Chapitre 58 - Jonas

Vendredi, fin d'après-midi...

Nelly est là, assise à son bureau, son corps voûté par le poids des émotions qui l'écrasent. Le visage enfoui dans ses mains tremblantes, elle ne bouge pas. La boîte repose à côté d'elle comme un rappel douloureux des révélations qu'elle a découvertes. Son teint est livide, ses traits tirés par la fatigue et l'angoisse. Les cernes creusés sous ses yeux trahissent des nuits sans sommeil et des larmes qu'elle a dû verser sans compter.

Jonas entre dans la pièce, ses yeux se posant immédiatement sur elle. Une vague d'inquiétude le submerge en la voyant dans cet état. Que s'est-il passé ? Est-ce encore son mari qui l'a blessée, ce Bertrand qui semble la laisser dans un tel désarroi à chaque fois ? Il ne peut s'empêcher de s'imaginer le pire. Son cœur se serre.

— Nel ? murmure-t-il, la voix douce mais remplie de préoccupation.

Il hésite un instant, ne sachant s'il doit s'approcher, mais la détresse qui émane d'elle le pousse à agir. Lentement, comme s'il craignait de la briser davantage, il avance, s'accroupit près d'elle et tente maladroitement d'attraper ses mains glacées malgré l'entrave de son plâtre. Il ressent un frisson en touchant ses doigts froids, comme si toute la chaleur l'avait quittée. Nelly ouvre finalement les yeux, des yeux rouges et gonflés de chagrin, et le regarde avec une intensité qui le désarme. C'est comme si elle ne l'avait pas vu depuis des années.

— Tu m'as écrit... murmure-t-elle d'une voix faible, à peine audible.

Jonas fronce les sourcils, confus. Son cœur bat un peu plus fort. Elle sait. Elle a lu les lettres. Le poids de tout ce qu'il n'a jamais pu lui dire commence à s'effriter, laissant place à un tourbillon de souvenirs et d'émotions trop longtemps refoulées.

Il est si proche d'elle qu'il peut sentir la chaleur douce et fragile de son souffle sur son visage. Son besoin de la réconforter, de la protéger, devient presque insoutenable. Sans réfléchir, il glisse une mèche de cheveux derrière son oreille, un geste simple mais chargé d'une tendresse infinie. Mais à ce contact, elle sursaute, son corps encore tendu par tant de non-dits et d'incompréhension.

— Bien sûr que je t'ai écrit, dit-il doucement, cherchant son regard. Chaque jour, durant un peu plus d'un an...

Leurs regards se croisent enfin, et Jonas voit toute la douleur, toute la solitude qu'elle a endurées dans les yeux de Nelly. Il est dévasté, chaque seconde passée loin d'elle, chaque mot qui n'a pas atteint son cœur, le frappe comme un coup violent. Le temps semble s'être figé, laissant ces deux âmes seules dans cet instant suspendu. Doucement, il pose sa main sur sa joue, caressant sa peau comme s'il craignait qu'elle ne se brise sous son toucher.

— Je ne t'ai jamais oubliée, murmure-t-il enfin, sa voix à peine plus qu'un souffle.

Ces quelques mots, simples en apparence, ont l'effet d'une déflagration en elle. Nelly sent une vague d'émotions la submerger, une vague si puissante qu'elle en tremble. Les larmes, contenues depuis trop longtemps, finissent par déborder, glissant silencieusement sur ses joues.

— Tu n'as pas le droit de dire ça, réplique-t-elle, la voix brisée. Tu n'as pas le droit...

Elle baisse les yeux, cherchant à fuir ce regard qui lui fait si mal et qui pourtant la retient, comme un lien invisible qu'elle ne peut rompre. Ils sont si proches maintenant que Jonas peut sentir l'odeur délicate de sa peau, cette odeur qui lui rappelle tant de souvenirs heureux. Il suffirait qu'il se penche, qu'il franchisse cette infime distance entre eux, pour goûter à ses lèvres, pour enfin la retrouver pleinement.

— Je te le jure, Nelly, murmure-t-il d'une voix vibrante de sincérité. Durant tout ce temps, je n'ai pensé qu'à toi... mais tu ne m'as jamais répondu.

Cette phrase, pleine d'incompréhension et de douleur, réveille en Nelly une nouvelle onde de chagrin. Elle secoue la tête, des sanglots secouant son corps fragile.

— Mais je ne savais pas, parvient-elle à articuler entre deux sanglots, sa voix étranglée par la douleur. Je ne savais pas...

Elle pleure encore plus fort, comme si tout ce poids accumulé, cette incompréhension et cette absence, s'effondraient d'un coup sur elle. Jonathan n'en peut plus de la voir ainsi, il sent son propre cœur se briser face à sa détresse. Il lève doucement sa main, plaçant délicatement ses doigts sous son menton pour relever son visage. Il veut qu'elle le regarde, qu'elle voit la vérité dans ses yeux.

— Ne pleure pas, sucrette, chuchote-t-il avec douceur. S'il te plaît.

Ce surnom, si tendre, si personnel, résonne en elle comme un écho lointain. Elle cligne des yeux, décontenancée, se laissant transporter par une vague de souvenirs qui remontent à la surface. Elle se souvient...

Cet instant représentait bien plus qu'un simple week-end ensemble. Pour Nelly et Jonathan, c'était le début de leur premier moment de vraie liberté, loin des contraintes familiales et des regards extérieurs. Les parents de Jonathan s'étaient absentés pour deux longues semaines, en voyage aux États-Unis, offrant à leurs deux cœurs adolescents une parenthèse enchantée.

Le chemin qui menait jusqu'à la demeure de Jonathan avait été comme une promenade dans un rêve pour Nelly. Elle se souvenait du calme et de la sérénité qu'elle avait ressentis en s'approchant de la maison. Située en retrait, loin de l'agitation de la ville, elle avait quelque chose de presque irréel, nichée dans un écrin de verdure. L'ombre des arbres, imposante, enveloppait le lieu d'une atmosphère mystique.

Jonathan, marchant à ses côtés, était visiblement fier de cet endroit. La maison, bâtie en pierre, semblait avoir traversé les âges avec élégance. Son charme rustique et l'immense parc qui l'entourait donnaient l'impression de se trouver hors du temps, coupés du reste du monde. Nelly s'était tout de suite sentie chez elle ici, comme si l'endroit reflétait une part de Jonathan qu'elle aimait tant.

— Prête, mon ange ? demanda Jonathan, les yeux pétillants d'excitation.

Nelly, intriguée par son ton mystérieux, tourna la tête vers lui, un sourire naissant sur ses lèvres.

— Je t'ai réservé une surprise.

— Vraiment ? fit-elle, essayant de deviner ce qu'il avait préparé, mais sans succès.

— Ferme les yeux.

Elle s'exécuta sans hésitation, une vague d'excitation la parcourant. Elle adorait la façon dont Jonathan savait la surprendre, et à cet instant, elle se sentait comme une enfant avant Noël. Il la guida doucement, prenant soin de ne pas la faire trébucher, alors qu'ils s'éloignaient progressivement de la maison, empruntant des allées ombragées. Ses mains étaient fermement posées sur ses épaules, un contact qui la rassurait, et elle se laissait guider, faisant confiance à son amoureux.

Ils arrivèrent enfin au bout du jardin, dans un coin plus sauvage, moins ordonné, où l'herbe était plus haute, et les arbres formaient une canopée presque protectrice.

— Tu peux ouvrir les yeux, murmura-t-il doucement.

Nelly ouvrit lentement les paupières, laissant le paysage se révéler à elle. Sous la lumière dorée du soleil de fin d'après-midi, elle découvrit une tente plantée dans ce petit coin de nature, accompagnée d'une table et deux chaises, un barbecue, et un parasol pour les protéger du soleil. Tout était simple, mais délicieusement pensé.

— Oh... souffla-t-elle, les yeux brillants de surprise.

Jonathan scrutait son visage, cherchant à lire dans ses traits ce qu'elle pensait vraiment.

— Ça ne te plaît pas ? demanda-t-il, une once de doute perçant sa voix.

Elle secoua la tête rapidement.

— Si, c'est super, je... Elle se mordit la lèvre, cherchant ses mots. Je... tu as prévu le petit-déjeuner, non ?

Elle lâcha un petit rire nerveux, essayant de se donner contenance. L'idée de passer la nuit dehors, sous une tente, l'effrayait autant qu'elle la fascinait. Elle n'avait jamais dormi à la belle étoile, ni dans un camping, encore moins dans son jardin. Pourtant, elle aimait cette idée, cette aventure intime qu'il lui offrait. Mais la peur de ne pas être à la hauteur de cette expérience, de ne pas savoir comment se comporter, la paralysait un peu.

Jonathan éclata de rire, un rire chaleureux, sincère, qui réchauffa son cœur.

— Ne t'inquiète pas, on survivra. J'adore faire du camping avec mon père. Je me suis dit que ça te plairait peut-être.

Il la regardait avec tant d'amour et d'espoir qu'elle se sentit submergée par une vague de tendresse. Elle hocha la tête, essayant de cacher son anxiété sous un sourire.

— Je... oui... tu as des sucrettes ?

La question sortit d'elle sans qu'elle y pense vraiment, mais elle vit le regard de Jonathan s'illuminer de surprise. Il se figea un instant, avant de partir dans un éclat de rire qu'il ne pouvait contrôler. Sa réaction détendit immédiatement Nelly, et elle se joignit à lui, riant à son tour. Elle savait qu'il avait compris. Jonathan avait perçu son inquiétude derrière ses blagues maladroites. Mais au lieu de la taquiner, il fit un pas vers elle, et la serra tendrement dans ses bras.

— J'ai tout ce que tu veux, Nelly, murmura-t-il contre son oreille. Et s'il manque quoi que ce soit, je ferai le tour du monde pour te l'apporter... ma sucrette.

Ses mots, chuchotés avec tant de douceur, la firent frissonner. Elle se sentit immédiatement apaisée, en sécurité, comme si tout, autour d'eux, s'était effacé. Ils n'étaient plus que deux, enveloppés dans un cocon d'amour et de complicité.

Elle ferma les yeux, savourant cet instant où elle pouvait se laisser aller sans crainte. Tout semblait parfait. Le vent doux qui caressait leurs peaux, les arbres qui bruissaient autour d'eux, et surtout, le battement régulier du cœur de Jonathan contre sa poitrine, un battement qui rythmait désormais leurs moments ensemble.

— C'est parfait, Jo. Merci.

Sa voix était douce, presque un murmure, mais il savait qu'elle le pensait vraiment. Ils restèrent ainsi, enlacés, sous ce ciel en déclin, prêts à passer leur première nuit sous les étoiles, là où rien ni personne ne pourrait les atteindre.

Nelly, courbée sur elle-même, semble porter le poids du monde sur ses frêles épaules. Le cœur de Jonathan se serre, et instinctivement, il tend la main pour effleurer sa nuque, jouant tendrement avec quelques mèches de ses cheveux. Être ainsi près d'elle lui paraît si naturel, si réconfortant, comme si toutes ces années d'absence n'avaient jamais existé. Chaque mouvement, chaque souffle, lui rappelle à quel point elle lui avait manqué.

Il ne peut s'empêcher d'être submergé par ce besoin de la sentir plus proche. Son désir pour elle dépasse les mots, il est viscéral, profond, comme une urgence qu'il ne peut réprimer. Alors, sans réfléchir davantage, sans lui demander la permission, il capture sa bouche dans un baiser intense, presque désespéré. Le contact de leurs lèvres fait exploser une myriade d'émotions enfouies depuis trop longtemps. Nelly tremble sous ses doigts, partagée entre surprise et abandon, mais Jonathan la maintient fermement contre lui, ses mains s'enlaçant autour de sa taille pour la garder ancrée à lui.

Elle se laisse glisser du siège, glissant doucement à ses côtés, tombant à genoux comme lui, face à face, leurs regards mêlés d'incompréhension et de désir. Ils ne sont plus que deux âmes retrouvées, dans un espace qui leur appartient enfin.

— Oh, Nel... tu es si belle.

Sa voix est rauque, chargée d'une émotion qu'il n'a jamais osé exprimer aussi ouvertement. Il la contemple, comme si elle était à la fois un rêve et une réalité trop parfaite pour être vraie. Nelly, quant à elle, est submergée par un mélange de bonheur et de tristesse. Pourquoi maintenant ? Pourquoi, après toutes ces années, ressent-elle encore cet amour brûlant, cette attraction inévitable ? Son cœur, déjà en miettes, semble se briser davantage. Elle enfouit sa tête dans le cou de Jonathan, cherchant refuge contre lui, comme si ce simple geste pouvait effacer toutes les années de douleur et de regret.

Jonathan la serre contre lui, fort, protecteur, comme s'il pouvait la protéger de ses propres pensées sombres. C'est comme si le temps avait reculé, comme s'ils étaient revenus à l'époque où tout était encore possible, avant que la vie ne les sépare. Pourtant, la réalité ne peut être ignorée.

— Je suis là, murmure-t-il contre ses cheveux, ses doigts caressant son dos dans un geste apaisant. Je ne pars pas...

— Pas tout de suite... oui...

Nelly éclate en sanglots, inconsolable. Sa voix se brise sous le poids de ses émotions, laissant entrevoir toute la souffrance qu'elle a enfouie.

— Pourquoi tu ne m'as pas appelée... pourquoi tu... c'est tellement injuste !

Elle frappe doucement son torse du poing, une manifestation d'une douleur trop longtemps contenue. Jonathan ferme les yeux, coupable mais impuissant. Il voudrait tout lui expliquer, tout réparer, mais le passé est derrière eux, irrévocable.

— Nelly... c'était sans doute le destin qui nous a remis sur le même chemin.

— Ou alors, c'est un test...

Elle glousse entre ses larmes, cherchant à reprendre un peu de légèreté dans cette mer d'émotions qui les submerge.

— De qui ? De Dieu ?

Jonathan esquisse un sourire, bien qu'il ne croit pas vraiment à ces explications.

— Je t'en prie, je te connais, tu ne crois pas à ce genre de choses.

Elle laisse échapper un petit rire malgré elle, enfouissant son visage contre son torse, réconfortée par sa présence, même dans ce moment douloureux.

— C'est vrai, murmure-t-elle, son souffle caressant la peau de Jonathan. Je suis désolée.

Elle essuie rapidement ses joues avec la manche de son pull, tentant de reprendre contenance. Ses yeux rencontrent ceux de Jonathan, où elle décèle une tendresse qu'elle avait presque oubliée.

— Désolée pour quoi, mon ange ? demande-t-il doucement, en cherchant son regard.

— De ne pas être celle que tu attends...

Les mots s'échappent de ses lèvres avec difficulté.

— Je suis mariée... j'ai un fils... je...

Jonathan soupire. Il serait ravi d'élever ce garçon dont Bertrand n'a jamais parlé. Jonathan serre légèrement la mâchoire. Bertrand. Cet homme qui a pris la place qu'il aurait dû occuper, qui a eu ce privilège de voir Nelly chaque jour. Jonathan secoue la tête, ne voulant pas céder à la jalousie.

— Je serais là pour ton fils comme pour toi, murmure-t-il contre son oreille.

— Je suis mariée, souffle-t-elle en cherchant à s'éloigner de lui.

— Oh... Nel... Je ne souffrirais pas de savoir cet homme loin de toi. Il est davantage intéressé par sa carrière et...

— Et ? Nelly l'encourage à finir sa phrase, ses yeux cherchant à comprendre.

Jonathan hésite. Peut-il vraiment lui dire ce qu'il pense de Bertrand, de la manière dont cet homme parle d'elle, comme s'il était au-dessus d'elle ? Mais il se retient, refusant de devenir mesquin, même si tout en lui crie de la protéger de cet homme qu'il méprise.

— Et moi.

Nelly hoche la tête, comprenant sans qu'il n'ait besoin de tout expliquer. Elle sait. Elle sait que Bertrand est un homme ambitieux, égoïste à certains égards. Mais elle aussi, elle a ses défauts.

— Il t'admire, semble-t-il, dit-elle, presque amusée.

— Pas toi ? Jonathan la dévisage, ses sourcils se fronçant légèrement.

Nelly laisse échapper un petit rire, son cœur légèrement plus léger.

— Je... je ne te connaissais pas, avoue-t-elle. Je ne regarde jamais la télévision, et je ne suis pas fan des journaux people.

Jonathan sourit doucement, soulagé par sa réponse. Il se penche en avant et dépose un baiser sur le sommet de sa tête, un geste plein de douceur et d'affection.

— Ça ne m'étonne pas de toi.

Sa voix est tendre, taquine. Nelly lui donne une petite tape sur l'épaule, retrouvant un peu de légèreté après ce tourbillon d'émotions.

— Hey ! dit-elle avec un sourire espiègle, ses yeux encore embués de larmes mais plus lumineux qu'auparavant.

Ils se regardent un instant, laissant l'instant se charger d'une douceur nouvelle, entre les non-dits et les souvenirs retrouvés, comme si tout redevenait possible.

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