Chapitre 16

Un mois et demi plus tard - 15 août...

Nelly sent de plus en plus le poids de l'absence de Bertrand. Deux semaines qu'il n'est pas rentré à la maison, laissant un vide palpable dans leur petit village. La solitude s'installe sournoisement malgré leurs quelques échanges téléphoniques et les rares appels Skype. La caméra floue et les conversations hachées n'étaient qu'un pâle reflet de la proximité dont elle avait cruellement besoin.

Un soir, alors qu'elle s'affairait à plier les petites chemises de Louis pour les vacances, son téléphone vibra sur la table de la cuisine. L'écran lumineux affichait le nom de Bertrand. Une boule se forma dans sa gorge. Elle inspira profondément avant de décrocher, tentant de calmer son cœur qui battait trop vite.

— Allô, Bertrand ? répondit-elle d'une voix qui trahissait à la fois l'inquiétude et une certaine fatigue.

— Salut. Désolé, je suis en retard, le tournage s'est éternisé.

Sa voix était distante, presque désincarnée, comme si elle venait d'un autre monde, d'une autre vie.

— Ça fait deux semaines que tu n'es pas rentré.

Sa phrase tomba d'un coup, lourde de reproches qu'elle n'avait pas voulu formuler aussi directement. Le silence qui suivit fut glacial.

— Nelly, tu sais que je fais tout ça pour nous, répondit-il, déjà sur la défensive. Je travaille pour que tu puisses rester là-bas avec Louis, tranquille.

— Tranquille ?

Elle sent un mélange de colère et de douleur monter en elle.

— Je ne suis pas « tranquille », Bertrand ! Je m'occupe de tout ici. De Louis, de la maison, des papiers, de nos relations sociales...

Sa voix se brise légèrement, mais elle se reprit.

— J'ai besoin de toi ici, avec nous.

Elle s'attendait presque à ce qu'il comprenne, qu'il s'excuse. Mais ce fut tout l'inverse.

— Et tu penses que je ne travaille pas ?

Sa voix monta d'un cran.

— Tu crois que c'est facile ? Que je passe mes journées à me la couler douce à Paris ? C'est moi qui ramène l'argent. Sans moi, tu n'aurais pas cette belle maison, ni toutes ces vacances dont tu profites.

Les mots de Bertrand la frappèrent comme une gifle. Ses yeux s'embuèrent, mais elle refusait de pleurer. Pas cette fois.

— Je ne profite de rien ! s'emporta-t-elle, avant de reprendre un ton plus calme, mais plus douloureux. Je veux juste que tu sois là, pour nous... pour Louis. Il grandit tellement vite, et tu n'es pas là pour voir ça.

Un autre silence s'installa, encore plus pesant. Bertrand soupira lourdement à l'autre bout du fil.

— Je rentrerai quand je pourrai. Ne commence pas avec tes scènes, Nelly.

Sa voix trahissait l'agacement, comme s'il essayait d'écourter une discussion qu'il jugeait sans importance.

— Des scènes ? murmura-t-elle, la gorge serrée. C'est ça que tu penses ? Que je fais des scènes ?

Elle ferma les yeux, essayant de retenir les larmes qui menaçaient de déborder. Elle se sentait piégée, incomprise, terriblement seule.

— Écoute, j'ai encore du travail. On parlera plus tard, d'accord ?

Nelly resta figée, le téléphone toujours dans la main, le cœur lourd et la gorge nouée. Elle cligna des yeux, chassant une larme avant qu'elle ne coule, mais la douleur était trop présente pour être dissimulée plus longtemps. Ses épaules s'affaissèrent, comme sous le poids d'un fardeau invisible, et elle reposa lentement le téléphone sur la table de la cuisine.

— Et nos vacances, murmura-t-elle pour elle-même, la voix brisée par une tristesse qu'elle n'avait plus la force de contenir.

Le silence de la maison devint soudain oppressant, un contraste cruel avec les souvenirs heureux qu'elle avait imaginés pour cette période. Elle pensait à ces instants qu'elle aurait voulu partager avec Bertrand, ces petits moments de bonheur qu'ils n'avaient jamais pu vivre à trois. Mais ils restaient des rêves non réalisés, des attentes qui s'évanouissaient à mesure que les jours passaient, sans lui.

Elle se laissa tomber sur une chaise, la tête entre les mains, épuisée. Un tourbillon de pensées l'envahit, se heurtant dans un chaos douloureux. Tous ces souvenirs qu'elle créait depuis la naissance de Louis, elle les vivait seule. Les premières fois : ses premiers pas maladroits, ses rires éclatants devant les animaux au zoo, son émerveillement à l'aquarium... Toutes ces petites victoires quotidiennes, ces moments qu'elle aurait voulu partager avec Bertrand, il n'en avait rien vu. Il était toujours ailleurs, absorbé par ses tournages, ses voyages, ses obligations. Certes, sa carrière avait décollé de façon fulgurante, et elle s'était efforcée de le soutenir, d'être cette épouse compréhensive. Mais à quel prix ?

— Il n'a même pas été là pour ses premiers mots, murmura-t-elle en se mordant les lèvres, tentant de ne pas craquer.

Louis avait dit « mama » en premier, un matin doux de printemps, et elle avait été submergée par la joie. Mais cette joie avait été éclipsée par une ombre persistante, celle de l'absence de Bertrand. Il aurait dû être là, avec eux. Ne pouvait-il pas s'accorder quelques moments pour elle ? Pour leur fils ?

Un sentiment d'injustice monta en elle. Elle lui avait offert le soutien dont il avait besoin. Mais maintenant, elle se sentait abandonnée, dévalorisée et elle se demandait si elle avait encore une place dans sa vie, autre que celle de la femme à la maison.

Elle ferma les yeux, tentant de se calmer, mais la tristesse ne se dissipait pas. Au lieu de cela, un sentiment de résignation commençait à s'installer. Elle avait tenté, pendant des mois, de se convaincre que tout irait mieux, qu'il reviendrait à elle, qu'ils retrouveraient cette complicité qui les avait unis au début. Mais chaque jour qui passait semblait l'éloigner un peu plus de cet espoir.

— Je me sens piégée, souffla-t-elle, la voix à peine audible dans le silence de la pièce.

Ce mariage, cette vie... Ce n'était pas ce qu'elle avait imaginé. Au fond d'elle, elle avait rêvé d'une vie simple mais heureuse, de moments partagés en famille, de rires et de complicité. Elle voulait une vie où ils seraient là l'un pour l'autre, où ils élèveraient leur fils ensemble. Mais ce rêve semblait s'effriter à chaque nouvel appel manqué, chaque absence prolongée.

Louis la tira de ses pensées. Son fils, dans son innocence joyeuse, avançait vers elle, à trois pattes, dans une manière bien à lui d'avancer, un jouet à la main, ses yeux pétillants de curiosité. Un sourire se forma sur les lèvres de Nelly, malgré la tristesse qui lui étreignait le cœur.

— Viens là, mon trésor, murmura-t-elle en tendant les bras.

Elle le souleva délicatement, le serrant contre elle, sentant la chaleur réconfortante de son petit corps. Louis babillait joyeusement, inconscient des tourments de sa mère. Il était son ancre, le seul point de repère stable dans ce chaos émotionnel. Elle embrassa doucement son front, en respirant son odeur de bébé, comme pour se donner du courage.

— C'est toi et moi, mon cœur, chuchota-t-elle, sa voix brisée par l'émotion. Toi, moi et tata pour les vacances.

— Tata !

Le rire cristallin de Louis la fit sourire malgré elle, et elle caressa tendrement ses cheveux bruns. Il grandissait si vite, et elle se demandait combien de moments encore elle vivrait seule, sans que Bertrand ne soit là pour partager ces étapes précieuses.

Elle se leva, Louis toujours dans ses bras, et se dirigea vers le salon où les bagages étaient déjà en partie prêts pour les vacances. La préparation des valises lui semblait amère, comme une tâche mécanique qui lui rappelait encore une fois l'absence de son mari. Elle attrapa une chemise de Louis qu'elle plia soigneusement, ses pensées revenant sans cesse à Bertrand.

Et si tout ça ne s'arrangeait jamais ? pensa-t-elle, son cœur se serrant à l'idée que ce qu'elle vivait pourrait être leur nouvelle normalité. Et si ce vide ne se comblait jamais ?

Elle soupira.

Tu t'es engagé. Pour le meilleur et pour le pire, songea-t-elle amèrement. Quand on traverse « le pire », il ne reste forcément que le meilleure à venir, non ?

Mais elle ne pouvait pas s'attarder trop longtemps sur ces pensées. Louis la regardait avec ses grands yeux bruns, plein de confiance et elle ne pouvait pas se permettre de sombrer devant lui. Alors, elle continua à préparer les affaires, à plier les vêtements, à planifier leur départ, tentant de refouler cette tristesse profonde qui menaçait de l'engloutir.

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