Chapitre 63 - Jonas
Le cours du samedi se déroule agréablement. Les adolescents sont concentrés, plus appliqués que ceux de la semaine, et Nelly sait qu'elle les retrouvera pour le stage d'automne, où ils pourront perfectionner leur art. Les éclats de rire et la créativité débordante de ces jeunes esprits apportent une lumière bienvenue à son quotidien tumultueux. Mais, malgré l'atmosphère légère et l'enthousiasme ambiant, elle sent une lourdeur dans sa poitrine. Son esprit, prisonnier des événements du matin, tourne en boucle.
De l'autre côté de la scène, Jonathan, sous les traits de Jonas—ce personnage qu'il incarne dans sa vie quotidienne— interagit avec les élèves. Il les guide avec patience, les aide à affiner leur gestuelle, à explorer la profondeur de leurs émotions. Chaque mouvement, chaque mot prononcé par ses jeunes apprentis sont soigneusement observés, corrigés. Son dévouement est palpable, et son charisme naturel captive autant les élèves que Nelly elle-même.
Pourtant, Nel semble déconnectée de cette scène vivante et pleine de promesses. Son regard dévore Jonas, mais ses pensées sont loin, bien loin d'ici. La culpabilité lui serre le cœur, la peur aussi. Comment a-t-elle pu en arriver là ? Elle, qui a toujours rêvé d'une vie de famille stable, d'un foyer aimant, voit peu à peu cet idéal se fissurer. Et tout ça, à cause d'une idylle, d'un amour impossible, d'un souvenir ravivé qui menace de détruire tout ce qu'elle a construit.
Perdue dans ses pensées, elle sursaute soudain lorsqu'une main la secoue doucement. Elle cligne des yeux, ramenée brutalement à la réalité. Jonathan la regarde, le visage empreint d'une inquiétude sincère.
— Nelly ? demande-t-il doucement, en s'agenouillant devant elle.
Son regard ballait son visage avec attention, comme s'il cherche à comprendre ce qui la trouble autant. Il tend la main et, avec une délicatesse infinie, repousse une mèche de cheveux derrière son oreille. Son geste, si intime et familier, lui fait monter des larmes aux yeux, mais elle les retint. Jonathan fronce soudain les sourcils en voyant l'hématome léger mais visible sur son lobe d'oreille.
— Qu'est-ce que c'est ? demande-t-il, sa voix teintée d'une colère mal contenue.
Nelly détourne le regard, prise au piège. Comment peut-elle lui dire la vérité ? La honte et la peur s'entremêlent en elle, formant un nœud qu'elle n'arrive plus à défaire.
— C'est... Capuchon, finit-elle par murmurer, laissant échapper un léger soupir. Il a tendance à... téter mon oreille.
Elle a envie de s'effondrer. Ce mensonge, bien que ridicule, est tout ce qu'elle a pour dissimuler la vérité. Heureusement, son chat sert d'alibi. Jonathan, néanmoins, ne semble pas convaincu, même s'il adoucit son expression.
— Je dois être jaloux de ce Capuchon ? plaisante-t-il, un clin d'œil complice adoucissant la tension.
— C'est mon chat, répondit-elle rapidement, tentant de cacher son malaise derrière un sourire forcé.
— Oh, fait-il simplement, en hochant la tête, visiblement soulagé mais toujours perplexe.
Un silence s'installe entre eux, lourd de tout ce qu'ils ne disent pas. Leurs regards se croisent, et dans cet échange silencieux, il y a une tendresse qu'ils refusent de s'avouer.
— Que voulais-tu ? l'interroge-t-elle, essayant de reprendre le contrôle de la situation.
— Anaïs t'a posé une question, mais tu semblais... ailleurs, explique-t-il avec une douceur qui la fait vaciller.
Il voyait tout, savait tout, même ce qu'elle essai de cacher.
— Ah, oui... Pardon, dit-elle en secouant légèrement la tête, tentant de retrouver une contenance.
Elle se redresse, prenant une grande inspiration et se replonge dans le cours.
Le reste de la séance se déroule comme dans un rêve. Nelly cherche de se concentrer sur les élèves, sur leurs progrès, mais sa proximité avec Jonathan lui est insupportable. Chaque fois qu'il se rapproche, elle sent son cœur s'emballer, son esprit s'échapper. Leur complicité, née il y a longtemps, rend les choses encore plus douloureuses. Comment résister à lui, alors que tout en elle souhaite céder ?
Lorsque les cours prennent fin, les élèves quittent le théâtre en bavardant joyeusement. Jonas s'assure que tout le monde a bien rangé, et, sort le dernier, juste après Nelly. Sous une pluie fine qui commence à tomber, ils marchent côte à côte vers le parking.
— Direction la mairie, ma Dame, je vous prie, déclare Jonas avec un ton faussement solennel, un sourire amusé sur les lèvres.
Nelly ne peut s'empêcher de rire malgré elle, même si la tension en elle ne faiblit pas. Chaque geste, chaque parole échangée avec Jonas la rapproche un peu plus du bord du précipice. Elle s'efforce de rester en contrôle, mais elle sent qu'elle perd peu à peu cette bataille intérieure.
Sous la pluie, elle lui jette un regard furtif. L'amour impossible qu'ils partagent flotte entre eux, lourd et indéniable. Mais ce n'est pas une simple histoire de désirs inassouvis. C'est la certitude que, malgré tout, malgré leurs vies compliquées, ils sont faits pour s'aimer.
La réunion pluridisciplinaire débute à peine lorsque Jonas entre dans la salle. L'atmosphère, déjà détendue, semble s'alléger encore plus à son arrivée. Les regards se tournent vers lui, et Nelly ne peut s'empêcher de remarquer comment les femmes présentes échangent des sourires complices. Son charisme naturel attire l'attention, qu'il le veuille ou non.
Karim, le maire, et son premier conseiller sont déjà assis en bout de table. Ils saluent Jonas et Nelly d'un signe de tête respectueux tandis que les deux nouveaux venus s'installent. L'échange formel démarre doucement, chacun apportant ses idées pour enrichir les divers ateliers proposés par le centre social : maquilleuses, jeux en bois pour enfants, et même un possible partenariat avec le comité des fêtes pour attirer plus de familles.
Après plus d'une heure de discussion intense, la voix du maire résonne de nouveau, coupant le flot des échanges.
— Jonas, lance-t-il avec un sourire calculé. Et si nous parrainions ce concours, en commençant par vous ?
Nelly jette un coup d'œil à Jonas, le cœur légèrement serré. Elle sait combien ce genre de proposition le lie davantage à cette ville, à elle.
— C'est une idée intéressante, intervint-elle rapidement, tentant de ne pas laisser transparaître l'émotion qui l'habite. Mais... les années suivantes ? Comment ferons-nous ?
Jonas fronce légèrement les sourcils, réfléchissant à voix haute.
— Je pourrais faire fonctionner mon carnet d'adresses, dit-il, presque pensivement.
— Vraiment ? s'enthousiasme l'un des professeurs, visiblement séduit par l'idée.
Jonas hoche la tête, son air toujours aussi tranquille.
— Pourquoi pas. Je dois en parler à mon manager, mais ça me semble faisable, ajoute-t-il, sa voix douce mais sûre.
Un léger rire minaudé résonne alors. Sophie, la prof de chant, lui lance un clin d'œil appuyé.
— Alors vous reviendriez dans notre charmant village ?
Le sourire de Jonas s'élargit légèrement, amusé.
— Il semblerait, répondit-il avec une nonchalance qui le rend encore plus séduisant.
La réunion s'achève quelques instants plus tard, vers midi. La plupart des participants commencent à se disperser, mais Jonas et Nelly se retrouvent ensemble sur le parvis de la mairie, la légère brise automnale balayant leurs cheveux. Il glisse les mains dans ses poches et se tourne vers elle.
— Tu veux déjeuner ensemble ? propose-t-il sans détour, son regard cherchant le sien.
Le cœur de Nelly bat un peu plus fort. Bertrand est présent chez eux et la simple idée de passer du temps seule avec son mari la remplit d'une angoisse sourde. Mais elle ne veut pas non plus fuir. Elle a besoin de soutien, et Jonas, même sans le savoir, lui apporte ce qu'il faut pour se sentir moins seule.
— Bertrand est rentré hier... Tu... tu veux manger avec nous ? propose-t-elle, la voix un peu hésitante.
Elle sait que c'est risqué, mais elle n'a pas envie de rentrer seule, pas aujourd'hui.
— Je ne sais pas si... commence Jonas, visiblement réticent à l'idée de s'immiscer dans leur intimité.
— Ça vous permettra de discuter tous les deux autour du cinéma, enchaîne-t-elle rapidement, cherchant à le convaincre.
Il hésite un instant, puis sortit son téléphone.
— Laisse-moi prévenir Jack.
Il tapote rapidement quelques mots avant de relever les yeux vers elle, un sourire léger aux lèvres.
— Il y aura de quoi manger pour quatre ?
— Bien sûr ! sourit Nelly, soulagée.
Dans la voiture, alors qu'ils roulent vers la maison, le silence entre eux est doux, presque apaisant. Mais les pensées de Nelly restent embrouillées. Ses doigts se crispent légèrement sur le volant.
— Ce parrainage... finit-elle par dire, brisant le silence. Tu penses vraiment qu'on pourra attirer d'autres célébrités ?
Son ton était incertain. Elle se demande si ce projet peut vraiment marcher, ou si Jonas lui offre une fausse promesse pour la rassurer. Jonas, qui regardait par la fenêtre, tourne la tête vers elle, ses yeux brillants de sincérité.
— Tu es pleine de ressources, Nel.
Sa voix était calme, rassurante.
— Tu y arriveras, et puis...
Il marque une pause, son sourire malicieux réapparaissant.
— Je l'ai dit, j'ai un bon carnet d'adresses.
Elle sourit en coin, jetant un regard furtif vers lui.
— C'est vrai ? Tu m'aiderais ? demande-t-elle, sa voix plus douce, presque vulnérable.
— Évidemment, sucrette, répond-t-il avec un clin d'œil et un rictus joueur qui la fit sourire malgré elle.
L'atmosphère du dîner est aussi tendue qu'un fil prêt à se rompre. Si Bertrand est furieux, il n'en montre rien en surface. Son visage est un masque de douceur feinte, son sourire charmant, presque aimant, mais Nelly sait. Elle sent cette colère latente dans chaque geste, chaque mot. Il lui tient le bras d'une manière à la fois tendre et oppressante, ce qui la déstabilise encore plus. Elle peine à décrypter ses intentions : est-ce pour afficher une façade de couple parfait ou pour lui rappeler subtilement qu'elle lui appartient, qu'elle ne lui échappera jamais ?
Assise à côté de lui à table, Nelly ne peut ignorer la pression croissante de ses doigts autour de son poignet. Il serre plus qu'il ne le devrait, comme pour lui faire comprendre sans un mot. Elle tente de garder un visage impassible, mais son esprit bouillonne.
— Vous avez peur qu'elle s'envole ? lance Jonas en plaisantant, mais avec cette note de sérieux dissimulée sous un sourire.
Le cœur de Nelly manque un battement. Elle sait que Jonas n'a pas prononcé ces mots par hasard. Il voit, lui aussi. Sent il cette tension sourde entre elle et Bertrand ? Cette bataille silencieuse dans laquelle elle est prisonnière ? Elle lui jette un regard rapide, croisant ses yeux inquiets. Jonas comprend plus qu'il ne veut bien le montrer.
Bertrand lâche un petit rire forcé, répondant à la plaisanterie avec un sourire froid.
— Oh, je n'avais pas remarqué que je te tenais si fort, ma chérie, dit-il en relâchant légèrement la pression, mais pas assez pour la rassurer vraiment. Tu aurais dû me le dire.
Nelly, sa voix à peine un murmure, tente de maintenir la paix.
— Ce n'est rien. Je n'ai même pas fait attention, répond-t-elle doucement, baissant les yeux vers son assiette pour éviter les regards.
Un silence lourd s'installe brièvement, brisé seulement par le bruit des couverts. Nelly cherche une échappatoire, un sujet de conversation qui allégerait l'atmosphère étouffante. Son regard se pose sur le clafoutis.
— Quelqu'un veut-il encore du dessert ? propose-t-elle, espérant que cela détournerait l'attention.
— Moi ! répondit Jack avec un léger rougissement, brisant l'inconfort palpable. Votre clafoutis est délicieux.
Nelly lui sourit avec gratitude, se levant pour lui servir une part supplémentaire. Elle sent le regard perçant de Bertrand sur elle, chaque mouvement mesuré, chaque geste observé. Il est patient, trop patient, et cela la rend nerveuse.
— Parfait, déclare Bertrand doucement, ces messieurs voudront peut-être un café ?
— Non merci, dirent Jonas et Jack en chœur.
— Un digestif alors ? tente-t-il souhaitant renvoyer sa femme à la cuisine.
— Non plus, répondirent-ils encore, et cette fois, l'impatience de Bertrand devint palpable.
Elle peut le sentir.
— Alors, tu me serviras un cognac, demande Bertrand, la voix légèrement plus sèche.
Nelly sent la tension croître comme un étau autour de son cœur. Elle sert rapidement Jack, puis commence à rassembler les assiettes.
— Attends, nous allons t'aider, proposa Jonas, se levant pour lui prêter main-forte, ramassant les couverts avec une délicatesse qui contrastait avec l'ambiance oppressante.
Le geste simple de Jonas a le don d'agacer Bertrand. Il reprend brusquement les couverts des mains de Jonas et les place fermement sur la pile d'assiettes que Nelly tient.
— Et puis quoi encore ! grogne Bertrand, vous êtes nos invités.
Il plante son regard dans celui de Jonas, un défi silencieux mais clair. C'est un territoire qu'il défend, une domination qu'il veut afficher.
— Nelly.
Sa voix était un ordre déguisé en douceur, mais elle sait ce que cela signifie.
— Évidemment, répondit-elle en baissant légèrement les yeux, se pliant sous cette fausse gentillesse. Je m'en occupe. Profitez-en pour... faire connaissance, termine-t-elle avec un sourire forcé, s'éclipsant vers la cuisine, le cœur lourd, l'âme en peine.
En s'éloignant, elle sent un regard suivre chacun de ses pas. Ce n'était pas seulement celui de Bertrand. Jonas, derrière ses sourires et ses plaisanteries, la scrute avec une attention inquiète. Il voit la vérité derrière les sourires feints, derrière cette façade de calme. Mais que peut-il vraiment faire ? Il est là, impuissant, témoin d'une scène qui le dévore intérieurement.
Dans la cuisine, Nelly pose les assiettes et s'appuie contre le plan de travail. Ses mains tremblent, et elle ferme les yeux un instant pour reprendre son souffle. Elle sent une présence derrière elle. Sans avoir besoin de se retourner, elle sait de qui il s'agit. Jonas.
— Nelly, murmure-t-il doucement, sa voix pleine de tendresse et de compréhension.
Elle ouvre les yeux, mais reste figée, le regard fixé sur le mur. Une partie d'elle souhaite se tourner, tomber dans ses bras, lui dire tout ce qu'elle retient depuis trop longtemps. Mais elle sait que c'est impossible.
— Je vais bien, dit-elle d'une voix à peine audible. Retourne auprès de lui s'il te plaît.
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