Chapitre 50 - Jonas
Mercredi...
Jonas avance d'un pas mesuré, essayant de paraître détendu, mais la vérité est bien différente. Son cœur bat la chamade, résonnant dans ses tempes alors qu'il se dirige vers le centre culturel. Chaque pas semble l'alourdir un peu plus. L'angoisse se glisse sous sa peau, transformant son calme apparent en une tension palpable. Comment Nelly va-t-elle réagir en le voyant ? Il essai d'imaginer toutes les possibilités, mais aucune ne le rassure vraiment. Elle peut être froide, distante, ou pire... indifférente. Et il n'est pas certain de savoir comment gérer cette éventualité.
Le village d'Illac lui semble toujours aussi charmant qu'à l'époque où il était adolescent. Les rues pavées, les vieilles bâtisses aux façades de pierres blanches et les jardins fleuris respirent la tranquillité. Même après tant d'années et malgré les tragédies personnelles qui y sont liées, Illac a conservé cette atmosphère authentique, presque immuable. Un lieu ancré dans le passé, figé dans le temps, comme si rien n'a vraiment changé, sauf lui. Pourtant, chaque coin de rue, chaque banc, chaque boutique lui rappelle un souvenir. Et au lieu de lui apporter un certain apaisement, tout cela ne fait que raviver la douleur du deuil et des regrets.
Lorsqu'il arrive devant le théâtre, la cloche de l'église sonne l'heure du cours. Le son était mélancolique, comme une note de fond à l'agitation de ses pensées. Il repère Nelly au loin, à travers les vitres, déjà plongée dans son rôle d'animatrice auprès des enfants. Elle parle avec tendresse à la mère d'un petit garçon, une main posée sur sa hanche, l'autre sur l'épaule du gamin. Jonas s'avance doucement, tentant de ne pas trahir son hésitation. Sa gorge se noue à chaque pas, et quand il atteignit la porte, il s'arrête un instant pour l'observer, figé.
Il la trouve sublime. Ses cheveux ondulent toujours d'une manière délicate autour de son visage, comme des vagues dessinées par le vent. Il remarque aussi cette expression douce et rassurante qu'elle réserve aux enfants, celle qui contraste tellement avec la froideur qu'elle lui a opposée lundi passé. Son cœur se serre, plus fort encore. Nelly est une énigme pour lui désormais, et cela le déstabilise. Ce qu'il redoute le plus, c'est l'idée qu'elle ne veuille plus du tout lui parler. Jonas sent quelque chose se briser en lui, comme une évidence douloureuse. Il sait pourquoi il ne l'a jamais oubliée. Elle incarne tout ce qui lui manque.
Il prend une inspiration discrète et fait un pas de plus dans la pièce. Nelly s'occupe d'un petit garçon d'à peine onze ans, dont la frimousse arrondie et les yeux brillants semblaient marquer la timidité et la curiosité.
— Tu voudrais essayer un peu le théâtre ? demande-t-elle en posant ses mains sur ses cuisses.
Le p'tit gars hoche la tête, timidement.
— Bien, commençons alors, déclare-t-elle en poussant le jeune garçon vers le groupe. Je vous présente Elliot.
— Bonjour Elliot, clament les gamins.
Mais alors qu'il s'apprête à les rejoindre, Nelly tourne brusquement la tête, captant son regard. Et ce qu'il voit dans ses yeux le frappe de plein fouet. La froideur, la dureté... la colère. Jonas reste figé, son pas suspendu dans l'air. Elle le déteste, c'est évident, et cette réalisation fait l'effet d'un coup de poing dans son ventre. Elle l'observe avec ce regard sévère, celui qui ne laisse aucune place à la conversation, aucun terrain d'entente.
Il souhaite avancer, dire quelque chose, mais ses mots meurent dans sa gorge. Nelly se détourne de lui avec une détermination glaciale. Jonas, lui, se sent comme un étranger dans cette scène. Pourtant, il n'a pas d'autre choix que d'assumer sa place ici, même si cela ne ressemble en rien à ce qu'il avait imaginé. Il s'efforce de participer, donnant quelques conseils à certains enfants, aidant les plus petits à comprendre leurs répliques, tout en gardant toujours un œil sur Nelly, cherchant un signe, un geste qui indiquerait qu'il reste de l'espoir. Mais il n'y a rien. Juste une distance infranchissable, une barrière invisible qu'elle a érigée entre eux.
Alors qu'ils terminaient la répétition, Jonas se sent vidé, à la fois soulagé et épuisé par cet effort constant de rester calme, de ne pas forcer les choses. Il aurait voulu lui parler, aborder ce qu'ils évitaient tous les deux, mais chaque tentative mourait dans l'œuf. Nelly se comporte comme s'il n'était qu'un inconnu de plus dans cette pièce, un simple assistant.
Lorsque tous les enfants sont enfin en place pour débuter leur scène, le silence se fait dans la salle. Nelly observe chaque visage attentivement, concentrée sur son travail. Mais Jonas, lui, n'a d'yeux que pour elle. Son cœur est lourd, son esprit en ébullition, et il sait qu'il ne peut pas tenir longtemps ainsi.
Jonas intervient une fois ou deux afin d'aider quelques bouts de chou à trouver leur texte et à répéter. Finalement, cela semble se passer plutôt bien, même s'il aurait préféré aborder d'autres sujets... Les enfants répètent un tout petit spectacle pour le réveillon de Noël, qu'ils interprèteront devant plusieurs les personnes âgées de la maison de retraite du village voisin. Il est facile, à cet âge, de modeler leur esprit et de leur faire retenir quelques phrases.
— Vous êtes au top !
Elle s'approche d'Elliot et de sa maman qu'il vient de rejoindre.
— Alors mon grand, ça t'a plus ?
— C'était trop bien maman ! Je peux revenir ?
La tension dans l'air est presque palpable alors que Nelly se dirige vers son bureau, la tête baissée, tentant de dissimuler l'ouragan d'émotions qui tourbillonne en elle. Jonas la suit de près, son regard brûlant d'intensité et de questions sans réponses. Il a imaginé leurs retrouvailles des centaines de fois, mais certainement pas comme ça. Nelly, si froide et distante, n'est pas celle qu'il se rappelle. Le silence entre eux semble pesant, mais Jonas n'est pas prêt à abandonner.
Alors qu'elle s'installe derrière son bureau, il s'approche un peu trop près, sentant l'odeur familière de son parfum. Cela le perturbe, le fait vaciller intérieurement. Son regard, cependant, n'était pas aussi doux qu'il l'a espéré. Elle lui lance plutôt un regard noir, empreint d'amertume.
— Pourquoi tant de haine ? l'interroge-t-il, blessé par cette distance.
Mais à quoi s'attendait-il, au juste ? Il sait pertinemment qu'elle a une nouvelle vie, qu'elle est mariée à présent... Comment pourrait-elle l'accueillir autrement ?
— Pourquoi es-tu ici ? Pourquoi être revenu ? demande-t-elle, la voix sèche, presque tranchante, comme si chaque mot était un coup de poignard.
Jonas avale difficilement, sa gorge se serrant sous le poids des émotions qu'il ne parvenait pas à contenir. Il ferme les yeux une fraction de seconde, cherchant du réconfort dans ce bref moment d'obscurité. Tout lui échappe. Il a déjà tout perdu... et maintenant, elle aussi, semble le rejeter.
— Mes grands-parents sont décédés, et... j'ai perdu pied, lâche-t-il en baissant la tête, sa voix tremblante.
Nelly, malgré la carapace qu'elle s'est construite, ne peut ignorer la souffrance dans sa voix. Elle ressent une légère fêlure dans son propre cœur. Ces grands-parents qu'il adorait... elle s'en souvenait bien. Ils étaient les derniers liens qui l'attachaient à son passé.
— Je suis désolée... J'avais entendu Bertrand en parler, mais je ne savais pas que c'était si... récent, murmure-t-elle, un peu plus douce, mais toujours sur la défensive.
— Ils étaient ma dernière accroche avec ma vie d'avant... souffle Jonas. Et puis, il y a toi.
Ses mots flottent entre eux, lourds de sens et de non-dits. Nelly détourne les yeux, incapable d'affronter cette réalité qui refaisait surface. Une partie d'elle voulait croire que tout cela appartenait au passé, que ses émotions pour lui étaient éteintes. Mais quelque chose en elle vacillait.
— Je ne suis plus celle que tu as connue, murmure-t-elle, presque pour elle-même, comme si elle tentait de se convaincre de cette vérité.
Jonas la regarde intensément, ses yeux cherchant à percer cette façade qu'elle essayait si désespérément de maintenir.
— Nel... Tu es toujours la même, réplique-t-il avec une tendresse palpable. Douce, délicate, altruiste... Et tu es encore plus belle que le jour où je suis parti.
Ces mots, ces souvenirs... Ils ravivent en elle des émotions qu'elle croyait enfouies. Des souvenirs qu'elle avait tenté d'enterrer pour avancer. Mais la douleur qu'ils lui rappellent est insoutenable.
— Justement ! Tu es parti ! Tu m'as abandonnée ! réplique-t-elle, la voix brisée, les yeux soudainement emplis de larmes.
— C'est faux, ar...
L'amertume dans son ton transperce Jonas mais Nelly le coupe net, posant un doigt sur ses lèvres. Elle ne peut pas l'entendre... pas encore. Pas après tout ce temps. Ce serait trop dur. La plaie est encore trop vive.
Profitant de ce moment de faiblesse, Jonas saisit doucement sa taille et la serre contre lui, avec une tendresse désespérée. Sentir son corps contre le sien lui procure un soulagement immédiat, une chaleur réconfortante qui chasse, l'espace de quelques secondes, toutes ses craintes. Son cœur bat si fort qu'il est certain qu'elle peut l'entendre.
— Je ne t'ai jamais oubliée, murmure-t-il contre ses cheveux. Je t'ai écrit... Crois-moi.
Nelly tente de se dégager, mais sans vraiment y croire. Sa résistance est faible, presque inexistante, et Jonas en profite pour la garder près de lui. Il savoure chaque seconde, chaque battement de son cœur, chaque souffle qu'elle prend contre lui. Elle lui a tant manqué, et il se sentait complet pour la première fois depuis des années.
Mais soudain, un sanglot déchire la gorge de Nelly. Elle éclate en larmes, et son corps se tend contre lui. La douleur refait surface, inondant son cœur comme une vague dévastatrice. Elle ne peut plus. Elle ne veut plus. Ses barrières s'effondrent, et elle se sent vulnérable, exposée, face à celui qui lui a causé tant de souffrance.
— Laisse-moi... s'il te plaît, souffle-t-elle d'une voix brisée, son visage caché contre sa poitrine.
Jonas, au lieu de l'écouter, resserre son étreinte. Il enfouit son visage dans ses cheveux et la berce doucement, espérant apaiser ses tourments. Il ne veut pas la lâcher, pas encore. Il est convaincu que, malgré tout, elle l'aime toujours. Il peut le sentir dans la manière dont elle se tient contre lui, dans la manière dont elle n'a pas vraiment lutté pour partir.
— Je suis sûr que tu m'aimes encore, murmure-t-il d'une voix douce, presque suppliée.
À ces mots, Nelly se raidit. Elle se débat cette fois avec une véritable force, un élan de colère et de désespoir qui la pousse à le repousser violemment. Ses yeux, rougis par les larmes, le fixent avec une telle intensité qu'il recule, pris de court. Il a fait une erreur. Il le sait.
— Non ! Tu n'as pas le droit de dire ça, hurle-t-elle avant de tourner les talons et de s'enfuir en courant, les larmes brouillant sa vision.
Jonas reste planté là, désemparé, sentant le poids de ses erreurs l'écraser. Il a voulu la forcer à reconnaître ce qu'elle ressentait encore, mais il est allé trop loin. L'écho de ses pas précipités résonne dans la salle vide, et il sait qu'il l'a perdue, encore une fois.
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