Chapitre 7

La maison de Leticia n'était qu'à quelques pas du parc Ribot, là où Nelly vivait. Le quartier était tranquille, les rues bordées d'arbres et de maisons aux façades simples, presque familières. Nelly parcourait le chemin d'un pas rapide, ses pensées tourbillonnant dans sa tête comme une tempête qu'elle n'arrivait pas à apaiser. Son esprit était encore en ébullition après sa rencontre avec le maire. Elle passa devant l'impasse Alberto Santos Dumont, tourna dans celle nommée Charles Nungesser et s'arrêta devant la deuxième maison. Son cœur battait toujours fort, sa colère refusant de se dissiper.

Elle frappa doucement à la porte. Leticia l'accueillit avec un sourire chaleureux, mais dès qu'elle croisa le regard sombre de son amie, elle comprit que quelque chose n'allait pas.

— Coucou, toi ! Louis dort ? demanda Nelly en entrant.

Leticia se retourna, un léger sourire aux lèvres, et hocha la tête en signe de confirmation. Elle avait ce regard bienveillant, toujours prête à écouter, à comprendre, même sans connaître les détails.

— Ça va, ma poule ? lança Leticia, le visage soudain plus sérieux en voyant l'expression crispée de Nelly.

Nelly soupira lourdement, ses épaules affaissées comme sous le poids d'une énorme frustration. Elle passa une main dans ses cheveux, les tirant nerveusement en arrière avant de lâcher dans un souffle :

— Mouais... j'ai vu l'maire !

Leticia fronça les sourcils, comprenant immédiatement que cette conversation ne présageait rien de bon. Le maire avait le don d'irriter Nelly comme personne. Elle s'installa sur une chaise, prête à écouter le flot de paroles qui, elle le savait, ne tarderait pas à suivre.

— Ah. Et c'est lui qui te met dans des états pareils ?

Nelly leva les yeux au ciel, son visage rougi par la colère contenue. Elle s'approcha du canapé, mais avant même de s'y asseoir, elle fit les cent pas, agacée. Ses mains tremblaient légèrement, comme si elle ne savait pas quoi en faire. Elle attrapa un coussin qu'elle serra contre elle, cherchant une façon de canaliser son énervement.

— Ces putains de nouvelles... pff, vraiment, ça fait chier ! cracha-t-elle, les mots traversant ses lèvres comme une gifle à l'air. Comme si j'avais besoin d'une petite starlette à la noix dans mes pattes pour la rentrée !

Elle balança le coussin sur le canapé, puis se laissa tomber lourdement à côté.

— J'ai déjà assez des gamins à m'occuper, pas besoin d'un môme pré-pubère en plus !

Leticia haussa les sourcils, visiblement perdue. Elle jeta un regard perplexe à Nelly, qui continuait de bouillir intérieurement.

— De quoi tu parles ?

Nelly, les bras croisés sous sa poitrine, tourna brusquement la tête vers son amie. Son regard lançait des éclairs.

— De l'autre gus, là ! reprit-elle, sa voix vibrante de frustration. Celui qui va ramener son cul pour faire bonne figure devant la presse... non mais franchement !

Leticia ouvrit la bouche, prête à poser une question, mais Nelly reprit presque immédiatement, comme si elle n'avait pas fini d'évacuer toute cette colère qui grondait en elle.

— Il croit quoi, ce mec ? Qu'on va lui dérouler le tapis rouge parce qu'il est célèbre ?

Elle serra les poings sur ses genoux, ses articulations blanchissant sous la pression.

— Je suis là, moi, à me battre pour garder cette école à flot, à bosser jour et nuit, et lui, il débarque, tranquille, pour « faire une pause » de sa vie de paillettes !

Elle secoua la tête, exaspérée.

— Comme si j'avais le temps ou l'énergie de m'occuper d'un égo surdimensionné de plus...

Leticia, calme et patiente, regarda son amie déverser sa colère, attendant qu'elle finisse de vider son sac. Puis, doucement, elle posa une main sur le bras de Nelly.

— Nel, je ne comprends rien à ce que tu racontes...

Nelly soupira profondément, ses épaules se relâchant légèrement sous l'effet apaisant du contact de Leticia. Elle ferma les yeux un instant, essayant de contenir l'agitation qui la dévorait de l'intérieur. Mais l'image de Jonas Dupré envahissant son espace de travail, souriant aux caméras, posant comme un roi dans son royaume... cette image la rendait folle. Elle rouvrit les yeux, fixant un point invisible sur le sol.

— Ton beau gosse, dont tu me parlais ce matin ! lança Nelly, une pointe de sarcasme dans la voix. C'est lui que je vais devoir me coltiner à tout bout de champ... C'est la « surprise » du maire, ajouta-t-elle en mimant des guillemets avec ses doigts, l'air profondément agacé.

Sa voix était empreinte d'amertume, et chaque mot semblait peser une tonne dans sa bouche.

— Apparemment, ce type a besoin de « prendre du recul », de « se ressourcer », et il a jeté son dévolu sur notre petit village. Comme si j'étais le club med, baragouine-t-elle fortement agacée.

Leticia resta bouche bée une fraction de seconde, son cerveau essayant d'assimiler l'information. Puis, d'un coup, elle écarquilla les yeux et sauta sur ses pieds, un sourire éclatant illuminant son visage.

— Noooon ! s'exclama-t-elle, la voix pleine d'excitation. Jonas Dupré ? Le Jonas Dupré ? répéta-t-elle.

— Hmm, répondit Nelly avec une expression blasée, ses bras tombant lourdement sur ses côtés, comme si le simple fait de prononcer ces mots la fatiguait.

— Oh, c'est pas vrai ! Mais c'est énorme, Nel ! Tu sais ce que ça pourrait faire pour l'école ? Pour toi ?

Leticia, soudain débordante d'énergie, bondit vers Nelly et l'entoura de ses bras dans une étreinte enjouée, la soulevant presque du sol alors qu'elle la balançait de gauche à droite comme une enfant euphorique.

— Jonas Dupré ! Seigneur, mais c'est incroyable !

Nelly, légèrement étouffée, grogna et tenta de se libérer de l'étreinte de son amie, les joues rouges de gêne.

— Leti, lâche-moi, bon sang...

Elle essaya de la repousser doucement, mais Leticia ne cédait pas.

— Rhooo, une vraie ado !

Nelly leva la main pour l'arrêter.

— Non, Leti. Je ne veux pas de ça.

Son regard était sombre, presque fatigué.

— Tu ne comprends pas... Ce n'est pas un cadeau. C'est un fardeau.

Leticia haussa un sourcil, cherchant à comprendre l'origine de cette résistance.

— Mais pourquoi tu le prends comme ça ? C'est une chance, non ?

Nelly secoua la tête, ses yeux brillants de détermination.

— Une chance pour qui ? Pour moi ? Ou pour lui, pour redorer son image ?

Elle se leva à nouveau, trop agitée pour rester en place, et commença à marcher de long en large dans le salon.

— Il va arriver, jouer les stars incomprises, attirer tous les regards, et nous, on va devoir gérer les retombées.

Elle s'arrêta brusquement devant Leticia, la fixant intensément.

— Je ne veux pas qu'il transforme mon école en un cirque médiatique, Leti. Je veux continuer à enseigner à ces gamins qui ont besoin d'un vrai enseignement, pas d'un défilé de célébrité.

Leticia la regarda longuement, sentant l'intensité de la passion de son amie. Elle comprenait, d'une certaine manière. Nelly avait toujours été protectrice de son école, comme si c'était son enfant. Et maintenant, un étranger venait s'immiscer dans ce qu'elle avait de plus précieux.

— Je comprends, Nel, dit-elle doucement. Mais tu ne crois pas que tu juges un peu trop vite ?

Nelly se figea, prenant une profonde inspiration pour essayer de calmer l'orage qui faisait rage dans sa tête.

— Peut-être, admit-elle enfin, mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il va tout compliquer...

Leticia, avec un sourire malicieux, relâcha enfin son étreinte. Ses yeux pétillaient d'excitation comme ceux d'une adolescente au premier concert de son idole.

— Oh, ce que tu peux être rabat-joie ! fit-elle en croisant les bras, le visage faussement boudeur.

— J'ai d'autres trucs à régler, tu sais... répondit Nelly, visiblement agacée par l'enthousiasme débordant de son amie.

Leticia s'immobilisa soudain, son sourire s'effaçant lentement. Elle s'approcha de Nelly, son regard curieux et plein de suspicion. Elle connaissait son amie depuis trop longtemps pour ne pas remarquer cette tension, cette nervosité dissimulée sous un masque de nonchalance.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Ça n'va pas ? demanda-t-elle doucement, ses yeux cherchant ceux de Nelly.

Nelly leva les yeux au ciel, tentant d'échapper à ce regard scrutateur. Elle détourna rapidement le regard, feignant l'indifférence.

— Rien... c'est juste Bertrand qui n'est pas rentré hier... lâcha-t-elle, sa voix trahissant un léger tremblement qu'elle n'avait pas prévu.

Leticia arqua un sourcil, son instinct lui soufflant que quelque chose clochait.

— Dur de fréquenter une vedette... murmura-t-elle, comprenant que Nelly lui cachait probablement des détails.

Nelly haussa les épaules, se redressant prestement pour couper court à la conversation. Elle ne pouvait pas se confier. Elle ne devait pas, surtout pas sur ce sujet. Bertrand. Son absence récurrente, ce vide qui se creusait chaque fois un peu plus entre eux... Ce n'était pas quelque chose qu'elle pouvait simplement expliquer en quelques mots à son amie. Même si Leticia aurait voulu tout entendre, tout comprendre, Nelly savait qu'elle devait garder cette part de sa vie pour elle.

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