Chapitre 77 - Jonas
Debout dans le salon, Jonas fixe le vide, perdu dans ses pensées. Le craquement du vieux parquet sous ses pieds, cette maison qui a tant vécu, qui a tant vu, réveille en lui une avalanche de souvenirs. Tout ici semble imprégné d'un passé qu'il a presque oublié, et pourtant, en cet instant, il ressent tout avec une intensité nouvelle. L'odeur familière du bois brûlé dans l'âtre, l'écho lointain des rires de ses parents lors des soirées jeux de société, les grandes tablées des repas d'anniversaire où les générations se réunissaient autour de la table en chêne massif... Comment a-t-il pu envisager de vendre cette maison ? Il secoue la tête, presque incrédule devant sa propre indécision. Cet endroit est bien plus qu'un simple bien immobilier. C'est un refuge, un témoin de son enfance, de ses racines. Il est lié à chaque pierre, chaque recoin. Un sentiment de culpabilité l'envahit, se mêlant à la nostalgie qui le submerge. Peut-il réellement se défaire de ce lieu ? Un lieu qui a appartenu à sa famille depuis six générations, qui porte les marques du temps et des histoires de ceux qui l'ont précédé.
Ses doigts glissent sur le cadre d'une vieille photo, une image de ses grands-parents, souriants, posant fièrement devant la maison. La douleur d'une perte irréversible, celle de ses aînés, remonte doucement. Vendre cette maison serait un peu comme les trahir, les effacer. Non... il ne peut pas s'en séparer. Ce lieu est trop important, trop imprégné de sa propre identité. Et puis, il pense à Nelly. Elle, aussi, apprécie cet endroit. Il l'a vue déambuler dans ces pièces, s'émerveiller devant la lumière qui traverse les grandes fenêtres du salon. Elle s'y sent bien, à sa place. Peut-être même, un jour, elle accepterait de s'y installer avec lui. Peut-il imaginer une vie ici, avec elle, une vie de famille, de rires d'enfants ? Ses pensées s'envolent vers ce futur incertain, vers un rêve qu'il garde au fond de lui, mais qui semble de plus en plus réel, de plus en plus possible.
Un léger coup retentit à la porte, ramenant Jonas à la réalité. Le bruit l'arrache à ses pensées, et il se dirige vers l'entrée, le cœur encore lourd des souvenirs qui l'ont envahi. Lorsqu'il ouvre la porte, un homme d'une cinquantaine d'années se tient devant lui, le sourire aux lèvres, un peu essoufflé. Ses cheveux grisonnants tombent légèrement sur son front, et il tend la main, encore tachée de terre ou de poussière, signe de quelqu'un qui travaille de ses mains.
— Bonjour, vous êtes Monsieur Duprés ? demande-t-il avec un accent bienveillant, tout en tendant la main avec assurance. Monsieur Carpentier, de STR Bordeaux.
— Oui, c'est moi-même, répond Jonas en lui serrant la main, le contact ferme mais empreint d'une légère nervosité. Entrez, je vous en prie.
L'homme s'avance, observant l'intérieur avec un œil professionnel. Il inspire profondément, appréciant l'atmosphère de la maison, presque avec respect.
— C'est une bien belle demeure que vous avez là, remarque l'artisan d'une voix douce, mais son ton indique qu'il sait qu'il y a beaucoup à faire. Jonas acquiesce, ses yeux parcourant les murs, les meubles, chaque détail familier. Il sent une vague de fierté mélangée à une pointe de tristesse.
— Oui, elle appartient à ma famille depuis près de six générations, explique Jonas, sa voix se teintant d'une douce nostalgie. Je... je voudrais la rafraîchir et aussi la moderniser un peu.
Il marque une pause, ses souvenirs l'assaillant encore une fois.
— Mes grands-parents avaient refait la salle de bains. Elle est magnifique, vraiment, mais... il soupire légèrement, le reste aurait besoin de quelques aménagements.
L'homme prend des notes rapidement, mais son regard ne manque aucun détail. Il est méthodique, professionnel, et Jonas sent qu'il peut lui faire confiance. Cela l'apaise un peu, même s'il sait que c'est un travail colossale et qu'il a besoin d'un homme compétent.
— Les peintures sont à rafraîchir, la cuisine à aménager, et je pense qu'on pourrait agrandit le salon en cassant la cloison donnant sur le garage. Vous voyez pour faire de cette endroit un lieu plus adapté à une vie de famille moderne.
Ces derniers mots, « une vie de famille » résonnent en lui. C'est un rêve, un espoir, et pourtant, il sait que ce projet est encore loin de se concrétiser. Tout dépend de Nelly, de leur avenir ensemble. Est-ce qu'elle voudra de cette maison, de ce futur avec lui ?
L'artisan relève la tête de ses notes et, avec une politesse qui semble naturelle, demande doucement :
— Vous allez avoir des enfants ?
Cette question, posée si calmement, touche Jonas plus profondément qu'il ne l'aurait cru. Il sourit, mais il y a quelque chose de fragile dans ce sourire, comme un espoir qu'il a peur de prononcer tout haut.
— Je l'espère, répond-il doucement, presque pour lui-même, tandis que ses pensées vagabondent à nouveau vers Nelly. Tout dépend d'elle... et de nous.
Un silence s'installe, lourd de significations, tandis que l'artisan continue ses notes, inconscient de la tempête émotionnelle qui gronde dans le cœur de Jonas. Ce n'est pas qu'une simple maison qu'il s'apprête à rénover. C'est un lieu chargé de souvenirs, un espace où il espère bâtir un avenir, où il rêve de voir Nelly et peut-être un jour, leurs enfants, courir dans le jardin comme lui-même l'a fait étant petit.
Cette maison est bien plus qu'un projet. C'est son passé, son présent... et, il l'espère de tout son cœur, son futur.
Le cœur de Jonas se serre de douleur à l'idée que Nelly puisse refuser son attention, rejeter ce qu'il tente de construire pour eux. L'idée d'un avenir sans elle le hante. Pourtant, il se reprend rapidement. Il ne peut pas se permettre de flancher maintenant, pas devant l'artisan, pas avec tout ce qui est en jeu. Il s'efforce de retrouver son calme et son sourire habituel.
— Je voudrais aussi faire construire une véranda, annonce-t-il, sa voix plus ferme qu'il ne se sent à l'intérieur.
Dans sa tête, il visualise déjà cet espace. Quelque chose de spacieux, de lumineux, un endroit où la lumière inonde la pièce, où Nelly pourrait s'asseoir avec un livre pendant qu'il joue avec leur futur enfant dans le jardin. Un rêve, un tableau parfait qu'il veut rendre réel.
— Je vois quelque chose de très lumineux et épuré, qui donnerait une vue sur une piscine semi-enfouie.
Monsieur Carpentier, le regard professionnel, hoche la tête avec approbation.
— Très bonne idée, déclare-t-il en gribouillant quelques notes sur son carnet. Les traits de son crayon sont rapides, précis, comme s'il pouvait déjà voir la véranda prendre forme sous ses yeux.
— D'autres projets à prévoir ? ajoute-t-il en levant brièvement les yeux vers Jonas.
Jonas sourit, mais derrière ce sourire, un flot d'émotions le submerge. Il ne s'agit pas que de rénovation, pas simplement de réaménager une vieille maison familiale. C'est un moyen de bâtir quelque chose de neuf, d'offrir à Nelly un endroit où elle se sentirait en sécurité, où leur amour pourrait peut-être s'épanouir pleinement, loin des incertitudes et des complications.
— La réfaction de l'étage, les peintures, les sols –c'est de la moquette, chuchote-t-il avec un moue gêné, et l'aménagement des combles, énumère-t-il avec détermination. Sans oublier, l'isolation thermique, la rénovation de la cave, la création d'un garage annexé à la maison, -je pensais sur la gauche, et l'entretien du jardin.
Il s'arrête un instant, regarde autour de lui. Chaque mot qu'il prononce semble chargé d'une signification bien plus profonde. Ce qu'il veut, au fond, c'est créer un nid. Un endroit où il pourrait recommencer. Avec Nelly. Où ils pourraient, peut-être, avoir cette seconde chance dont il rêve en secret. Mais osera-t-elle s'engager dans cette nouvelle vie avec lui ?
Monsieur Carpentier prend quelques secondes avant de répondre, ses yeux parcourant les murs anciens, les boiseries, les coins qui craquent sous le poids des années. Il laisse échapper un petit sifflement.
— Tout cela risque d'être fort... coûteux, dit-il d'un ton neutre, mais Jonas peut deviner une pointe de curiosité dans sa voix.
Jonas, pourtant, ne se laisse pas déstabiliser. Ce qu'il veut, c'est construire quelque chose de durable. Quelque chose qui en vaille la peine, qui représente plus que des murs et des briques.
— L'argent n'est pas un problème, Monsieur Carpentier, rétorque-t-il avec un sourire en coin, mais son regard devient plus sérieux. Cependant, ajoute-t-il en fixant l'artisan droit dans les yeux, — ne m'arnaquez pas, je risquerais de mal le prendre, et j'ai de bons avocats.
Le ton est posé, mais sous les mots, il y a un avertissement clair. Jonas ne plaisante jamais lorsqu'il s'agit de protéger ce qu'il considère comme essentiel. Monsieur Carpentier éclate d'un petit rire nerveux, conscient du sérieux de l'avertissement malgré la plaisanterie.
— Pas de soucis, Monsieur, répond-il en redressant un peu son carnet comme pour se donner contenance. Quand voulez-vous que les travaux débutent ?
Jonas n'hésite pas une seconde.
— Le plus rapidement possible. Hier aurait été parfait !
Son rire est léger, mais il trahit une certaine impatience, un besoin urgent d'avancer. Parce que, derrière cette hâte de rénover la maison, il y a un homme qui attend une réponse de la vie. Une décision de Nelly, une chance pour eux. Chaque jour qui passe sans qu'elle ne se décide à le rejoindre dans ce projet semble un jour de plus où le rêve s'éloigne.
Monsieur Carpentier se joint à son rire, hochant la tête d'un air compréhensif.
— Je vois, dit-il en souriant. Je vais monter une équipe, vous faire un devis et je reviens vers vous dans, disons deux semaines. Après quoi, il y aura une réunion de chantier par semaine, le lundi matin et je m'occuperais de tout, si j'ai votre aval.
Jonas, le cœur battant un peu plus vite, acquiesce sans hésitation.
— Vous l'avez, mon aval, répond-il avec détermination.
Cette maison, c'est plus qu'un projet pour lui maintenant. C'est un point de départ, la promesse d'un nouveau chapitre, une tentative de reconstruire quelque chose qui s'est effondré. Tout son être espère que Nelly voudra en faire partie. Il ferme les yeux un instant, prenant une respiration plus profonde. L'avenir semble incertain, mais avec cette maison, il veut bâtir un futur solide.
Monsieur Carpentier le remercie d'un signe de tête, rangeant son carnet.
— Merci, Monsieur Dupré. Il marque une pause, puis ajoute, respectueux : Je vais prendre quelques mesures, si vous le permettez ?
— Évidemment. Faites comme chez vous, répond Jonas d'un ton détaché. J'ai quelques affaires à régler, dit-il en s'éloignant légèrement.
— Bien, acquiesce Monsieur Carpentier. Je ne vous dérangerai pas.
Jonas laisse l'artisan commencer son travail, mais chaque pas qu'il fait dans cette maison le ramène aux mêmes questions, aux mêmes espoirs. Pourra-t-il vraiment tout reconstruire ? La maison, sa vie, son amour avec Nelly ? Seule elle peut lui donner cette réponse.
La journée a filé à toute vitesse, sans qu'il ne s'en rende vraiment compte. Comme un voile qui s'est lentement posé sur ses épaules, l'épuisement le gagne, mais ses pensées, elles, ne le laissent pas en paix. Il a tenté d'occuper son esprit, de se concentrer sur des tâches concrètes, sur ces cartons qu'il a remplis avec des souvenirs, des vêtements démodés, des bibelots poussiéreux qui lui rappellent à quel point cette maison est pleine d'âmes, d'histoires... mais aussi de silences pesants.
Son téléphone a sonné. Lola. Son ton enjoué, ses rires presque légers. Elle semblait si enthousiaste à l'idée de le revoir, de bientôt le retrouver. Pourtant, alors qu'elle parlait, une boule s'est formée dans son ventre. Chaque mot qu'elle prononçait, chaque allusion à leur prochaine rencontre, semblait l'éloigner un peu plus de ce qu'il savait qu'il devait faire. Quant à lui, il a été incapable de lui parler de Nelly. De lui rappeler qu'il voulait que leur relation cesse. Il s'est laissé envahir, encore une fois, par la culpabilité de le faire par téléphone. Les mots sont restés coincés quelque part au fond de sa gorge, lourds, impossibles à prononcer. Il sait qu'il devra le lui dire en face, la regarder dans les yeux. C'est ainsi qu'il se rassure, qu'il essaie de se convaincre. Mais au fond de lui, il sait que ce n'est pas seulement une question de moment ou de méthode. Ce n'est jamais facile de faire du mal à quelqu'un, et encore moins à Lola, malgré leurs problèmes. Elle n'est pas Nelly, c'est vrai, mais elle ne mérite pas non plus de souffrir.
Après avoir rangé un dernier carton, il s'assoit lourdement sur le canapé, laissant échapper un soupir.
— Voilà une belle journée de travail, conclut-il en s'asseyant sur le canapé.
Le poids de ses choix commence à l'écraser. La lumière tamisée de la pièce ne suffit pas à apaiser son esprit. L'image de Nelly s'impose, floue mais constante, comme une ombre bienveillante qui traverse son esprit. Et cette maison, où chaque recoin semble murmurer des souvenirs d'enfance, d'insouciance, devient une prison. Il est partagé. Entre ses obligations envers Lola et ce lien indéfinissable qu'il ressent pour Nelly.
Il attrape son téléphone. Le message de Lola apparaît comme une gifle.
22h54 – Lola : Mon amour, Yan devrait t'apporter une partie de ton cadeau. Je t'aime. Tu me manques tellement. J'ai hâte de reprendre la série avec toi, tu adoreras le texte, je suis sûre ! Moi, j'en suis enchantée.
Son souffle se coupe un instant. Qu'a-t-elle encore inventé. Un cadeau ? Lui n'en as même pas pour elle et puis... quoi lui offrir ? Elle n'aime pas grand-chose à part les vêtements et, un bon d'achat serait mal venu. Il lui laissera une carte bancaire avec un budget pour qu'elle se fasse plaisir... ça sera comme un cadeau d'adieu. Si elle accepte cette fois-ci de l'entendre.
L'idée l'étouffe. Et Nelly dans tout ça ? Elle, si présente dans son esprit mais si distante physiquement. Le simple fait de penser à elle lui serre le cœur. Il sait que tout cela n'aurait aucun sens si Nelly ne voyait pas les choses comme lui, mais leur baiser... leur échange rempli de tendresse et de sensualité ce matin. Il n'a pas pu l'inventé !
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