Chapitre 13 - Jonas

Jonas se tient immobile devant la fenêtre, les yeux perdus dans l'horizon lointain. L'air las, fatigué, il observe les rues en contrebas, là où des gens mènent des vies ordinaires, simples, dénuées du tumulte qui règne dans la sienne. Derrière lui, sa valise était déjà bouclée, prête à l'emmener loin, une fois de plus. Partir... retourner là où tout a commencé. Dans ce petit village français, où il n'était encore personne, où son nom n'avait aucun poids, aucune signification.

Il fronça les sourcils, ses mains se crispant légèrement sur le rebord de la fenêtre. Est-ce vraiment ce dont il avait besoin ? Redevenir ce « lui » innocent, cet inconnu sans attentes, sans pression ? Son cœur se serre à cette idée, à la nostalgie d'une époque révolue, un temps où il n'avait pas à porter le poids de ce masque imposé par la célébrité. Le doute l'assaille. Qui était-il, au fond, sans tout cela ? Son regard se perd dans le vide.

Qu'auraient pensé ses parents de tout cela ? se demanda-t-il pour la millième fois.

Leur absence lui pèse, comme un vide qu'il n'arrive jamais à combler. S'ils étaient encore en vie, il n'aurait sans doute jamais emprunté cette route. Un sourire amer effleure ses lèvres. Non, il ne serait pas là, à s'apprêter à répondre à des questions insipides lors d'interviews. Il aurait poursuivi ses études en France, peut-être serait-il devenu professeur, comme il l'avait toujours imaginé. Une vie simple, loin des projecteurs, loin des faux-semblants.

Mais la réalité est bien différente, et le rêve d'acteur est devenu un piège doré. Il le sait. Ce monde, qu'il a autrefois désiré, lui a pris bien plus qu'il ne l'avait prévu. Il secoue la tête, dépité. Non, ses parents n'auraient jamais voulu cela pour lui. Leur absence laissait un gouffre béant dans sa vie, un gouffre qu'il tentait désespérément de combler avec des réussites superficielles, des tapis rouges et des applaudissements creux. Tout semblait si vide, si dénué de sens, malgré les succès accumulés.

Une voix brisa ses pensées.

— Prêt ?

Jonas sursaute, son corps se raidit instinctivement. Ses épaules se contractent sous l'effet de la surprise. Il déteste se sentir pris au dépourvu. L'existence l'a déjà suffisamment malmené ; il n'aime plus qu'on le surprenne, même par des petites choses. Cela le rend vulnérable, et la vulnérabilité... c'est une faiblesse.

Il tourne lentement la tête et voit Yan, son manager et ami de longue date, se tenant dans l'encadrement de la porte. L'homme le regarde avec cet air professionnel, mais teinté d'inquiétude. Yan est l'une des rares personnes à le connaître véritablement.

— Oui, répond Jonas, la voix éraillée par un mélange d'émotions refoulées.

Il détourne les yeux, comme s'il cherchait à éviter de croiser le regard compatissant de son ami.

— Quel est le programme ? demande-t-il, désireux de briser le silence pesant qui s'est installé.

Yan s'avance légèrement, observant la valise déjà prête.

— Direction la capitale française, où tu vas passer quelques interviews, répond-t-il d'un ton calme, presque apaisant, comme s'il essayait de ne pas agiter davantage les eaux troubles qui agitaient Jonas.

Jonas hoche la tête, sans enthousiasme. Les interviews... encore. Ces conversations vides, ces questions superficielles où tout est déjà scénarisé, préparé à l'avance. Cela fait partie du jeu, il le sait, mais cela ne l'empêche pas de s'en lasser, d'en être dégoûté parfois.

— Quelles sont les questions ? demande-t-il, sa voix plus froide, distante.

Il sait que certaines questions peuvent le déstabiliser, toucher des points sensibles, qu'il préfère ne pas évoquer. Yan soupire, un souffle discret, mais lourd de compréhension. Il connait Jonas par cœur, sait que la célébrité le fatigue plus qu'elle ne l'exalte. Il le regarde avec une lueur de compassion dans les yeux avant de répondre.

— Je te donnerai ça dans l'avion, dit-il doucement, cherchant à ne pas surcharger Jonas avec des détails inutiles pour le moment. Mais ne t'inquiète pas, ajoute-t-il après une brève pause. J'ai vérifié moi-même chaque point, afin que tu ne sois pas ennuyé.

Jonas tourne la tête légèrement vers lui, ses yeux trahissant une fatigue intérieure bien plus grande que la simple lassitude d'un emploi du temps chargé. Il veut y croire, faire confiance à Yan, comme il l'a toujours fait.

— Et si je ne veux pas y répondre ? répliqua-t-il, presque sur la défensive. Si je veux juste...

Il laisse sa phrase en suspens.

Si je veux juste disparaître ? pense-t-il.

L'asiatique baissa les yeux, visiblement touché par l'épuisement de son ami. C'était un combat incessant, ce décalage entre l'image publique de Jonas et la réalité de l'homme qu'il était. Un homme qui, malgré sa célébrité, se sentait souvent seul, perdu dans un monde qu'il ne comprenait plus.

— D'accord, murmure Jonas finalement, abdiquant.

Il n'a pas l'énergie de lutter davantage. Yan s'approche doucement, posant une main amicale sur le bras de Jonas. Ce simple geste se veut réconfortant, une manière de lui dire qu'il n'est pas seul, même si tout semble se disloquer autour de lui.

— Il est temps, dit Yan avec un sourire doux. On doit y aller.

Jonas acquiesce mais son regard reste tourné vers la fenêtre. Une part de lui souhaite ne jamais avoir à franchir cette porte, ne jamais avoir à monter dans cet avion, faire face aux projecteurs, aux questions, aux attentes. Il souhaite rester là, figé dans ce moment de doute, face à cette fenêtre qui reflète toutes les décisions qu'il n'a pas prises, toutes les vies qu'il n'a pas vécues. Mais la réalité s'impose toujours. Il inspire profondément, se redresse légèrement, puis se tourne vers Yan. Un dernier regard vers sa valise. Le voyage commence, une fois de plus.

— Allons-y, murmure-t-il, sa voix teintée d'une résignation qu'il n'a plus la force de combattre.

Et avec ça, il franchit le pas, tout en sachant que la route à venir serait encore longue et semée d'embûches, mais surtout d'un vide qu'il ne savait comment combler.

Afin d'éviter la cohue des journalistes people, Jonas et Yan s'enfoncent dans les entrailles du parking souterrain, là où deux véhicules les attendent, moteurs tournants. Le bruit sourd de leurs pas résonne dans l'atmosphère lourde du sous-sol, ajoutant une tension presque palpable. Jonas sent son cœur s'accélérer. Il déteste ces départs précipités, ces moments où il doit fuir les regards curieux, comme si son existence tout entière devait être cachée.

Lorsque la porte arrière de la première berline s'ouvre, il n'a d'yeux que pour elle. Une paire de jambes fines, impeccablement gainées dans des bas clairs, touche le sol, suivie de l'apparition d'escarpins vertigineux. Ses chaussures claquent délicatement sur le bitume gris, résonnant comme un écho lointain dans la tête de Jonas. L'homme chargé de tenir la porte tend une main galante à la jeune femme, l'aidant à se redresser avec élégance.

Lola.

Son cœur bondit malgré lui, enchanté qu'elle soit là. Comme toujours, sa présence à ce pouvoir magique de calmer ses tempêtes intérieures. Sa silhouette se dessine avec une grâce presque irréelle, et lorsqu'elle s'approche, sa démarche langoureuse capte chaque regard, chaque souffle. Lola ne perd pas une seconde. Ses bras s'enroulent autour de sa nuque, ses doigts glissent dans ses cheveux, et elle l'embrasse avidement, ses lèvres exprimant un besoin urgent, presque désespéré. Son souffle chaud effleure l'oreille de Jonas.

— Salut, murmure-t-elle, sa voix douce comme un secret partagé, un murmure à demi étouffé.

— Salut.

Jonas sourit malgré lui.

— Tu m'accompagnes ? demanda-t-il, presque avec espoir, savourant encore l'étreinte.

Lola éclate de rire, un rire cristallin qui le fait frissonner, mais quelque chose d'inquiétant se dissimule derrière ce son. Elle saisit sa main avec une légèreté apparente, mais le contraste le frappe immédiatement : la chaleur de sa propre paume contre la froideur glaçante de la sienne.

— Je ne peux pas, j'ai trop de travail ici, dit-elle en secouant doucement la tête, son sourire se figeant un instant. Mais on se voit bientôt, non ?

Jonas acquiesce, mais il ne peut s'empêcher de remarquer ce qui se cache sous ce masque radieux. Les cernes dissimulées sous le maquillage, la pâleur subtile de sa peau, ce tremblement presque imperceptible dans ses doigts. Elle semble si fragile, et cela éveille une inquiétude profonde en lui.

Elle ne mange pas assez, pense-t-il en silence, sentant son cœur se serrer davantage.

— Bien sûr. Est-ce que tu...

Il s'apprête à poser une question plus personnelle, à creuser ce qu'il devine derrière son apparence éclatante, mais elle le coupe rapidement.

— Chuuut, dit-elle en plaçant un doigt léger sur ses lèvres. Nous verrons ça plus tard. Quand tu te sentiras mieux, ajoute-t-elle avec un clin d'œil faussement léger.

Mais Jonas ne peut s'empêcher de se demander : et elle, quand ira-t-elle mieux ?

Elle aussi cache des fêlures. Il le voit, le sent, et cela le frappe en plein cœur. Son propre malheur, ses propres tourments l'ont rendu aveugle à ce que Lola traversait, elle aussi. Trop absorbé par ses propres tempêtes pour prêter attention à celles qui la dévoraient doucement. Il se rapproche d'elle, la serrant plus fort, cherchant à la protéger, à la retenir dans cet instant fragile.

— Fais attention à toi, murmure-t-il tendrement, ses lèvres effleurant la peau douce de sa tempe.

Lorsqu'elle s'écarte, Jonas remarque la crispation furtive de sa bouche, cette façon qu'elle a de retenir quelque chose. Une émotion qu'elle ne laisse pas éclater. Mais ses yeux... Ses yeux trahissent ce qu'elle tente de dissimuler. Ils brillent, un éclat de larmes qu'elle refuse de laisser couler. Jonas lui caresse doucement le bras, ses doigts glissant lentement sur sa peau, comme s'il essayait de lui transférer un peu de sa chaleur, de sa force.

Avant de partir, il saisit ses mains une dernière fois et dépose un baiser chaste sur ses doigts glacés. Un geste délicat, presque solennel, comme une promesse silencieuse.

— Allez ! Il faut y aller, intervient Yan, brisant le moment avec une voix ferme mais compréhensive. L'heure tourne.

Le regard de Jonas reste fixé sur Lola, il ne peut pas partir sans l'embrasser une nouvelle fois. Leur baiser est plus profond cette fois, presque désespéré, chargé de tout ce qu'ils ne se disent pas. Il l'étreint avec une intensité qu'il ne parvient plus à contenir, comme si c'était leur dernier moment ensemble, comme s'il avait peur de la perdre pour de bon. Il respire profondément son odeur, ce mélange familier de patchouli et de rose, une fragrance qui lui rappelle tous les moments qu'ils ont partagés. Il ferme les yeux, s'imprégnant de cet instant, de cette sensation, avant de se reculer pour l'admirer une dernière fois.

— Je t'aime. À bientôt, lui dit-elle d'une voix douce, mais sincère, un sourire triste sur les lèvres.

— Moi aussi. À très vite, murmure-t-il, sa voix cassée par l'émotion, alors qu'il lui lance un dernier regard.

Après avoir échappé aux journalistes en passant discrètement par la porte arrière, tandis que Lola faisait diversion à l'avant, Jonas et Yan montent rapidement dans la voiture qui les conduit à l'aéroport. La nuit est déjà bien avancée, et les lumières de la ville défilent à travers les vitres teintées. Jonas, la tête appuyée contre la fenêtre, observe distraitement le paysage urbain qui semble flou, comme un décor lointain. Il ferme les yeux quelques instants, écrasé par la fatigue, une lassitude qui va bien au-delà du simple besoin de sommeil.

L'asiatique, assis à côté de lui, pianote sur son téléphone, organisant les détails de leur voyage avec une efficacité redoutable. Jonas l'admire en silence. Depuis qu'ils se connaissent, Yan a toujours été la personne sur qui il pouvait compter, un pilier.

Ils arrivent enfin à l'aéroport privé. Le silence et la tranquillité des lieux contrastent avec l'agitation intérieure de Jonas. Le jet est déjà prêt, éclairé par les projecteurs qui percent la nuit. L'odeur légère du kérosène flottant dans l'air rappelle à Jonas qu'il est encore loin de chez lui, et pourtant, il a l'impression que cette fatigue constante le suit partout, où qu'il aille.

Une fois à bord, le confort du jet privé les enveloppe immédiatement. Les fauteuils en cuir crème, moelleux et luxueux, appellent au repos, mais Jonas n'a qu'une seule pensée en tête : s'allonger dans un lit confortable, avec des draps frais et soyeux. C'est tout ce qu'il désire, échapper au tourbillon de sa vie pendant quelques heures, fermer les yeux et tout oublier. Yan se laisse tomber sur un des fauteuils, laissant échapper un soupir discret, satisfait de leur discrète évasion.

— Demain matin, on atterrit en France, annonce-t-il d'un ton professionnel, bien qu'adouci par la fatigue. Je te laisse une journée pour te détendre. Tourisme, repos, c'est toi qui choisis, mais...

Il marque une pause et reprends.

— Mais... ne te couche pas trop tard. Après-demain, on enchaîne trois interviews.

Il sourit légèrement, devinant déjà la grimace de Jonas à cette pensée.

— En attendant, allons dormir.

Jonas acquiesce doucement, sans un mot. Son esprit est ailleurs, déjà projeté dans ce futur proche, fait de rendez-vous, de caméras, d'objectifs braqués sur lui. Cette pensée l'épuise encore plus. Il voudrait que tout s'arrête un instant, juste une pause, pour retrouver ce qu'il a perdu en cours de route. Il soupire, longuement.

— Yan ?

L'asiatique, qui s'apprêtait à quitter la cabine pour aller se coucher dans une autre section de l'avion, se retourne, surpris par le ton vulnérable de Jonas. Il hausse un sourcil, prêt à entendre la prochaine requête, une de plus, sans doute.

— Oui ? demande-t-il calmement.

— Merci d'être là, murmure Jonas, sa voix faible mais sincère, trahissant une fatigue qui n'a rien à voir avec l'heure tardive. Merci d'être là pour moi.

Yan reste silencieux un instant, saisissant l'intensité de ces mots. Cela dépasse le simple remerciement professionnel, et ils le savent tous les deux. Leur relation a toujours été bien plus que celle d'un manager et de son client. Ils étaient amis avant tout. Yan s'efforce de sourire, sans trop montrer l'émotion qui monte en lui. Il ne veut pas que Jonas voie à quel point cela le touche.

— J'suis payé pour ça, plaisante-t-il, dans un sourire espiègle, cherchant à alléger l'atmosphère, comme il le fait si souvent.

Mais Jonas ne laisse pas passer cette tentative d'esquive. Il attrape un coussin de l'un des fauteuils et, dans un geste plein d'amusement, le lance directement sur Yan.

— Arrête avec ça ! rit-il. On sait tous les deux que tu fais bien plus que ce pour quoi tu es payé.

Yan rigole, esquissant un geste pour éviter le coussin, mais l'échange d'amitié et de complicité qu'ils viennent d'avoir lui réchauffe le cœur. C'est dans ces moments-là qu'il voit à quel point Jonas est fatigué du monde qui l'entoure, fatigué de ce jeu constant qu'impose la célébrité. Il sait combien son ami a besoin de soutien, même si Jonas ne l'avoue pas toujours ouvertement.

— Allez, repose toi, dit Yan avec douceur, son sourire plus sincère cette fois. Demain sera une longue journée.

Jonas s'étire, sentant le poids de la fatigue le tirer vers le sommeil. Il se lève finalement, laissant derrière lui la tension accumulée des dernières heures.

— Bonne nuit, Yan.

Sa voix est plus calme, apaisée par ce bref moment de légèreté.

— Bonne nuit, Jo.

Le silence revient dans la cabine alors que Jonas s'allonge. Le bruit léger des moteurs qui vrombissent au loin devient comme un chant apaisant, un murmure rassurant qui l'enveloppe. Il ferme les yeux, son esprit encore en proie à mille pensées. Le sommeil finit par l'emporter, et dans ses rêves, Jonas espère trouver la paix qu'il cherche désespérément.

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