Chapitre 83 - Jonas
Non... c'est un cauchemar. Un tourbillon d'émotions envahit Jonas alors qu'il contemple son téléphone, ses mains moites serrant l'appareil comme si c'était un bouclier contre une réalité trop dure à affronter. Son cœur bat à tout rompre, son esprit refuse d'accepter ce qu'il vient d'entendre. Cette journée est un enfer.
Il relâche lentement son souffle, la gorge serrée, incapable de masquer la douleur qui transperce son être.
— C'était elle ?
La voix de Yan résonne dans la pièce, brisant le silence. Ses yeux perçants scrutent Jonas, cherchant des réponses dans ce visage dévasté.
— Oui... murmure Jonas, la voix éteinte, à peine un souffle.
— Qu'est-ce qu'il y a ? insiste Yan, ses sourcils froncés, inquiet mais pragmatique.
— Elle veut qu'on arrête...
Les mots sortent avec une lenteur douloureuse, comme s'ils étaient arrachés à son âme. Yan lâche un soupir exaspéré, son regard se durcissant. Son cynisme habituel prend le dessus, incapable de comprendre la profondeur de ce qui se joue devant lui.
— Encore une qui voulait se taper une star, décrète Yan d'un ton fataliste, comme s'il énonçait une évidence. Ça ne t'étonne même pas, non ? Toutes pareilles...
Jonas reste silencieux, les yeux baissés, luttant contre cette impression d'étouffement. Il sent une douleur sourde se répandre dans sa poitrine, mais il refuse d'accepter les paroles de son ami.
— Non... murmure-t-il avec une insistance presque enfantine, comme s'il essayait de se convaincre lui-même. Elle n'est pas comme ça. Elle...
Yan le coupe, agacé.
— Jo, rétorque Yan avec ce même ton tranchant. Les femmes sont vénales, gars. Tu le sais ! Tu en as fait les frais. Pourquoi celle-ci serait différente ? Elle est mariée, d'ailleurs, non ? Elle voulait juste s'amuser pendant que monsieur n'était pas là. Maintenant que c'est fait, elle reprend sa petite vie bien rangée. Classique.
Jonas n'écoute plus. Les mots de Yan le traversent, mais ils ne l'atteignent pas. Il refuse d'y croire. Pas elle. Pas sa Nelly. Pas sa sucrette, ce surnom qu'il garde précieusement depuis des années, qui représente tant pour lui. Pourtant... pourtant, cette situation le dépasse. Tout le pèse. Tout le blesse.
Yan continue, implacable, sans se rendre compte de l'impact de ses paroles.
— Au moins, ajoute-t-il en haussant les épaules, plus d'entrave à ton mariage ! Tout sera parfait, pour le plus parfait des acteurs, pas vrai ?
Cette remarque fait exploser quelque chose en Jonas. Une colère sourde monte en lui, brûlante, impossible à contenir.
— Je ne veux pas me marier, Yan !
La frustration éclate, sa voix forte résonne dans la pièce. Ses poings se serrent, et il fait un pas en avant, se plantant devant son manager.
— Bordel, qu'est-ce que vous avez tous avec cette idée de mariage ?
Yan lève les yeux au ciel, agacé par cette scène qu'il trouve ridicule.
— Tu ne peux pas faire ça à Lola ! hurle-t-il presque. Elle attends votre enfant !
— Comment savoir s'il s'agit vraiment du mien, murmure Jonas dépité.
— Comment ? s'étonne Yan en ouvrant grand les yeux.
— La dernière fois elle m'a appelé ivre et a passé la nuit avec un autre homme. Je l'ai entendu et j'ai vu son bras...
— Non !
— Si... Alors, j'admets que cet enfant pourrait être le mien mais... sait-on de combien de mois elle est enceinte ?
— Je ne sais pas, annonce Yan...
— Un mariage, ça se fait à deux, Yan. Ça se sent. Et moi... je ne le sens pas, surtout que j'ai des doutes et...
Yan lève un sourcil, incrédule. Il ne veut pas entendre ce genre de discours, pas après tout le travail qu'il a fourni pour assurer l'avenir de Jonas.
— Non. Tu arrêtes de te regarder le nombril une seconde. C'est de ta carrière dont il s'agit ! J'ai eu la pire idée de ma vie en t'offrant ce moment tranquille en France, ma parole ! Tu n'étais pas comme ça avant ! T'es devenu quoi, Jonas ?
Le silence retombe dans la pièce, lourd de sous-entendus. Jonas sent la culpabilité l'envahir, mais au fond de lui, une autre voix s'élève, plus forte, plus sincère. Peut-être qu'il n'a jamais été lui-même, pas totalement. Peut-être que cet amour, cette flamme qu'il sent pour Nelly, est la seule chose authentique qu'il ait ressenti depuis longtemps. Un sentiment qu'il ne peut pas ignorer.
— Peut-être que je n'étais pas vraiment moi... murmure Jonas, le regard ailleurs, perdu dans ses pensées.
— Ouais, bien sûr ! ricane Yan, sarcastique. Allez, arrête ton char cinq minutes !
Yan commence à se diriger vers la porte, prêt à laisser exploser sa frustration ailleurs.
— Je vais aller voir le maire et lui donner des contacts pour le parrainage de sa fête d'été. Pas question que ce soit toi. J'en ai marre de cette connerie !
Sa voix est froide, autoritaire.
— Tu veux continuer à rouler sur l'or ? Payer les réparations de cette maison pourrie ? Vivre comme tu le fais depuis sept ans ? Alors, écoute-moi. Je gère pour toi, je suis payé pour ça ! Et tu vas te reprendre, maintenant, mon grand. Tu es un battant ! Tu as traversé plein d'épreuves dans ta vie, ce n'est pas une simple fille qui va tout foutre en l'air...
Mais Jonas ne peut plus se contenir. Cette dernière phrase, cette manière de réduire Nelly à « une simple fille » fait bouillir son sang.
— Mais ce n'est pas une simple fille ! hurle Jonas, ses mains se crispent dans ses cheveux, la voix brisée par l'émotion. Tu ne comprends pas, bordel !
Le silence retombe, Yan le fixe, surpris par l'intensité de sa réaction.
— Je l'aime, Yan...
Ses mots glissent dans l'air, fragiles, mais empreints d'une vérité qui ne peut plus être niée. Non... c'est un cauchemar ! La pire journée juste après la perte de ses grands-parents... Tout ça lui paraît tellement... irréel ! Cependant, il ne peut en être autrement.
Alors que Yan ouvre la bouche pour répondre, Jonas l'interrompt d'un geste sec, pris dans le flot de ses propres souvenirs. Son regard se voile légèrement, comme s'il pouvait revoir chaque détail de son passé en France, dans ce petit village qu'il a quitté bien trop tôt.
— Tu sais, Yan, commence-t-il, comme s'il parlait plus à lui-même qu'à son manager. Ce village mes parents, la maison... Tout semblait si paisible, si loin de ce que je vis aujourd'hui. C'est là-bas que je l'ai rencontrée. Nelly.
Les yeux de Jonas s'éclairent brièvement, évoquant ce prénom qui fait naître en lui des sensations contradictoires. Il revoit ses sourires discrets, ces petites étincelles de bonheur qu'elle laissait paraître quand elle pensait que personne ne la regardait. Et surtout, son courage, celui qui l'avait impressionné dès le premier jour, malgré la simplicité de sa vie. Elle était différente. Il le savait dès cet instant.
— Tu n'imagines pas ce qu'elle représentait pour moi, Yan. Elle est... tout. Notre premier baiser, je m'en souviens comme si c'était hier. Sa peau douce sous mes doigts, l'odeur de ses cheveux emportée par le vent, ce moment où tout semble possible. On se promenait pendant des heures, se perdant dans les champs, en parlant de tout et de rien. C'était un rêve.
Un soupir lourd de nostalgie s'échappe de ses lèvres. Yan l'observe, incertain, mais Jonas n'attend pas de réponse. Il est bien trop pris dans ses souvenirs, à revivre ce qu'il croyait avoir laissé derrière lui, mais qui le hante encore.
— Puis j'ai dû partir... continue Jonas, sa voix se brisant légèrement. Le rêve s'est effondré en un instant. On avait tout. Tout, Yan. Mais nous étions jeune Je lui ai écrit. Elle ne m'a jamais répondu après ça. Pas un mot, rien. J'ai écrit des lettres, longues, désespérées. Tu te souviens quand j'étais là, avec toi, à noircir des pages d'encre ? Ce n'était pas pour les filles du lycée, Yan. Non... ces lettres étaient pour elle. Toutes pour Nelly.
Yan fronce les sourcils, cherchant à comprendre où il veut en venir, mais le silence de Jonas le trouble. Il ne se rappelle pas que son ami ait jamais mentionné une Nelly, ou quoi que ce soit d'aussi personnel à cette époque. Pourtant, là, devant lui, Jonas semble brisé.
— Elle n'a jamais reçu une seule de mes lettres, Yan, dit-il finalement, sa voix pleine de tristesse et de regret. Pas une seule. Sa mère les interceptait. Toutes. Son père a fini par les lui montrer, il y a quelques semaines. Une boîte pleine de lettres jamais lues. On a perdu tout ce temps, elle et moi. Tout ce temps volé, et on ne le rattrapera jamais.
Un silence lourd s'installe, alors que les mots de Jonas résonnent dans l'air, chaque phrase plus douloureuse que la précédente. Yan reste figé, la bouche à demi ouverte, comme s'il avait oublié ce qu'il voulait dire. Les yeux de son ami brillent, chargés de tristesse et de remords. Yan ne sait plus quoi répondre. Lui, le pragmatique, celui qui gère la carrière de Jonas avec poigne, se retrouve sans voix devant cette souffrance.
— Mais qu'est-ce que tu veux faire maintenant, Jo ? demande Yan, la voix hésitante, cherchant à comprendre comment cette révélation peut tout remettre en cause.
Jonas serre les poings, les yeux rivés sur le sol, avant de relever la tête avec une résolution qu'il n'avait jamais eue.
— Je dois tout avouer à Lola, Yan. Je ne peux pas continuer comme ça. Je ne l'aimerai jamais comme Nelly. Ce n'est pas juste pour elle, et encore moins pour moi. Et puis... Si ce bébé est le mien, je l'assumerais bien sûr. Si non... elle devra se débrouiller.
Yan reste un instant complètement déconcerté par cette déclaration. Les yeux agrandis de surprise, il cherche désespérément une réponse.
— Mais... on a annoncé ton mariage, Jo, balbutie-t-il, perdant de plus en plus pied.
— Quoi ?
Le visage de Jonas se fige d'incrédulité. Yan se racle la gorge, gêné.
— Oui... on a tout annoncé. À la cathédrale Saint-André, à Bordeaux. Sous une quinzaine.
— Non... non, Yan, tu n'as pas pu... pas toi ! Pourquoi tu m'as fait ça ?
Le choc de la nouvelle traverse Jonas comme un coup de poing. Il se lève d'un bond, faisant quelques pas nerveux dans la pièce, les mains dans les cheveux, tirant dessus comme s'il pouvait arracher cette réalité dévastatrice. Tout semble lui échapper, tout s'effondre autour de lui, et il est impuissant à contrôler quoi que ce soit.
Yan, quant à lui, ne sait plus quoi dire. Il a cru bien faire. Lola avait été si persuasive, si enthousiaste à l'idée de surprendre Jonas avec une cérémonie grandiose. Il a été emporté par cet élan, sans jamais penser à demander l'avis de son ami. Il réalise maintenant qu'il a commis une terrible erreur.
— Pourquoi tu ne m'as jamais dit tout ça, Jo ? demande Yan, confus et dépassé par la tournure des événements. Il n'aurait jamais imaginé que Jonas puisse être mêlé à une telle histoire de cœur. Et surtout pas une histoire aussi compliquée.
Jonas s'arrête net, face à son manager, les yeux remplis de colère et de désespoir.
— Parce que je ne pouvais pas. Je ne savais pas comment. Et maintenant, je me retrouve là, à devoir choisir entre une vie que j'apprécie et la seule femme que j'ai jamais vraiment aimée.
Yan baisse la tête, partagé entre culpabilité et incompréhension. Il aurait dû voir les signes. Il aurait dû comprendre que quelque chose clochait. Mais il a été aveuglé par le travail, par l'idée de protéger Jonas, de faire de lui une star irréprochable, oubliant que derrière la célébrité, il y a un homme avec des émotions.
— Qu'est-ce que tu vas faire, Jo ? murmure Yan, sentant le poids des événements qui pourraient bientôt échapper à son contrôle.
Jonas ne répond pas tout de suite, les mots coincés dans sa poitrine. Il finit par lever les yeux, le regard plein de détermination, mais aussi de tristesse.
— Il faut annuler ce mariage... et je veux les résultats de la prise de sang de Lola. Je dois savoir, Yan.
— Je m'en occupe, je... je suis désolé, mec. Je pensais bien faire.
Yan s'éloigne, la culpabilité pesant sur ses épaules. Il sait qu'il a été trop loin, mais ne veut pas perdre son ami. Avant de quitter la pièce, il se retourne, incertain.
— Et toi, qu'est-ce que tu fais ? l'interroge Yan, voyant Jonas concentré sur son portable.
— J'essaie de récupérer Nelly, répond Jonas d'une voix rauque, à peine audible, comme si formuler cette vérité le rendait vulnérable.
Le texte qu'il vient d'envoyer à Nelly reflète tout ce qu'il a gardé en lui pendant tant d'années.
Jonathan – 14:06 : Je n'ai eu de cesse de penser à toi durant des années... ne me demande pas de t'oublier maintenant. Tu es dans le moindre recoin de ma tête, tu es présente dans chacun de mes rêves... Tu es partout.
Son pouce tremble encore sur l'écran alors qu'il relit ce qu'il a écrit. C'est tout ce qu'il ressent. Mais pourquoi a-t-il l'impression que c'est trop tard ?
Yan, à l'autre bout de la pièce, sent la tension, l'urgence, la douleur de son ami. Son cœur s'alourdit de cette vérité qu'il n'a pas anticipée.
— Tu penses qu'elle va répondre ? demande Yan, la voix chargée d'hésitation.
— Non, murmure Jonas. Pas tout de suite, du moins.
Il serre son téléphone, s'efforçant de contenir les larmes qui menacent de couler. Sa gorge est nouée. Il repense à toutes ces années perdues, à ce qu'il aurait pu faire différemment.
Comment ai-je pu en arriver là ? Il ferme les yeux, submergé par une vague de regrets. Il aurait dû la retrouver bien avant. Il aurait dû se battre pour elle dès le départ. Il aurait pu empêcher toute cette douleur. Il se revoit, il y a des années, écrire ces lettres, verser son âme dans chaque mot. Les lettres que Nelly n'a jamais lues.
Un bip de notification le tire de ses pensées. Son cœur bondit dans sa poitrine alors qu'il déverrouille son téléphone.
Nelly – 14:15 : Ces mots arrivent treize ans trop tard...
La réponse le frappe de plein fouet. Treize ans trop tard. Il lit et relit ces quelques mots, le souffle court. La réalité le rattrape. Nelly a souffert, elle aussi. Treize ans de silence. Treize ans de malentendus et de blessures jamais guéries.
— Shit, murmure Jonas, le cœur en miettes.
Mais il ne peut pas abandonner. Pas maintenant. Il tape frénétiquement, son désespoir se reflétant dans chaque mot qu'il envoie.
Jonathan – 14:15 : Je t'ai écrit...
Jonathan – 14:16 : Je t'ai écrit tous les jours ! Ne me punis pas à la place de ta mère !
Il sent la brûlure des larmes qu'il essaie de réprimer. Je donnerais tout pour revenir en arrière, Nelly... pense-t-il, incapable de mettre fin à ce flot d'émotions qui le submerge.
Jonathan – 14:16 : Je donnerais ma vie pour remonter le temps et venir te retrouver au lieu d'user l'encre de mon stylo ! Je t'aime, Nelly. Je t'aimerai toute ma vie.
Chaque message envoyé lui arrache un peu plus d'espoir, mais il ne peut s'empêcher de continuer, de s'accrocher à cette minuscule chance qu'elle lui laisse, quelque part.
Jonathan – 14:19 : S'il te plaît... laisse-nous une chance.
Il attend, la tête entre ses mains, son souffle irrégulier. Yan, immobile près de la porte, ne sait que dire ou faire. Il comprend désormais que ce n'est pas une simple histoire. Ce n'est pas qu'une amourette passagère. Pour Jonas, c'est bien plus profond, bien plus réel.
Le silence pèse lourdement dans la pièce. Elle ne répondra plus... pense Jonas, le désespoir prenant racine dans son cœur. Mais il n'abandonne pas.
Jonathan – 14:23 : Nelly. Je t'aime.
Une dernière tentative, une dernière prière désespérée.
Jonathan – 14:24 : Archi-méga-vrai... ma sucrette.
Un sourire triste étire ses lèvres alors qu'il tape ce surnom qu'il lui donnait autrefois, une trace de leur complicité d'adolescents. Il espère que cela la touche, que cela réveille en elle des souvenirs qu'elle n'a peut-être pas oubliés. Mais le téléphone reste silencieux.
Et pendant ce temps, Jonas reste là, le cœur lourd, partagé entre l'espoir et la douleur, attendant une réponse qui pourrait tout changer.
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