Chapitre 81

Une fois qu'elle a réussi, tant bien que mal, à récupérer un soupçon de calme intérieur, elle clos tous les volets de la maison. Disparaître. Nelly inspire profondément, balayant d'un revers de main les larmes qui perlent encore au coin de ses yeux. Elle doit avancer. Pour Louis. Son cœur se serre douloureusement lorsqu'elle entend ses pleurs résonner depuis la chambre d'enfant. Elle sait qu'elle doit être forte pour lui, même si tout à l'intérieur d'elle hurle en silence.

En entrant dans la pièce, le spectacle la frappe de plein fouet. Louis est là, assis dans son lit à barreaux, les joues trempées de larmes, le petit visage tout rouge, secoué par des sanglots incontrôlables. Il lève les bras vers elle, désespéré, cherchant instinctivement la chaleur réconfortante de sa maman.

— Oh, mon bébé... murmure-t-elle en se précipitant vers lui, la gorge serrée par la culpabilité.

Elle s'en veut terriblement. Comment a-t-elle pu le laisser pleurer ainsi, sans venir ? Chaque larme qu'il verse semble être une accusation silencieuse. Elle le prend dans ses bras, sentant son petit corps encore tremblant de tristesse. Louis s'accroche à elle, enfouissant sa tête contre son cou, cherchant refuge et apaisement. Ses petits doigts s'agrippent à son pull, et Nelly le serre contre elle avec toute la douceur dont elle est capable, comme si elle pouvait effacer toutes ses larmes d'un simple câlin.

— Ça va, mon trésor, maman est là... chuchote-t-elle en lui caressant tendrement le dos, tentant de calmer ses sanglots.

Elle se balance doucement d'un pied sur l'autre, créant un mouvement apaisant, tandis que les pleurs de Louis s'atténuent peu à peu, se transformant en hoquets entrecoupés de respirations tremblantes. Son souffle chaud contre la peau de Nelly lui rappelle pourquoi elle doit tenir bon, pourquoi elle ne peut pas se laisser sombrer. Une fois ses pleurs apaisés, elle l'emmène dans la salle de bain, décidée à lui offrir un moment de détente, à lui et à elle-même. Elle remplit la baignoire, l'eau tiède formant des volutes de vapeur douce dans l'air. Elle observe l'eau monter, concentrée sur ce geste simple, presque mécanique, qui l'aide à se recentrer. Lorsque la baignoire est suffisamment remplie, elle déshabille doucement Louis, enlève chaque vêtement avec soin, en prenant le temps de lui sourire tendrement à chaque étape.

— Tu veux jouer avec tes petits bateaux, mon chéri ? lui demande-t-elle en essayant d'adopter un ton léger.

Louis, encore boudeur et essoufflé, hoche doucement la tête, mais un petit sourire se dessine finalement sur son visage lorsqu'il aperçoit ses jouets flottant dans l'eau. Elle le dépose délicatement dans le bain, veillant à ce qu'il ne glisse pas, et lui tend son bateau préféré. Le voir retrouver un peu de joie apaise légèrement le poids sur son cœur.

— Bobo, mama ?

Louis tends le doigt vers elle et frôle son arcade sourcilière faisant grimacer la jeune femme. Elle attrape sa main potelé et l'embrasse jusqu'à ce que son fils pense à autre chose. Agenouillée près de lui, elle le regarde jouer dans l'eau, ses mains tapotant la surface pour faire des éclaboussures, le son cristallin de son rire apportant un semblant de normalité dans cette journée bouleversée. Elle l'observe avec tendresse, absorbée par la façon dont il invente des histoires avec ses jouets.

Pour un moment, le monde semble moins lourd, moins étouffant. Mais en même temps, un sentiment de culpabilité la ronge. Elle se demande si Louis ressent son mal-être, s'il perçoit cette tristesse enfouie en elle. Elle tente de chasser ces pensées, de se concentrer sur son enfant, mais l'ombre des événements récents plane toujours au-dessus d'elle, insidieuse.

Après le bain, elle l'enveloppe dans une grande serviette moelleuse, son odeur de bébé mélangée au parfum du savon remplissant la salle de bain. Elle le serre contre elle, et un éclat de chaleur traverse son cœur, comme un rayon de soleil à travers un ciel chargé. Louis la regarde avec ses grands yeux pleins d'innocence, et elle sourit, sincèrement cette fois-ci, bien que ses pensées restent tourmentées.

— Viens, on va te préparer à manger, mon amour, dit-elle doucement, tout en l'emmenant dans la cuisine.

Dans un effort pour retrouver un peu de routine, elle prépare le petit-déjeuner. Le biberon prêt, Nelly installe Louis dans la position semi-assise de la chaise haute. Elle est incapable de s'assoir et ne supporte pas le moindre contact sur ses fesses meurtries, l'obligeant à porter l'un des rares string qu'elle possède. Son ventre se noue de douleur tant elle souffre moralement et physiquement. Elle ne voit pas le temps passer et profite de son fils comme s'il était le dernier rempart avant la folie.

Allongée sur le ventre sur le grand tapis du parc de jeu, elle joue avec lui aux voitures tout en écoutant des continues qu'il essaie parfois de répéter. La matinée passe rapidement jusqu'à ce que sonne midi.

— Viens, on va te préparer à manger, mon amour, dit-elle doucement, tout en l'emmenant dans la cuisine.

Dans un effort pour retrouver un peu de routine, elle prépare le dîner. Nelly coupe des légumes et fait chauffer une petite casserole. Chaque geste est minutieux, précis, comme si elle tentait de retrouver un équilibre fragile à travers ces tâches simples. Louis est assis dans sa chaise haute, observant sa mère avec ses grands yeux attentifs, sa petite main jouant distraitement avec une cuillère. Elle lui sourit, malgré la lourdeur qui continue de peser sur ses épaules.

Quand le repas est prêt, elle s'assoit en face de lui, lui tendant une petite cuillère remplie de purée. Louis prend une bouchée, ses petites lèvres formant un sourire épanoui, et le cœur de Nelly fond un peu plus.

— C'est bon, hein ? lui souffle-t-elle avec tendresse.

Elle l'observe manger, un sentiment de sérénité très léger se glissant enfin dans son esprit. Louis, dans toute son innocence, devient pour elle un ancrage, un rappel que malgré les tempêtes, elle a encore une raison de se battre. Son amour pour lui est plus fort que tout, même plus fort que ses propres tourments.

Et pendant un bref instant, en regardant son fils, elle retrouve un peu de paix, un peu d'espoir.

Le silence de la maison semble assourdissant une fois que Nelly a couché Louis. Seule dans la salle de bain, elle se retrouve face à elle-même, devant le grand miroir qui renvoie l'image d'une femme brisée, méconnaissable. Ses mains tremblantes effleurent son visage, cherchant à évaluer l'étendue des dégâts. Son regard se pose sur l'hématome qui commence à se former le long de sa mâchoire, là où Bertrand l'a attrapée plus tôt. La douleur est vive, mais ce n'est rien comparé à celle qu'elle ressent au plus profond d'elle. Au-dessus de son œil droit, un plaie de trois centimètres est couverte de sang séchée et un bleu commence à entourer la blessure. Elle attrape un gant de toilette, le mouille avec de l'eau froide, et commence à tamponner doucement la lésion. Chaque contact avec sa peau meurtrie lui arrache une grimace, ses dents se serrant pour ne pas laisser échapper un cri de douleur. Ses larmes coulent sans qu'elle ne puisse les arrêter, roulant silencieusement le long de ses joues. Elle se mord la lèvre pour ne pas éclater en sanglots. Son cœur bat lourdement, chaque pulsation lui rappelant la brutalité de l'épreuve qu'elle vient de traverser.

Son corps tout entier souffre. Elle se redresse, péniblement, et pose une main hésitante sur ses hanches encore douloureuses. Son fessier la fait souffrir terriblement, un rappel constant de la violence qu'elle a subie, une violence qui dépasse la simple douleur physique. Elle ferme les yeux, tentant de retrouver son souffle, mais l'angoisse la submerge à chaque nouvelle respiration.

Soudain, un tintement brise le silence, l'alertant de l'arrivée d'un nouveau message sur son téléphone. Nelly tressaille à ce simple son. La peur remonte le long de son échine, froide et implacable. Elle sait que ce n'est probablement pas son mari mais les menaces de Bertrand résonnent dans son esprit, la paralysant. Elle n'ose ni appeler sa sœur, ni contacter à son amie. Ses mains tremblent violemment, incapable de contrôler le frisson qui court le long de son corps.

Elle frissonne, mais pas seulement à cause de la peur. Le froid la gagne, et sa peau nue semble glacée. Elle fouille dans son armoire, cherchant des chaussettes épaisses pour se réchauffer. Ses jambes sont encore trop meurtries pour qu'elle puisse enfiler un pantalon ou un legging, alors elle se contente de chaussettes montantes et de guêtres, les ajustant tant bien que mal, avec des gestes lents et maladroits.

Elle descend au rez-de-chaussée, chaque pas la rendant plus consciente de sa fragilité, de sa vulnérabilité. Une fois dans la cuisine, elle attrape son téléphone posé sur la table. Plusieurs notifications s'affichent à l'écran. Son cœur se serre en lisant les noms de ceux qui s'inquiètent pour elle.

Jonathan – 08:45 : Karim m'a annoncé que tu étais souffrante. Je m'occupe de tes cours sans souci cette semaine. J'espère que ça va un peu quand même. Je t'aime.

Jonathan – 10:23 : Pas de nouvelles, bonnes nouvelles dit-on. J'espère que tout va bien. Je passe ce soir si tu as besoin d'un peu de soupe et de réconfort.

Jonathan – 12:55 : Manger seul au théâtre n'a pas la même saveur sans toi.

Nelly détourne le regard, le cœur battant. Les mots doux de Jonathan lui vrille le cœur.

Papou – 11 :00 : Leticia est passé me voir, tout vas bien ?

Son tendre papa. Comment lui dire... elle n'arrive plus à lui mentir et cacher les bleus que lui laisser Bertrand commence à être de plus en plus difficile.

Leticia – 08:49 : Tu ne m'as pas déposé Louis. Ça va ?

Leticia – 11:17 : Je suis passée voir ton père, il m'a dit ne pas avoir de nouvelles. Tout va bien ? Si je n'ai pas de réponse avant quatorze heures, je débarque !

Nelly passe une main nerveuse dans ses cheveux en désordre. Elle observe l'horloge murale. Treize heures cinquante-quatre. Leticia a sûrement déjà quitté son domicile, en route pour venir la voir. La panique monte en elle. Si Leticia arrive ici et insiste elle risque de découvrir la vérité... Et Bertrand... Non, elle ne peut pas prendre ce risque. Avec des doigts tremblants, Nelly tape fébrilement un message rapide à son amie, espérant que cela suffira à la détourner de sa visite :

Nelly – 13:55 : Suis partie avec Louis rejoindre Bertrand pour visiter l'appartement à Paris. Je ne reviens que fin de semaine. Désolée, tout s'est fait très vite.

Elle appuie sur « envoyer », puis laisse son téléphone retomber sur la table, comme si l'objet lui brûlait les mains. Son souffle est court, et elle sent la sueur perler sur son front. Ses mains sont glacées, et pourtant elle a l'impression que tout son corps est en feu.

Quelques secondes plus tard, le téléphone sonne à nouveau, vibrant avec insistance. Leticia, bien sûr. Le cœur de Nelly bat la chamade, mais elle n'ose pas répondre. Une fois. Deux fois. Le téléphone continue de sonner, puis finit par passer sur la messagerie. Nelly hésite, son pouce effleurant l'écran avant de céder. Elle appuie sur « écouter », et la voix inquiète de Leticia envahit la pièce.

« Qu'est-ce que c'est que cette histoire, Nel ? commence Leticia, sa voix trahissant une profonde inquiétude. Tu ne veux pas de cet appart ! Tu ne veux pas vivre là-bas ! Pourquoi tu y vas ? Je ne comprends pas. Rappelle-moi. Je m'inquiète pour toi. »

Les mots de son amie la frappent en plein cœur. Leticia la connaît si bien. Elle sait que Nelly ne veut pas de cette vie, de cet appartement à Paris, de cette existence contrôlée par Bertrand. Et pourtant, Nelly se sent piégée, incapable de répondre à cette main tendue.

Les larmes coulent à nouveau, silencieuses, mais impossibles à retenir. Son cœur est lourd, terrassé par la peur, la honte, et l'amour qu'elle porte à son amie, sa famille, à Jo... Elle reste là, immobile, dans la semi-obscurité de la cuisine, écoutant le silence après le message de Leticia, son téléphone toujours en main. Sa gorge est serrée, et tout ce qu'elle peut faire est de se battre pour ne pas s'effondrer totalement. Elle se sent prisonnière, à la fois de Bertrand et de son propre silence.

Elle se décide alors d'envoyer un message à Jonathan ; les doigts tremblant d'émotion.

14:01 – Nelly : Il vaut mieux qu'on en reste là.

Puis elle efface le message une fois qu'il est remis à son destinataire, ainsi que ceux qui lui as laissé... autant taire les preuves qui l'accablent.

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