, ma vie.
J'ai passé ces dix dernières années à me cacher, je savais que nous étions nombreux à être loin d'adhérer à ces idées folles, mais tout est allé bien trop vite. Nous n'avons pas et nous n'aurions jamais eu assez de temps pour nous organiser. J'étais devenu un simple spectateur de l'autodestruction de la race humaine, et ça me rendait fou. Des vagues de suicides arrangés, des maternités fermés, des refus de soins médicaux : voilà à quoi ressemble le monde depuis toutes ces années : un véritable bain de sang. Des dizaines de villes et villages laissées à l'abandon. Cela fait 10 ans que tout ça s'est mis en marche presque trop facilement. Ils cherchent les traites, ceux qui veulent vivre, ceux qui ont de l'espoir ils les massacrent eux-mêmes. Cette situation n'a rien de l'éthique d'autres fois, alors qu'ils pensaient trouver la paix, c'est plutôt un climat de violence et de désolation qui règne. Au moment où je t'enregistre ces mots, je pense que je suis un des rares survivants dans un rayon de plusieurs kilomètres, cela fait dix longues années que je me bats. Mais aujourd'hui je souhaite déposer les armes. Je ne lutterais plus, finalement en
ce 3551e jour depuis le 19 avril 2025 j'ai décidé d'attendre qu'ils viennent me trouver, d'une certaine façon j'utilise ce qui reste de ma liberté pour moi aussi consentir à leurs idées folles. J'emporterais avec moi le regret de ne pas faire partie de ces courageux, ceux qui seront encore là dans 5, 10 ou même 20 ans, les personnes comme toi ou ceux qui t'ont amené ici à m'écouter. Alors maintenant, écoute bien ce que je vais t'apprendre, je veux que tu encres ces mots en toi et que tu t'en serves dans chaque épreuve de ta vie que tu affronteras, si tout ce que j'ai fait peut servir à quelque chose, je veux que ça serve à cela. Nous sommes chacun libre de nos choix, faire un choix, c'est consentir. Mais dans la vie, certains essayeront d'influencer tes choix pour se servir de ta liberté. Alors à ce moment-là, on pourrait penser que tu n'es plus libre de tes choix. Mais ce que je vais te dire est pour moi la seule vérité en ce monde : la seule liberté possible est de reconnaître que l'on a toujours le choix de faire autrement,
on est « condamné à être libre ». Pour moi, tous ces gens ont été libres jusqu'au bout, tout comme toi et moi. Même si nos choix sont influencés il n'y aura toujours que nous qui pourront être libre et consentir en notre nom. Bref, je pense que si on m'avait dix ces mots il y a dix ans, alors j'aurais peut-être eu le courage de sauver tout le monde. Seulement si tu écoutes ça, c'est qu'en vérité, je suis parti, et qu'il n'y a plus rien à sauver. Alors je t'en prie, je n'ai pas pu sauver mon monde, mais j'aimerais être assez égoïste et te demander de sauver le tien, lève-toi et bats toi pour reconstruire ce qu'ils ont détruit. Au moment où je t'enregistre ce message, dans une semaine, viendra la phase finale de leur plan, eux aussi s'autodétruiront, et alors si rescapés de cette mascarade il y a réellement, ils seront en capacité de reconstruire tout cela. Alors si tu existes réellement, lève-toi, bats-toi pour ta vie sans jamais oublier que quand tu consentiras à quelque chose, c'est alors là que se trouvera ta liberté. Tu es libre de consentir autant que tu es libre de vivre dans ton propre corps, ne laisses jamais qui que ce soit te laisser douter su contraire.
C'est tout pour moi. Courage et bats toi enfant du futur, dans mon présent ta naissance aurait été un cadeau et dans le passé quelqu'un comme toi ayant connaissance de ce que je viens de te dire aurait été un trésor, une bénédiction. Alors, si un jour tu viens au monde, merci »

Une simple larme roula le long de sa joue.
Si elle était là, c'est parce que ceux qui l'ont précédés ont voulu vivre.
Elle était venue au monde alors qu'une grande âme venait de s'éteindre. De son jeune âge, elle était née pour donner l'espoir.
L'espoir qu'un jour le monde se relèverait, tant qu'il y aurait des gens comme elle pour vivre. Vivre, être libre et consentir.

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