Chapitre 91 - Jonas

Ils avancent tranquillement jusqu'à un petit café en plein centre-ville, un de ces troquets modestes mais accueillants où le temps semble s'écouler plus lentement. L'air est léger, et pour un instant, Jonas se sent presque apaisé, loin de ses tourments personnels. Ils s'installent à une table près de la fenêtre, un peu à l'écart, où ils peuvent parler sans être dérangés par le brouhaha ambiant.

— Ton grand-père et ta grand-mère étaient des gens formidables, commence Nadine après avoir commandé un café allongé. Je les ai connus dès leur arrivée en France... ils avaient une façon de parler des États-Unis qui nous faisait tous rêver, tu sais ? Ils étaient comme un petit bout d'Amérique au village.

Jonas l'écoute avec attention, sa tasse de café entre les mains, se perdant dans les récits que Nadine tisse. Ses paroles éveillent en lui des images floues mais précieuses : les rires de son grand-père, l'odeur des pâtisseries que sa grand-mère faisait toujours en trop grande quantité, les après-midi passés à écouter des histoires de l'autre côté de l'Atlantique.

— Ton père aussi... oh, il était très beau garçon, ajoute-t-elle en souriant, son regard pétillant de malice. Tu lui ressemble beaucoup d'ailleurs.

Jonas rit doucement, secouant la tête.

— Merci, dit-il avec une modestie teintée d'un brin de tristesse.

— Oh, non, pas de ça avec moi ! Elle rit. Tu as ce regard pétillant et de jolies fossettes.

Son ton est affectueux, comme une mère qui complimenterait un fils qu'elle n'a pas vu depuis longtemps.

— Tu es marié ? l'interroge-t-elle en souriant.

La question frappe Jonas comme une gifle, bien qu'il sache qu'elle n'a rien de malveillant. Il baisse la tête, son regard fixant la tasse entre ses mains. Les récentes épreuves avec Nelly et son ancienne fiancée Lola refont surface comme un courant puissant qui l'entraîne à nouveau dans des émotions contradictoires.

— Désolé, murmure Nadine en voyant son malaise. Je ne voulais pas te blesser... je suis trop curieuse, parfois.

— Non, non, la rassure Jonas en levant rapidement les yeux. Ne vous inquiétez pas, Nadine. Ce n'est pas votre faute.

Il tente de sourire, mais c'est un sourire triste, empreint de tout ce qu'il ne dit pas. L'amour, la perte, la confusion, tout se mélange dans son esprit. Il n'a jamais vraiment su comment gérer tout ça, et maintenant, face à cette femme qui l'interroge avec tant de simplicité, il se sent encore plus démuni.

— Mon Corentin, lui, il a eu deux beaux enfants, enchaîne Nadine, comme pour alléger l'atmosphère. Capucine et Grégoire. Je les vois souvent, ils habitent à Bordeaux. Leur maman est une femme adorable.

Jonas se demande un instant si elle essaie de lui proposer un rapprochement, une rencontre avec cette « adorable maman ». Un coin de son esprit, toujours méfiant, l'envisage, mais il chasse vite cette idée. Non, elle lui parle simplement, partageant une partie de sa vie, sans arrière-pensées. Il inspire profondément, cherchant ses mots.

— J'ai été fiancé..., commence-t-il doucement, la honte pesant sur ses épaules. Mais j'en aime une autre.

Nadine lève les sourcils, un léger signe de surprise, mais elle reste attentive, respectueuse.

— C'est fâcheux, dit-elle, la compassion dans la voix. Et cette jeune personne ne t'aime pas ?

Jonas hésite, ses pensées tourbillonnant. Il pense à Nelly, à tout ce qu'ils ont traversé, à ses hésitations, à ses propres erreurs.

— Je... je ne sais pas vraiment, avoue-t-il, la voix brisée. Je crois qu'elle a peur.

— Peur de toi ?, demande Nadine, intriguée.

Jonas rit nerveusement, un rire court et sans joie.

— Non, dit-il en secouant la tête, peur de l'inconnu.

Nadine fronce les sourcils, perplexe.

— Qu'est-ce que tu me chante là ?, l'interroge-t-elle avec une sincère curiosité.

Jonas détourne le regard, dépité. Il y a tant de choses à raconter, des détails complexes, des douleurs profondes qu'il ne veut pas partager, pas maintenant. C'est trop personnel, et il ne veut pas l'accabler avec ses histoires.

— C'est compliqué, finit-il par dire en soupirant. Je ne veux pas vous embêter avec mes soucis.

— Tu ne m'embêtes pas, voyons, insiste Nadine, son regard doux et patient. Parfois, parler peut aider, tu sais ?

Jonas inspire profondément, sentant une forme de soulagement l'envahir. C'est étrange, mais parler à Nadine, cette femme qui l'a connu enfant, c'est comme retrouver un peu de la chaleur maternelle qu'il avait perdue. Il se surprend à se confier, à ouvrir son cœur de manière presque instinctive, comme si ces confidences étaient un pont vers un passé qu'il chérit encore malgré tout.

Il commence à lui raconter son histoire avec Nelly, une histoire qui remonte à des années, à l'époque du lycée. La timidité des premiers échanges, leur complicité grandissante, l'amour qui avait germé en eux sans qu'ils ne puissent rien y faire. Chaque mot qu'il prononce semble le libérer un peu plus de ce fardeau qu'il porte depuis trop longtemps.

— La petite Dudressie ?, l'interrompt Nadine avec un sourire amusé en reconnaissant le nom.

Jonas hoche la tête, son visage s'éclairant un bref instant à l'évocation de cette période de sa vie. Leur jeunesse commune, leurs moments volés entre les couloirs du lycée. Il poursuit son récit, parlant de la séparation douloureuse qui avait suivi son départ pour les États-Unis, et des treize longues années où ils étaient restés sans contact... tout ça à cause d'une vérité qu'il n'a découvert que récemment : les lettres qu'il lui avait envoyées et qui n'étaient jamais arrivées à destination.

— Sa mère !, s'exclame Nadine avec un air révolté. Je n'ai jamais pu la supporter. Une vraie mégère, cette femme ! Toujours à se mêler de tout, à vouloir tout contrôler...

Jonas retient un sourire, mais il ne peut s'empêcher de ressentir une certaine satisfaction à l'idée que la réputation de la mère de Nelly n'a pas fait long feu dans le village. Elle avait toujours été un obstacle entre lui et Nelly, une ombre menaçante qui avait cherché à écraser leur amour naissant sous le poids de ses jugements et de ses exigences. Il se souvient encore des regards dédaigneux qu'elle lui jetait, des commentaires acerbes sur sa famille et ses origines.

— Tu l'aimes, la petite, hein ? demande doucement Nadine, son regard se faisant plus tendre, presque maternel. Ça se voit dans tes yeux.

— Oui, murmure Jonas, sa voix trahissant tout le poids de cet aveu.

Ce simple mot, prononcé avec une telle sincérité, contient toute la force de ses sentiments. C'est un oui qui résonne dans le silence du café, un oui qui porte en lui des années d'amour non-dit, de regrets, d'attentes, d'espoirs déçus. Nadine le regarde longuement, évaluant ses paroles, ses émotions. Puis elle plisse les yeux, comme pour mieux percer le mystère de cet homme qui semble à la fois tellement amoureux et... résigné.

— Et pourtant, tu t'en vas, constate-t-elle, presque perplexe.

Ses mots tombent comme un coup de marteau. Elle le scrute avec une attention bienveillante, mais aussi avec une incompréhension qui transparaît dans sa voix. Comment peut-on aimer autant et choisir de partir ?

— Oui, répète Jonas, sa gorge se serrant. C'est ce qu'elle souhaite.

Il baisse les yeux, fixant sa tasse de café presque vide. Le poids de cette décision le ronge depuis des semaines. Il aime Nelly plus que tout, mais il ne peut la forcer à rester avec lui. Elle lui a fait comprendre, sans un mot, qu'elle avait besoin de distance, de temps. Et lui, désespérément, veut qu'elle soit heureuse. Même si cela signifie qu'elle doit être loin de lui.

— Et je veux qu'elle soit heureuse, reprend-il, sa voix tremblant légèrement. Alors... si c'est loin de moi, je dois partir.

Nadine incline légèrement la tête, le regardant avec une tristesse douce, comme une mère qui comprend la douleur sans pour autant pouvoir l'apaiser. Elle voit bien que Jonas est tiraillé, qu'il souffre d'une blessure invisible mais profonde.

— L'amour, c'est jamais simple, tu sais, dit-elle doucement. Parfois, on pense faire ce qu'il y a de mieux pour l'autre, mais on se trompe. Et peut-être que Nelly, elle aussi, elle se trompe.

Jonas ferme un instant les yeux, le poids de ses paroles venant s'ajouter à ses doutes. Il a tellement réfléchi à cette décision, pesé le pour et le contre, mais au fond de lui, il sait que rien n'est jamais certain en amour. Et si elle avait juste peur ? Peur de ce qu'ils pourraient être ensemble, de ce que l'avenir pourrait leur réserver ?

— Peut-être, murmure-t-il, plus pour lui-même que pour Nadine.

Ils restent silencieux un moment, chacun perdu dans ses pensées. Le bruit du café autour d'eux semble se dissiper, laissant place à une atmosphère plus intime, presque solennelle. Jonas se demande si partir est vraiment la solution, si, en s'éloignant, il ne risque pas de perdre définitivement cette femme qu'il aime tant. Mais en même temps, il ne peut s'empêcher de respecter son choix. Nelly a besoin de temps, et même si cela le tue à petit feu, il est prêt à tout pour la laisser libre. Même à renoncer à elle.

23 Novembre...... à l'aéroport.

Yan jette un coup d'œil à Jonas, debout à côté de lui dans la file d'attente pour enregistrer leurs bagages. Le silence entre eux est lourd, plein de non-dits et d'émotions que Jonas tente désespérément d'étouffer. Le manager le connaît trop bien pour ne pas remarquer les signes, mais il essaie de respecter cette distance que Jonas impose.

— Prêt ?, demande Yan d'une voix douce, cherchant un contact, une ouverture.

Jonas fixe le sol pendant un long moment, comme s'il cherchait la réponse au fond de ses pensées confuses. Le mot « prêt » semble trop simple pour ce qu'il ressent à cet instant précis. La vérité, c'est qu'il n'est pas prêt, pas même un peu. Il est sur le point de quitter celle qu'il aime sans même savoir s'il pourra un jour la retrouver.

— Je ne sais pas..., murmure-t-il finalement, la voix brisée par un mélange de fatigue et d'incertitude.

L'asiatique le regarde, un mélange de compassion et de frustration dans ses yeux. Pourquoi partir alors qu'il pourrait rester et se battre ? Pourquoi quitter Nelly sans avoir tenté une dernière fois ? Il ne comprend pas, et il ne peut s'empêcher de demander, malgré le risque de raviver la douleur de Jonas.

— Pourquoi ne pas aller la rejoindre ?, suggère-t-il doucement.

Jonas secoue la tête, un sourire amer se formant sur ses lèvres. Il a déjà pensé à cette option des milliers de fois, mais chaque fois, il en arrive à la même conclusion. Il ne peut pas imposer sa présence à Nelly, pas après tout ce qu'elle a traversé. Il doit respecter son choix, même si ça le détruit de l'intérieur.

— Ce serait idiot..., répond-il, la voix un peu tremblante, je vais m'en tenir à... à ma vie d'avant.

Yan fronce les sourcils, se tournant légèrement vers Jonas, cherchant à capter son regard. Il sait que cette vie d'avant n'a plus vraiment de sens pour lui. Tout a changé depuis Nelly, tout a pris une autre dimension. Revenir à sa vie d'avant, c'est comme retourner dans une coquille vide.

— Sans Lola, note Yan, avec un soupçon de sarcasme dans la voix, essayant de détendre l'atmosphère.

— Sans Lola, oui, confirme Jonas, mais cette fois-ci, son ton est ferme. Je ne suis même pas le père de l'enfant ! Enceinte d'à peine un mois... comment a-t-elle osé me faire culpabiliser alors que...

Il soupire et détourne le regard vers ses billets d'avion, comme pour se rappeler qu'une partie de son passé doit rester là, derrière lui. Lola, c'était une autre histoire, une autre erreur, une autre fuite. Yan hésite, ses doigts se serrant autour de la poignée de sa valise. Il sait qu'il s'apprête à poser une question à laquelle Jonas n'a sans doute pas envie de répondre.

— Et sans elle, ajoute-t-il doucement.

Le silence qui suit est écrasant. Jonas ferme les yeux un bref instant, comme pour repousser la douleur qui monte en lui à cette simple évocation. Nelly, ce nom seul est une déchirure. Il aimerait pouvoir répondre, dire que ça ira, qu'il va s'en sortir. Mais à quoi bon mentir ? Le poids de cette perte le hante, et l'idée de vivre sans elle semble un gouffre sans fond.

— Je sais..., murmure-t-il finalement, à peine audible.

Yan soupire, posant une main réconfortante sur l'épaule de Jonas. Il a vu cet homme traverser bien des épreuves, mais jamais comme ça. Jamais avec cette ombre qui plane sur lui. Son ami est à bout, et il le sent.

— Tu es sûr que tout ira bien ?, demande-t-il avec un brin d'espoir. Tu ne veux pas repartir avec moi ?

Le manager a pris ses billets pour les États-Unis pour la fin de l'année. En revanche, il partira de Paris, ayant quelques affaires à traiter en France. Jonas secoue la tête, essayant de masquer la tourmente qui l'habite. Il aimerait pouvoir dire oui, s'accrocher à l'idée de rester avec Yan, lui permettra de revoir Nelly, de la reconquérir mais... ce serait une erreur. Il doit affronter cette solitude, se retrouver, se reconstruire. Loin de tout ça.

— Non... ça ira, tente de le rassurer Jonas, forçant un sourire. Je te promets, ça va aller.

Yan le fixe un moment, incertain, mais il sait aussi qu'il ne peut pas forcer Jonas à changer d'avis. C'est son combat à mener. Alors, même s'il reste inquiet, il fait un effort pour se détendre et hocher la tête.

— Je m'inquiète pour toi. Tu..., commence-t-il, mais Jonas l'interrompt doucement.

— Y'a pas d'raison. Ça va.

Bien sûr, il ment, et ils le savent tous les deux. Mais Yan ne pousse pas plus loin. Il comprend que Jonas a besoin de ce moment pour lui, même si ça signifie qu'il doit faire semblant que tout va bien. C'est un jeu qu'ils connaissent bien tous les deux : jouer la comédie, même en dehors des plateaux de tournage.

Avec un dernier regard lourd de non-dits, Jonas, se dirige vers les arches métalliques du contrôle de sécurité. Le moment est solennel, presque irréel. Comme s'il fermait la porte à tout ce qu'il connaît, à tout ce qu'il aime. Après une fouille rapide, Jonas est autorisé à se rendre dans le sas d'attente. Le poids de son sac semble bien léger comparé à celui de ses pensées.

Une fois à bord, il s'installe dans son siège près du hublot, soupirant discrètement en regardant l'extérieur. Le ciel est vaste, infini, tout comme ses doutes. A-t-il pris la bonne décision ? Il veut s'en convaincre, il le doit, mais une partie de lui hurle que tout ça est une erreur, que partir sans un mot, sans une dernière tentative, c'est un gâchis monumental.

Pas de pleurs, pas de cris. Pas d'explications complexes ou embrouillées. C'est juste... terminé.

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