Chapitre 14 - Jonas

Le soleil baignait la cour d'une lumière dorée, et il ne pouvait détacher son regard d'elle. La brise légère soulevait par moments l'ourlet de sa robe blanche en coton, qui semblait si fluide, si légère, qu'elle épousait chacun de ses mouvements avec une grâce naturelle. La robe paraissait presque flotter autour d'elle, comme si elle faisait partie du vent, insaisissable, éthérée. Sa longue chevelure brune était nouée en une tresse soignée, et chaque pas énergique qu'elle faisait imprimait à cette tresse un mouvement de balancier hypnotisant, berçant son regard et son cœur à l'unisson.

Il la contemplait, son souffle légèrement suspendu, comme si le simple fait de la voir ainsi était un cadeau qu'il ne méritait pas. Elle lui paraissait inaccessible, un rêve qu'on effleure du bout des doigts sans jamais pouvoir le saisir vraiment. Et pourtant... elle lui avait déjà parlé plusieurs fois, avec cette simplicité et ce naturel qui rendaient leur moindre interaction presque irréelle à ses yeux. Elle, cette fille si vibrante de vie, si à l'aise dans ce monde, l'avait choisi pour quelques mots. Lui, qui n'était rien d'autre qu'un garçon ordinaire, venu en cours d'année, tâchant simplement de s'intégrer dans une école où tout le monde semblait déjà avoir sa place, son groupe, ses repères.

Son cœur accélérait légèrement chaque fois qu'il pensait à leurs brèves discussions. Il n'avait rien pour plaire, ou du moins c'était ce qu'il croyait. Ses traits étaient banals, ses vêtements simples, il n'avait ni l'allure assurée des autres garçons, ni la facilité avec les mots. Rien, sauf peut-être ses yeux, ces prunelles claires qui captaient souvent l'attention, bien malgré lui.

Avec un soupir, il détourna le regard, essayant de réprimer cette admiration silencieuse qui lui étreignait la poitrine. Rêver d'elle ne menait à rien. Il se força à baisser les yeux sur son cahier de mathématiques, le seul terrain où il se sentait à l'aise. Les lignes de chiffres et d'équations étaient un refuge, un endroit où tout avait un sens, où il pouvait exceller sans avoir à se soucier de ses maladresses sociales.

À défaut d'être un tombeur, il pouvait au moins se vanter d'être un élève studieux, et cela avait toujours suffi pour lui offrir un semblant de satisfaction. Gaucher de surcroît, il s'était habitué aux commentaires des enseignants et des autres élèves sur cette particularité, qui, au fil des ans, lui avait appris à cultiver une écriture lisse et délicate, comme pour contrer le destin. La rigueur de son écriture contrastait avec le désordre de ses pensées.

Absorbé par son travail, il sursauta lorsque deux mains fines et délicates se posèrent de chaque côté de son cahier. Il reconnut immédiatement l'odeur : un parfum subtil de lilas et de jasmin, aussi doux que troublant. Un sourire lui échappa malgré lui, un sourire qu'il ne contrôlait pas, comme si son corps avait répondu avant même que son esprit n'ait le temps de réagir. Lentement, il redressa la tête, son cœur battant plus fort, et se retrouva face à ses yeux noisette, brillants de malice et de cette joie contagieuse qui semblait toujours l'habiter.

— Salut ! dit-il, la voix trahissant légèrement son trouble.

Sa gorge s'était subitement asséchée, et il dut faire un effort pour paraître détendu, bien que tout chez elle le déstabilisait.

— Pas de romance du dix-huitième aujourd'hui ? plaisanta-t-elle, avec un clin d'œil amusé.

Il rit doucement, un peu gêné car son goût pour la littérature romantique n'était pas vraiment considéré comme « cool » dans leur milieu.

— Non, pas aujourd'hui, répondit-il, essayant de dissimuler son embarras derrière un sourire timide. Qu'est-ce que tu fais là ?

Son cœur battait plus vite, comme s'il savait déjà que quelque chose d'important allait se produire, mais sans oser l'espérer.

Elle se mordilla légèrement la lèvre, un geste presque imperceptible, mais qui ne fit qu'accentuer la tension du moment. Elle joua avec une mèche de sa tresse avant de le regarder droit dans les yeux, avec une sincérité désarmante.

— Je... me demandais si... si tu accepterais de m'accompagner à la fête de Bettina ce samedi ?

Le monde sembla s'arrêter l'espace d'un instant. Tout bruit extérieur s'évanouit. Il sentit son cœur rater un battement, son cerveau ayant besoin d'une seconde supplémentaire pour traiter l'information. Elle l'invitait. Lui. Lui qui s'était toujours vu en retrait, un peu dans l'ombre. Il avait dû mal entendre. Pourtant, elle le regardait toujours, avec cette lueur d'attente dans ses yeux.

— Moi ? demanda-t-il, incrédule, sa voix hésitante.

Il aurait voulu paraître plus sûr de lui, mais la surprise et l'incrédulité l'avaient pris de court. Lui, le garçon réservé, discret, presque invisible, se voyait soudainement propulsé au centre de son attention. Il cligna des yeux plusieurs fois, essayant de se convaincre qu'il ne rêvait pas.

— Oui, toi, confirma-t-elle avec un sourire complice, comme si elle trouvait adorable sa réaction.

— Debout, Don Juan ! On arrive.

La voix de Yan perça à travers le voile de sommeil de Jonas, mais il refusa de l'accepter. Un grognement sourd s'échappa de ses lèvres alors qu'il s'enfouissait plus profondément sous la couverture, cherchant à échapper à la réalité. Le monde extérieur pouvait bien attendre. Tout ce qu'il voulait, c'était rester ici, dans la chaleur réconfortante du lit, loin des responsabilités, des attentes, et de ses pensées troublées.

— Jonas... Le ton de Yan se fit plus pressant, mais toujours empreint de cette patience teintée d'amusement qu'il réservait à ces moments-là. Allez, Jo, fais pas l'con. Grouille-toi !

L'asiatique soupira bruyamment, puis, dans un geste théâtral, tira la couette avec une force exagérée, découvrant Jonas en un seul mouvement fluide. Le froid de la cabine du jet privé mordit aussitôt la peau de Jonas, et il se redressa d'un coup, lançant à Yan un regard noir, encore engourdi de sommeil. Ses cheveux en bataille et ses paupières mi-closes trahissaient son humeur.

— T'es infernal, tu le sais ça ? grogna Jonas, la voix rauque, tout en se levant avec difficulté.

— Je sais, je sais, répondit Yan avec un sourire en coin. Mais tu m'adores quand même.

Il lui lança un regard complice, sachant pertinemment que Jonas n'était pas du matin, surtout après un vol transatlantique. L'amitié qu'ils partageaient depuis des années permettait à Yan d'insister sans vraiment craindre de franchir la limite.

Jonas, bougon, traîna des pieds jusqu'à la petite salle de bain du jet. Il ferma la porte d'un coup sourd, espérant trouver un moment de répit avant d'affronter la journée. Une douche chaude s'imposait, le seul remède à cette torpeur qui pesait sur ses épaules.

L'eau brûlante qui ruisselait sur sa peau le réveilla peu à peu, apaisant les tensions accumulées par le manque de sommeil et les pensées parasites qui l'assaillaient en permanence. Le souvenir de Lola et de ce qu'il laissait derrière lui resurgit, une vague de mélancolie traversa son cœur. Pourtant, il devait avancer, pour elle, pour lui, pour ne pas se laisser submerger par les émotions contradictoires qui bouillonnaient en lui.

Après quelques minutes, il sortit de la douche, ses cheveux encore humides, mais son esprit un peu plus clair. Le café serré qu'il avala en deux gorgées brûlantes fit le reste du travail, ravivant en lui un semblant de vigueur.

— Ça va mieux ? demanda Yan avec un sourire entendu, alors que Jonas finissait de s'habiller. On peut parler ?

Jonas hocha la tête en silence, encore trop fatigué pour une conversation sérieuse, mais déjà plus enclin à écouter.

— Bien ! Donc, enchaîna Yan avec une excitation contenue, nous atterrissons dans trente minutes.

Il jeta un coup d'œil à son téléphone avant de reprendre.

— On va prendre la voiture jusqu'à l'hôtel, conduit par ton futur chauffeur et protecteur.

L'asiatique ponctua ces derniers mots d'un petit clin d'œil, comme pour ajouter un peu de légèreté à l'information.

— En attendant, j'ai une surprise pour toi...

Jonas leva les yeux de son téléphone, intrigué, ses sourcils légèrement froncés.

— Une surprise ? demanda-t-il, l'air dubitatif.

— Ouais, après les interviews de demain, on retourne aux States.

Yan marqua une pause pour mieux savourer la réaction qu'il savait venir.

— Tu vas jouer quelques scènes pour deux des séries qui t'emploie durant six semaines. Ensuite, fin août, tu reviens en France.

Il guetta la réaction de Jonas, sachant que ce genre de nouvelles avait souvent un effet double : d'un côté, un soulagement, parce que Jonas aimait jouer, il aimait se plonger dans des rôles pour oublier sa propre vie. Mais de l'autre, une angoisse sourde — celle de reprendre une routine qui l'usait, qui le détachait encore un peu plus de lui-même.

Jonas resta silencieux quelques secondes, digérant l'information. Il fixa le sol, avant de relever la tête vers Yan.

— Je vais vraiment retourner jouer ? demanda-t-il, la voix légèrement plus basse, comme s'il n'était pas sûr d'être prêt.

Yan hocha la tête, toujours ce sourire chaleureux sur le visage.

— Oui, tu vas vraiment retourner jouer.

Jonas prit une profonde inspiration. Un mélange d'émotions le traversa : de la gratitude, bien sûr, mais aussi une certaine fatigue. Cette vie d'acteur qu'il avait choisie — ou qui l'avait choisi, parfois il ne savait plus très bien — le laissait souvent vidé, épuisé par les attentes, les apparences à maintenir, les rôles à endosser même en dehors des plateaux. Mais il savait que jouer lui permettrait aussi d'échapper à cette réalité qui devenait parfois trop lourde à porter.

— Heureux ? demanda Yan, brisant le silence.

Jonas sourit, un sourire sincère cette fois, bien qu'il fût encore teinté de cette lassitude qu'il traînait depuis plusieurs mois.

— Ouais, c'est cool, répondit-il doucement. Merci, Yan...

Il baissa les yeux un instant avant de rajouter, d'une voix plus fragile :

— Ça m'évitera de penser à... tout ça.

Le sous-entendu ne passa pas inaperçu pour Yan. « Tout ça », c'était Lola, la perte de ses grands-parents, la pression médiatique. C'était cette vie qu'il avait construite mais qui parfois le dépassait. L'asiatique, fidèle à son habitude, ne chercha pas à creuser, mais il tapota affectueusement l'épaule de Jonas.

— Allez, dit-il d'un ton plus léger, essayant de ramener un peu de légèreté dans l'air. On va y arriver, comme toujours. T'inquiète pas.

Jonas acquiesça en silence, prenant une nouvelle gorgée de café. Le calme revenu, il se perdit un instant dans ses pensées, le regard rivé sur les nuages qui défilèrent à l'extérieur du hublot. La France l'attendait, avec son lot de défis, mais aussi une opportunité de se ressourcer, de se retrouver. Du moins, il l'espérait.

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