Chapitre 5 bis - Jonas
— T'es avec moi ? Yan agite sa main devant les yeux de Jonas, les sourcils froncés d'inquiétude.
— Euh... Ouais.
Jonas secoue la tête, mais son regard reste perdu quelque part, bien au-delà du moment présent. Il est ailleurs. Loin. Ses pensées errent dans un endroit qu'il n'a pas visité depuis des années, un lieu qui lui semble aussi familier qu'étranger à la fois. Saint-Jean-d'Illac. Ce nom résonne dans sa tête, réveillant des souvenirs qu'il avait soigneusement enfouis. Il y a vécu, autrefois, bien trop brièvement pour tisser une véritable existence là-bas, mais suffisamment pour que cet endroit le hante encore. Parce qu'elle y vivait. Elle. Son premier amour, celui qu'on n'oublie jamais vraiment.
— Alors, on y va ?
Yan le tire de ses pensées, déjà prêt à partir. Jonas inspire profondément, puis hoche la tête, malgré la boule qui se forme dans son estomac.
— C'est parti...
Yan lui emboîte le pas, toujours légèrement en tête, comme s'il traçait le chemin pour Jonas. Il est à peine plus petit que lui, mais sa présence a toujours été plus imposante, plus assurée. Jonas le suit, la tête basse, une casquette vissée sur son crâne, dissimulant ses traits sous une ombre protectrice. Le col de son blouson de cuir redressé, il avance dans les rues silencieuses, à l'abri des regards. Le calme de l'extérieur contraste avec le tumulte qui règne en lui, et bien qu'il soit temporairement apaisé, Jonas sait que ce silence ne durera pas. Les souvenirs remontent. Toujours.
Une fois installés dans le véhicule, Yan donne des instructions au chauffeur pour qu'il l'emmène chez « son poulain » comme il l'appelle très souvent. Le ton est détaché mais précis, comme d'habitude.
Jonas soupire et se laisse tomber sur le siège en cuir, tentant de trouver une position confortable. Il déteste se sentir comme un gamin qu'on escorte.
— Arrête de me traiter comme un enfant ! grogne-t-il, agacé.
L'asiatique lève les yeux au ciel, un sourire en coin.
— Bien sûr... quand tu commenceras à te comporter comme un adulte !
L'intonation de son ami est moqueuse, mais pas méchante. Ils se connaissent trop bien pour que de telles piques les affectent. Pourtant, derrière cette légèreté, Yan s'inquiète réellement. Il le connaît mieux que quiconque, et il sait que Jonas est sur le fil du rasoir.
— Où en es-tu avec Lola ? change-t-il subitement de sujet, espérant le ramener à une réalité plus saine.
— Nulle part.
Le ton de Jonas est froid, presque mécanique.
— Jonas...
Yan fronce les sourcils, un reproche silencieux dans son regard.
— Tu sais qu'elle tient à toi. Elle t'aime, et elle est là pour toi. Ce n'est pas comme les autres filles.
Jonas soupire, exaspéré par cette conversation qu'il ne cesse de repousser.
— Oui, je sais. Elle est très bien... Elle est bien.
Yan secoue la tête, déçu.
— Oui, mais tu penses un jour arrêter de voir d'autres filles ? Elle te soutient, elle t'aime sincèrement, Jo. C'est rare de trouver ça.
— Comme toutes les autres.
Jonas hausse les épaules, feignant l'indifférence. Il sait que Yan a raison, mais il refuse de l'admettre. Il est incapable d'y croire. Chaque femme dans sa vie finit par le décevoir ou par le trahir. Et Lola, même avec toute sa douceur, ne ferait pas exception.
— Je n'en suis pas si certain, rétorque Yan, plus sérieux.
— Allons donc. Elle t'a parlé ? Elle s'est plainte ? Jonas tente de se protéger derrière cette façade de désinvolture.
— Tu sais bien que ce n'est pas le genre de Lola, répond l'asiatique, son ton adouci, mais ferme. Elle est différente, Jo. Et tu le sais. Mais...
Jonas détourne le regard, son cœur s'alourdissant. Lola est différente, oui. Elle ne l'étouffe pas, elle ne l'oppresse pas avec des exigences, contrairement aux autres. Mais cette différence l'effraie plus qu'il ne veut l'admettre. Elle est trop bien pour lui, se répète-t-il. Elle mérite mieux.
— Elle mérite quelqu'un d'autre, murmure-t-il presque pour lui-même, ses mots à peine audibles.
— Quoi ?
— Rien. Laisse tomber.
Jonas secoue la tête, tentant de chasser ses pensées sombres.
— Bref. Tu vas juste passer six mois là-bas, avec quelques cours de théâtre et une prof acariâtre, et tout ira bien, dit Yan pour essayer de détendre l'atmosphère.
— De... quoi ? Jonas relève la tête, confus.
L'asiatique sourit maladroitement, comme pris en faute.
— Oh, euh... tu verras bien. Ça te fera du bien de te poser un peu, loin des projecteurs.
— Ouais, évidemment...
Jonas soupire à nouveau, fatigué par cette vie qu'il ne contrôle plus vraiment.
— Vous êtes arrivés, Messieurs.
Le chauffeur interrompt leurs pensées en coupant le moteur.
Jonas reste quelques instants immobile, les mains crispées sur ses genoux, le regard fixé sur l'appui tête devant lui sans vraiment le voir. Son cœur s'alourdit davantage à mesure qu'ils approchent de leur destination. L'idée de retourner sur les lieux où tout a commencé, où il l'a rencontrée, où il l'a perdue... C'est insupportable. Mais il n'a pas le choix. Mais il lui reste un peu de temps avant son voyage en France.
— Tu es prêt ? demande Yan en lui posant une main rassurante sur l'épaule.
Jonas inspire profondément.
— Aussi prêt que possible... murmure-t-il avant d'ouvrir la portière.
Il descend, le cœur lourd, sentant que ce voyage sera bien plus difficile qu'il ne l'avait imaginé.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top