Chapitre 3 - Jonas
— Jonas ?
Le ton de Lola tranche à travers l'air, léger mais tranchant. Jonas, plongé dans ses pensées, entend à peine sa voix douce et mélodieuse.
— Hmm ?
— Tu ne m'écoutes pas !
Il relève la tête, surpris par le ton accusateur de sa compagne. Elle essaie d'être subtile, de ne pas paraître trop sévère, mais la pointe de reproche est bien là, évidente. Lola lui sourit, un sourire qui, bien que radieux, ne cache pas totalement son irritation. Ses dents parfaites — fraîchement blanchies lors de sa dernière visite chez le dentiste — scintillent sous la lumière tamisée de la chambre privative. Jonas sent son cœur se serrer un peu. Elle est si belle, ses grands yeux bleus étincelants d'une beauté presque irréelle. Mais en la regardant, il se rend compte que, même avec tout ce charme, il lui est parfois difficile de se concentrer, difficile de véritablement s'ancrer dans cette relation. Pourquoi a-t-il tant de mal à être présent ? À vraiment lui prêter attention ?
— Exact, admet-il en détournant à nouveau les yeux, coupant méthodiquement un morceau de viande dans son assiette, comme pour se donner une contenance. Je pensais à autre chose.
— À quoi ? demande Lola, ses sourcils délicatement froncés, la voix douce mais insistante.
La question le prend de court. Que répondre à cela ? Il hésite, pris au piège. Le silence s'étire, lourd, et il sent la tension monter en lui. Il n'a certainement pas envie de partager le fond de ses pensées. Il doute même qu'elle veuille vraiment entendre la vérité. Non, cette question n'est là que pour respecter une sorte de code social, une politesse qu'elle maîtrise parfaitement. Elle n'attend pas vraiment une réponse honnête. Après tout, Lola incarne à la perfection l'image de la femme parfaite : belle, impeccable, mais souvent distante, inaccessible derrière ce masque de perfection.
— À mon départ... finit-il par dire, évitant son regard.
Un silence s'installe à nouveau. Il ne sait pas ce qu'il espérait, mais certainement pas l'enthousiasme forcé qui suit.
— Je sais que ça va être dur, my love, mais il faut que nous soyons forts, d'accord ? C'est une épreuve importante pour nous !
Il soupire intérieurement. Les mots sont prononcés avec une conviction qui sonne faux, comme si elle récitait une leçon apprise par cœur. Elle ne comprend pas vraiment ce que cela représente pour lui, se rend-il compte. Ce retour à Saint-Jean-d'Illac, ce retour aux sources, il le redoute profondément. Son manager, son thérapeute, tous ces gens qui gravitent autour de lui, ont insisté : « C'est nécessaire pour ta santé mentale. » Mais Jonas sait que c'est une mauvaise idée, il le sent dans ses tripes.
— Ouais... tu parles ! marmonne-t-il, amer.
Lola le regarde, ses yeux bruns perdant un peu de leur éclat. Elle plisse légèrement les lèvres, visiblement irritée par son manque d'enthousiasme.
— Écoute, je sais que tu n'as pas envie de t'y rendre, mais c'est important, insiste-t-elle, cherchant visiblement à apaiser la situation.
Mais Jonas n'en peut plus. Tout cela lui semble tellement facile pour elle, si détaché, si superficiel. Elle ne fait que répéter ce qu'on lui a dit. C'est commode d'avoir des conseils quand on ne vit pas l'enfer quotidien qu'il traverse.
— Bien sûr, c'est facile pour toi ! crache-t-il, amer, son regard brûlant de ressentiment.
Lola sursaute, prise de court par cette agressivité soudaine. Elle fronce les sourcils, puis redresse fièrement la tête, le menton légèrement relevé dans une posture de défi. Sa voix tremble légèrement, mais elle tente de garder son calme.
— Tu es injuste, Jonas ! lance-t-elle, le regard perçant. Je fais tout pour t'être agréable... Ce n'est pas ma faute si... si tu fais n'importe quoi !
Ces derniers mots, tranchants comme une lame, s'incrustent dans l'esprit de Jonas. N'importe quoi. Oui, c'est comme cela qu'on qualifie ses erreurs, ses faux pas, ses excès. Il serre les mâchoires, incapable de répondre immédiatement. La vérité est là, brutale et douloureuse, mais l'entendre de sa bouche lui fait mal.
— Tu sais pas ce que c'est ! réplique-t-il d'une voix rauque, son ton toujours désagréable, prêt à envenimer la situation.
Lola reste stoïque, mais Jonas voit bien dans ses yeux qu'il a touché une corde sensible. Elle refuse de se laisser déstabiliser, pourtant une ombre passe dans son regard.
— Oui, le métier de mannequin, c'est super facile, rétorque-t-elle avec un sarcasme à peine voilé, ses yeux devenus sombres et durs. Qu'est-ce que tu crois ? Que moi non plus je ne subis pas de pression ?
Le silence s'installe à nouveau, tendu et électrique. Jonas sent son cœur battre plus fort. Il n'avait pas l'intention de la blesser, pas comme ça. Mais la colère, la frustration... tout s'entremêle en lui, et il ne sait plus comment faire marche arrière.
— Je n'ai pas dit ça, murmure-t-il, tentant maladroitement de calmer les choses.
Mais le mal est fait. Lola le regarde avec des yeux remplis de reproches, le silence de ses lèvres plus éloquent que n'importe quelle parole. Il la voit se refermer sur elle-même, se protéger derrière ce mur invisible qu'elle a bâti au fil des mois. Il se sent coupable, mais en même temps, incapable d'échapper à ce tourbillon de pensées sombres qui le hante.
— Pourquoi tout semble s'acharner sur moi en ce moment ? pense-t-il en s'enfonçant dans sa chaise.
Retourner à Saint-Jean-d'Illac est une idée qui lui pèse lourdement. C'est censé être le remède à tous ses problèmes, l'occasion de « reprendre sa vie en main » comme le répète inlassablement son thérapeute. Mais Jonas n'en a pas envie. Il ne veut pas être sauvé. Il veut juste se laisser aller, ne plus avoir de responsabilités. Les fêtes, les tournages, les soirées mondaines lui semblent tellement plus faciles, tellement plus plaisants que ce retour forcé à une réalité qu'il fuit depuis des années.
Lola brise finalement le silence, sa voix douce, mais avec une nuance de froideur.
— Je t'aime, Jo, dit-elle en cherchant son regard. Mais j'ai une image à préserver... je ne veux pas sortir avec... avec quelqu'un qui a autant de soucis que toi.
Ces mots frappent Jonas de plein fouet. Comme une gifle. Son cœur se serre violemment. C'est dit. Pas ouvertement, pas brutalement, mais avec la froideur d'un constat, un fait qu'elle ne peut plus ignorer. Il est devenu un problème, une source d'embarras pour elle. Il baisse les yeux, incapable de soutenir son regard. Il se sent écrasé par la honte et la culpabilité puis la colère l'envahit.
— Je ne te retiens pas ! déclare Jonas d'un ton abrupt, ses mots claquant dans l'air.
Le regard qu'il lui lance est chargé de reproche, un mélange de frustration et de douleur mal dissimulée. Lola tente de rester stoïque, mais elle ne peut empêcher les larmes de lui monter aux yeux. Ses lèvres tremblent légèrement, et elle les serre pour ne pas laisser échapper un sanglot. Elle est blessée, profondément. Chaque fois qu'il se referme ainsi sur lui-même, c'est comme s'il érigeait un mur entre eux, et elle se sent impuissante, déchirée entre l'envie de le soutenir et celle de fuir cette douleur. Les larmes commencent à perler aux coins de ses yeux, lui donnant un air vulnérable qu'elle déteste montrer. Elle se sent trahie, une fois de plus, par les mots durs de Jonas.
Jonas soupire, longuement, comme pour se libérer du poids qu'il sent peser sur ses épaules. La culpabilité l'envahit en voyant son regard briller de larmes. Il passe une main sur son visage, agacé par lui-même, puis, presque timidement, il pose sa paume chaude sur la main de Lola, espérant apaiser la situation.
— Je suis désolé... vraiment. Pardon, mes mots ont dépassé ma pensée.
Il marque une pause, cherchant les bons mots, sa voix plus douce, presque suppliante.
— Tu sais comment je suis... je me laisse emporter, et... je... c'est dur.
Lola détourne les yeux, ses longs cils humides de larmes non versées. Son cœur se serre en entendant son excuse. Elle sait qu'il souffre, qu'il traverse une période difficile, mais ça n'efface pas la douleur qu'elle ressent à chaque fois qu'il la repousse ainsi. Elle inspire profondément et hoche la tête, tentant de ravaler sa tristesse.
— Je sais, répond-elle doucement, sa voix à peine audible. Je pense que la France te fera du bien.
Jonas hausse les épaules, un geste lourd de lassitude. son regard reste perdu, distant. Il attrape sa fourchette et se met à jouer distraitement avec les endives cuites dans son assiette, comme s'il voulait éviter de croiser ses yeux, ce regard pleins de compassion qu'il peine à supporter. Son appétit est depuis longtemps disparu, étouffé par le poids des émotions et des pensées noires qui l'assaillent.
— Tu as fini ? demande Lola doucement, brisant le silence pesant.
— Ouais... répond-il d'une voix morne, ses pensées semblant ailleurs.
Elle observe son assiette à peine touchée et fronce les sourcils. La détérioration de son appétit l'inquiète. Il mange peu, dort encore moins, et passe ses journées à ressasser de vieux souvenirs, perdu dans un océan de mélancolie.
— Tu n'as presque rien mangé, remarque-t-elle, sa voix teintée d'inquiétude.
Jonas, sans lever les yeux de son assiette, riposte avec un ton légèrement piquant :
— Tu peux parler !
Elle aussi n'a rien avalé, pense-t-il, et ça l'agace qu'elle lui fasse la remarque.
Lola soupire et s'efforce de garder son calme. Elle n'a pas envie d'une nouvelle dispute, surtout maintenant.
— Ça n'a rien à voir... J'ai un shooting dans deux heures !
Le regard de Jonas se durcit brièvement avant qu'il ne détourne les yeux. Il avait espéré qu'elle passerait la journée avec lui, qu'elle serait là pour combler ce vide grandissant en lui, mais encore une fois, son travail passe avant. Elle est si belle, son visage parfait, sa carrière en pleine ascension... et lui, là, à se sentir vide et inutile.
— Ah... je croyais que tu restais avec moi, dit-il, la déception et l'amertume perçant dans sa voix.
— Oh, Jo... Lola soupire, sa voix douce, presque maternelle. Je dois continuer à gagner ma vie... je n'ai pas tes revenus.
Ces derniers mots semblent résonner plus fort dans la pièce. Jonas serre les dents, frustré. Il déteste ce sentiment d'impuissance, cette impression que malgré tout ce qu'il essaie de faire, il n'est jamais suffisant. La réussite ne remplit pas le vide qu'il ressent. Ni l'argent, ni la célébrité.
Elle lui sourit, mais le sourire ne parvient pas à adoucir ses propos. Elle sait que ça le blesse, mais elle ne peut pas abandonner sa carrière, même par amour. Elle a travaillé trop dur pour tout ce qu'elle a aujourd'hui.
— Bientôt, ma puce. Bientôt, murmure Jonas, essayant de lui offrir une promesse qu'il n'est même pas sûr de pouvoir tenir.
— Même si j'accepte de t'épouser, Jonas Dupré, je veux être une femme indépendante, rétorque-t-elle, le menton relevé, la détermination dans ses yeux. Son ton est ferme, mais il y a de l'amour derrière ses mots. Elle l'aime, mais elle sait aussi ce qu'elle veut dans la vie.
Jonas rit doucement, mais sans joie. « Indépendante », comme si c'était possible, pense-t-il amèrement. Les médias, les attentes, la pression... tout cela les enferme tous les deux dans un étau. L'indépendance est une illusion, se dit-il.
— Hmm, c'est ça... en attendant, viens par-là !
Il se lève brusquement et l'attire contre lui, la serrant fermement, presque désespérément. Ses lèvres capturent les siennes avec une intensité soudaine, presque sauvage. Il l'embrasse fougueusement, cherchant dans ce contact une échappatoire à ses propres démons. Mais même dans cet instant d'intimité, une partie de lui reste absente, comme perdue dans un tourbillon de pensées sombres qu'il ne peut contrôler.
Jonas sait que ce n'est qu'un moyen d'échapper aux vraies discussions, à la profondeur de leurs problèmes. Il se sent vide. Lola s'accroche à lui, mais elle sent la tension dans ses muscles, cette lutte intérieure qu'il ne lui partage jamais pleinement. Les sautes d'humeur de Jonas sont devenues plus fréquentes ces derniers mois, comme une ombre constante qui plane au-dessus d'eux. Elle connaît la source de son mal-être, mais ne sait plus comment l'apaiser. La mort de ses grands-parents maternels, ses derniers liens familiaux, l'a totalement anéanti. Il est devenu un bateau à la dérive, sans plus aucun repère.
— Je t'aime, souffle-t-elle contre ses lèvres, espérant que ces simples mots puissent suffire à le ramener à elle, à le rassurer.
Mais Jonas se détache légèrement, son regard fuyant.
— Je sais... moi aussi.
Il semble à la dérive, et malgré toute sa tendresse, Lola ne peut combler le vide qui grandit en lui. La perte de ses grands-parents maternels, son dernier lien familial, a ravagé Jonas. Depuis leur mort, il n'est plus le même. Elle l'a vu s'effondrer, et chaque jour qui passe, elle a l'impression qu'il s'enfonce un peu plus dans une spirale de tristesse et de frustration.
— Je suis désolé.. murmure-t-il, les lèvres encore proches des siennes. Je ne voulais pas...
Lola recule légèrement, le regard plongé dans le sien. Elle voit la tristesse dans ses yeux, une tristesse qu'elle ne peut pas guérir.
— Je sais, Jonas...
Elle passe doucement sa main sur sa joue, tentant de lui offrir un réconfort qu'elle sait fragile. Elle l'aime, mais elle commence à douter de leur avenir. Peut-elle vraiment le soutenir à travers tout cela ? Où va-t-elle sombrer avec lui ?
Jonas baisse les yeux, incapable de soutenir son regard plus longtemps. Les souvenirs de ses parents, partis trop tôt, viennent l'assaillir. Jonas est un homme marqué par la perte, un homme qui a dû affronter des tragédies trop tôt dans sa vie. Il avait à peine treize ans quand cet accident de voiture les avait arrachés à lui. Son père, orphelin, n'avait aucune autre famille. Ses grands-parents maternels, Américains, l'ont recueilli, le chérissant comme leur propre fils. Les premières années avaient semblé insurmontable. Camille Fisher et Allan Dupré manquaient terriblement à l'adolescent qui, en plus de faire son deuil, était dans l'obligation de s'intégrer à une vie à l'américaine. Ses grands-parents lui ont offert tout ce qu'un jeune garçon pouvait rêver en termes de confort et d'amour. Mais malgré cette vie dorée, le vide laissé par la mort de ses parents n'a jamais été comblé.
Et maintenant, avec le décès de ses grands-parents, c'est comme si tout son monde s'était à nouveau écroulé. Il a perdu ses repères, et malgré tout ce qu'il essaie de faire, il ne parvient pas à trouver un nouvel équilibre.
— Je sais que c'est dur pour toi, murmure Lola, glissant une main dans ses cheveux, essayant de lui apporter un peu de réconfort.
— Dur ? répète Jonas en haussant les sourcils, un rire amer s'échappant de ses lèvres. Dur, c'est un euphémisme. C'est... c'est comme si tout m'échappait.
Il baisse la tête, ses doigts toujours serrés autour des hanches de Lola. Elle le regarde, impuissante. Elle voudrait tant l'aider, mais elle sait qu'elle ne peut pas guérir ce qui est brisé en lui.
— Je suis là, Jo, murmure-t-elle, ses mots doux mais teintés de tristesse.
Il la serre un peu plus fort, comme si elle était son ancre dans cette tempête intérieure qui le tourmente.
— Merci... souffle-t-il, ses lèvres frôlant son front.
Mais même en la tenant ainsi, il sait que rien ne pourra effacer les blessures de son passé.
— Jonas, murmure-t-elle. Peut-être que la France... te permettra de trouver ce que tu cherches.
Il hoche la tête, mais au fond de lui, il doute. Il doute de tout. Mais pour l'instant, il s'accroche à elle, à cet amour fragile qu'ils partagent encore.
— Je vais essayer... murmure-t-il, comme un enfant cherchant désespérément à plaire.
Mais même à ses propres oreilles, cela sonne creux.
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