Chapitre 34
Jonas se tient dans l'entrée du théâtre, un sourire professionnel accroché aux lèvres, prêt à accueillir ses fans pour une courte séance d'autographes. Cinq longues minutes, un compromis soigneusement négocié, suffisamment court pour ne pas interférer avec les cours de Nelly, mais assez long pour satisfaire les adolescentes aux regards ébahis. Ce qui pourrait agacer Nelly l'amuse, finalement. Elle se surprend à admirer la manière dont il a réussi à s'adapter sans trop empiéter sur son emploi du temps. Il faut bien le reconnaître, Jonas a fait des efforts depuis la rentrée et elle ne peut s'empêcher de trouver cela appréciable, malgré elle. Une petite lueur de satisfaction l'envahit alors qu'elle le regarde signer rapidement des autographes, un geste parfaitement rodé et empreint de charme, avant de rejoindre la salle. Les filles s'éloignent, des étoiles dans les yeux, tandis que Jonas referme la porte derrière lui, un sourire complice aux lèvres.
Ils passent la journée ensemble et comme chaque mercredi, Jonas l'interpelle pour lui proposer de manger ensemble. Il soulève un panier en osier et lui déclare :
— J'ai acheté de quoi faire un pique-nique, on peut aller le manger dans le forêt, un peu plus loin si vous voulez ?
Il semble très fier de lui mais au moment où il termine sa tirade, le tonnerre gronde et on entends les gouttes de pluie tomber sur les carreaux. Nelly lui offre un sourire contrit et penche la tête sur le côté.
— Un pique-nique en intérieur ça vous tente ? lui propose-t-elle compatissante.
— Vous acceptez vraiment de manger avec moi ?
— Ça dépend... Est-ce que vous faites des bruits de bouche abominable ?
— Non, réagit il outré.
— Alors, j'accepte. Vous avez préparé le repas ?
— Je ne suis pas super calé en cuisine alors, je suis passé à la boulangerie. Ne m'en voulez pas.
— Au moins, je ne devrais pas être empoisonnée, plaisante-t-elle.
— Ah, ah, ah, rétorque-t-il légèrement froissé.
Jonas lui tends un casse-croute emballé dans un papier violet à l'effigie de l'endroit où il l'a acheté. Nelly apprécie cette endroit et sait par avance qu'elle va se régaler. Lorsqu'elle retire l'emballage elle ne parvient pas à masquer son étonnement.
— Jambon-beurre-cornichon ? remarque-t-elle en croquant avec satisfaction dans son sandwich. Un grand classique. Ça me rappelle des souvenirs. C'est mon préféré depuis petite.
Jonas sourit, se retenant de dévoiler qu'il le savait déjà. Il haussa les épaules avec une nonchalance feinte.
— C'est une valeur sûre, répondit-il. Pourquoi se compliquer la vie avec des choses trop sophistiquées ?
— Hum... Nelly plisse les yeux, le regard pétillant de malice. Alors, vous avez choisi ces sandwichs par simplicité ou est-ce que vous avez eu une soudaine révélation sur mes goûts ?
Jonas se contenta de la regarder, amusé.
— Disons que je suis un homme de goût.
Nelly rit. Elle aimait ce côté mystérieux de Jonas, même si parfois, cela l'agace de ne jamais savoir où il voulait en venir. Ils continuèrent de manger en silence pendant quelques instants, avant que Nelly ne se permette une autre petite pique.
— Dites, Jonas... Vous avez sérieusement pensé à vous greffer ces lunettes ?** demanda-t-elle en désignant ses lunettes de soleil avec un clin d'œil espiègle. **On dirait que vous ne les quittez jamais.
Il s'arrêta, pris de court, avant de répondre sur un ton faussement sérieux.
— Oh, elles ne sont pas permanentes, je vous rassure. Je les enlève... parfois.
— Vraiment ? feignit-elle de s'étonner en arquant un sourcil. Le soir, dans le noir complet, j'imagine ?
— Exactement, répliqua-t-il en riant légèrement. Juste moi et mon miroir. Lui et moi, on est très proches.
— Le pauvre, soupira Nelly en hochant la tête. Je parie qu'il en a marre de vous refléter. À force de vous voir, il doit être exténué.
Jonas sourit, ne pouvant s'empêcher de se prêter au jeu.
— Pas autant que vous l'espérez.
Nelly croqua à nouveau dans son sandwich, essayant de dissimuler un sourire en coin.
— Oh, je n'espère rien, dit-elle d'un ton désinvolte, son regard planté dans ses vitres fumées, cherchant peut-être à le déstabiliser, ou simplement à voir s'il était capable de se dévoiler un peu plus.
Jonas, sentant la tension monter subtilement, décide de changer de sujet et sortit les desserts du panier.
— Pour le dessert, j'ai pris une tarte aux fraises... et une tarte au citron meringué, annonça-t-il en les déposant sur la table avec un air faussement innocent.
Nelly écarquille les yeux en voyant la tarte au citron.
— Pas possible ! C'est ma préférée ! s'exclama-t-elle, agréablement surprise.
— Eh bien, dit Jonas avec un sourire narquois, je devais avoir une intuition.
Elle le regarde avec suspicion, mais aussi avec un amusement croissant. C'était comme s'il connaissait des détails sur elle qu'il n'aurait pas dû savoir, et ça la troublait autant que cela l'amusait.
— Vous avez un don, je dois l'admettre.
Elle prend une bouchée de la tarte au citron et ferma les yeux, savourant chaque nuance sucrée et acide.
— C'est délicieux. Merci, vraiment.
— Je vous en prie, dit-il, la regardant avec une affection qu'il essayait de dissimuler.
Il avait choisi ce dessert en pensant à elle, mais jamais il ne le lui avouera. Il la laisse déguster tranquillement, se contentant de la voir profiter du moment.
Ils continuèrent à échanger des plaisanteries et des piques complices, mais derrière chaque réplique se cachaient des vérités inavouées. Jonas a tout orchestré dans l'ombre, tirant sur les fils d'une nostalgie que Nelly ne peut pas encore comprendre. Pour elle, c'est simplement un repas agréable avec un collègue intrigant, mais pour lui, chaque détail était un écho du passé, un morceau de leur histoire partagée qu'elle a sans doute oublié.
Alors que la pluie battait toujours les carreaux, ils restèrent là, dans la chaleur de la petite salle, leur conversation remplie de sous-entendus et de plaisanteries qui ne faisaient que masquer l'intensité des émotions sous la surface. Nelly, sans le savoir, savoure chaque instant de ce qui a autrefois été un lien précieux pour eux deux, tandis que Jonas, lui, se plait à la redécouvrir, à travers ces petits détails soigneusement orchestrés.
— C'était très agréable, lui confie Nelly en toute sincérité. La prochaine fois, j'emmène le repas et, si ça vous dit, on tentera de faire chacun sous tour.
— Je vais devoir me surpasser, s'exclame Jonas en sentant une petite pression.
— La simplicité, vous l'avez dit vous-même tout à l'heure, lui sourit-elle, complice.
— Parfaitement. Allez, il est bientôt l'heure.
Les cours de l'après-midi s'enchainent. Nelly, concentrée donne les consignes, lance les prémisses des exercices, recadre, conseils... Jonas écoute attentivement tout en apportant aussi sa contribution. Les bras croisés, il observe Nelly avec une attention presque studieuse. Il admire sa manière de gérer les élèves, sa pédagogie naturelle. Elle les guide avec douceur et assurance, leur enseignant des techniques de respiration, des vocalises, et répétant avec eux des phrases complexes jusqu'à ce qu'ils les maîtrisent. Nelly respire la bienveillance, un sourire toujours prêt à encourager, une parole aimable pour détendre les plus nerveux. Elle sait créer un environnement propice à l'apprentissage, où les jeunes se sentent en confiance.
— Jonas ?
La voix de Nelly le tire de ses pensées. Il redresse la tête, surpris d'avoir été interpellé. Elle lui fait signe d'avancer, et il comprend qu'il est temps pour lui d'intervenir. Il avance vers le groupe, se rappelant les conseils de Lorelei, son ancienne professeure de théâtre à la fac. C'est elle qui lui avait appris à se tenir droit, à projeter sa voix, à incarner un personnage. Aujourd'hui, il doit transmettre ces compétences, mais l'idée de ne pas être à la hauteur le ronge.
— Monsieur Dupré ? l'interrompt une adolescente rousse, visiblement curieuse.
— Jonas suffira, déclare-t-il avec un sourire.
Il préfère briser la distance que ce titre formel impose. Après tout, ils ne sont pas si différents ; il se revoit à leur place, des années plus tôt, quand tout cela n'était encore qu'un rêve inaccessible.
— Est-ce que devenir comme vous est difficile ? demande la jeune fille, les yeux brillants d'admiration.
Jonas sent la question le frapper en plein cœur. Il sait très bien ce qu'elle veut dire, mais il la pousse à approfondir.
— C'est-à-dire ? répond-il, feignant l'innocence.
— Célèbre.
Le mot tombe, lourd de sens, comme si la notoriété était la seule fin à atteindre. Un silence s'installe, léger mais perceptible et Jonas prend un instant pour réfléchir.
Nelly, en retrait, observe la scène. Elle se prépare à intervenir, mais quelque chose dans l'attitude de Jonas la retient. Elle perçoit une nuance dans son regard, un éclat de vérité qu'il s'apprête peut-être à dévoiler. Alors, elle le laisse parler, curieuse de voir comment il va s'en sortir.
— Je n'ai pas beaucoup de mérite, commence-t-il, la voix plus douce qu'à son habitude. J'ai eu de la chance, et ensuite, j'ai beaucoup bossé.
La salle reste silencieuse, les élèves pendus à ses lèvres. Jonas sourit doucement, mais ce sourire cache une réalité bien plus complexe, une part de son passé qu'il ne partage que rarement.
— Vous faisiez du théâtre, comme nous ? poursuit la rousse, visiblement fascinée.
Un sourire plus large étire ses lèvres. Oui, il en avait fait, des heures de théâtre, dans des salles obscures, à la fac, bien avant que les caméras ne se braquent sur lui. Ces moments-là lui manquent parfois. C'était une époque où il jouait pour le plaisir, où chaque rôle était une échappatoire.
— Oui. Il marque une pause, cherchant ses mots. Mais c'était une passion, un plaisir. J'aimais vraiment interpréter des rôles différents juste pour... le fun.
Il s'interrompt, regardant brièvement Nelly, avant d'ajouter :
— Je n'avais aucune ambition de devenir ce que je suis aujourd'hui.
Nelly le dévisage un instant, perplexe. Ce qu'il raconte ne correspond pas à l'image qu'elle s'était forgée de lui. Jonas Dupré, la star montante d'Hollywood, pas un homme ambitieux, calculateur, maîtrisant chaque aspect de sa carrière ? Après tout, elle ne s'est pas intéressée à lui, à son histoire. Elle se demande, soudain, qui est vraiment cet homme en face d'elle. Son nom est-il véritablement le sien ? Peut-être a-t-il choisi un nom à consonance européenne, au hasard, histoire de créer plus d'« attractivité », bien que ce dernier semblait maîtriser à la perfection la langue française... et ne possédait aucun accent. Et s'il s'agissait vraiment de lui ? Non. Impossible...
— Allez ! intervient-elle enfin pour rompre le silence et chasser ses propres pensées. Vous révisez bien vos petites scénettes pour lundi, et on fera un peu d'impro !
— Ouais ! crient les élèves en chœur, ravis à l'idée de cette prochaine séance.
Nelly se dirige vers les fenêtres pour fermer les rideaux, les rayons du soleil déclinant projetant une lumière orangée sur le sol de la salle. L'horloge indique déjà vingt heures trente, et dehors, le ciel se pare des couleurs du crépuscule.
— Vous êtes vraiment compétente, déclare Jonas en s'approchant d'elle, la voix teintée d'une sincérité inhabituelle qui surprend Nelly.
Elle se retourne vers lui, un sourire flottant sur ses lèvres, sans pour autant s'étonner de ce compliment.
— Vous en doutiez ? répond-elle, avec un brin de malice dans les yeux.
Jonas la fixe un instant, son regard cherchant peut-être une faille, un instant de doute chez cette femme qui paraît si solide. Mais il n'en trouve pas.
— Non, rétorque-t-il simplement.
Le silence s'installe, mais loin d'être pesant, il est presque complice. Un échange non verbal s'ébauche entre eux, comme s'ils se comprenaient sans avoir besoin de mots supplémentaires. Nelly finit par se détourner, contournant Jonas avec une élégance naturelle, prête à reprendre le tour des bâtiments.
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