Chapitre 22
Il n'avait jamais écrit. Pas une lettre, pas un mot. Rien. Peut-être qu'elle aurait dû s'y attendre. Le deuil, l'immensité du chagrin qui l'avait frappé, puis l'adaptation à une nouvelle vie dans un pays étranger. Des excuses, elle en trouvait des dizaines. Jonathan avait sûrement eu des préoccupations bien plus importantes que de lui écrire. Mais au fond, cela ne l'empêchait pas d'avoir mal. Peut-être qu'il avait simplement tourné la page, oublié leur promesse, cet amour qu'elle avait cru éternel.
Un pincement lui serra la poitrine alors qu'elle repensait à lui. À ses bras autour d'elle, à son odeur de menthe et de citron vert. Combien de nuits, combien de jours l'avait-elle attendue, cette lettre ? Se raccrochant à l'espoir qu'un matin, elle trouverait enfin une enveloppe avec des timbres d'outre-Atlantique.
Elle poussa un long soupir, tentant de dissiper la brume de souvenirs. Peut-être n'avait-il même pas eu l'argent pour s'acheter un timbre. Combien ça coûtait un timbre aux États-Unis, à cette époque ? Ce genre de détail insignifiant lui venait toujours en tête, comme si ça pouvait justifier son silence. Mais le poids du vide que son absence avait laissé ne disparaissait jamais vraiment.
Nelly secoua la tête, essayant une fois de plus de chasser Jonathan de ses pensées. C'était du passé, elle devait arrêter de se torturer. Mais le passé, lui, revenait sans cesse frapper à la porte de ses souvenirs depuis l'annonce de l'existence de ce Jonas Dupré. Cette consonance... cette ressemblance avec le nom de famille de son amour perdu... lui empoisonne le cerveau. Avec un dernier soupir de résignation, elle coupa le contact de sa voiture et se glissa dehors pour aller chercher son fils.
— Salut, ma belle, lança-t-elle en entrant chez Leticia, comme si elle était chez elle, avec cette familiarité habituelle qui les unissait depuis tant d'années.
Leticia l'accueille avec son habituel enthousiasme, mais son sourire s'efface lorsqu'elle aperçoit l'expression fatiguée de Nelly.
— Coucou, ma poule... oula, t'as une de ces têtes ! Ça va ? demande-t-elle, les sourcils froncés d'inquiétude.
Nelly hausse vaguement les épaules, cherchant à masquer ce qui la rongeait.
— Un peu fatiguée, répondit-elle dans un souffle. Je sors d'une réunion avec le maire.
Leticia lève un sourcil, croisant les bras sur sa poitrine. Elle connaissait assez Nelly pour savoir que ce n'était pas juste de la fatigue physique. Il y avait autre chose, quelque chose qui la troublait plus profondément.
— Ah. Et alors ? s'enquit-elle avec un mélange de curiosité et d'inquiétude.
Nelly lâche un rire sans joie, amer, tout en laissant tomber son sac sur le fauteuil le plus proche.
— C'est la merde, répondit-elle, un brin d'exaspération dans la voix.
Leticia secoue la tête avec un sourire bienveillant et lui donne une petite tape amicale sur l'épaule pour la réconforter.
— Oh, ça ne peut pas être aussi terrible que ça, plaisante-t-elle, tentant d'alléger l'atmosphère.
Nelly hausse un sourcil sceptique, puis se dirige vers le petit salon où son fils joue tranquillement sur une couverture, ses petits doigts potelés saisissant des jouets multicolores avec toute l'innocence du monde. À la vue de son visage innocent, son cœur se réchauffe légèrement, et une partie de son fardeau sembla s'alléger.
Elle s'agenouilla doucement près de lui, embrassa tendrement ses cheveux et le prit dans ses bras. Son petit corps chaud se blottit immédiatement contre le sien, comme s'il savait instinctivement qu'elle avait besoin de ce contact. Les mains de Nelly se refermèrent sur son dos, son cœur se serrant d'une autre manière maintenant. C'était son roc, son ancre, celui qui l'aidait à avancer chaque jour malgré tout.
— Tout va bien, mon trésor, murmure-t-elle doucement contre lui, même si c'était autant pour elle que pour lui.
Leticia, qui les observe avec tendresse depuis l'autre côté de la pièce, s'assoit à ses côtés sur le canapé.
— Tu sais, tu ne dois pas tout porter toute seule, Nelly, dit-elle avec douceur, devinant que la fatigue de son amie n'était pas seulement liée au travail ou à sa réunion avec le maire.
Nelly hoche la tête machinalement, mais une part d'elle savait que Leticia avait raison. Elle en fait trop, elle essaie de tout gérer, de tout contrôler. Le boulot, son fils, les souvenirs de Jonathan, la pression du quotidien... Elle ne se laissait jamais une minute pour respirer.
— Je sais... finit-elle par répondre, la voix un peu étouffée. Mais Karim n'en fait qu'à sa tête parfois...
Mais comment dire à Leticia que parfois tout ça lui donnait l'impression de suffoquer ? Que malgré tout l'amour qu'elle porte à son fils, il y avait des moments où elle se sent terriblement seule ? Que les fantômes de son passé, de Jonathan, rôdent de nouveau autour d'elle, lui rappelant que la vie n'a pas pris la tournure qu'elle avait imaginée ?
Elle serre son fils un peu plus fort contre elle, cherchant du réconfort dans sa chaleur. Mais même là, une partie d'elle continuait de vaciller.
— Il n'a même pas réfléchi aux conséquences de l'arrivée de ce Jonathan ! s'exclame Nelly, la voix tremblante d'irritation.
— Jonathan ? répète Leticia, fronçant les sourcils, l'air suspicieux.
Nelly sentit son estomac se nouer.
Merde.
Elle s'était laissée emporter. Pourquoi Jonathan ? Pourquoi maintenant, dans une conversation qui n'a rien à voir avec lui ? Elle cherche désespérément une issue pour camoufler son malaise.
— Euh, Jonas, je voulais dire.
Sa voix manqua de naturel. Leticia croise les bras et la fixe, une étincelle d'amusement dans les yeux.
— C'est qui ça, Jonathan ? demande-t-elle d'une voix légèrement taquine mais avec cette pointe de curiosité qui signalait qu'elle ne lâcherait pas facilement l'affaire.
Nelly roule des yeux, feignant l'indifférence, alors que son cœur battait à tout rompre.
— Hein ? Je sais pas... C'est pas le problème ! rétorque-t-elle rapidement, espérant clore le sujet avant que Leticia ne creuse davantage.
Leticia arque un sourcil, clairement pas convaincue, mais elle décide de laisser tomber pour l'instant. Mais Nelly sent que son amie garde ça dans un coin de sa tête. Elle soupire intérieurement, soulagée mais encore agitée par cette gaffe involontaire.
— Jonas n'est pas un problème, Nel, reprend Leticia en changeant prudemment de sujet. Je suis sûre que ça se passera bien.
Nelly expire bruyamment, les nerfs toujours à vif.
— J'ai le triple d'élèves inscrits cette année et ils n'ont même pas prévu un contrat avec plus d'heures. Je fais comment, moi, hein ?
Elle sent la colère monter en elle, un mélange de frustration et de découragement.
— Ils pensent peut-être que ça va se tasser ? suggère Leticia avec une douceur déconcertante.
Nelly secoue la tête, incrédule.
— Ça va forcément se tasser quand Jonas ne sera plus là, lâche-t-elle, le ton empreint d'un dépit amer. Tout ça pour rien...
Elle avait l'impression de courir après une ombre, d'investir du temps et de l'énergie dans quelque chose de temporaire, de fragile. Et cette pensée la rongeait. Leticia pose une main réconfortante sur son épaule, essayant de calmer le flot de négativité qui semblait submerger son amie.
— Allez, Nel, dit-elle doucement. Ça va aller. Je suis sûre qu'une solution sera trouvée. Ok ?
Nelly hoche la tête, mais elle n'était pas vraiment convaincue. Pourtant, elle ne pouvait qu'acquiescer. Elle n'avait pas le choix, comme si tout ce qui l'entourait s'effondrait peu à peu et que ses efforts n'étaient que des tentatives désespérées pour maintenir l'équilibre.
Un silence pesa un moment entre elles, mais Nelly sentait le besoin de se concentrer sur quelque chose de plus léger, de plus ancré dans le présent. Elle inspira profondément et changea de sujet.
— Louis a bien dormi ? demande-t-elle, cherchant à se recentrer sur ce qui comptait vraiment : son fils.
Leticia retrouve immédiatement son sourire radieux.
— Oui, et il a mangé ma purée de carottes maison ! s'exclame-t-elle, fière de son succès en cuisine.
Nelly lève les sourcils, feignant l'admiration.
— Ouah ! Tu deviens un vrai cordon bleu ! plaisante-t-elle, le sourire enfin de retour sur son visage fatigué. Toujours OK pour la rando demain ?
— Et comment ! Bien sûr que je suis partante, répondit Leticia avec enthousiasme. Ça te fera du bien, je pense.
Nelly acquiesce en silence, reconnaissante de pouvoir compter sur Leticia, dont l'optimisme et la folie douce arrivent toujours à alléger ses journées les plus sombres. Louis, assis sur son tapis d'éveil, babille joyeusement comme s'il comprenait que sa maman avait besoin d'un peu de légèreté dans cette journée tourmentée.
Avec un sourire attendri, Nelly s'agenouille doucement près de lui, ses mains caressant délicatement ses cheveux. Elle se penche et embrasse tendrement son petit ventre à travers son tee-shirt, inondée d'un amour profond pour ce petit être qui, à lui seul, rendait la vie plus supportable.
— Comment va mon petit bébé d'amour ? murmure-t-elle avec une voix tendre, en plantant des bisous doux sur son ventre, déclenchant de légers éclats de rire.
Leticia, qui observe la scène avec affection, se moqua gentiment :
— Tu es complètement gaga, tu le sais ça ? dit-elle en riant doucement, tout en déposant sur la table basse un plateau débordant de muffins appétissants.
Nelly se redresse légèrement, le sourire taquin.
— Ouah, c'est pour moi tout ça ? demande-t-elle, en lorgnant les petits gâteaux avec envie.
Leticia lève les yeux au ciel en riant.
— Non, pour ma soirée gadgets, répondit-elle d'un ton malicieux. D'ailleurs, tu devrais y aller, elles ne vont plus tarder.
Nelly fronça les sourcils, confuse.
— De quoi ? demande-t-elle, un brin perplexe.
— Bah, tu sais... nous, les célibataires, on a à faire à quelques... petits jouets... pour adultes, expliqua Leticia, un sourire espiègle aux lèvres.
Nelly éclate de rire, un vrai éclat de joie cette fois, qui lui fit un bien fou. Leticia est unique, avec son humour décalé et son esprit libre. Elle a le don de la faire sourire n'importe quand.
— Oh, je vois, dit Nelly en riant toujours, levant les mains en signe de capitulation. Je ne vais pas te déranger alors.
Avec un dernier sourire, Nelly attrape son sac et porte Louis dans ses bras. Elle embrassa Leticia sur la joue avant de lui faire un signe d'au revoir.
— Merci, Leti. T'es vraiment la meilleure pour me faire oublier tout ça, dit-elle avec une sincérité palpable dans la voix.
Leticia lui envoie un baiser depuis la porte.
— C'est rien ma belle, tu sais que je suis toujours là. Et on se retrouve demain pour cette rando !
En quittant la maison, Nelly sent une vague de soulagement l'envahir. Son petit grain de folie à elle, Leticia l'équilibrait toujours, la ramenait à une réalité plus douce. Elle se dirigea vers sa voiture, Louis contre son épaule et sourit malgré elle. Le monde ne s'effondrait peut-être pas, finalement. Pas encore.
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