Chapitre 20 - Jonas

Le ronronnement du jet privé semble adoucir la tension palpable qui régne dans la cabine. Le ciel nocturne défile lentement à travers les hublots, les étoiles brillantes, indifférentes aux tourments qui occupent l'esprit de Jonas. Assis dans son fauteuil en cuir, il regarde l'obscurité à l'extérieur, mais son esprit est bien loin des nuages. Yan l'observe en silence, une question non formulée flottant entre eux.

— Tu as géré ça comme un pro, Jonas, dit finalement l'asiatique en croisant les jambes sur le repose-pieds.

Il joue avec une paire de lunettes, son regard scrutant Jonas avec une pointe d'inquiétude.

— Je dois te demander... Au voyage allé tu as fait mention de ton mal-être quant au métier que tu exerces... Est-ce tu as envie d'arrêter ?

Jonas détourne les yeux du hublot et soupire, se redressant légèrement dans son siège.

— Je n'ai jamais dit que je n'aimais pas ce que je fais, Yan, répondit-il d'une voix basse, presque éteinte. Ne déforme pas mes propos.

Son ton n'est pas agressif, mais empreint de cette lassitude qui le ronge depuis des mois. Yan hausse les épaules et le regarde avec une patience calculée, comme s'il sait qu'une vérité plus lourde va finir par émerger.

— Tu sais, Jo... Tu es différent. Je ne sais pas quoi faire pour t'aider...

Jonas laisse échapper un autre soupir, plus lourd cette fois. Il enfonce son dos contre le siège, comme s'il cherche une échappatoire, mais il sait qu'il ne peut plus repousser cette conversation.

— Je traverse une mauvaise période Yan, murmure-t-il, sa voix teintée de tristesse. Tu le sais aussi bien que moi. J'ai fait n'importe quoi ces derniers temps, des choix que je regrette. Tout ce qui me tenait encore debout a disparu, ajoute-t-il, une ombre de douleur passant dans ses yeux.

Yan, toujours calme en apparence, fronce les sourcils. Il s'avance un peu, croisant ses bras sur son torse, cherchant les mots justes.

— Et moi, je ne compte pas ? lance-t-il doucement, presque blessé.

Jonas ferme les yeux un instant, se passant une main tremblante sur le visage. Il sait que Yan tient à lui plus que n'importe qui d'autre à ce jour, mais cela ne comble pas le vide qu'il ressent au fond de lui. Un vide que même son succès ne parvenait plus à masquer.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, soupire-t-il, la fatigue pesant sur chaque syllabe. Ce n'est pas toi. C'est juste que... je n'ai plus rien. Plus d'attache. Plus de passé qui m'ancre quelque part. Tout ce qui faisait de moi quelqu'un... a disparu.

Yan reste silencieux un moment, son regard devenu plus sérieux, plus profond. Il connait l'histoire de Jonas, les tragédies qui l'ont façonné, en tout cas ce que lui as confié son ami. La perte de ses grands-parents semble avoir réveillé des blessures plus anciennes. Il se penche vers lui, un peu plus sévère cette fois.

— Tu as un passé, Jo, dit-il, insistant sur chaque mot. Un passé qui t'a forgé, qui fait de toi l'homme que tu es aujourd'hui. Plein de talents. Sûr de toi. Charismatique, avec cette gueule d'ange qui fait craquer des millions de fans. Tu n'as pas perdu ça.

Jonas rouvre les yeux, mais cette fois, il ne put cacher l'amertume qui s'y reflétait. Il secoua la tête lentement, comme pour se débarrasser des compliments qui ne résonnaient plus en lui.

— Je n'ai pas toujours été comme ça, murmura-t-il, à peine audible, comme s'il se parlait plus à lui-même qu'à Yan. Ce que tu vois... ce que les autres voient... ce n'est qu'une façade.

— Tu es acteur, Jo ! C'est normal qu'il ne s'aperçoivent pas de qui tu es. C'est toi qui as toujours voulu protégé le vrai « toi ». Tu veux révéler au monde entier ce que tu caches derrière Jonas Dupré ?

Le silence s'épaissit dans la cabine, seulement perturbé par le faible bourdonnement des moteurs.

— Non.

Aux États-Unis...

Les jours s'égrènent, un après l'autre, comme si rien n'avait changé. La routine de Jonas se réinstalle doucement, presque naturellement, comme un vieux manteau qu'il aurait laissé de côté trop longtemps. Le plateau de tournage redevient son univers, un monde où chaque détail lui est familier. Les caméras, les projecteurs, les micros suspendus, tout cela forme une symphonie silencieuse qui berce ses journées.

Il retrouve ses marques parmi l'équipe, échangeant des plaisanteries avec les techniciens, partageant des cafés trop forts avec les maquilleurs, et retrouvant cette complicité unique avec ses partenaires à l'écran. Les rires, les discussions sur les scènes à venir, les petits rituels d'avant tournage, tout cela lui rappelle pourquoi il aime ce qu'il fait. Chaque interaction ravive un peu de cette flamme qu'il pensait avoir perdue. Les caméras tournent, et il devient Ludvig avec une aisance déconcertante.

Sur le plateau, Jonas se fond dans son rôle, presque avec soulagement. Ludvig devient son refuge, un masque qu'il porte avec une aisance qui frôle la perfection. Il retrouve la force de combattre à l'épé, ses gestes précis et puissants, chaque mouvement trahissant des années d'entraînement et d'expérience. Les cascades, les chorégraphies de combat, tout cela coule en lui comme une seconde nature. Quand il doit s'en prendre à des loups-garous imaginaires, se battant contre le vide devant des fonds verts, il s'y jette corps et âme, son visage tordu par la rage et la détermination, comme si ces créatures étaient réelles, comme si chaque coup porté avait une signification plus profonde.

Mais ce n'est pas seulement l'action qui le ramène à la vie. Les scènes plus intimes, où Ludvig se débat avec ses propres démons, où il laisse entrevoir ses vulnérabilités, sont celles où Jonas brille le plus. Il navigue à travers une vaste palette d'émotions, passant de la colère à la tristesse, de la douleur à l'espoir, avec une fluidité qui captive tous ceux qui l'observent. Chaque regard, chaque geste, tout est chargé d'une intensité qui va bien au-delà de la simple interprétation. Ludvig souffre, aime, combat pour ce en quoi il croit, et à travers lui, Jonas exorcise ses propres démons.

Ces moments de jeu sont cathartiques pour lui. Ils lui rappellent qu'il n'a rien perdu, malgré ces quelques mois d'éloignement, malgré le vide qu'il ressent parfois en dehors des projecteurs. Ludvig est toujours là, puissant et complexe, un miroir déformé de ce que Jonas pourrait être. Et à travers ce personnage, il retrouve un peu de lui-même, de cette force intérieure qui l'a toujours porté, même dans les moments les plus sombres.

L'équipe de tournage le sent aussi. Ils voient ce regain d'énergie, ce retour en force. Les sourires échangés, les tapes dans le dos après une bonne prise, tout cela renforce ce sentiment qu'il est à sa place ici, devant la caméra, dans la peau d'un autre.

Mais, au-delà de la façade, Jonas sait que quelque chose a changé en lui. Il est différent, plus conscient de ses failles, de ses blessures. Chaque scène est un rappel que, même s'il peut jouer des héros invincibles, il reste un homme, avec ses fragilités, ses doutes, et ses peurs. Pourtant, c'est aussi ce qui le rend plus authentique, plus vrai. Il a été façonné par les années, marqué par les épreuves, mais il réalise que cela ne l'a pas affaibli. Au contraire, cela a enrichi son jeu, apportant une profondeur nouvelle à ses performances.

Quand la journée de tournage s'achève, quand les caméras s'éteignent et que le silence retombe sur le plateau, Jonas reste un moment, seul, à regarder autour de lui. Il respire profondément, absorbant l'odeur familière du bois et du métal, le doux murmure des derniers techniciens qui rangent leur matériel. Un sourire furtif éclaire son visage, un sourire qui dit qu'il a peut-être trouvé ce qu'il cherchait, sans même savoir qu'il était en quête de quelque chose.

Finalement, rien n'a changé... et pourtant, tout est différent.

Un mois et demi plus tard - 15 août...

Le soleil d'août baignait la terrasse d'une chaleur douce et apaisante. Lola est assise sur le balcon dans son fauteuil en coquille d'œuf, ses pieds nus reposant nonchalamment sur la balustrade. Elle savoure le calme de cette matinée d'été, les rayons du soleil caressant sa peau dorée, profitant de ce moment de tranquillité avant que la journée ne s'enflamme.

Jonas émerge à peine, les cheveux encore ébouriffés par une nuit courte et troublée, une tasse à la main. La veille, il avait célébré la fin du tournage de la saison 6 de « Aliénor », une fête remplie d'euphorie et d'excès, où il avait tant bien que mal limité sa consommation d'alcool.

Lola, assise avec grâce, tourne la tête vers lui lorsqu'il sortit sur le balcon.

— Bien dormi ? demande-t-elle doucement, un sourire aux lèvres, ses orteils jouant avec le faux gazon sous ses pieds.

— Comme un loir, répond Jonas, la voix encore enrouée de sommeil.

Il se laisse tomber dans le fauteuil à côté d'elle, se massant la nuque d'un geste las. Un silence confortable s'installe entre eux, rompu seulement par le bruit lointain de la ville qui s'éveillait, et les oiseaux dans les arbres. Lola semble paisible, mais une certaine tension plane. Elle glisse un regard vers Jonas, cherchant une ouverture pour aborder ce qui la préoccupait depuis des semaines.

— Prêt pour le grand départ ? lance-t-elle, un peu trop décontractée, comme si elle dissimulait un sujet plus sérieux derrière cette question.

Jonas hausse les épaules, sans réelle conviction.

— Je crois. Je n'ai pas vraiment le choix, dit-il, ses yeux fixés au loin, fuyant le regard de Lola. Ça va aller pour toi ?

— Bien sûr, Jo. Comme toujours.

Sa réponse était rapide, presque mécanique. Un silence tendu s'étira entre eux, chacun essayant de remplir l'espace vide avec des banalités, mais quelque chose était sur le point de rompre.

Lola se mordit la lèvre, hésitant un instant. Puis elle se redressa légèrement, tournant son corps vers Jonas, son regard plus insistant.

— Tu sais, on devrait vraiment parler de notre avenir, dit-elle d'une voix douce, mais avec cette détermination sous-jacente qu'il connaissait bien.

Jonas ne répondit pas tout de suite, continuant à fixer le paysage devant lui, mais il savait exactement où elle voulait en venir. Lola avait laissé tomber des indices depuis des mois, mais il avait toujours esquivé, repoussé l'échéance, comme s'il pouvait continuer à éviter cette conversation indéfiniment.

— Je veux dire... continua Lola, cherchant ses mots, cela fait combien de temps maintenant ? Six mois, bientôt sept ? Bien sûr, ta relation avec Lorelei a été plus longue mais...

Elle marque une pause, cherchant à capter son attention,

— Mais, je me dis qu'on n'avance pas, Jo. Nous ne construisons rien. Peut-être qu'après ton séjour en France, nous pourrions...

Jonas serra la mâchoire, son corps se raidissant légèrement. Il savait où cette discussion les mènerait, et chaque mot de Lola l'approchait un peu plus du point de rupture.

— Lola...

— Non, écoute-moi ! le coupa-t-elle, sentant qu'il allait une nouvelle fois se défiler. Je ne te demande pas de m'épouser demain, mais je veux qu'on commence à penser à ça. À une vraie vie ensemble.

Sa voix se fit plus pressante, plus vulnérable aussi.

— Jonas, tu es une star internationale et... toutes les femmes te désir...

— C'est avec toi que je suis, non ? rétorque-t-il agacé.

— Oui mais... tu pourrais aussi partir du jour au lendemain !

— Je pourrais aussi divorcer si nous étions marié !

— Non. Tu n'es pas comme ça. En tout cas tu ferais tout pour sauver notre couple si tu t'engages avec moi, j'en suis certaine.

— Je viens de perdre ma seule famille et tu me parle de mariage, soupire-t-il, las et agacé.

— C'est à toi de te créer une nouvelle famille maintenant. Avec moi.

Elle marque une pause, cherchant son regard.

Cette dernière phrase frappe Jonas comme un coup de poing dans la poitrine. C'est brutal, trop brutal, même venant de Lola. Il sent son cœur se serrer, un flot d'émotions contradictoires l'envahir : colère, tristesse, désarroi. Les visages de ses grands-parents apparaît devant ses yeux, rappel cruel de sa solitude. C'est trop tôt. Beaucoup trop tôt.

— Arrête.

Sa voix était froide, tranchante. Il repousse sa chaise brusquement, faisant racler les pieds métalliques contre le sol. Lola se redresse elle aussi, la frustration montant en elle.

— Quoi ? Je dis juste ce que tu refuses d'admettre. Tu ne peux pas fuir toute ta vie, Jonas ! Tu ne peux pas vivre dans le passé pour toujours.

Ses mots étaient durs, teintés de cette impatience qu'elle masquait d'habitude derrière son charme et son calme. Jonas la regarde enfin, et dans ses yeux, elle vit une colère froide qui la surprit.

— Je ne fui pas, répliqua-t-il, sa voix basse et contrôlée, mais chaque mot était chargé d'une tension palpable. Mais je ne suis pas prêt à te donner ce que tu veux, pas maintenant.

Lola croise les bras, sentant la colère monter elle aussi.

— Et quand seras-tu prêt, Jonas ?

Elle le défi du regard, ses mains tremblantes.

— Quand il sera trop tard ? Quand on se sera éloignés à force de ne pas avancer ?

Le silence qui suivit fut glacial. Jonas serre les poings, sentant la rage monter en lui, une rage qu'il n'arrivait plus à contenir. Il pose brusquement sa tasse sur la table, le bruit résonne comme une gifle, et sans un mot de plus, il traverse la pièce à grands pas et claque la porte de la salle de bain derrière lui.

Sous la douche, Jonas tourna l'eau brûlante, espérant que la chaleur intense puisse apaiser la tempête intérieure qui le déchire. L'eau coule en torrent sur son visage, noyé de larmes trop longtemps contenu, mais cela n'éteint pas le feu qui consume son cœur. Les mots de Lola tournent en boucle dans sa tête.

De l'autre côté, Lola à le cœur lourd. Elle sait qu'elle a poussé trop loin mais elle a bien conscience aussi que les couples dans ce milieu-là sont fragile. Elle ne veut pas le perdre... perdre sa notoriété non plus. Elle a réussi à obtenir certains contrat grâce à sa fréquentation avec lui. Elle l'aimait, profondément, mais parfois son propre désir d'avancer prenait le dessus, sans qu'elle ne puisse contrôler cette impulsion. Après un moment d'hésitation, elle se lève. Elle ouvre doucement la porte, un nuage de vapeur l'enveloppe. Elle entre dans la douche sans un mot, se glissant derrière lui, laissant l'eau brûlante couler sur sa peau. Elle passe ses bras autour de sa taille, pressant son corps contre le sien. Jonas, tendu, ne réagit pas immédiatement.

— Je suis désolée, murmura-t-elle contre son dos, sa voix tremblante d'émotion. Je n'aurais pas dû...

Jonas ferma les yeux, se laissant envahir par le contact de sa peau contre la sienne, par ce mélange d'amour et de désir sauvage qui ne les quitte jamais complètement. Il se retourne brusquement, ses lèvres trouvant les siennes avec une urgence presque animale. L'eau ne semble plus suffisante pour éteindre la flamme qui les consument tous les deux à cet instant. Leurs corps s'enlacèrent, se pressèrent l'un contre l'autre, leur passion éclatant dans cette douche devenue un sanctuaire de leurs étreintes sauvages.

Entre eux, les mots sont inutiles tout passe par ce contact brûlant, par cette fusion intense qui faisait oublier à Jonas, ne serait-ce que quelques instants, les fantômes de son passé.

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