Chapitre 53

Nelly s'enfonce un peu plus dans le canapé, sentant une fatigue accablante peser sur ses épaules. La journée a été longue, entre le travail et les émotions tumultueuses qu'elle tente de contenir. Son téléphone émet un léger bip incisent et lorsqu'elle ouvre les paupières pensant qu'il s'agit de Maddy, elle constate que c'est Bertrand qui tente une appel visio. Elle se redresse et appuie sur le bouton vert.

— Où tu étais ? ça fait des heures que j'essaie de te joindre, tonne la voix de Bertrand alors que l'image se stabilise a peine.

— J'ai travaillé sur un projet avec Jonas pour la présentation du maire demain,

— Ah oui ? reprends-t-il son ton plein de suspicion.

— Oui, tranche-t-elle, d'une voix las. Tout va bien ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

Bertrand n'est jamais aussi incitant. Sa voix, un peu déformée par la mauvaise connexion, résonne comme une lame froide qui tranche l'air entre eux.

— Est-ce que Jonas te plaît ?

La question résonne, chaque mot s'infiltrant dans son esprit comme du poison. Son cœur se serre, et une vague de culpabilité, d'incrédulité et de colère monte en elle. Elle ferme les yeux une fraction de seconde, rassemblant ses pensées, mais tout en elle se tend. La crispation de ses muscles trahit l'effet que cette accusation insidieuse a sur elle. Elle inspire profondément, cherchant à contenir l'orage d'émotions qui gronde dans sa poitrine. Bertrand ne la lâche pas du regard à travers l'écran, attendant une réponse qui, visiblement, pourrait changer quelque chose entre eux. Mais quoi, exactement ?

— Bertrand, commence-t-elle, la voix teintée de lassitude, mais contrôlée, on a déjà parlé de ça.

Elle essaye de garder son ton neutre, mais c'est plus fort qu'elle. Le soupir qui s'échappe de ses lèvres est chargé de fatigue, de frustration accumulée. Il semble que Bertrand n'ait jamais vraiment écouté.

— Je ne sais pas ce que Jonas t'a dit durant votre dîner, mais vos conflits de coqs ne m'intéressent pas, ajoute-t-elle, sa voix plus dure que prévu.

Bertrand plisse les yeux, une expression indéchiffrable sur son visage. Il n'aime pas être défié, et encore moins qu'on lui tienne tête. Il se renfrogne, ses traits se durcissent.

— Conflit de coqs ? Vraiment ? Pour qui tu te prends, Nelly ? Selena Aminguez ? lance-t-il, avec un air moqueur.

Nelly fronce les sourcils, surprise par cette sortie inattendue.

— Hein ? Qui ? répète-t-elle, déstabilisée.

— Selena Aminguez, renchérit-il, avec une nonchalance qui l'agace encore plus. C'est ma collègue sur le tournage. La magnifique latine d'origine cubaine. Elle, elle en déclencherait des combats de coqs.

Les mots de Bertrand la frappent de plein fouet. C'est comme un coup de couteau, mais au lieu de la douleur immédiate, c'est une sensation de vide qui s'installe. Un malaise profond. Quel genre de commentaire est-ce censé être ? Qu'est-ce qu'il essaie de lui dire, exactement ? Sa remarque la déstabilise, la blesse, mais elle refuse de montrer sa vulnérabilité. Elle déglutit difficilement, son regard fixé sur l'écran, mais son esprit ailleurs, cherchant à comprendre l'ampleur de ce qu'il vient de dire. Elle tente de rester calme, de ne pas réagir immédiatement, mais le venin de ses propos s'infiltre sous sa peau.

— D'accord... murmure-t-elle, perdue et abasourdie, cherchant à garder un semblant de contrôle. Qu'est-ce que tu voulais me dire, hormis que tu baiserais bien Selena Aminguez ?

Sa voix tremble légèrement, trahissant malgré elle l'effet que ses propos ont sur elle. Bertrand la fixe à travers l'écran, ses traits se durcissant encore plus, ses yeux devenant deux fentes glacées.

— Ne sois pas si vulgaire, dit-il, acerbe. Ça ne te va pas.

Nelly reste silencieuse, luttant pour ne pas exploser. Elle a envie de hurler, de lui crier combien ses propos sont blessants, combien son attitude l'épuise. Mais elle se retient. Elle ne veut pas lui donner cette satisfaction.

— Bah tiens, murmure-t-elle pour elle-même, la gorge serrée, presque inaudible.

Mais Bertrand n'en a cure. Il ne l'écoute même pas.

— Je voulais te dire que j'ai une pause d'une semaine. Prépare tes valises, je t'emmène en voyage, annonce-t-il avec désinvolture.

Cette proposition, qui aurait pu lui sembler agréable autrefois, sonne désormais comme une injonction. Un ordre, imposé, comme toujours. Il ne demande pas, il exige. Il ne tient jamais compte de ses contraintes, de sa vie, de ses besoins.

Nelly fronce les sourcils, son esprit tournant à plein régime. Elle n'a pas de congé prévu avant la fin d'année. Elle le sait, Bertrand le sait aussi, pourtant, il continue d'agir comme si son temps, à elle, n'avait aucune importance.

— Mais Bertrand, je n'ai pas de congé avant décembre, reprend-elle, sa voix douce mais ferme.

Le visage de Bertrand change instantanément. L'agacement, la frustration, tout est visible sur ses traits. Il n'a pas l'habitude qu'on lui dise non, et encore moins qu'on refuse ses plans.

— Tu plaisantes ? dit-il, sa voix pleine de reproches.

— Non, répond Nelly calmement. C'est comme ça chaque année, chéri. Est-ce qu'on peut décaler ces vacances ?

Bertrand éclate de rire, un rire amer, presque méprisant.

— Bien sûr que non ! Je ne sais pas quel sera mon planning en décembre ! Avec les promesses de contrat qui fleurissent, tu pourrais faire un effort. Pour une fois qu'on peut passer du temps ensemble.

Les mots frappent fort. Nelly inspire profondément, cherchant à ne pas céder à la colère qui monte en elle. Faire un effort ? Comment ose-t-il dire ça après tout ce qu'elle sacrifie déjà ?

— Il me semblait qu'on avait déjà abordé la question du respect de l'autre, de son travail, de ma place de femme... commence-t-elle, sa voix plus ferme, mais trahissant une douleur bien plus profonde.

— Arrête avec tes discours féministes, rugit Bertrand, levant les yeux au ciel, exaspéré.

— Ça n'a rien de féministe, siffle-t-elle entre ses dents.

Mais Bertrand l'interrompt brutalement, clôturant toute possibilité de dialogue.

— Cesse de m'interrompre ! tonne-t-il, sa voix tranchante. Je rentrerai ce week-end, mais puisque j'ai une petite semaine de libre derrière, je partirai seul en vacances. Ibiza, me voilà !

— Je...

Mais Bertrand ne la laisse même pas finir. Nelly reste figée quelques secondes, son téléphone encore en main, les mots de Bertrand résonnant douloureusement dans sa tête. La colère, la frustration, et une tristesse sourde la submergent d'un coup. Elle respire profondément, essayant de calmer le tremblement de ses mains, mais une larme rebelle coule le long de sa joue, traître. Elle l'essuie rapidement, refusant de se laisser envahir par l'émotion. Comment a-t-elle pu en arriver là ? Comment est-ce qu'elle en est venue à tolérer ces remarques pleines de mépris, ces accusations sans fondement, et cette insensibilité de la part de l'homme qu'elle avait autrefois aimé ? Bertrand, si charmant, si attentionné au début, n'était plus que l'ombre de lui-même, ou peut-être n'avait-elle jamais vraiment vu qui il était.

Elle se lève du canapé, les épaules lourdes, et se dirige vers la fenêtre. Le reflet de son visage fatigué dans la vitre lui renvoie une image qu'elle ne reconnaît plus. Elle inspire profondément, son regard perdu dans l'obscurité de la rue. Une envie de fuir, de tout abandonner la traverse, mais elle sait qu'elle ne peut pas. Il y a Louis, son fils, sa responsabilité, sa joie, et même son refuge.

Elle songe aux vacances, à celle qu'ils ont passé avec Leticia, en Vendée. Lui n'était pas présent et même si elle a été déçue, elle l'a accepté mais elle comprends surtout à présent que Bertrand agit avec égoïsme. Si dominateur, incapable de comprendre les sacrifices qu'elle faisait déjà. Et maintenant, il partira en vacances sans elle, sans Louis, comme si son emploi du temps était la seule chose qui comptait. Son manque de considération était déchirant, mais d'une certaine manière, cela ne la surprenait même plus.

Nelly soupire, retournant sur le canapé, son esprit bourdonnant de pensées. Elle ouvre son téléphone, le fait défiler mécaniquement, et le visage de Jonas lui revient en tête. Ce projet, leur collaboration... Il est revenu si soudainement dans sa vie, la forçant à se confronter à des émotions qu'elle avait soigneusement enfouies. Bertrand et Jonas. Deux hommes si différents et pourtant... l'un semblait raviver en elle des choses qu'elle pensait éteintes.

Et cette question que Bertrand lui avait jetée au visage, comme une accusation : « Est-ce que Jonas te plaît ? ». Son cœur s'était serré à ces mots, non pas parce qu'elle avait des sentiments pour Jonas, mais parce que cela réveillait des souvenirs qu'elle tentait d'oublier. Pourquoi Bertrand ressentait-il le besoin de la piéger comme ça ? Est-ce de la jalousie ? De l'insécurité ? Ou simplement sa manière de contrôler encore un peu plus son monde ?

Elle ferme les yeux un instant, repensant à leur conversation. Cette scène où Bertrand évoque cette autre femme avec tant de légèreté, la comparaison avec Selena, cette collègue. « Une magnifique latine d'origine cubaine ». Ses mots avaient été cinglants, remplis d'un mépris à peine voilé. Nelly savait qu'elle ne devait pas laisser ces remarques l'atteindre, mais cela faisait mal. La considérait-il si peu ?

Elle murmure pour elle-même, sa voix tremblante :

— Est-ce que c'est ce que je suis pour lui maintenant ? Juste une femme qu'il tolère, qu'il juge sans arrêt, alors qu'il pense à d'autres ?

Le silence dans la pièce lui répond. Bertrand avait coupé court à leur conversation avec sa manière habituelle, celle de toujours fuir dès que les choses devenaient inconfortables. Elle reste là, seule avec ses pensées, l'écho de leurs disputes résonnant dans ses oreilles. Un week-end seul, un voyage sans elle... Et Louis ? Avait-il même pensé à leur fils ?

— Mawou.

Capuchon vient se frotter contre elle et s'allonge en lui présentant son ventre. Elle enfouie ses doigts dans son poils, geste mécanique mais qui a le don de l'apaiser légèrement. Nelly se mordille l'intérieur de la joue, se rendant compte que Bertrand ne changeait jamais vraiment. Il vivait dans son propre monde, où ses besoins, ses désirs prenaient toujours le pas sur les siens. Et pourtant, elle continuait à espérer. Espérer qu'un jour, il se réveillerait, qu'il verrait la femme qu'elle était devenue, la mère qu'elle était pour leur enfant.

Le téléphone vibre à nouveau dans sa main. Un message de Maddy qui lui indique que tout vas bien pour son fils. Un petit réconfort qui lui rappelle qu'elle n'est pas complètement seule.

— Merci encore pour Louis, tu es un ange, murmure-t-elle en fermant les yeux un instant.

Elle prend une longue inspiration et regarde l'horloge. Minuit approche, et avec lui, le poids de cette journée. Demain, il y a la réunion avec le maire, le projet avec Jonas... Jonathan... Elle secoue la tête. Non. Ne pas penser à lui ! Il a choisi de l'oublier, de ne pas tenir la promesse qui lui avait faire... elle a survécu sans lui. Elle ne peut pas se permettre de revivre ces émotions. Pas avec tout ce qui se passait déjà. Mais malgré ses efforts pour réprimer ces pensées, une chaleur inexplicable envahit son cœur à l'idée de le revoir demain.

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