Chapitre 55 - Jonas
Le cours adulte s'est achevé, laissant derrière lui une douce fatigue et une ambiance calme. Dehors, le ciel est d'un noir d'encre, percé çà et là par les lumières des lampadaires qui bordent la rue menant à la mairie. Nelly resserre son manteau autour d'elle, surprise par la morsure du vent glacé qui annonce l'hiver imminent. Le froid semble s'insinuer jusque dans ses os, accentuant une nervosité qu'elle essaie de cacher. À côté d'elle, Jonas marche en silence, mais il perçoit son trouble, son anxiété palpable dans chaque mouvement de son corps.
Jonas l'observe du coin de l'œil, remarquant la tension dans ses épaules, le léger tremblement de ses mains qu'elle dissimule maladroitement. Juste avant qu'ils n'atteignent les portes de la mairie, il la retient doucement par le poignet. Nelly s'arrête net, son souffle se coupe et son corps se tend instinctivement à ce contact. Elle tourne la tête vers lui, surprise, son regard croisant le sien.
— Ne t'inquiète pas pour ce soir, murmure-t-il, la voix basse, presque rassurante. Tes idées sont bonnes, ils ne peuvent qu'accepter.
Leur proximité, inattendue, trouble Nelly. Elle sent une chaleur diffuse émaner de la main de Jonas, une chaleur contrastant avec le froid environnant. Elle se mord légèrement la lèvre, déstabilisée, avant de détourner les yeux. Le cœur battant un peu trop vite, elle hoche la tête, murmurant un faible :
— Merci pour tes encouragements.
Jonas relâche doucement sa main, et ils franchissent ensemble les portes du bâtiment, laissant derrière eux l'obscurité de la nuit.
À peine entrés dans la salle de réunion, les regards féminins se tournent automatiquement vers Jonas. Des sourires se dessinent sur les visages, et certaines femmes battent des cils d'une manière exagérément adolescente. Nelly lève les yeux au ciel, un sourire amusé et légèrement irrité aux lèvres. Elle s'installe, Jonas prenant place à ses côtés, fidèle à lui-même, ignorant l'attention qu'il suscite.
Le maire, prend la parole avec un sourire chaleureux :
— Bonsoir à tous. J'espère que vous allez bien. Je sais qu'il est tard, dit-il en regardant sa montre avec un air faussement désolé, donc nous allons essayer de finir avant vingt-trois heures.
La tension dans la pièce diminue légèrement, et quelques rires polis se font entendre. La réunion commence. Les différents professeurs d'art sont présents : Sophie, qui enseigne le chant ; Victor, responsable des cours de danse africaine et Marie la prof de danse classique ; et Lise, qui s'occupe des ateliers de dessin... Tous les regards se posent rapidement sur Nelly, sachant qu'elle doit présenter son projet ce soir.
Le maire continue, après avoir brièvement salué tout le monde.
— Avant de débuter, je voudrais donner la parole à Nelly, commence-t-il. Elle doit nous présenter une idée pour enrichir l'offre artistique de la ville.
Nelly sent le poids des regards se poser sur elle. Elle inspire profondément, essayant de maîtriser les battements affolés de son cœur. À ses côtés, Jonas ne dit rien, mais elle sent sa présence réconfortante. Il est là, près d'elle, prêt à la soutenir si nécessaire. Elle se redresse légèrement, plongeant son regard dans les notes qu'elle a griffonnées plus tôt dans la journée.
— Merci, Karim, commence-t-elle d'une voix qu'elle espère posée. Je voudrais proposer un projet qui rassemble toutes nos disciplines. Un concours qui mettrait en valeur le théâtre, la danse, le chant, et le dessin en live.
Un léger murmure traverse la salle. Certains semblent intrigués, d'autres un peu sceptiques. Sophie, la prof de chant, lève la main en souriant doucement.
— Nelly, ton idée est intéressante, dit-elle avec un sourire encourageant. Je pense que cela pourrait vraiment plaire par contre ça demandera un certain budget... car qui dit concours dit récompense !
— Exactement ! renchérit Victor, le prof de danse, un homme d'une quarantaine d'années au charisme débordant. Mais, Monsieur le maire, les budgets se font en début d'année non ? ça nous laisse le temps de vous présenter un petit budget ?
Le regard de Nelly s'illumine. Karim se dandine sur sa chaise mais finit par acquiescer. Après tout, il souhaite réellement que sa ville devienne le deuxième Avignon.
Nelly qui s'aperçoit que ses collègues sont réceptifs à ses idées se sent plus enthousiasme. Cela lui donne un élan de confiance. Jonas, à ses côtés, lui glisse discrètement un sourire, qu'elle capte au vol avant de continuer.
— Super, j'aime vous l'entendre dire, Karim. Enfin, il faudra bien sûr un jury et puis... enfin, Jonas en as eu l'idée, déclare-t-elle doucement, mais en journée, on pourrait mettre en place des petits spectacles sur des thématiques bien spécifique pour mettre en avant nos disciplines. Le concours commencerait lui, à partir de disons, dix-huit heures ?
L'ensemble des personnes autour de la table hoche la tête et Jonas finit par prendre la parole :
— Imaginez une scène de théâtre, avec des danseurs qui viennent compléter l'histoire, pendant qu'un dessin se crée en direct pour illustrer les émotions. Et le chant viendrait lier tout cela. Ce serait une véritable expérience sensorielle.
Lise, la prof de dessin, intervient à son tour, visiblement enthousiasmée.
— Ça pourrait être magnifique ! On pourrait organiser des ateliers en amont, pour préparer le public à participer activement. Je me vois bien faire des croquis en direct, pendant que la scène se déroule... Oui, je pense que ça pourrait vraiment fonctionner.
Nelly sent une vague de soulagement l'envahir. Elle regarde autour d'elle, les visages sont souriants, intéressés. Elle échange un regard furtif avec Jonas, et dans ce bref instant, elle capte quelque chose dans ses yeux, un soutien silencieux, une fierté peut-être.
— C'est une très bonne idée, Nelly, conclut le maire, son ton sincère. Je pense que nous avons tous ici hâte de voir ce projet se concrétiser. Il nous reste à planifier les détails, mais je suis convaincu que cela apportera un véritable plus à notre communauté.
La réunion touche presque à sa fin, mais l'intensité des discussions ne diminue pas. Karim, le maire, se penche légèrement en avant, l'air attentif, ses yeux brillant d'intérêt pour le projet.
— J'aime le concept, déclare-t-il, son ton affirmé, en jetant un coup d'œil à ses conseillers.
Elle capte furtivement le regard de Jonas, assis juste à côté d'elle, et à cet instant, elle sent son soutien silencieux. Il est là, présent et solide. Cela lui donne la force de continuer, même si une part d'elle est encore troublée par la tension qui existe entre eux.
— Nelly a de très bonnes idées, intervient Jonas avec calme, mais il y a dans sa voix une chaleur qui ne passe pas inaperçue. Ce genre de projet peut vraiment dynamiser l'offre culturelle de la ville. Il s'agit d'unir nos talents et d'offrir une expérience unique.
Leurs yeux se croisent une nouvelle fois, et Nelly, malgré elle, sent un frisson la parcourir. Il y a toujours cette étrange tension entre eux, ce jeu de regards qui en dit bien plus que les mots échangés.
Pendant près d'une heure et demie, les échanges se poursuivent, chaque idée alimentant la discussion. Les professeurs d'art, les conseillers municipaux, tout le monde semble inspiré, entraîné par l'enthousiasme de Nelly et la validation de Jonas.
Quand enfin le maire prend la parole pour donner son accord, un soulagement profond envahit Nelly, mais en même temps, une fierté qu'elle tente de cacher.
— Encore félicitations, Nelly, dit Karim avec un sourire sincère. C'est une très bonne idée.
Nelly ne peut s'empêcher de sourire en retour, mais son regard se durcit légèrement lorsqu'elle rétorque, non sans une pointe d'ironie :
— Je vous en avais parlé il y a trois ans, dit-elle, ses yeux pétillants de malice. Mais vous avez dû oublier.
Le maire hausse les épaules avec un sourire embarrassé.
— Possible. Je gère beaucoup de choses, se justifie-t-il avec un léger rire.
— Bien, à bientôt alors, conclut-elle, en se levant de sa chaise.
Jonas est déjà en train de s'éloigner. Il marche tranquillement, les mains enfoncées dans les poches de son jean, l'autre bras replié contre son torse. Son allure nonchalante, son assurance... Nelly se crispe légèrement en le regardant partir.
Elle le haït pour ça, pour cette façon qu'il a d'être si dangereusement attirant. Sa silhouette élancée, ses cheveux ébouriffés par le vent, tout chez lui la perturbe. Comment peut-il chambouler sa vie ainsi, sans même le savoir, avec une simple démarche ou un regard ? Elle déteste ce pouvoir qu'il semble avoir sur elle, cette fragilité qu'elle ressent quand il est dans les parages. C'est insupportable... et pourtant, au fond d'elle, elle sait que ce trouble la tire vers lui, presque malgré elle.
La réunion s'est bien passée, et pourtant, un certain malaise demeure. Elle s'oblige à remettre de l'ordre dans ses pensées, à se concentrer sur ce qu'elle a accompli ce soir. Mais Jonas reste là, dans un coin de son esprit, impossible à chasser.
Elle sort de la salleavec un mélange de satisfaction et de confusion, le vent froid lui fouettantdoucement le visage, comme pour la ramener à la réalité. Ses doigts se crispentsur son manteau, mais ce n'est pas le froid qui la trouble. C'est cet homme,cette relation ambiguë, ce passé non résolu qui continue de la hanter.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top