Chapitre 9 bis - Jonas

Le jardin public était l'un des rares endroits où se retrouvaient les jeunes de la petite ville. Le terrain de jeu préféré des groupes d'amis bruyants, des couples en quête d'intimité et des adolescents désœuvrés qui passaient leur temps à comparer leurs vies à celles des autres. Lui, cherchait à s'effacer, à se fondre dans le décor. Contrairement aux autres, il n'avait jamais été à l'aise dans ce genre de rassemblements. C'est pourquoi il préférait la tranquillité de la bibliothèque municipale, son refuge secret, à quelques pas du brouhaha extérieur.

Dans cet espace feutré, entouré de l'odeur rassurante des vieux livres et du silence ponctué seulement par le bruissement des pages, Jonas trouvait un certain apaisement. Il dévorait les classiques, se plongeant dans des mondes où il pouvait s'échapper et être quelqu'un d'autre, même si ce n'était que pour quelques heures. Hugo, Dumas, Brontë... Des noms prestigieux qui l'avaient accompagné à travers ses après-midis solitaires.

Ce jour-là, il était assis au fond de la pièce, le dos voûté sur une vieille édition de « Orgueil et Préjugés » de Jane Austen, ses doigts glissant sur les pages jaunies. Le monde de Darcy et Elizabeth Bennet le captivait, bien plus qu'il n'aurait osé l'admettre à quiconque. Il se demandait ce qui, dans ce Mr. Darcy, fascinait tant les femmes.

C'est à ce moment-là qu'une voix claire et douce l'arracha à sa lecture.

— Salut !

Surpris, il leva les yeux de son livre manquant de le faire tomber. Une fille se tenait là, à quelques pas de lui, un sourire en coin, les mains derrière le dos, comme si elle hésitait à l'interrompre. Ses cheveux bruns ondulaient légèrement sur ses épaules, et ses yeux chocolat brillaient d'une curiosité amusée.

— Oh, bonjour ! répondit-il, un peu décontenancé d'être surpris en pleine lecture.

Elle s'avança d'un pas, jetant un regard curieux sur le livre qu'il tenait entre ses mains.

— Jane Austen ? déchiffra-t-elle, en penchant légèrement la tête pour mieux lire la couverture. Je ne m'attendais pas à ça, venant de toi.

Il sentit ses joues chauffer légèrement. Il savait que la plupart des garçons de son âge ne s'intéressaient pas à ce genre de littérature, mais il ne s'en était jamais soucié... jusqu'à présent.

— C'est... oui. Je voulais comprendre pourquoi les femmes aimaient Darcy, avoua-t-il, sa voix plus douce, presque timide.

Elle haussa un sourcil, un sourire espiègle étirant ses lèvres.

— Vraiment ? Elle croisa les bras, son regard pétillant de malice. C'est pour ça que tu lis Jane Austen ? Pour comprendre les filles ?

Il détourna les yeux, gêné.

— Peut-être que, grâce à ça, on m'appréciera davantage, murmura-t-il, à peine audible.

Elle resta silencieuse un instant, le regardant avec plus d'attention, comme si elle essayait de percer un mystère qu'elle n'avait pas encore complètement compris.

— Voyons... finit-elle par dire, d'un ton léger mais sincère. Les filles, de nos jours, à part les littéraires — et Dieu sait qu'elles sont rares, comme toi et moi — préfèrent les bad boys aux garçons romantiques.

Il éclata de rire, un peu amer. Elle n'avait pas tort. Il n'avait jamais été du genre à se faire remarquer, à être celui vers qui les filles se tournaient. Il n'avait pas le look du rebelle, pas l'aura mystérieuse des bad boys qui semblaient hypnotiser les adolescentes. Lui, il était discret, calme, rêveur... peut-être trop.

— Mais... tu m'as bien regardé ? Il sourit timidement, conscient de ne pas correspondre à ce qu'elle décrivait.

Elle s'approcha alors, doucement, réduisant l'espace entre eux jusqu'à ce qu'elle soit si proche qu'il pouvait sentir son souffle léger contre son visage. Son cœur accéléra, et il retint son souffle, pris au piège dans le regard profond de ses yeux bruns. Elle se pencha encore plus près, ses lèvres frôlant presque les siennes, son visage à quelques centimètres du sien.

— Je te regarde, Jo, murmura-t-elle, sa voix devenant un peu plus douce, plus intime. Je fais que ça depuis notre première rencontre.

Jonas sentit son cœur s'arrêter. Son surnom prononcé de cette façon, avec tant de douceur, tant de sincérité... Cela lui donna l'impression que le monde entier venait de s'effondrer autour de lui, ne laissant que eux deux, seuls dans ce petit coin de bibliothèque, isolés du reste du monde.

— Oh... fut tout ce qu'il parvint à articuler, complètement désarmé par la proximité et par cette révélation.

Elle se recula légèrement, son sourire énigmatique toujours présent, comme si elle venait de lui offrir un secret qu'il n'était pas encore tout à fait prêt à comprendre. Il resta figé, cherchant ses mots, mais aucun son ne sortit de sa bouche.

Elle le regarda un instant de plus, puis, avec un sourire complice, tourna les talons et s'éloigna vers une autre allée de la bibliothèque, le laissant seul avec ses pensées, son livre et cette nouvelle certitude qui venait de chambouler son monde.

Il la regarda partir, son cœur battant encore à tout rompre. Pour la première fois, il se demanda si lire Austen n'avait pas été la meilleure décision qu'il ait prise.

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