Chapitre 4
Plusieurs coups secs résonnent soudainement dans la maison, réveillant Nelly en sursaut. Elle cligne des yeux, encore embrouillée par le sommeil, et essuie d'un geste rapide le petit filet de bave qui s'est formé au coin de ses lèvres.
Super, pense-t-elle en jetant un coup d'œil rapide autour d'elle.
Son cœur bat à tout rompre, surpris par cette intrusion brutale dans le calme de la matinée. Le canapé porte encore l'empreinte de sa silhouette affalée, et ses vêtements, froissés, trahissent une nuit passée dans une posture peu flatteuse. Elle se passe une main sur le visage, un mélange de honte et de fatigue la traversant alors qu'elle tente de se remettre les idées en place.
Quelle heure est-il ?
Ses yeux cherchent rapidement un repère, et son regard tombe sur la fameuse pendule à coucou accrochée au mur du salon. Ce vieil objet fétiche, un héritage que son mari tenait comme un trésor, lui avait toujours semblé déplacé dans leur décoration moderne. Elle l'avait même un peu détestée pour son côté vieillot. Mais à cet instant, elle est bien obligée de reconnaître que ce maudit coucou a son utilité. Huit heures trente. Son cœur se serre brusquement.
Louis !
Elle se redresse précipitamment, chassant Capuchon, qui s'était confortablement lové sur ses jambes, et se dirige en hâte vers la chambre de son fils. Mais avant même qu'elle ne puisse atteindre la porte, un nouveau coup frappe à l'entrée, cette fois plus insistant, plus impatient.
— C'est pas vrai... marmonne-t-elle tout bas, à moitié agacée, à moitié inquiète.
Qui pouvait bien frapper aussi tôt ? Elle s'arrête, prend une grande inspiration, passe rapidement une main dans ses cheveux décoiffés, et s'avance pour ouvrir la porte. Derrière le battant elle se trouve nez à nez avec Leticia, son amie de toujours, radieuse comme à son habitude, avec ce sourire éclatant qui n'admet aucun refus.
— Nel ! Oh, ma Nel ! s'exclame Leticia, visiblement surexcitée. Tu ne devineras ja-mais ! en insistant bien sur le dernier mot.
Nelly, encore entre deux mondes – celui de l'inquiétude pour son fils et celui de la réalité qui l'assaille de plein fouet – la regarde un instant, déconcertée. Elle ne sait pas si elle doit être amusée par l'enthousiasme de son amie ou irritée par le réveil brutal.
— Euh, non, ma Leti, mais ça a l'air assez grave pour que tu débarques à cette heure matinale. Un café ?
Elle essaie d'adopter un ton léger, mais l'envie de fuir cette conversation pour vérifier si Louis va bien se fait sentir. Sa manche retombe légèrement, dévoilant un hématome qu'elle s'empresse de couvrir en redescendant le tissu jusqu'à son poignet.
— Volontiers ! Leticia ne remarque rien, absorbée dans son excitation. Mais tu as lu la presse ?
— Je pensais que tu me connaissais mieux que ça.
Nelly lève les yeux au ciel avec un sourire.
— Je suis vexée.
— Oh, cesse donc tes jérémiades ! Allez, fais un effort !
Nelly hausse un sourcil, amusée malgré elle par l'insistance de son amie. La dernière chose à laquelle elle pense ce matin, c'est de se tenir à jour des potins mondains.
— Le président est mort ? tente-t-elle, avec une pointe d'ironie.
— Rhoo, mais non ! s'exclame Leticia en lui donnant une légère tape sur l'avant-bras.
La douleur irradie rapidement sous sa peau, plus forte que ce qu'un simple geste amical devrait provoquer. Nelly grimace, mais elle dissimule rapidement sa réaction. Le bleu sous sa manche est encore sensible, et ce petit geste anodin ravive des souvenirs bien plus douloureux qu'elle ne souhaite l'admettre. Elle respire un bon coup et change de sujet.
— Tu attends un bébé ? reprend-elle d'un ton faussement innocent, espérant distraire Leticia.
— Bien sûr, du Saint-Esprit ! Banane !
Un éclat de rire s'échappe des lèvres de Nelly, mais son esprit est déjà ailleurs. Leticia la fait revenir brusquement à la réalité.
— Je sais pas, moi... le curé a épousé un âne ?
— Nelly ! Voyons !
— Je plaisante, Leti... je ne sais pas. Vraiment. Raconte-moi.
— Jonas Dupré ! s'exclame soudain Leticia, presque triomphante, comme si ce nom était censé tout expliquer. La star des séries que j'adore va venir en France !
Le cœur de Nelly rate un battement. Jonas Duprés... Ce nom claque comme une décharge électrique dans son esprit, faisant remonter des souvenirs qu'elle avait soigneusement enfouis. Mais non, c'est impossible. Il y a tant de « Duprés » dans ce monde... C'est un nom comme un autre, aussi courant que Dupont ou Durand. Ça ne peut pas être lui. Elle refuse de céder à la panique.
— Ha oui ? Génial, répond-elle, feignant l'indifférence. C'est qui ?
Leticia la fixe, déconcertée par son manque d'enthousiasme. Comment pouvait-elle ne pas savoir ?
— Oh, Nelly... il faut vraiment que tu te mettes à la page ! soupire-t-elle avec une exagération théâtrale. C'est l'acteur principal de « Plus vite que le vent » !
— Connais pas. Bouge pas, j'reviens.
Nelly s'éloigne d'un pas rapide vers la chambre de Louis, son esprit en ébullition. Elle s'adosse contre la porte fermée, les yeux fermés, cherchant à retrouver son calme. La mention de ce patronyme l'a bouleversée bien plus qu'elle ne l'aurait voulu.
Les souvenirs affluent, des images floues, des moments autrefois heureux qui ont basculé dans l'amertume. Elle avait presque réussi à tout oublier, à enterrer cette partie de sa vie. Pourquoi ce nom la hante-t-il encore ?
∞
La pièce baignait dans une quiétude studieuse. Le bruit léger du stylo griffonnant sur du papier et le froissement occasionnel des pages tournées étaient les seuls sons qui troublaient le calme. Nelly déambulait entre les rayonnages du CDI*, ses doigts effleurant distraitement les tranches des livres, ses yeux cherchant méthodiquement un titre pour son exposé d'histoire. Elle aimait cet endroit, son atmosphère empreinte de sérénité et de concentration, bien loin de l'agitation du reste du lycée.
Alors que la plupart des élèves se jetaient sur les ordinateurs, impatients de trouver des réponses rapides en ligne, Nelly préférait l'odeur des vieux livres, la texture des pages sous ses doigts. Elle trouvait une certaine sagesse dans ces volumes anciens, persuadée qu'ils renfermaient des réponses plus profondes, plus réfléchies que celles qu'on pouvait obtenir en quelques clics. Après tout, comment faisaient-ils, avant l'ère numérique ?
Ses sourcils se froncèrent légèrement lorsqu'elle réalisa que le livre qu'elle cherchait n'était pas à sa place habituelle. Elle passa en revue une dernière fois le rayonnage, mais sans succès. Déçue, elle se dirigea vers le comptoir où Nadine, la bibliothécaire, tapotait doucement sur son clavier. Petite et menue, avec ses cheveux blonds tirés en un chignon désordonné, Nadine avait toujours des yeux brillants derrière ses lunettes ovales, comme si elle gardait un secret passionnant que personne d'autre ne connaissait.
— Bonjour, dit Nelly en s'appuyant légèrement sur le comptoir, son ton à la fois respectueux et amical. Je cherche un livre sur la Seconde Guerre mondiale. Il me semblait en avoir vu un ici la semaine dernière...
Nadine releva la tête, ses yeux pétillants derrière ses verres. Elle réfléchit un instant, tapotant légèrement le bord de son clavier avant de répondre :
— Ah oui, je vois.
Elle ajusta ses lunettes et jeta un coup d'œil rapide derrière elle.
— Je crois que c'est ce jeune homme là-bas qui les a empruntés. Un devoir, ou quelque chose dans ce genre.
Nelly suivit du regard la direction indiquée par la bibliothécaire. À quatre tables de là, un garçon était penché sur un tas de livres, visiblement concentré. Elle plissa les yeux, essayant de le reconnaître, mais son visage ne lui disait rien. Pourtant, quelque chose dans sa silhouette familière lui chatouillait la mémoire.
Avec détermination, Nelly s'avança vers lui, son pas léger dans la salle silencieuse. Arrivée à sa hauteur, elle pencha légèrement la tête, son expression curieuse mais amicale.
— Salut ! lança-t-elle, sa voix douce mais assurée.
Le garçon sursauta légèrement, sortant de sa concentration. Il leva les yeux vers elle, un peu pris au dépourvu, mais rapidement, un sourire timide se dessina sur ses lèvres.
— Oh ! Bonjour. Euh... Nelly, c'est ça ?
Elle haussa un sourcil, surprise qu'il connaisse son prénom, mais elle masqua vite son étonnement par un petit sourire.
— Hmm... oui. On se connaît ?
Le garçon passa une main nerveuse dans ses cheveux, qui étaient soigneusement coiffés grâce à une dose généreuse de gel. Ses joues rosirent légèrement.
— En fait...
Il baissa les yeux un instant avant de les relever vers elle, un peu embarrassé.
— Je suis dans ta classe. Le nouveau. Enfin, je suis arrivé la semaine où tu étais absente... la grippe, je crois.
— Oh !
Elle eut un petit éclat de rire.
— C'est vrai, je me souviens maintenant. Jonathan, c'est ça ? Jonathan Duprés ?
Il hocha la tête, un peu soulagé qu'elle se rappelle enfin de lui.
— Oui. C'est ça.
Un silence léger s'installa, mais ce n'était pas un silence gênant. Il y avait quelque chose de doux dans cette rencontre, une tension naïve, propre à ces moments où l'on croise pour la première fois quelqu'un qui, on le sent, pourrait devenir important.
— Je... peux m'asseoir avec toi ? demanda-t-elle finalement, en désignant les livres éparpillés sur la table. Je cherchais justement ces ouvrages.
Jonathan sourit, cette fois plus franchement, dévoilant son appareil dentaire. Il n'était pas du genre à attirer l'attention, avec son visage encore un peu rond et parsemé de boutons, vestiges de l'âge ingrat. Mais il y avait dans son regard une certaine gentillesse, une sincérité désarmante. Nelly se surprit à le trouver attachant, malgré son apparence un peu gauche.
— Bien sûr ! dit-il en poussant un des livres vers elle.
Nelly s'installa en silence, acceptant le manuscrit qu'il lui tendait. Elle observa un instant ses mains, grandes et un peu maladroites, tandis qu'il ajustait les feuilles de son cahier. Il avait l'air nerveux, comme s'il n'était pas habitué à ce genre d'attention, surtout venant d'une fille comme elle.
— Merci, murmura-t-elle avant de se plonger dans la lecture des premières pages.
Jonathan l'observait discrètement du coin de l'œil, fasciné par la manière dont elle tournait les pages, si concentrée. Il n'aurait jamais osé l'aborder de lui-même, trop timide, trop peu sûr de lui. Mais cette rencontre fortuite, cette proximité inattendue, lui donnait l'impression que, peut-être, quelque chose de simple mais important pouvait commencer ici.
Les deux adolescents, silencieux mais connectés, feuilletaient les pages du passé ensemble, sans savoir qu'ils étaient peut-être en train de commencer à écrire leur propre histoire.
∞
* Centre de Documentation et d'Informations.
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