Chapitre 52 - Jonas
Les minutes s'étirent, chaque tic-tac de l'horloge résonnant dans la petite salle comme un écho d'impatience. Les plus petit repartent, leurs petites mains accrochées à celles de leurs parents, insouciants et souriants. Nelly, elle, reste figée près de la fenêtre, son regard perdu dans le vague.
Enfin vient le cours des adultes, où Jonas s'investit plus attentivement sous l'œil scrutateur de Nelly. Enfin, le cours s'achève et Nelly range en silence la pièce. A l'extérieur le ciel s'est assombrit et une lumière tamisée enveloppe la pièce, créant une atmosphère feutrée, presque intime.
— Jonathan ?
La voix de Nelly le tire brutalement de ses pensées. Le ton qu'elle emploie, inhabituel et chargé de quelque chose qu'il ne parvient pas à identifier, le surprend. Il se tourne vers elle, déconcerté. Elle ne l'appelle jamais Jonathan. Toujours Jonas, comme tous les autres. Pourquoi cette formalité soudaine ?
Il l'observe, se tenant près de la fenêtre, les bras croisés, son visage dissimulé dans la pénombre, comme si elle tentait de masquer les émotions contradictoires qui l'habitent. Elle semble si distante et en même temps si proche. Lorsqu'elle se retourne enfin pour lui faire face, son regard trahit une confusion déchirante. Une tempête intérieure y fait rage, mélange de colère, de tristesse, et... peut-être même un soupçon de peur. Mais aussi autre chose, un fugitif éclat d'attachement, qu'elle ne peut pas dissimuler complètement.
— Nelly ? murmure-t-il, sentant son cœur se serrer douloureusement dans sa poitrine.
Il y a un silence lourd entre eux, chaque seconde qui passe semble amplifier l'intensité de l'instant. Leurs regards se rencontrent et se prolongent, tissant un lien invisible, une tension palpable qui ne demande qu'à éclater. Mais rien ne vient. Le silence persiste, et les mots restent coincés, suspendus, comme si chacun d'eux savait que le moindre faux pas pourrait tout faire basculer.
— Il faut qu'on réfléchisse à un projet, finit-elle par dire, sa voix tremblante malgré ses efforts pour paraître détachée.
Jonathan, toujours figé par l'intensité du moment, met quelques instants à réagir. Le projet ? Il s'attendait à tout sauf à cela. Elle le surprend, une fois de plus, en le ramenant brutalement à la réalité, à cette tâche concrète et pragmatique qu'elle semble vouloir s'imposer pour éviter de penser à autre chose.
— Un projet ? répète-t-il, faisant mine de ne pas comprendre où elle veut en venir.
— Oui, le maire m'a parlé de toi, continue-t-elle en croisant ses bras plus fort contre elle, comme pour se protéger de ce qu'elle ressent. Il a pensé que tu pourrais apporter des idées... innovantes. Il y a une réunion demain soir soir à la mairie. Tu m'accompagnes ?
Jonathan déglutit, incapable de discerner si elle lui tend une véritable main ou s'il s'agit juste d'une obligation professionnelle. Nelly semble si... étrange. Cette distance froide et professionnelle n'est qu'une façade, il en est certain. Mais comment peut-il la briser ? Peut-être qu'elle essaie de le fuir de cette manière, en l'enfermant dans ce rôle de "collègue", pour éviter de réveiller ce passé qui les lie si intensément.
— Euh... oui, bien sûr, finit-il par répondre, sa voix plus rauque qu'il ne l'aurait voulu.
Elle acquiesce d'un simple signe de tête et se dirige vers son bureau, ses pas rapides marquant son envie de mettre de la distance entre eux. Jonathan la suit sans un mot, la curiosité mêlée à une certaine frustration. Elle est là, si proche et pourtant inaccessible. Elle est forte, plus forte qu'il ne l'a jamais été. Elle dissimule ses émotions sous une carapace solide, mais lui, il les sent sous la surface.
Ils entrent dans la petite pièce exiguë où elle travaille habituellement. La pièce est saturée de son parfum, un mélange subtil de lilas et de jasmin, qui réveille des souvenirs chez Jonathan. Elle s'assied sur sa chaise et commence à trier quelques papiers, comme si ce geste anodin pouvait éloigner les tourments qui l'assaillent.
— Assieds-toi, voyons, dit-elle d'un ton étonnamment calme, presque détaché.
Jonathan hésite. Pourquoi est-elle si agréable tout à coup ? Il s'attendait à des reproches, à sa froideur, mais là, il ne sait plus quoi penser. Est-ce une nouvelle façade ? Un masque pour éviter de faire face à ce qu'ils ressentent tous les deux ?
Il s'installe enfin sur une des chaises devant le grand bureau en bois. L'espace semble soudain trop petit pour contenir l'intensité de ce qui ne se dit pas.
— Alors, que peut bien attendre le maire ? demande-t-elle, plongeant ses yeux dans les siens, et Jonathan sent un frisson parcourir sa colonne vertébrale.
Il se racle la gorge, mal à l'aise sous son regard inquisiteur. Il n'a jamais su comment faire face à ce mélange de distance et de proximité que Nelly parvient à instaurer avec une telle aisance.
— Euh... je ne sais pas. Peut-être plus de spectacles ? propose-t-il, conscient que sa réponse est vague et peu convaincante.
Nelly secoue la tête doucement, un sourire ironique flottant sur ses lèvres.
— Non... il faudrait quelque chose d'étonnant. D'inattendu, réplique-t-elle.
Jonathan hoche la tête. C'est elle, la créatrice, celle qui sait transformer des idées en réalité. Mais il sent bien que, malgré ses mots, elle est agitée.
— C'est toi la tête penseuse de tout ça, dit-il doucement, désignant la pièce d'un geste vague, espérant la faire sourire.
Elle lève les yeux, croisant son regard, et cette fois, il y a une lueur différente. Peut-être un peu de reconnaissance, ou de nostalgie. Mais elle est vite effacée.
— C'est vrai que j'en suis en partie responsable, admet-elle. Mais... je ne suis pas sûre que mes idées plairont cette fois.
— Jusqu'ici, elles ont toujours fonctionné, la rassure-t-il, son regard cherchant à la réconforter. Parle-m'en.
— Ne me donne pas d'ordres, grince-t-elle soudain, le ton plus acerbe, comme si elle tentait de reprendre le contrôle de la situation.
— Voyons, Nel, réplique-t-il, surpris par la brusquerie de sa réaction. Ne prends pas la mouche pour rien.
Un long soupir s'échappe des lèvres de Nelly, et pendant une fraction de seconde, son masque se fissure. Elle détourne le regard et commence à énumérer quelques suggestions, mais l'échange entre eux est lourd d'émotions non dites, de cette tension qui ne cesse de croître. Ils jonglent avec leurs propres incertitudes, tiraillés entre le passé, les non-dits et les émotions qu'ils tentent désespérément de contrôler.
Et pourtant, malgré la colère et la gêne, malgré la distance qu'elle tente d'imposer, Jonathan sent que quelque chose de puissant les lie encore.
L'air vibre d'une atmosphère étrange, entre le confort du quotidien et la tension de cette rencontre impromptue. Jonathan observe Nelly, assise en face de lui, feuilletant des papiers sur le bureau d'un air distrait. Il y a quelque chose de fragile dans l'air, comme un fil invisible qui les relie encore, malgré tout ce qu'ils ont vécu. Un long soupir échappe des lèvres de Nelly, et pendant un bref instant, Jonathan voit son masque se fissurer.
Elle détourne le regard, feignant de se concentrer sur les documents devant elle.
— Allez, Nel, s'il te plaît... Tu as toujours eu des idées brillantes
Nelly lève un sourcil et le fixe, son regard tranchant. Son silence est lourd, presque accusateur. Elle ne sourit pas. Il sent son propre cœur battre plus fort, le silence pesant de la pièce amplifiant chaque sensation, chaque émotion qu'ils essaient de repousser.
— Et tu crois que ton avis compte toujours autant pour moi ? réplique-t-elle sèchement, les lèvres serrées, trahissant à peine la tension émotionnelle qui la traverse.
— Peu importe qu'il compte ou non, l'important c'est que je t'apporte une oreille attentive en vue de cette réunion qui semble te mettre à cran.
Jonathan esquisse un sourire gêné, tentant de dissimuler sa propre frustration.
Il sait qu'il marche sur des œufs, qu'un mot de travers pourrait tout faire exploser, mais il ne peut s'empêcher de tenter de la déstabiliser, de chercher un brin de cette complicité qu'ils partageaient autrefois.
— C'est toi qui me met à cran, grogne-t-elle les dents serrées.
— J'en suis navré, vraiment, mais moi aussi j'ai souffert dans cette histoire !
Son ton est plus grave, plus ferme. Nelly lève un sourcil circonspect et balaye sa réflexion de la main.
— Nous ne sommes pas là pour parler du passé, murmure-t-elle en soupirant.
— Évoquons l'avenir alors.
— Pas ça, Jonathan Duprès, déclare-t-elle en tapant du plat de la main sur le bureau. Tu n'as pas le droit de jouer à ce petit jeu avec moi.
Il baisse la tête, honteux. Tel un enfant pris sur le fait. Il ne souhaite pas se brouiller avec elle, au contraire, il cherche à discuter, comprendre pourquoi elle lui en veux tant alors qu'il aurait toutes les raisons de lui en tenir rigueur lui aussi.
— Bien. Alors, tu en pense quoi ? demande-t-elle d'une voix plus mesurée.
— Je dirais que je peux encore te surprendre.
Sa voix se fait plus douce, plus intime. Nelly, piquée par cette remarque, laisse échapper un ricanement sarcastique. Elle repose ses papiers avec brusquerie et croise les bras, comme pour se protéger.
— Oh, c'est vrai ? Parce que, la dernière fois que tu m'as surprise, c'était en disparaissant.
Ses mots sont comme un coup de couteau. Jonathan serre la mâchoire. Il ne mérite pas cette pique, mais comment lui prouver le contraire si elle refuse de l'écouter. La douleur lui vrille la poitrine, il se sent cruellement incapable de se défendre. Leurs regards se heurtent dans un silence lourd, mais Nelly, malgré sa colère, ne le quitte pas des yeux. Il y a une telle intensité entre eux, une tension presque palpable, que l'air semble soudain étouffant.
— Si je t'ai blessé c'est involontairement, finit-il par admettre, sa voix rauque, pleine de regrets. Je...
— Non. Je ne veux pas savoir, déclare-t-elle. On a du boulot et j'aimerais pouvoir récupéré mon fils pas trop tard !
Jonathan reste figé, ses pensées tournoyant dans tous les sens. Un fils. Cette révélation a l'effet d'une gifle, bien plus forte que toutes les accusations de Nelly. Il essaie de ne pas montrer le choc qui traverse son visage, mais son cœur bat à tout rompre. Il s'efforce de ne pas laisser transparaître la soudaine vague de tristesse et de jalousie qui l'envahit. Un enfant... avec Bertrand.
— Ton... ton fils ?
Nelly, de son côté, observe chaque mouvement de son visage, cherchant une réaction, un indice sur ce qu'il peut bien ressentir. Mais il garde son calme, malgré les questions qui lui brûlent la gorge.
— Oui. Louis. L'enfant de Bertrand. Il ne t'en as pas parlé ?
— Alors tu as... un fils, murmure-t-il doucement, ses mots presque tremblants. Quel âge a-t-il ?
Nelly croise les bras, une défense instinctive contre les émotions qui montent en elle. Parler de Louis la rassure toujours, mais dans cette situation, cela ne fait que raviver la douleur de leur histoire passée. Elle garde la tête haute, refusant de se montrer vulnérable, bien que l'inquiétude qu'elle avait enfouie la ronge de l'intérieur.
— Bientôt dix mois, répond-elle, un peu trop brusquement, comme si elle voulait clore le sujet.
Jonathan laisse échapper un souffle inaudible, presque désorienté. Dix mois... si jeune. Il a du mal à l'imaginer, cette vie qui a continué sans lui, ce bonheur qu'elle a construit avec un autre. Une bulle d'amertume éclot dans sa poitrine, mais il la repousse, sachant qu'il n'a pas le droit de la laisser éclater. Pas maintenant.
— Si petit, murmure-t-il presque pour lui-même, son regard se perdant dans le vide avant de revenir sur elle.
Nelly voit dans ses yeux cette ombre de tristesse, ce que, peut-être, elle redoutait. Mais elle refuse de s'attendrir, refusant de laisser la moindre brèche se former. Sa colère, son ressentiment, la protègent encore.
— Désolée, je... je pensais que tu savais, ajoute-t-elle, un soupçon de gêne traversant son ton.
Son regard baisse un instant, Nelly serre les dents furieuse contre son mari. Comment peut-il ainsi omettre de mentionner Louis ! Elle secoue la tête dépité. Jonathan force un sourire qui ne touche pas ses yeux.
— Ce n'est rien. Pas de problème, répond-il d'une voix douce, presque trop contrôlée. Concentrons-nous sur le projet.
Un silence lourd s'installe à nouveau entre eux, plus pesant qu'auparavant. La tension entre eux devient presque insupportable, cette alchimie qu'ils partagent, même à travers les conflits. Nelly, malgré elle, se sent soudain mal à l'aise, comme si elle venait de révéler quelque chose qu'elle n'aurait pas dû. Elle lève la tête et croise de nouveau le regard de Jonathan. Il est toujours là, ce regard chargé d'émotions, et cela la déstabilise plus qu'elle ne veut l'admettre.
— On doit vraiment avancer, dit-elle en se redressant dans sa chaise, essayant de reprendre contenance. Le maire attend des propositions solides demain.
— D'accord, parlons du projet, commence-t-il, sa voix légèrement rauque.
Nelly l'observe avec attention, cherchant à comprendre ce qu'il cache derrière cette façade de calme. Il a l'air distant, comme si une partie de lui était encore accrochée à ce qu'elle vient de révéler. Et elle déteste cette sensation. Elle ne veut pas qu'il la prenne en pitié, elle ne veut pas qu'il regrette quelque chose de leur passé.
— Tu veux connaître me réflexions pour ce projet ? répète-t-elle, épuisée moralement.
Jonathan hoche la tête, mais son esprit est ailleurs. Elle le sent, et cela la met encore plus en colère. Pourquoi est-il là, s'il ne peut pas se concentrer ? Elle serre les poings sous la table, essayant de se recentrer, mais les non-dits flottent entre eux, menaçant de les submerger à tout moment.
— Tu m'écoutes ? demande-t-elle soudain, plus sévèrement qu'il ne le voulait.
— Je t'écoute...
Jonathan laisse échapper un léger rire nerveux, mais il y a de la frustration dans ses yeux.
— C'est juste que...
Il s'interrompt, cherchant ses mots, mais tout lui semble ridicule face à cette situation.
— C'est juste que je m'attendais à ce qu'après nos... retrouvailles, ça soit différent, tu sais.
Nelly serre les dents, sentant la colère monter à nouveau. Pourquoi fallait-il toujours revenir à ça ?
— Différent ? Qu'est-ce que tu attendais, Jonathan ?
Elle le fixe, son regard brillant de colère.
— Que je t'accueille les bras ouverts après tout ce temps ? Que tout reprenne comme avant ?
Sa voix tremble légèrement, mais elle ne baisse pas les yeux. Jonathan reste silencieux, happé par sa propre culpabilité.
— Non, je... je ne sais pas. Il finit par soupirer. J'espérais juste qu'on pourrait...
Il s'interrompt encore, incapable de trouver les mots justes, alors qu'il sent les murs que Nelly a érigés entre eux.
— Qu'on pourrait quoi ? le coupe-t-elle. Qu'on pourrait tout effacer ? Qu'on pourrait redevenir ce qu'on était avant que tu ne décides de partir sans me donner de nouvelle ?
Sa voix se casse légèrement à la fin, trahissant toute la douleur qu'elle a refoulée.
— Je t'ai écrit, soupire-t-il, las.
Jonathan baisse la tête, frappé l'impact de ses accusations. Il reste là, figé, ne sachant pas quoi dire ou faire pour apaiser la situation. Nelly le regarde encore quelques secondes, avant de prendre une profonde inspiration et de se forcer à reprendre.
— Tu as raison, parlons du projet, pas du passé.
Elle s'efforce de se concentrer, mais l'incertitude et la frustration flottent dans l'air. Jonathan la regarde, sentant que quelque chose se brise en lui, mais il n'a pas encore les mots pour réparer ce qui s'est écroulé entre eux.
— Tu veux savoir ce que j'ai en tête pour ce projet ? finit-elle par dire, tentant désespérément de rompre cette tension écrasante et ce sujet qui lui fait vriller l'esprit et le coeur.
Il acquiesce, mais le léger sourire qui flotte sur ses lèvres montre qu'il sait qu'ils évitent une discussion bien plus profonde.
— Ok... Je pensais à un festival en plein air, avec concours d'art en tout genre –danse, musique, dessins, poésie..., en bref un peu tout. Avec pour le théâtre de l'impro.
— Ça me semble parfait.
Il lève les yeux vers elle.
— Les participants n'auraient aucune préparation à l'avance, juste des mots-clés tirés au sort, et ils devraient créer une scène sur le moment. Ça pourrait être très drôle... ou complètement chaotique, déclare-t-il un sourire aux lèvres.
Un petit rire échappe à Nelly, perçant la tension entre eux, et elle se surprend à sourire malgré elle.
— Ça serait un vrai bazar, oui. Mais... pourquoi pas ? Elle hausse les épaules, un sourire flottant encore sur ses lèvres, bien qu'elle tente de le dissimuler.
— Je savais que tu avais déjà réfléchit à tout ça, réplique-t-il avec un clin d'œil complice.
— Ne prends pas trop la confiance, rétorque-t-elle, les joues légèrement rosies, un mélange d'agacement et de gêne la traversant.
Mais il y a une étincelle dans ses yeux qui trahit son amusement. Leur complicité refait surface, fragile et inattendue, comme un vieux réflexe qu'ils auraient oublié.
— Malheureusement j'avais déjà proposé ce genre de projet y'a trois ans et ça n'a rien donné...
— Alors il nous faudra être plus convainquant cette fois ci, décide Jonas en posant sa paume sur le dos de la main de Nelly.
Cette dernière la retire précipitamment, les joues rougies par ce léger contact. Tout n'est peut-être pas perdue !
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