Chapitre 6

— Nelly ?

La voix impatiente du maire résonne dans le couloir, mais elle l'ignore, les yeux rivés sur l'écran de son ordinateur. Ses doigts frappent les touches avec une concentration féroce. Quand Nelly a une idée en tête, rien ne l'irrite plus que d'être interrompue.

— Je vous en prie, Nelly, répondez ! Je sais que vous êtes là !

Le ton de l'homme trahit une impatience grandissante, mais Nelly serre les dents, déterminée à terminer sa phrase. La lumière de son bureau, visible sous la porte, la trahit, et elle finit par souffler, agacée. Se redressant brusquement de sa chaise, elle envoie valser un stylo sur son bureau, qui roule jusqu'à tomber au sol avec un bruit sourd.

Elle ouvre la porte d'un geste sec, un sourire forcé étirant ses lèvres. Son agacement est palpable.

— Ah, bonjour Nelly ! Comment allez-vous ? s'exclame le maire en entrant sans vraiment attendre une réponse.

Nelly serre un peu plus les dents, forcée de contenir l'exaspération qui bouillonne en elle. Elle se recule pour le laisser passer, puis referme la porte. L'homme, dans la cinquantaine, avec un ventre légèrement bedonnant et une veste de costume trop ajustée, dégage malgré tout une certaine bonhomie. Mais aujourd'hui, son excentricité la met encore plus sur les nerfs. Il déborde d'enthousiasme, ce qui n'augure rien de bon.

— Je vais bien, merci, et vous ? répond-elle, d'une politesse glaciale.

— Parfait, ma p'tite, parfait.

Il se frotte les mains avec entrain avant de se planter au milieu de la pièce.

— Vous... Je... En fait, je voudrais vous parler de ce projet que j'ai évoqué à la fin du spectacle de fin d'année.

Nelly soupire intérieurement. Elle n'a pas le temps pour ça. Il est clair que le maire veut lui vendre une de ses idées flamboyantes, déjà validée dans sa tête sans qu'elle ait eu son mot à dire.

— Je m'en doute, mais j'ai beaucoup à organiser pour les colonies de cet été. Cela ne peut pas attendre ? dit-elle en triturant un autre stylo entre ses doigts, le regard fuyant, espérant écourter cette conversation.

— En fait, non.

Le maire trépigne sur place, visiblement ravi de ce qu'il s'apprête à annoncer.

— Il faut que je vous en parle maintenant. Je suis tellement satisfait !

— Vous m'en direz tant... marmonne-t-elle en se levant pour contourner son secrétaire. Ses gestes deviennent plus brusques, comme si son irritation s'imprimait dans chaque mouvement. Elle attrape une pile de papiers qu'elle déplace machinalement d'un bout à l'autre du bureau, lâchant presque trop violemment les feuilles.

— Alors, de quoi s'agit-il ? demande-t-elle, bien qu'une partie d'elle ne veuille pas vraiment savoir.

— Jonas Dupré va donner quelques cours à la rentrée, en votre présence ! s'extasie le maire, incapable de contenir sa joie.

Ses yeux brillent d'excitation, comme s'il venait d'annoncer le scoop de l'année.

Encore lui. Ce nom résonne dans l'esprit de Nelly comme une mauvaise blague. Il est partout, cet homme, depuis ce matin. Son agacement monte d'un cran, ses doigts serrant le stylo jusqu'à ce qu'il éclate hors de ses mains, atterrissant quelque part dans la pièce.

— Ah. Bien. Je ne sais toujours pas qui il est... dit-elle d'un ton plat, croisant les bras, se forçant à maintenir un semblant de calme.

Bon, certes Leti lui en avait parlé, mais... elle ne voulait pas donner la satisfaction à l'homme qui se tenait face à elle. Le maire la fixe, bouche bée, comme si elle venait de déclarer qu'elle ne savait pas qui était le président.

— Vous plaisantez ? Mes filles ont les murs couverts de ses photos !

— Je suis ravie pour elles, réplique Nelly, la voix teintée d'une ironie mordante. En quoi cela fera-t-il avancer nos projets ? Karim, sauf votre respect, cet individu va nous apporter plus d'ennuis que d'aide !

Elle fait les cent pas dans la pièce, incapable de rester en place, son agitation devenant palpable. Elle saisit une tasse qui traîne sur le bureau et la repose bruyamment sans y boire, le bruit résonnant dans l'espace confiné du bureau.

Le maire, bien que visiblement pris de court par son ton, tente de sauver la situation avec son habituel optimisme.

— Ne soyez pas aussi pessimiste, ma petite ! dit-il, un sourire crispé sur le visage.

Mais Nelly sent sa patience s'effilocher comme un fil tiré trop fort.

— Pessimiste ?

Elle s'arrête brusquement devant lui, les bras toujours croisés, le regard flamboyant de colère contenue.

— Écoutez, jusqu'ici, nous nous en sommes très bien sortis pour faire connaître notre établissement. Nous avons travaillé dur, nous sommes reconnus, respectés. Alors pourquoi tout à coup avoir besoin d'un petit minet sorti de nulle part ?

Ses mots sortent plus vite qu'elle ne le voudrait, mais elle ne peut plus se retenir.

— Si vous voulez vraiment m'impressionner, proposez-moi des noms comme Galabru, Arditi ou Auteuil ! Des gens qui ont fait leurs preuves, qui ont quelque chose à enseigner !

— Ils... n'en ont pas besoin, tente de balbutier Karim, un peu déstabilisé par cette explosion inattendue.

— Parce que Dupré, oui ?

Sa voix monte d'un cran, ses gestes de plus en plus saccadés.

— Nous n'avons pas besoin de ça ! C'est une école de théâtre, pas un showroom pour star en péril !

Sa voix tremble de colère, ses mains maintenant crispées contre sa poitrine alors qu'elle tente, en vain, de contenir sa frustration.

Le maire se tait un instant, hésitant, comme s'il cherchait ses mots. Il savait que convaincre Nelly ne serait pas facile, mais pas au point de se retrouver face à une telle opposition.

— Il traverse une phase difficile, Nelly. Ce serait une opportunité pour lui de se reconstruire, et en même temps, d'apporter un peu de...

Il hésite, ne trouvant pas les mots exacts. Nelly secoue la tête, exaspérée, la colère montant toujours.

— Je ne suis pas psy ! s'exclame-t-elle, levant les bras au ciel. Si cet homme a des problèmes, qu'il aille les régler ailleurs. Nous ne sommes pas une clinique de réhabilitation, et encore moins un refuge pour célébrité en crise !

Un silence lourd tombe dans la pièce, le maire déglutit, son sourire désormais réduit à un rictus tendu. Il tente de reprendre la main, mais le regard de Nelly est dur, ses sourcils froncés, et ses gestes trahissent son agacement. Elle serre un instant le bord de son bureau, les doigts blanchis par la pression, puis lâche tout en soupirant lourdement.

— Ce projet, reprend-elle plus calmement, est une erreur.

Elle s'éloigne, marche quelques pas dans la pièce comme pour canaliser son énervement.

— Nous n'avons pas besoin de lui pour être reconnus, Karim. Nous avons fait ce chemin seuls. Ce type va nous attirer des ennuis, et ça, je ne le tolérerai pas.

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