Chapitre 79 - Jonas
Jonas se déplace avec une aisance naturelle dans cet espace. On dirait qu'il a toujours appartenu à cette cuisine, comme si chaque geste était instinctif, chaque objet à sa place exacte, ce qui n'échappe pas à Yan, assis en silence à la table, l'observant attentivement. Il attrape un paquet de brioche pur beurre et un pot de confiture de groseille qu'il a déniché la veille en fouillant le garage. C'est une confiture que sa grand-mère faisait, et rien que de l'ouvrir lui fait remonter des souvenirs doux et réconfortants.
Sans prêter attention au silence lourd qui s'installe derrière lui, il tartine calmement une tranche de brioche, comme si tout était normal, ignorant le regard de plus en plus agacé de Yan, qui bouillonne d'une impatience à peine contenue. Lorsque Jonas finit par lever les yeux, un sourire tranquille sur les lèvres, il l'interroge, sans se douter de l'orage qui gronde.
— Bah, tu ne manges pas ? lance-t-il avec une légèreté qui semble presque insolente dans le contexte. Je t'assure, la confiture de mamie, c'est la meilleure ! ajoute-t-il, en lui tendant le pot avec un air complice.
Yan le fixe, l'air de quelqu'un qui essaye de comprendre comment une chose aussi insignifiante que de la confiture peut soudainement devenir le centre du monde alors que tout s'écroule autour d'eux.
— Quand comptais-tu me parler de cette histoire de rupture ? lâche Yan, son ton plus froid qu'il ne l'aurait voulu, attrapant le pot tendu par Jonas sans réel enthousiasme.
Le visage de Jonas se fige un instant. Il sent la tension dans la voix de son ami, mais il n'a aucune envie de rentrer dans ce débat. Il hausse simplement les épaules, comme si la question n'avait pas réellement d'importance.
— Comme elle a refusé...
— Mais, Jo... on ne refuse pas de se faire larguer ! s'énerve Yan, agitant les bras dans un geste qui trahit son exaspération. Enfin, si, techniquement on peut, mais... bref !
Il balaye l'air d'un geste vif, comme pour chasser ses pensées trop confuses. Sa frustration est palpable, et il regarde Jonas avec un mélange de dépit et d'incompréhension.
— Pourquoi, bon sang, tu ne m'en as pas parlé ? demande-t-il, sa voix plus douce cette fois, presque blessée. On est censés tout se dire, non ?
Jonas s'arrête un instant, le regard plongé dans sa tasse de café fumant. La question résonne en lui, mais il n'a pas de réponse claire à donner. À quoi cela aurait-il servi de tout déballer ? Tout s'est passé si vite, dans un élan de spontanéité.
— Ça aurait servi à quoi ? répond-il finalement, d'une voix morne, presque détachée, en haussant les épaules une nouvelle fois.
Yan le fixe intensément, cherchant une explication plus profonde. Il ne croit pas un seul instant à cette façade de désinvolture. Il sait que quelque chose cloche, et il n'a pas l'intention de lâcher l'affaire.
— Est-ce que c'est à cause de ça ? demande-t-il d'un ton plus grave, en posant brusquement plusieurs magazines sur la table, devant Jonas.
Le bruit sec des couvertures glacées qui frappent le bois attire immédiatement l'attention de Jonas.
— Ça, quoi ? murmure Jonas, inquiet, en saisissant les journaux people avec une certaine appréhension.
Il fronce les sourcils, attrape lentement l'un des magazines, et son cœur rate un battement. Son nom apparaît en lettres rouges vives, entouré de photos volées. Les photos... ces clichés volés en plein déjeuner avec Nelly. Il se souvient parfaitement de cette sortie d'avant-hier. Ils riaient ensemble, un moment de légèreté dans tout ce chaos. Mais maintenant, tout semble prendre une tournure différente. Le choc est brutal. C'est écrit là, noir sur blanc, devant lui. L'interprétation est perverse, déformée, cruelle.
— Tu ne dis rien ? renchérit Yan, impatient, en croisant les bras, le regard perçant. Tu comptes rester silencieux alors que ces photos circulent partout ?
Jonas sent un poids énorme s'abattre sur ses épaules. Que pourrait-il dire ? Chaque mot semble trahir ce qu'il ressent vraiment. Nelly... Que va-t-il lui arriver maintenant ? Son mari... Il va forcément être au courant. C'est inévitable. Et tout cela à cause d'un déjeuner qui, à ses yeux, n'avait rien de compromettant.
— Il n'y a rien à dire, répond Jonas avec une tentative de calme qui masque à peine son trouble intérieur. Nous avons juste déjeuné. Est-ce si grave ?
Yan le fixe un instant, comme s'il n'en croyait pas ses oreilles. Le ton de Jonas est trop détaché, trop défensif.
— Les paparazzis sont à l'affût du moindre mouvement de ta part... Ils n'attendent que ça, Jo ! Mais, qu'est-ce qu'il y a avec cette fille ?
Le silence s'installe, plus lourd que jamais. Jonas ouvre la bouche pour répondre, mais aucun son n'en sort. Il cherche ses mots, tente de formuler quelque chose, mais c'est impossible. Comment mentir à Yan ? Comment lui dire que Nelly ne représente rien, alors qu'elle signifie tout ?
— Je... commence-t-il, avant de s'interrompre, les yeux baissés.
Yan l'observe, et il comprend. Il comprend que cette fille, cette Nelly, n'est pas simplement une amie ou une collègue. Quelque chose de bien plus profond est en jeu, mais Jonas refuse de l'admettre, même à lui-même. Le silence entre eux devient presque tangible, chargé de non-dits et d'incertitudes. Le café refroidit dans les tasses, la confiture reste intacte sur la table, comme un symbole du temps figé dans cette maison où les vérités sont encore trop lourdes à porter.
— Est-ce qu'il y a eu autre chose avec cette femme, Jonas ? demande Yan, son regard perçant et la voix tendue d'une colère à peine contenue.
Jonas sent la pression monter, comme si chaque mot pouvait être une bombe à retardement.
— Pourquoi tu te mets ainsi en colère ? réplique-t-il d'un ton plus calme qu'il ne se sent. Non. Il n'y a rien eu, voyons ! C'est une collègue, c'est tout.
Il essaie de garder son sang-froid, mais au fond de lui, une vague d'inquiétude grandit. Yan ne le lâche pas du regard, et Jonas sait que son ami ne laissera pas tomber si facilement. Il peut sentir la méfiance percer dans le silence qui suit sa réponse.
— Bien, finit par lâcher Yan, sans conviction, en s'adossant à sa chaise.
Jonas soupire intérieurement. Il sait que la conversation est loin d'être terminée. Jonas détourne le regard, fixant le sol, perdu dans ses pensées. Il sait que Yan a raison de s'inquiéter. Il est fiancé à Lola, la femme que tout le monde admire, celle qui semble parfaite sous tous les angles, celle qu'il croyait aimer... avant.
— Écoute, reprend soudain Yan en sortant son téléphone. Je vais attaquer le journal pour diffamation. En attendant, il va falloir marquer les esprits pour effacer cette... bévue.
Le mot « bévue » résonne dans la tête de Jonas. Si seulement c'était aussi simple. Ces photos ne montrent rien de compromettant, et pourtant, tout est déjà devenu incontrôlable. Si les paparazzis savaient la vérité... S'ils avaient vu ce qu'il n'ose même pas s'avouer à lui-même, ils auraient déjà déchaîné un ouragan médiatique. Il doit être plus vigilant. Chaque geste, chaque regard entre lui et Nelly pourrait tout faire basculer. Mais qu'a dit Yan ? Marquer les esprits ? Qu'est-ce qu'il a en tête ?
— Euh... Yan, l'interroge Jonas, l'inquiétude dans la voix, à quoi tu songes quand tu dis ça ?
Yan repose brutalement son téléphone sur la table, l'air résolu. Son regard brille d'une détermination féroce, celle qu'il adopte quand il est sur le point de prendre une décision importante.
— Tu vas annoncer ton mariage ! déclare-t-il, comme s'il s'agissait de l'évidence même. Ici... en France.
— Que... quoi ? Jonas le fixe, sidéré. Annoncer mon mariage ? Mais je ne...
— Je vais tout préparer pour Noël, coupe Yan, sans lui laisser le temps de protester. Ce sera parfait ! Un grand événement, tout le gratin de la presse sera là. Ensuite, pas le temps de rester, tu auras du boulot à revendre pour la série et les projets à venir.
Jonas est abasourdi. Où est passé cet ami qui lui disait qu'il avait le choix ? Pourquoi insister sur ce mariage qu'il ne souhaite plus ?
— Non, je ne... commence-t-il, cherchant désespérément à reprendre le contrôle de la situation.
— Jonas, tu n'as pas le choix ! l'interrompt Yan, en martelant chaque mot.
— Bien sûr que si !
— Non ! Lola est enceinte !
Jonas déglutit péniblement. Enceinte. De lui ? Non... impossible ! Cela fait presque trois mois et demi qu'il est parti...
Bien sûr que c'est possible, songe-t-il soudain pris d'angoisse.
— Tu veux que tout le monde pense que tu te rabaisses à fréquenter une petite prof sans le moindre charme ? continue Yan sans se soucier de l'état de son ami.
— C'est faux ! s'emporte soudain Jonas, frappant du poing sur la table. Tu ne sais pas de quoi tu parles !
Yan le regarde, surpris par cette réaction. Il n'a jamais vu Jonas perdre son calme de cette façon.
— Oui, je sais bien, renchérit Yan, soupirant comme si tout cela était un malentendu qu'il pouvait encore régler. Elle ne représente rien, pas vrai ?
Jonas sent la colère monter. Il n'arrive plus à contrôler les émotions qui le submergent. Comment Yan pourrait-il comprendre ? Comment pourrait-il savoir ce que Nelly signifie pour lui ?
— Non, tu ne comprends pas. Nelly est séduisante ! Je m'en fous de ce que les gens pensent...
Il s'arrête, ses mots semblent glisser hors de son contrôle.
— Je...
Yan le fixe, puis son expression change, passant de l'incrédulité à la réalisation. Il comprend.
— Tu as couché avec elle ! souffle-t-il, choqué, presque abasourdi.
— Ça ne te regarde pas ! réplique Jonas, d'une voix coupante.
Le silence est glacial. Yan le fixe longuement, son visage décomposé par l'inquiétude. Comment tout a-t-il pu déraper aussi vite ?
— Merde, Jo... Yan baisse les yeux, comme pour chercher une solution dans le vide. Mais qu'est-ce qu'on va faire ?
Jonas ne répond pas. Son regard se perd dans le vide. Il ne sait pas ce qu'il va faire, ni comment sortir de cette situation. Enceinte... bon sang. Peut-on savoir qui est le père du bébé avant sa naissance ? Tout est devenu flou. Il est coincé entre deux mondes, entre deux femmes, entre deux vies qui ne peuvent plus coexister. Et pour la première fois, il réalise pleinement l'ampleur du chaos dans lequel il s'est plongé.
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