Chapitre 41 - Jonas

Après un petit déjeuner partagé dans une ambiance sereine, Jonas et Yan montent dans la voiture conduite par Jack. Le trajet jusqu'à la propriété familiale se fait dans un silence ponctué de quelques remarques anodines. Jonas, lui, regarde défiler le paysage, le cœur lourd, appréhendant le moment où il posera les yeux sur cette maison qui a tant compté.

— Wah, joli petit coin, commente Yan avec admiration lorsqu'ils arrivèrent enfin devant la maison.

Jonas, lui, reste silencieux. La vue de la vieille bâtisse le plonge immédiatement dans un tourbillon de souvenirs. Il ferme un instant les yeux, cherchant à maîtriser les émotions qui montent en lui. Le passé le rattrape, chaque pierre de la maison lui rappelle des moments d'enfance, mais aussi la perte, le vide laissé par la disparition de ses grands-parents.

— La dernière fois que je t'ai vu aussi préoccupé, c'était quand tu as appris par les médias tes fiançailles avec Lola, lance soudain Yan avec un ton espiègle, brisant le silence lourd.

Jonas se fige un instant, pris au dépourvu. Lola... ce chapitre compliqué de sa vie, exposé aux yeux de tous sans qu'il n'ait vraiment eu son mot à dire.

— Tu sais qu'elle a déjà fixé la date du « mariage » ? ajouta Jonas en mimant des guillemets d'un geste ironique.

Yan, surpris, écarquille les yeux.

— Non ! C'est quand ?

— Yan ! gronde Jonas tout en insérant la clé dans la serrure de la porte d'entrée. Il n'y a pas de mariage !

— Ah oui ? Pourquoi pas ? Ce serait un bon coup de promo, fit remarquer Yan, mi-ironique, mi-sérieux.

Jonas se tourne vers lui, le regard sombre, presque menaçant.

— T'es pas sérieux, là, répliqua Jonas, les mâchoires serrées.

Yan lève les mains en signe de reddition, éclatant de rire.

— Ok, ok ! Ça va, détends-toi ! Je plaisante !

Jonas, peu amusé, grogne avant de pousser enfin la porte d'entrée. Son cœur se comprime violemment dans sa poitrine lorsqu'il franchit le seuil. Rien n'a changé. Le même parfum d'ancienneté, de bois embaume l'air. L'intérieur de la maison est exactement comme dans ses souvenirs : des meubles en bois patiné, un sol en tomettes rouges usé par le temps, des rideaux à fleurs démodés mais étrangement réconfortants.

— C'est... comme si le temps s'était arrêté, murmure Jonas, plus pour lui-même que pour Yan.

L'endroit respire le passé, un cocon de souvenirs intacts, mais aussi lourds de sens. Traversant le petit couloir, il passe sa main sur les cadres photos accrochés au mur. Des images d'autrefois, où lui enfant souriait en tenant la main de sa grand-mère, une photo de ses grands-parents à leur mariage... Un pincement au cœur le saisit à nouveau, plus fort cette fois-ci.

— Hé, Jo... ça va ? demanda Yan doucement, remarquant le regard perdu de son ami.

Jonas hoche la tête, mais il sent déjà que revenir ici sera bien plus difficile qu'il ne l'a imaginé.

Jonas avance lentement, chaque pas résonnant sur le vieux parquet craquant du salon. L'air semble plus lourd, comme si l'atmosphère elle-même porte le poids des années et des secrets cachés entre ces murs. Son regard erre autour de lui, caressant chaque détail familier, jusqu'à ce que ses yeux se posent sur une enveloppe trônant sur le manteau de la cheminée. Son prénom, Jonathan, était écrit en une calligraphie élégante et reconnaissable entre mille. Celle de son grand-père.

— Qu'est-ce que... murmure-t-il, la gorge nouée.

Une sueur froide parcours son échine tandis qu'il s'approche. Ses mains tremblent lorsqu'il saisit l'enveloppe, hésitant une fraction de seconde avant de l'ouvrir. Ses doigts défont lentement le papier et il sort une lettre soigneusement pliée à l'intérieur.

Les premières lignes le frappent comme un coup de poing.

« Mon petit,

Si tu lis ces mots, c'est que nous sommes partis.

Jonas sent son cœur se serrer brutalement. Il ferme les yeux un instant, tentant d'absorber le choc. Mais les mots, implacables, continuent de danser devant lui. La voix de son grand-père résonnait dans sa tête, comme s'il lui parlait à travers ces lignes.

Ne nous en veux pas... mais mamie est gravement malade, et je ne peux pas vivre sans elle. Nous avons, durant des mois, tout prévu pour quitter ce monde ensemble et de façon à ce que tu n'aies rien à gérer.

Le sol sous ses pieds semble vaciller. Ils ont planifié leur départ. Ensemble. Sans lui en parler. Jonas inspire profondément, luttant pour ne pas céder à l'effondrement émotionnel qui menace de le submerger. Le monde autour de lui devint flou, comme s'il ne parvenait plus à ancrer sa réalité. Il continue de lire, chaque phrase percutant son cœur avec une violence accrue.

Je sais que ça ne sera pas facile, mais tu es fort, et tu as traversé tant d'épreuves... Aujourd'hui, tu as réussi à percer dans un milieu qui te plait. Même si ce n'était pas ton rêve, ce que tu fais, tu le fais avec passion.

Pas mon rêve... Une pointe amère se glisse dans sa gorge. Ils savaient. Ils avaient toujours su.

Continue à faire ce que tu aimes ! Toujours.

J'espère que tu seras revenu à Illac et que tu y reviendras pour nous « voir ». La maison est dorénavant tienne, sauf si tu décides de la vendre.

Nous t'aimons.

Mamie et Papi.

Les derniers mots l'achevent. « Nous t'aimons. » Pourtant, ils étaient partis. Sans lui dire. Sans lui laisser le temps de leur dire au revoir. La douleur le frappe comme une vague dévastatrice, l'arrachant à son contrôle.

— Non... murmure-t-il d'une voix tremblante, ses jambes cédant sous lui. Il s'effondre sur le sol, les genoux touchant le parquet avec un bruit sourd. Le souffle coupé, la tête basse, il serre toujours la lettre dans sa main, mais ses yeux ne voient plus rien, seulement des larmes floues et brûlantes qui menacent de couler à tout instant.

— Non, non, non, gémit-il dans un murmure désespéré.

Pourquoi ? Pourquoi ne lui ont-ils rien dit ? Pourquoi l'ont-ils laissé dans l'ignorance ? Il les aurait aidés, soutenus... il aurait été là. Cette vérité cruelle se déverse en lui comme un poison lent, attaquant chaque parcelle de son être.

— Jo ? fit une voix derrière lui, douce et inquiète.

Mais Jonas n'entend rien. La douleur sourde explose soudain dans un cri primal.

— Aaaahhhh ! hurle-t-il, sa voix résonnant dans la maison vide, comme un écho de sa propre désolation.

Son corps tout entier tremble de rage et de chagrin mêlés. Il se lève d'un bond, pris d'une frénésie qu'il ne contrôle plus, et frappe violemment du poing contre le mur. Le bruit sourd de ses doigts rencontrant la cloison fait vibrer la pièce. Un craquement sec résonne, mais ce n'est pas le mur qui cédait... Une douleur fulgurante traverse son poignet, mais Jonas ne s'en soucie pas. La souffrance physique semble une distraction insignifiante face à l'ouragan émotionnel qui le dévaste de l'intérieur.

— Putain, mais Jo, t'es taré ou quoi, mon pote ? s'exclame l'asiatique en s'approchant, effaré.

Il s'approche, attrapant Jonas par les épaules pour le forcer à se calmer, mais Jonas se débattit, aveuglé par une colère sourde. Yan le secoue légèrement, une lueur d'inquiétude dans les yeux.

— Regarde-moi ! Jonas, regarde-moi !

Mais Jonas refuse de se laisser happer par la réalité. Le silence assourdissant de la maison, l'absence de ses grands-parents, tout cela l'entoure, l'empoigne, comme un gouffre dans lequel il tombe sans fin. Ils sont partis, et ils l'ont laissé derrière. Yan, voyant que Jonas va réitérer, l'enserre fermement autour de la taille, bloquant ses mouvements. Les muscles de son ami sont tendus, chargés de colère et de désespoir, prêts à déverser leur furie sur n'importe quoi d'autre dans la pièce. La douleur physique semble insignifiante face à celle qui consume Jonas de l'intérieur.

— Tu veux que je te réhospitalise ? demanda l'asiatique, la voix tremblante d'inquiétude, mais ferme.

Jonas, incapable d'entendre la raison dans ces instants de pure fureur, crit encore, se débattant comme un lion blessé.

— Lâche-moi ! Lâche-moi ! rugit-il, les veines de son cou se tendant sous la pression de sa propre rage.

Mais Yan ne cède pas. Il sait que si Jonas se laisse aller à cette folie, il se fera encore plus de mal. La détresse de son ami transpire à travers chaque cri, chaque mouvement, et Yan refuse de le voir sombrer plus profondément. Jonas se sent anéanti par cette lettre qui semble avoir déchiré le dernier fil d'attache avec ceux qu'il aimait. Tout ce qu'il croyait tenir ensemble s'effondrait. Ils sont partis sans lui laisser une chance de leur dire adieu. Il est détruit, sa fierté, ses forces, tout s'effondrait sous le poids de l'atroce vérité que cette lettre révélait.

Yan, sentant la lutte s'atténuer, profite du relâchement de Jonas pour le tirer doucement loin du point d'impact. La main de Jonas est déjà enflée, rouge et immobile, les doigts tremblants sous l'effet de la douleur. Le manager réussit à l'entraîner jusqu'au canapé, et le fait s'asseoir, avec un mélange de fermeté et de tendresse.

— C'est bon, t'es calmé ? demanda Yan d'une voix plus douce, tentant de capter le regard perdu de son ami.

Mais Jonas n'entend toujours pas. Le monde autour de lui semble s'effondrer dans une brume épaisse de chagrin et de regret. Ses épaules s'affaissent, et un tremblement incontrôlable le saisit. Les larmes qu'il a tant retenues jaillissent, chaudes et brûlantes, coulant sur ses joues sans qu'il ne puisse plus les retenir. Son corps tout entier tressaille sous l'effet de ce trop-plein d'émotions, ce mélange de désespoir et de frustration qui le paralyse.

Yan l'observe, les yeux remplis de compassion. Il n'a jamais vu Jonas si brisé. Pas même lorsqu'il a dû affronter les tempêtes médiatiques ou les scandales de sa vie publique. Cette douleur-là est différente, personnelle, profondément intime. Elle vient du plus profond de son âme.

— Allez, viens, murmure Yan d'une voix douce, cherchant à apaiser le chaos émotionnel de son ami. Je t'emmène te faire soigner, et on en parlera ensuite... calmement... autour d'un bon repas, ajoute-t-il, tentant d'alléger la situation malgré tout.

Jonas ne répond pas. Il est loin, très loin. Ses pensées vagabondent dans un abîme de douleur, revoyant encore et encore les visages de ses grands-parents, leurs éclats de rire... tout cela désormais transformé en souvenirs inaccessibles, perdus à jamais.

Sans se rebeller, il suit docilement Yan jusqu'à la voiture. Chaque pas lui pèse, comme s'il porte le poids d'un chagrin impossible à surmonter. Ses yeux, rouges et gonflés de larmes, fixent un point invisible à l'horizon. Il s'installe sans un mot dans le siège arrière, croisant les bras contre sa poitrine dans une tentative désespérée de se protéger de ce monde qui vient de lui retirer tout ce qu'il aime.

— A l'hôpital le plus proche Jack, lui indique l'asiatique.

Le chauffeur hoche latête sans une remarque. Le moteur démarre dans un silence pesant, seulementinterrompu par le léger ronronnement mécanique et les quelques respirationssaccadées de Jonas. Yan jette un coup d'œil inquiet à son ami, se demandantcomment il va pouvoir l'aider à sortir de cet abîme. 

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