Chapitre 90 - Jonas
23 Novembre... matin.
Jonas soupire profondément, le regard fixé sur la valise enfin bouclée. Le bruit sec de la fermeture éclair résonne dans la chambre vide, marquant la fin d'une étape qu'il repousse depuis des jours. Il sait ce que ça signifie : tourner la page, laisser Nelly derrière lui, même s'il n'en a pas envie. La douleur est vive, mais il ne peut plus se permettre de lutter contre une absence de réponse. Nelly ne lui a répondu à aucun de ses messages après leur dernière rencontre, et il comprend, à contrecœur, que son silence est une réponse en soi.
— Il est temps de la laisser respirer, murmure-t-il pour lui-même, la gorge serrée. De la laisser vivre... sans moi.
Yan, son manager et ami de longue date, l'observe, assis sur le bord du canapé, les sourcils froncés d'inquiétude. Il déteste voir Jonas dans cet état, et chaque minute qui passe ne fait que confirmer ses pires craintes.
— Écoute, mec, finit-il par dire, brisant le silence pesant dans la pièce. C'est terrible de te voir comme ça. Tu... tu vas pas recommencer à boire, hein ?
Sa voix tremble légèrement, révélant à quel point il redoute cette éventualité. Jonas détourne le regard, les yeux fatigués et ternes. Il sait que Yan a raison de s'inquiéter. Le goût amer de l'alcool lui brûle encore la mémoire, chaque bouteille vidée dans ses moments de faiblesse une cicatrice qu'il porte toujours en lui. Mais il ne veut pas retomber. Il ne peut pas.
— Non, t'inquiète pas, répond-il d'une voix basse, rauque d'émotion. Je vais juste... être différent. Peut-être quand je serai seul ou avec toi.
Il esquisse un sourire triste, désabusé.
— Mais devant les paparazzis, et tous les autres dans ce foutu showbiz, je garderai la face.
Son regard se durcit, une barrière entre sa vulnérabilité et le monde extérieur. Yan soupire, mal à l'aise. Il connaît ce regard. Jonas est en train de s'enfermer dans ce masque, celui du professionnel, de l'acteur invincible, toujours prêt à donner une image parfaite de lui-même. Mais Yan n'est pas « les autres ». Il est son ami, et il ne peut pas supporter de voir Jonas se perdre encore.
— J'suis pas sûr que j'aie envie de ça, murmure-t-il en baissant la tête, ses mains serrées nerveusement sur ses genoux. Je préférerais te savoir heureux, pas juste... un acteur qui fait semblant.
Jonas se fige, surpris par l'honnêteté de son ami. Les mots le frappent, et pendant un instant, il sent une vague de tristesse l'envahir. Heureux ? Ce mot lui semble tellement lointain, presque irréel. Quand a-t-il été vraiment heureux pour la dernière fois ? Avec Nelly, sans doute. Mais ça, c'est fini maintenant. Il n'a pas le choix.
— On ne choisit pas toujours dans la vie, finit-il par dire d'un ton solennel, mais le poids de cette vérité semble l'écraser un peu plus.
Sa voix, pleine de résignation, laisse entrevoir une amertume qu'il essaie en vain de cacher. Yan lève les yeux vers lui, scrutant son visage, espérant voir une étincelle, quelque chose qui lui ferait croire que Jonas va s'en sortir. Mais il n'y a rien, juste un vide, un fossé de chagrin qui grandit entre eux.
— T'as besoin de quelque chose avant de partir ? demande Yan, brisant à nouveau le silence, essayant maladroitement de ramener un peu de normalité dans cette situation qui le dépasse.
Jonas secoue doucement la tête. Son esprit est ailleurs. Il pense à Nelly. A-t-elle lu que l'enfant de Lola n'était pas le sien ? A-t-elle bien compris qu'il n'épousera jamais cette femme et qu'il l'aimera jusqu'à son dernier souffle ?
— Non, répond-il après un moment. Je vais régler quelques trucs, passer voir ma famille... après, on partira pour Bordeaux.
Il évite le regard de Yan, préférant se concentrer sur des détails pratiques, comme pour éviter de sombrer.
— Ok, j'vais faire un tour, alors. On se rejoint à l'hôtel à dix-sept heures ?
Jonas acquiesce en silence, ses pensées déjà tournées vers ce qu'il lui reste à affronter. Le visage de Nelly apparaît un instant dans son esprit, son sourire qu'il a tant aimé, ses yeux qu'il n'oubliera jamais. Elle est tout ce qu'il a toujours voulu, mais il sait qu'il doit la laisser partir. Il ne veut pas être un fardeau pour elle, pas un poids supplémentaire dans sa vie déjà compliquée.
— Ouais, dix-sept heures, murmure-t-il en jetant un dernier regard à la valise, symbole de tout ce qu'il doit laisser derrière lui.
Yan sort discrètement, laissant Jonas seul avec ses pensées, le silence de la pièce devenant presque assourdissant. Jonas reste là, immobile, devant sa valise fermée, le cœur lourd. Une partie de lui refuse d'abandonner, mais l'autre sait qu'il est temps. Le temps de la laisser vivre sa vie, et lui de continuer la sienne, même si cela signifie vivre dans le mensonge, jouer encore un rôle qu'il ne veut plus jouer.
23 Novembre... après-midi.
Jonas s'assied en silence, juste en face de la tombe de ses parents et grands-parents. Le vent souffle doucement, faisant bruisser les feuilles des arbres autour du cimetière, mais ce bruit apaisant ne parvient pas à calmer le tumulte en lui. Ses yeux sont fixés sur les noms gravés dans la pierre froide, des noms qui lui rappellent tout ce qu'il a perdu, tout ce qu'il ne pourra plus jamais retrouver. Il se sent seul, plus que jamais.
Il vient de donner ses dernières instructions à l'artisan chargé des rénovations de la maison familiale. La vieille demeure, autrefois pleine de vie, est aujourd'hui déserte. Il a décidé de ne pas la vendre, mais de la louer une fois les travaux terminés. C'est son seul bien, son dernier lien avec ses racines, et il n'est pas prêt à le laisser partir, même s'il sait qu'il ne pourra jamais y revenir pour y vivre. Il a trouvé un couple de retraités, un vieux couple qui semblait avoir encore la flamme de la vie. Ils s'y installeront, prenant soin de la maison en son absence. En échange, ils lui ouvriront la porte lorsqu'il sera de passage. Mais dans son cœur, il sait que ces retours seront rares, peut-être inexistants.
Il chuchote dans le silence, les mots s'échappant de sa bouche sans même qu'il en ait conscience :
— Je l'ai perdue, murmure-t-il, la gorge serrée. Je l'ai vraiment perdue cette fois.
Son cœur se brise à chaque mot. Il parle de Nelly, bien sûr, mais au fond, il sait qu'il a perdu plus que ça.
— Si seulement vous étiez encore là, continue-t-il, ses yeux se remplissant de larmes qu'il tente de retenir. Vous m'auriez guidé, comme vous l'avez toujours fait.
Il reste là, assis, immobile. Le silence est assourdissant, coupé seulement par le chant lointain des oiseaux. Il contemple les vieilles photos en noir et blanc, incrustées dans les pierres tombales, des visages familiers qui le fixent, figés dans le temps. Il ferme les yeux un instant, essayant d'imaginer ce que ses parents lui auraient dit, s'ils avaient été encore là pour l'aider à traverser cette tempête. Sa mère, avec son sourire tendre, lui aurait sans doute dit de suivre son cœur, de ne jamais abandonner l'amour. Et son père ? Son père, avec son regard sérieux mais bienveillant, lui aurait dit d'être fort, de tenir bon. Mais maintenant, il est seul, perdu dans ses pensées, perdu dans cette vie qui ne lui ressemble plus.
Cela fait plus d'une heure qu'il est là, immobile, figé par la douleur et le poids des souvenirs. Les moments passés à leurs côtés semblent si lointains, comme s'ils appartenaient à une autre vie, un autre Jonas.
— Jonathan ? Jonathan Dupré, c'est bien toi ?
Il sursaute, pris au dépourvu. Sa main se crispe sur ses genoux, et il tourne lentement la tête, ses yeux rencontrant ceux d'une femme d'un certain âge, le visage marqué par le temps, mais avec un sourire doux qui lui rappelle quelque chose.
— Bonjour, Madame, répond-il poliment, bien qu'un peu confus.
Son esprit est encore ailleurs, perdu dans le passé.
— Oh, comme tu as changé ! dit-elle en s'approchant, son visage s'illuminant d'un mélange de surprise et de nostalgie.
— On se connaît ? demande-t-il, surpris de sa familiarité.
— Je suis Nadine Morin, la pharmacienne.
Un sourire triste flotte sur ses lèvres.
— J'étais une grande amie de ton père, puis de ta mère... tu allais à l'école avec mon fils, Constantin.
Jonas acquiesce lentement, un vague souvenir lui revient. Constantin, ce gamin timide et maladroit, toujours en quête d'attention, prêt à faire des bêtises juste pour se faire remarquer. Un garçon sympathique, mais qui se battait contre ses propres démons.
— Oui, bien sûr, finit-il par dire. Je me souviens maintenant. Comment allez-vous ?
— Comme une vieille femme, répond-elle en haussant légèrement les épaules.
Son ton est léger, mais Jonas perçoit une tristesse dissimulée.
— Que fais-tu ici, Jonathan ?
Il hésite, regardant un instant la tombe de ses parents. C'est étrange de parler de tout ça à quelqu'un d'autre, surtout ici, en ce lieu chargé d'émotions.
— Je venais voir ma famille, dit-il finalement, montrant du menton la tombe de ses aïeux et de ses parents.
— Oui... c'est vrai. Je suis désolée, murmure-t-elle, baissant les yeux comme si elle partageait un peu de sa peine.
Un silence s'installe entre eux, un silence respectueux. Jonas sent son cœur se serrer. Chaque fois qu'on lui présente des condoléances, c'est comme rouvrir une vieille blessure.
— Et vous ? demande-t-il, curieux mais aussi par politesse.
Nadine détourne légèrement le regard, comme si la question venait de réveiller une douleur enfouie.
— Je viens voir mon fils, dit-elle simplement, mais la tristesse dans sa voix est palpable, écrasante.
— Oh, Jonas se fige, sentant un poids tomber sur ses épaules. Je suis... pardon.
Son cœur bat plus vite, embarrassé. Il ne savait pas.
— Tu ne pouvais pas savoir, voyons, dit-elle doucement, posant une main réconfortante sur son bras. Je ne t'en veux pas. Il avait un cancer.
Elle soupire, et son regard se perd quelque part, loin dans des souvenirs qu'elle seule peut comprendre. Les mots résonnent dans l'air, suspendus entre eux. Jonas, lui, ne trouve rien à dire. Que pourrait-il dire d'ailleurs ? Il sait ce que c'est que de perdre un être cher, mais il ne peut pas prétendre comprendre sa douleur à elle. Chaque perte est unique.
Nadine reste là, en silence, à côté de lui, pendant qu'ils regardent ensemble la tombe de Constantin. Un instant fragile de partage, deux âmes liées par la douleur, dans ce cimetière où les vivants et les morts se côtoient en paix.
— Je serais ravie de savoir ce que tu deviens, propose-t-elle avec un sourire chaleureux, ses yeux brillant d'une curiosité bienveillante. On peut aller en discuter autour d'un café ?
Jonas hésite une seconde, surpris par cette invitation inattendue. Il n'avait pas prévu de rester, mais il se sent presque réconforté par sa présence, comme un lien ténu avec un passé qu'il avait presque oublié.
— Avec plaisir, répond-il finalement, un léger sourire flottant sur ses lèvres. J'ai un avion à prendre ce soir, ajoute-t-il en regardant brièvement sa montre, mais je peux bien vous accorder une petite heure.
— Tu pars où ? Tu vis ici depuis longtemps ?
— Je retourne aux États-Unis, explique-t-il doucement en lui prenant le bras, un geste naturel qui les guide pour marcher ensemble. Je n'ai jamais vraiment vécu ici... pas depuis longtemps, en tout cas.
Le contact de son bras contre celui de Nadine est rassurant, presque familier. Elle l'emmène dans un flot de souvenirs, des fragments du passé surgissent soudainement, des moments qu'il pensait avoir oubliés. C'est à la fois étrange et agréable, cette femme lui rappelle non seulement son enfance, mais aussi des détails sur ses parents et grands-parents qu'il avait laissés enfouis quelque part dans les méandres de sa mémoire.
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