Chapitre 5 - Jonas

Assis sur le bord de son lit, Jonas triture nerveusement une mèche de cheveux, son impatience palpable. Chaque minute qui passe semble s'étirer à l'infini. La petite chambre impersonnelle, aux murs d'un blanc aseptisé, l'étouffe. Il n'a qu'une envie : fuir cet endroit, quitter ce lieu où les souvenirs l'assaillent sans répit. Il veut retrouver sa vie, celle qu'il a laissée derrière lui avant que tout ne bascule. Son studio lui manque, cet espace intime où il se sent à l'abri du monde. Et plus encore, les plateaux de tournage lui manquent, cette ambiance électrique, les projecteurs braqués sur lui, ses collègues, les échanges autour des scènes... Tout ce qui lui permettait d'oublier, de se perdre dans ses rôles.

Mais le cinéma, il le sait, est un univers cruel. Rempli de requins, prêts à bondir à la moindre faille. Et pendant son absence forcée, il imagine déjà les langues venimeuses qui se sont déliées, les rumeurs qui ont enflé, et les opportunistes qui ont profité de la situation. Pourtant, malgré tout cela, une lueur d'espoir brûle encore en lui. Il espère que, malgré cet incident qui l'a mis sous le feu des projecteurs d'une manière qu'il n'avait jamais souhaitée, son talent, sa gentillesse et son engagement humanitaire seront reconnus. Il a toujours voulu que ce soit cela, son héritage.

Jonas n'était pas habitué à la presse à scandales. Avant ce jour funeste, il n'avait été connu que pour son travail et son implication dans plusieurs causes humanitaires. On le décrivait comme un homme généreux, admiré et respecté, ce qui, bien sûr, suscitait aussi des jalousies. Mais il n'avait jamais laissé cela l'atteindre. Lola lui répétait souvent que l'être humain avait une tendance malsaine à désirer ce qu'il ne pouvait pas avoir, mais lui... il ne faisait pas partie de ce jeu. Ou du moins, il avait cru pouvoir s'en tenir à l'écart.

Un soupir lourd s'échappe de ses lèvres. La porte s'ouvre enfin.

— Salut, Jo ! s'exclame Yan, débordant d'énergie comme toujours.

Jonas relève la tête et un sourire fatigué étire ses lèvres.

— Ah, te voilà enfin, répond-il en essayant de cacher son soulagement derrière une plaisanterie.

Yan Louang entre dans la pièce avec son habituelle désinvolture. Grand et imposant, avec son mètre quatre-vingt-dix, il dégage une assurance naturelle. Ses cheveux noirs ébène sont légèrement en bataille, et ses yeux bruns pétillent d'un mélange d'humour et de bienveillance. D'origine japonaise par sa mère et texan par son père, Yan avait grandi entre ces deux cultures avant de poser ses valises à New York. C'est là que leurs chemins s'étaient croisés, lors de leurs études communes. Depuis, une amitié indéfectible s'était tissée entre eux, malgré la dureté de l'industrie qu'ils avaient choisie.

L'asiatique tape amicalement dans le dos de Jonas, mais ce geste, pourtant chaleureux, manque de faire vaciller son ami, encore fragile.

— Tu sembles beaucoup mieux qu'il y a quelque temps, observe-t-il avec un sourire rassurant. Prêt pour ton voyage en France ?

Jonas hésite. Le simple fait de mentionner la France fait remonter une vague d'émotions qu'il peine à contenir. Il sent son estomac se nouer, ses mains se crisper sur le drap.

— Justement... murmure-t-il. Je ne suis pas certain de vouloir y aller.

Yan lève un sourcil, visiblement agacé par cette réponse. Il sait combien Jonas a du mal à affronter ses démons, mais ce voyage, il en est convaincu, est nécessaire.

— Jo, on en a déjà parlé.

— Oui, je sais, mais pourquoi ne pas rester à Paris ? Ou une autre ville... Pourquoi ce bled paumé ? Il y a sûrement d'autres endroits pour... se ressourcer, non ?

Le ton de Jonas se fait presque implorant, et malgré ses airs détendus, Yan perçoit la douleur sous-jacente. Il laisse un court silence s'installer avant de reprendre, plus sérieux cette fois.

— Sérieusement, tu me poses la question ? Tu sais pourquoi.

Jonas baisse les yeux. Bien sûr qu'il sait. Comment pourrait-il l'oublier ? Le passé qu'il a fui pendant des années le rattrape. Ce bled, comme il l'appelle, n'est pas qu'un simple endroit sur une carte. C'est un lieu chargé de souvenirs, certains trop lourds à porter.

— Je sais... mais...

— Tu dois faire ton deuil, coupe Yan d'une voix douce mais ferme. Et quoi de mieux que de se recueillir là où... Il hésite, cherchant ses mots. Enfin, tu vois.

Un silence pesant s'installe. Jonas serre les dents, détournant le regard pour masquer les larmes qui menacent de poindre. Il sait que Yan a raison, mais l'idée de retourner là-bas, de confronter ce qu'il a perdu, lui glace le sang.

— Je vois, murmure-t-il finalement, la gorge nouée. Mais si je croise des gens que je connais ? Des gens... d'avant ?

L'asiatique sourit doucement, posant une main réconfortante sur son épaule.

— Jo, qui de nos jours reste attaché à ses racines ? Tout le monde bouge, tout le monde change ! Regarde-moi, je n'ai jamais mis un pied au Japon, et le Texas ? Pff, c'est bien loin derrière moi.

Jonas hausse les épaules, mais le doute persiste. Ses racines, à lui, sont bien plus profondes qu'il ne veut l'admettre. Et il sait que, parfois, les racines finissent par nous retenir, peu importe combien on essaie de les fuir.

— Qu'est-ce que tu crains, Jo ? demande l'asiatique, cette fois avec une sincère inquiétude dans la voix.

Un long silence. Qu'est-ce qu'il craint vraiment ? Le passé ? Les souvenirs ? Ou est-ce simplement lui-même qu'il redoute de retrouver, dans ce village où tout a commencé ?

— Rien... ment-il en détournant le regard, incapable d'affronter la vérité. Rien du tout.

Mais son cœur sait déjà que ce voyage en France changera tout. Pas seulement pour ses souvenirs, mais aussi pour la personne qu'il est devenu.

La musique battait son plein, emplissant l'air d'un rythme effréné, tandis que la lumière des guirlandes clignotantes dansait sur les murs, accompagnant les éclats de rire et les bavardages animés. La fête d'anniversaire de Bettina était en pleine effervescence, chaque coin de la pièce débordant de vie, de chaleur, de joie partagée. Derrière la porte vitrée, il restait figé, une ombre dans la nuit, observant cette scène de loin, le cœur serré par un mélange d'envie et de malaise.

Il n'avait pas été invité. Bettina, l'hôtesse de la soirée et véritable reine du lycée, avait invité toute la classe à cette célébration, sauf quelques personnes. Des personnes comme lui. Les exclus. Ceux qui ne rentraient pas dans le moule des populaires, qui n'avaient pas la chance d'être adoubés par « la clique de Bettina », d'être vus avec elle lors des sorties en ville ou de recevoir ses compliments teintés de condescendance. Les indésirables.

Malgré cela, il était venu. Peut-être dans l'espoir de se faire remarquer, de se sentir moins invisible, même juste un instant. Mais surtout pour elle.

Elle. La seule raison pour laquelle il était là, dissimulé dans l'ombre comme un intrus. La jeune fille qu'il aimait en secret depuis des mois. Son cœur se serra légèrement en la voyant. Elle était là, éblouissante sous les lumières tamisées de la fête, son sourire radieux illuminant la pièce. Son rire clair résonnait au-dessus des conversations, comme une douce mélodie que lui seul semblait percevoir. Elle souriait aux invités de Bettina, son visage exprimant une bienveillance rare, une sorte de douceur presque palpable.

Il l'observait avec une fascination teintée de tristesse. Elle était si belle. Grande, élancée, avec ses longs cheveux châtain qui ondulaient le long de son dos comme une cascade soyeuse. Il connaissait chaque détail de ses traits, les ayant gravés dans sa mémoire lors des moments volés où il pouvait l'admirer de loin, sans être vu. Son sourire était un mystère qu'il tentait de décrypter. Ce sourire qui semblait contenir tout ce qu'il aimait en elle : la générosité, la bonté, une lumière intérieure qui la rendait différente des autres.

Elle aurait pu, comme lui, faire partie des exclus, des laissés-pour-compte. Après tout, elle n'avait pas l'arrogance ni la superficialité qui plaisaient à des filles comme Bettina. Pourtant, contre toute logique, Bettina l'avait adoptée. Elle était devenue l'une de ses favorites, présente à ses côtés à chaque occasion. Cela le déconcertait. Pourquoi une fille aussi belle, aussi authentique, se liait-elle à quelqu'un d'aussi superficiel que Bettina ?

Il serra les poings involontairement. Bettina, avec ses airs de reine, était tout ce qu'il méprisait. Sa beauté froide et calculée n'avait rien à voir avec celle, naturelle et douce, de la fille qu'il aimait. Bettina était une illusion – une fausse idole montée sur un piédestal par les autres, alors que la vraie beauté, la vraie grâce, se tenait juste là, à ses côtés, presque invisible aux yeux du reste du monde.

Elle lui paraissait parfaite. Chacune de ses courbes délicates, chacun de ses gestes, dégageait une élégance discrète. Il aimait l'observer, la manière dont elle inclinait légèrement la tête lorsqu'elle riait, comment ses yeux brillaient lorsqu'elle écoutait quelqu'un avec une attention sincère. Ses yeux... Ils étaient remplis d'une bonté et d'une sagesse qui la rendaient unique. Il se surprit à sourire, ému par sa simple présence.

Mais il n'était qu'un spectateur, un simple figurant dans ce tableau où elle brillait. Lui, invisible et inutile, restait planté derrière la porte, comme un invité clandestin dans sa propre vie. Il n'osait frapper, n'osait franchir le seuil. Qu'espérait-il vraiment ? Qu'elle le verrait ? Qu'elle l'inviterait à entrer dans ce monde qui lui échappait ?

Son cœur battait la chamade, partagé entre l'envie de tourner les talons et celle de rester pour quelques instants de plus, juste pour la regarder sourire. Elle était dans la lumière, et lui, dans l'ombre. Deux mondes distincts, séparés par plus qu'une simple porte vitrée.

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