Chapitre 15

La petite maison où Nelly a grandi n'a pas changée, comme un témoin silencieux de son enfance. Les murs beiges, légèrement usés par le temps, et le toit de tuiles rouges, toujours aussi familier, lui donnent un sentiment de sécurité, comme si ce lieu était immuable face aux changements constants de sa vie.

Chaque semaine, elle vient rendre visite à son père, et chaque semaine, la nostalgie la submerge dès qu'elle franchit le seuil du jardin parfaitement entretenu. Louis, blotti contre elle, s'agite joyeusement, ses petites mains tendues vers le vieil homme qui s'approche avec son sourire habituel. Pierre, le père de Nelly.

— Ma petite fille chérie. Comment vas-tu ?

La voix douce de Pierre, teintée d'une affection profonde, réchauffe toujours le cœur de Nelly. Elle hausse les épaules en lui confiant Louis, qui éclate de rire en voyant son grand-père. Pierre, le visage illuminé d'un sourire large et tendre, prend délicatement son petit-fils dans ses bras. Il a l'air si fier à chaque fois qu'il le tient, comme si ce petit être représentait tout ce qu'il avait accompli dans la vie.

— Regarde-le ce bonhomme ! s'exclama Pierre en le soulevant légèrement, ses yeux pétillants de fierté.

Louis, avec ses grands yeux chocolat et sa tignasse brune en bataille, est le portrait craché de Nelly petite, et cela ravissait son grand-père. Pierre caresse tendrement la tête de Louis avant de lancer un regard amusé à Nelly.

— On s'installe sur la terrasse, papou ?

— Oui, ma chérie, répondit-il avec sa douceur coutumière, déjà pressé de passer ce moment de complicité avec son petit-fils.

Nelly déposa rapidement les sacs dans le salon, jetant un coup d'œil rapide aux jouets dispersés qui attendaient Louis. Tout était familier, rassurant. Elle se dirigea vers la cuisine, où Pierre s'affairait déjà à sortir la citronnade et une bouteille de bière pour eux. Tout cela faisait partie de leur rituel, une petite routine qui n'avait jamais vraiment changé au fil des ans.

— Attends, donne-moi Louis, demanda-t-elle en tendant les bras vers son fils.

Elle le prend doucement et commença à le couvrir de baisers dans le cou. Les rires cristallins de Louis résonnent dans la pièce, emplissant la maison d'une joie innocente qui semblait éclairer chaque recoin.

— Bertrand n'est pas rentré ? demanda Pierre en s'installant, allumant sa pipe d'un geste tranquille, tout en surveillant d'un œil attentif son petit-fils qui joue à ses pieds.

Nelly soupire. Son mari, aurait dû être là, mais comme souvent ces derniers temps, le tournage s'était prolongé. Encore une fois.

— Beaucoup de travail... Il devrait rentrer mardi, normalement.

— Pas facile, la vie d'acteur, répondit Pierre en souriant, bien que son regard trahissait une pointe de tristesse.

Il savait combien ce rythme affecte sa fille.

— Non, mais c'était son rêve. C'est bien qu'il le réalise...

Nelly resta un instant silencieuse, contemplant la bouteille de citronnade qu'elle venait d'ouvrir. Ses doigts jouaient avec le bouchon, signe qu'une certaine tension la rongeait. Elle releva la tête vers son père.

— Tu le penses vraiment ? questionne doucement Pierre, la pipe au coin des lèvres.

Il lit en elle comme dans un livre ouvert. Le regard de Nelly se perd un instant dans le vide. Elle aime Bertrand, bien sûr, mais il y a des moments où elle se demande si elle ne s'est pas trompée quelque part dans ses choix. Ce n'est pas que Bertrand ne fait pas attention à eux, mais plutôt que leur vie ressemble de moins en moins à celle qu'elle avait imaginée. Elle répondit enfin, d'une voix plus hésitante :

— Je... oui et non. Je suis contente pour lui, c'est vrai, mais... ce n'est pas comme ça que je voyais ma vie. Je pensais à quelque chose de plus... classique.

Pierre l'écoute en silence, hochant doucement la tête, comprenant sans juger. Il sait que Nelly a toujours rêvé d'une vie de famille paisible. Mais il respecte aussi les choix qu'elle a faits avec Bertrand.

— C'est normal de se poser des questions, ma fille, finit-il par dire en expirant doucement une bouffée de fumée. Mais tu as su construire ta propre vie, et je suis fier de toi.

Nelly esquisse un sourire triste. Son père a toujours su trouver les mots pour la réconforter. À cet instant, un rire éclatant interrompit la conversation. Louis vient de tomber sur les gesses et cela l'amuse. Pierre s'agenouille à ses côté, observant avec un regard attendri chaque geste de son petit-fils.

— Il commence à se redresser tout seul en s'aidant des meubles, dit Nelly, un brin de fierté dans la voix.

— Il grandit tellement vite !

L'idée que son petit-fils soit déjà à ce stade de développement le comble de joie. Sa fierté de grand-père déborde de chaque pore de sa peau. Il se penche encore plus près, espérant voir Louis à l'œuvre.

— Montre à papou comment tu fais, petit bonhomme, murmure-t-il avec tendresse, son visage rayonnant d'excitation, comme s'il assistait à un moment historique.

Louis, absorbé dans son propre monde, saisit le coin du tapis, puis tâtonne jusqu'à trouver le pied du salon de jardin. Il se hisse maladroitement, ses petites jambes tremblantes mais résolues, tandis que Pierre, bouche bée, retint son souffle.

— Bravo, Louis ! s'exclame Pierre, le cœur débordant de fierté et d'admiration. T'es incroyable, mon grand !

Il se tourne vers Nelly, les yeux brillants.

— Il est génial, tu te rends compte ? dit-il, ému, comme s'il découvrait chaque jour un nouveau miracle avec Louis.

Le lien entre ce grand-père et son petit-fils est palpable, vibrant de tendresse. Nelly les observe avec un sourire attendri, son cœur se réchauffant à la vue de cette complicité naturelle entre eux. Voir son père redevenir un enfant lui-même, à genoux, jouant avec Louis, la remplit d'une émotion douce-amère. Elle repense à son propre passé, à ces moments où Pierre avait toujours été là pour elle, un pilier inébranlable de tendresse et de soutien. Il jouait ce même rôle, maintenant, pour son petit-fils.

— Il faut vraiment le surveiller, maintenant, dit-elle avec un sourire amusé, tout en posant une main légère sur l'épaule de son père.

Pierre hoche la tête, toujours captivé par les gestes maladroits mais déterminés de Louis.

— Ne t'inquiète pas, ma chérie. Je veille sur lui. Comme je l'ai fait pour toi, toujours.

Nelly le regarde avec affection. Elle sait que, peu importe où la vie la mènerait, son père serait toujours là, veillant sur elle, et maintenant, sur son fils.

La chaleur de l'été semble écraser Nelly sous son chandail, pourtant léger. L'air lourd, presque suffocant, alourdissait ses mouvements, et la sueur perlait doucement sur sa nuque. Son père, attentif à tout, ne mit pas longtemps à le remarquer.

— Retire ton pull, ma chérie, tu meurs de chaud, lui conseille-t-il en jetant un regard bienveillant vers elle, tout en terminant d'installer le parc pour Louis.

Pierre, avec son côté papa-poule, ne peut s'empêcher de veiller sur sa fille, même dans les moindres détails. Il arrange soigneusement les coussins dans un coin d'ombre pour son petit-fils, en ajoutant quelques jouets colorés qui traînaient à proximité. Tout devait être parfait pour que Louis puisse s'amuser en toute sécurité pendant qu'il se chargerait du barbecue.

— Non, ça va, je t'assure, répondit Nelly d'un ton faussement rassuré.

Elle tire nerveusement sur la manche de son pull, l'air absente. Pierre la fixa un instant, plissant légèrement les yeux. Il ressent quelque chose de différent chez elle, mais ne dit rien pour l'instant.

— Tu peux me ramener la viande et les plats ? lui demande-t-il avec ce même ton doux et protecteur, tout en portant Louis jusqu'au coin de jeu qu'il venait de préparer.

— Bien sûr, je m'en occupe, répondit Nelly, ravie d'avoir une excuse pour s'éloigner un instant.

Elle se dirige vers la cuisine d'un pas rapide, saisissant une bouffée d'air. Quelques minutes plus tard, elle réapparait, les bras chargés de barquettes de viande, de plats et de couvert spécial cuisson. Alors qu'elle avance maladroitement vers la terrasse, le plastique d'une barquette se prend dans les mailles de son chandail, soulevant sa manche sans qu'elle n'y prête attention. Elle grogne doucement en essayant de s'en débarrasser, mais son mouvement attire l'attention de son père.

Pierre, en la voyant se débattre s'approche pour l'aider. Son regard s'attarde sur son avant-bras, où un bleu profond se dessine nettement contre la peau de Nelly. Son cœur se serra immédiatement.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il, sa voix subitement plus grave, tout en attrapant la main de Nelly avec une vive douceur.

Nelly sent sa poitrine se comprimer douloureusement, un nœud se formant dans son ventre. Elle retire sa main doucement, ne voulant pas que son père devine la tempête intérieure qui l'agitait.

— Rien de grave, répondit-elle en essayant de sourire, mais son visage reste tendu. J'ai tendance à rencontrer les meubles de la maison à cause de la fatigue. Tu me connais, j'ai deux pieds gauches, plaisante-t-elle faiblement en tirant sa manche vers le bas, comme pour effacer la preuve de sa maladresse.

Pierre n'est pas convaincu. Son instinct de père lui cri qu'il y a plus derrière cette excuse. Il la scrute longuement, comme il l'a toujours fait quand elle était enfant et tentait de cacher ses petits bobos. Nelly évite son regard, trop consciente que son père, avec son amour inconditionnel, pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert.

— Ce n'est rien d'autre ? demanda-t-il, les sourcils froncés.

Le nom de Bertrand flotta dans l'air, implicite, lourd de sous-entendus. Il ne voulait pas poser la question de front, pas encore.

— Comme quoi ? Bertrand ? répond-t-elle avec un ton léger. Il n'est presque jamais là, papou.

Elle se détourne pour se pencher vers Louis, jouant distraitement avec ses petites mains potelées. Elle se réfugie dans ce rôle de mère, espérant que son père abandonne le sujet. Louis gazouillait, inconscient de la tension dans l'air, tandis que Nelly, elle, tente désespérément de dissimuler son malaise.

Pierre laisse planer un silence, son regard toujours fixé sur elle. L'inquiétude le ronge*, mais il respecte aussi les non-dits que Nelly semble vouloir imposer.

— Tu sembles tracassée, je me trompe ? s'inquiéte-t-il finalement, incapable de rester silencieux plus longtemps.

— Non, ça va...

Elle inspira profondément.

— Je suis juste un peu... éreintée.

Elle se redressa légèrement, évitant encore une fois le regard perçant de son père.

— Tu es inquiète à cause du travail de ton mari ? essaye-t-il encore.

— Non, papa. Tout va bien. Vraiment.

Elle le dit, mais même elle ne semblait pas y croire. Son ton manquait de conviction. Pierre la dévisage, son cœur se serrant un peu plus. Il connaissait ce regard lointain, ce sourire forcé. Un père reconnaît ces signaux, même dans les silences.

— En tout cas, j'ai vu Bertrand hier, à la télé ! tente-t-il de changer de sujet, dans l'espoir de détendre l'atmosphère. Il donne bien à l'écran.

Nelly releva la tête, surprise.

— Ah oui ? Il ne m'a rien dit.

— C'était en direct, aux informations. Il faisait la promotion de son film, je crois. Et il parlait d'un autre tournage, bientôt.

Les mots s'enfoncèrent dans l'esprit de Nelly comme une lame. Un autre tournage ? Elle fronça légèrement les sourcils. Était-ce un détail qu'elle avait oublié ? Ou bien... Bertrand n'avait-il simplement pas pris la peine de lui en parler ?

Son cœur s'alourdissait, alors que mille questions tourbillonnaient dans son esprit. Avec le bébé, l'épuisement, et les nombreuses absences de Bertrand... Peut-être avait-elle omis des informations importantes. Mais un autre tournage ? Comment avait-elle pu ne pas être au courant ?

Pierre remarqua le changement dans l'expression de sa fille, la confusion et la tristesse qui assombrissaient son visage. Il posa une main rassurante sur son épaule.

— Il doit être très pris, ce n'est pas toujours évident, lança-t-il doucement, tentant de dissiper la tension.

— Oui... murmura Nelly, la voix à peine audible.

Mais son esprit était ailleurs, déjà en train de ressasser les non-dits, les absences de Bertrand, les moments où elle s'était sentie si seule, malgré la présence de leur fils. Pierre, sentant la tempête intérieure de sa fille, se leva avec un sourire tendre.

— Allez, viens m'aider à faire le barbecue ! Ça te changera les idées.

Il lui offre un sourire chaleureux, paternel, celui qui, depuis son enfance, avait toujours eu le don d'apaiser ses peurs. Nelly lui sourit en retour, reconnaissante de ne pas insister davantage.

— D'accord, répondit-elle finalement, ravie d'avoir un moment simple et léger avec lui, loin de ses préoccupations. 

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