Chapitre 8 bis - Jonas
— J'aurais voulu être prof de lettres... confie-t-il, presque dans un souffle, comme si cet aveu lui pesait depuis des années. C'était ça, mon rêve.
Yan éclate de rire, un rire franc, presque incrédule.
— Vraiment... toi ? Instituteur ?
Sa voix est pleine d'une bonne humeur qui contraste violemment avec la gravité de Jonas.
— Avec ta gueule d'ange ?
Yan s'esclaffe encore, son rire résonnant dans le silence de la pièce. Mais Jonas baisse les épaules, incapable de partager cet amusement. Bien sûr, l'idée semble ridicule maintenant, vu ce qu'il est devenu, vu l'image que le monde entier a de lui. Une star. Un visage que des millions de gens reconnaissent sans même y réfléchir.
— Je suis sérieux, Yan, dit Jonas, la voix lourde d'un regret sincère.
Le rire de Yan s'éteint. Il voit enfin que son ami ne plaisante pas. Un silence s'installe entre eux, plus lourd que le précédent. Yan sent la profondeur de la confession mais il a du mal à l'accepter.
— Mais... pourquoi tu as tout laissé tomber pour le cinéma alors ? demande-t-il finalement, plus doucement, cherchant à comprendre.
Jonas détourne les yeux, regardant par la fenêtre, perdu dans des souvenirs qu'il préférerait oublier.
— C'est... Lorelei... murmure-t-il, la gorge serrée.
Il sait que Yan se souvient de ce prénom. Yan fronce les sourcils.
— Lorelei, la prof de théâtre ? demande-t-il, vaguement. Celle que tu avais en fac ?
Jonas hoche la tête, son regard toujours fixé sur un point lointain, comme s'il revivait chaque moment. C'est elle qui avait vu ce potentiel en lui, qui l'avait poussé à aller plus loin, à dépasser ses propres rêves pour embrasser ceux qu'elle voyait pour lui.
— C'est elle qui m'a convaincu de me lancer... de croire que je pouvais réussir.
∞
Jonas se revoyait encore, assis dans cette petite salle de théâtre, les lumières tamisées baignant la pièce d'une douce chaleur. Lorelei se tenait face à lui, les yeux pétillants d'excitation et de passion, cette lueur qu'elle avait chaque fois qu'elle parlait de théâtre, de jeu, de scène. Elle le fixait, le menton légèrement relevé, ses lèvres étirées en un sourire confiant, presque impatient de voir son potentiel enfin se révéler.
— Jon, c'est tellement dommage de gâcher un talent pareil ! s'était-elle exclamée, sa voix vibrante d'enthousiasme.
Ses mots avaient résonné en lui comme une promesse, un avenir qu'il n'avait jamais vraiment osé envisager.
— En plus, tu as une belle gueule...
Elle avait lâché ça sur le ton de la conversation, mais ses yeux brillaient d'une certitude inébranlable.
— Tu devrais essayer de postuler à ce casting ! avait-elle ajouté, presque comme une évidence, comme si tout le monde pouvait voir ce qu'elle voyait en lui. C'est quelqu'un comme toi qu'il leur faut.
Jonas avait ri, un peu nerveux. Il n'avait jamais pensé à lui sous cet angle-là, et l'idée lui semblait folle. Lui, un acteur ? Il n'avait jamais vu plus loin que l'université, que les cours de lettres, peut-être l'enseignement. Mais Lorelei avait cette manière de rendre tout possible, de transformer ses doutes en projets excitants.
— Vous pensez ? avait-il demandé, la voix hésitante, cherchant dans ses yeux une réponse, une vraie réponse.
Elle avait hoché la tête avec assurance. Pas un seul instant elle n'avait montré de doute.
— Si je le pense ? J'en suis certaine !
Ses mots étaient comme une caresse, une promesse de quelque chose de plus grand. Lorelei croyait en lui d'une manière que personne d'autre ne l'avait jamais fait. C'était elle qui lui avait donné confiance.
À partir de ce moment-là, sa vie avait pris une tournure inattendue. Il avait suivi ses conseils avec dévouement. Chaque jour après les cours, ils restaient dans cette petite salle de répétition, juste lui et elle, à réciter des classiques, à travailler les inflexions de voix, les gestes, les postures. Lorelei corrigeait chaque détail, mais toujours avec ce sourire, cette patience infinie qui donnait à Jonas l'impression d'être spécial. Il vivait pour ces moments, pour ces heures partagées où elle posait doucement ses mains sur ses épaules pour ajuster une posture ou pour lui montrer comment captiver une audience avec un simple regard. C'était intense, parfois épuisant, mais toujours incroyablement gratifiant.
Puis, le jour J était arrivé. L'excitation s'était mêlée à une anxiété palpable, et Lorelei était là, comme une ancre dans la tempête. Ils étaient ensemble, marchant côte à côte vers le studio où se tenait l'audition. Elle lui avait jeté un dernier regard, un sourire léger sur les lèvres, mais rempli de cette confiance qu'elle semblait toujours avoir en lui.
— Tu vas tout déchirer, Jon.
Ses mots résonnaient encore dans son esprit, comme un mantra.
— Ne pense pas à eux, pense à toi, à ce que tu veux dire. Fais-le pour toi.
Ses mains étaient moites, ses doigts tremblants alors qu'il approchait de la porte. Son cœur battait si fort qu'il avait l'impression qu'il allait sortir de sa poitrine. Mais en la voyant là, à ses côtés, sereine, il avait puisé dans son assurance. Il avait respiré profondément, s'était redressé, puis, avec un dernier regard vers elle, il avait franchi le seuil.
Dans la salle d'audition, les regards des membres du jury étaient posés sur lui, froids et perçants. Jonas se sentait exposé, vulnérable, mais il s'était rappelé des mots de Lorelei. Il avait pris position sur scène, les strophes révisées des centaines de fois défilant dans sa tête. Ses premiers mots étaient hésitants, mais au fur et à mesure que son texte avançait, quelque chose en lui avait changé. Il n'était plus Jonas, l'étudiant nerveux, mais le personnage qu'il incarnait. Sa voix s'était assurée, ses gestes précis. Le trac s'était envolé, laissant place à une confiance qu'il ne se connaissait pas.
Le jury l'avait mis à l'épreuve, lui demandant d'improviser, de changer de ton, de moduler ses émotions. Mais Jonas avait tenu bon. Chaque demande était une nouvelle chance de montrer ce qu'il pouvait faire, ce que Lorelei avait vu en lui. À la fin de l'audition, il était vidé, mais en même temps, une étrange euphorie l'avait envahi. Il avait fait tout ce qu'il pouvait.
Trois heures plus tard, alors qu'il buvait un verre avec Lorelei dans un café voisin, encore sous le choc de ce qu'il venait de vivre, son téléphone avait vibré. Un coup de fil de l'agence.
— Jonas ?
La voix de l'agent était claire, presque trop formelle, mais le message ne pouvait être plus clair.
— Nous aimerions te rencontrer à nouveau.
Il s'était figé, son cœur s'arrêtant une fraction de seconde avant de battre à tout rompre dans sa poitrine. Lorelei, assise en face de lui, l'avait regardé avec des yeux brillants, devinant avant même qu'il n'ait dit un mot. Son sourire s'était élargi, puis elle avait glissé sa main dans la sienne, serrant doucement ses doigts, comme pour sceller ce moment dans l'éternité.
— Je te l'avais dit, Jon.
Sa voix était douce, pleine de fierté. Elle avait cru en lui dès le début, et à cet instant, tout s'était concrétisé.
Quelques jours plus tard, il signait ses premiers contrats, l'avenir brillant devant lui, mais une partie de lui restait en arrière, attachée à ce qu'il avait été, à ce qu'il aurait pu être si Lorelei ne l'avait pas poussé sur cette voie.
∞
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