Chapitre 1 bis

Alors que les enfants sautent de la scène, excités, rejoignant leurs parents dans un joyeux désordre pour leur demander leurs premières impressions, Nelly est déjà en mouvement. Ses pensées bourdonnent de questions. Pourquoi n'a-t-elle pas été mise au courant ? Elle se fraye un chemin à travers les gens, un mélange d'anxiété et de frustration grandissant en elle. Elle doit obtenir des réponses. Elle aperçoit le maire, qui descend les escaliers sur le côté gauche de la scène, un sourire satisfait aux lèvres.
— Karim ! Karim ! Attendez ! lance-t-elle, hâtant le pas pour le rattraper.
Le maire se retourne, toujours souriant, visiblement satisfait de la tournure de la soirée.
— Ah, Nelly ! Magnifique, encore bravo pour tout ce travail, dit-il en la rejoignant avec son éternelle bonhomie. Les costumes étaient splendides, comme toujours.
Nelly serre les dents. Bien qu'elle apprécie le compliment, elle sent que c'est un prétexte pour éviter le vrai sujet qui la préoccupe.
— Oui, répond-elle d'un ton contrôlé, son sourire forcé trahissant son agacement, ma sœur fait du bon boulot.
Elle n'a pas envie de s'attarder sur les compliments. Il y a plus urgent à aborder.
— Effectivement, et cela valorise vraiment notre petite ville d'avoir des artistes telles que vous, ajoute le maire, visiblement ravi de sa propre flatterie.
— Merci. Dites-moi... je peux savoir qui vous allez... m'imposer ? Nelly prononce ces derniers mots avec une pointe d'irritation qu'elle ne parvient pas à cacher.
Karim arque un sourcil, toujours souriant, mais visiblement conscient de la tension dans sa voix.
— Vous imposer ? Nelly, voyons ! Je sais que vous serez ravie ! Vous êtes quelqu'un de perspicace, vous savez qu'il est important que notre petite région reste active et dynamique ! Nelly croise les bras, le regard perçant. Elle sent la frustration monter, alimentée par l'attitude décontractée de Karim.
— Je le sais bien, réplique-t-elle, et je participe grandement à tout cela, non ?
Elle s'efforce de garder son calme, mais l'injustice de la situation commence à la ronger. C'est son projet, son travail, son investissement personnel. Comment ose-t-il prendre une telle décision sans même la consulter ?
— En effet, vous faites un excellent travail, concède Karim avec un sourire bienveillant, mais évitant de se laisser entraîner dans un débat direct.
Nelly sent son irritation croître face à cette réponse évasive.
— Alors, pourquoi un artiste international ? demande-t-elle plus fermement, le regard planté dans celui du maire. Je n'ai pas besoin de diva pour m'aider à enseigner, continue-t-elle, ses mots devenant plus tranchants.
Karim soupire légèrement, comme s'il s'attendait à cette réaction. Il ajuste ses lunettes, cherchant manifestement à temporiser la conversation.
— Voyez plutôt cela comme une formation qualifiante pour vous, commence-t-il en choisissant soigneusement ses mots, et une bonne action pour... cet artiste.
— Une bonne action ? Pour moi ? s'étonne Nelly, son ton devenant plus acide. Elle peut sentir la colère qui gronde en elle, prête à éclater. Je...
Elle tente de trouver les mots pour exprimer ce qu'elle ressent. L'injustice, l'irrespect, l'humiliation presque. Pourquoi a-t-il agi sans lui en parler ? C'est elle qui porte ce projet depuis des années, c'est elle qui connaît ses élèves et leurs besoins. Karim, sentant que la conversation prend une tournure plus tendue, lui adresse un sourire conciliant.
— Profitez de votre succès ce soir, Nelly, dit-il en posant une main chaleureuse sur son épaule, nous en parlerons une autre fois.

Nelly le regarde, incrédule. C'est ainsi qu'il compte éteindre la colère qui monte en elle ? En détournant la conversation ? En évitant les explications sous prétexte de lui laisser savourer la soirée ? Elle bouillonne à l'intérieur, mais elle se retient, consciente que ce n'est ni le lieu ni le moment pour exploser.
Karim lui adresse un dernier sourire, puis, sans lui laisser le temps de répliquer, il se détourne, saluant au passage quelques parents qui l'interpellent.
Nelly reste là, plantée au bas des escaliers, le cœur battant à toute vitesse, sentant la frustration l'envahir. Elle serre les poings, tentant de se calmer, mais le poids de l'injustice qu'elle ressent l'étouffe presque. Ce projet, c'était le sien. Et maintenant, elle doit faire face à une intervention extérieure, une « star internationale » dont elle n'a jamais entendu parler.
Elle fixe la silhouette de Karim qui s'éloigne, un goût amer dans la bouche. Comment peut-il la traiter ainsi ? La décision a été prise dans son dos, sans la moindre considération pour son opinion. Elle inspire profondément, essayant de réprimer sa colère.
La salle se vide peu à peu, l'effervescence de la soirée laissant place à un calme rassurant. Nelly, restée en retrait, observe les dernières familles quitter la pièce avec des sourires radieux, les bras chargés de costumes d'animaux en peluche et de bouquets de fleurs. Elle adresse un sourire discret à une enfant qui lui fait un signe de la main avant de courir vers la sortie. Mais derrière son expression chaleureuse, un poids invisible s'installe dans sa poitrine.

Son regard dévie lentement vers son téléphone posé sur la table, à moitié caché sous un tas de programmes froissés, du maquillage, quelques bombes de laques et d'autres babioles. Elle hésite, mordillant légèrement sa lèvre inférieure, avant de se décider à le prendre en main. Ses doigts glissent nerveusement sur l'écran pour vérifier une énième fois s'il y a du nouveau.

Rien.

Pas de message. Pas de « bon courage », pas de « je pense à toi ». Rien.
Un soupir discret lui échappe alors qu'elle éteint l'écran, le déposant délicatement sur la table, comme si elle espérait encore que le simple fait de le poser ferait apparaître ce message tant attendu. Mais la réalité s'impose, froide et silencieuse. Bertrand n'a pas pris la peine de lui écrire.
Elle sait, bien sûr, qu'il est occupé. Son emploi du temps est infernal depuis qu'il a décroché ce rôle dans cette série à succès. Les tournages s'enchaînent, les heures de travail sont longues, les déplacements fréquents. Il lui avait déjà dit qu'il ne pourrait pas être présent ce soir, qu'il rentrerait tard. Elle l'avait accepté... du moins, elle essayait.
Pourtant, elle ne peut s'empêcher de ressentir une pointe amère de déception. Un simple message, juste quelques mots pour lui montrer qu'il pensait à elle, aurait suffi. Mais même ça, il n'a pas pris le temps de le faire. Elle repousse une mèche rebelle derrière son oreille, tentant de ravaler l'amertume qui monte. Leur mariage est encore récent, et elle veut croire que c'est juste une mauvaise période. Mais ce silence, de plus en plus fréquent, laisse une trace douloureuse au fond de son cœur.
Elle fixe à nouveau son téléphone, se demandant si elle devrait lui écrire en premier. Peut-être qu'il est simplement pris dans le tourbillon de son travail et a oublié ? Mais ce soir, elle n'en a pas l'énergie. Elle voulait qu'il soit là, d'une façon ou d'une autre, qu'il partage ce moment important pour elle. Et cette absence virtuelle rend encore plus palpable le fait qu'il soit à des milliers de kilomètres, totalement absorbé par sa propre vie.
— Mademoiselle Dudressie ?
La voix douce mais hésitante d'une femme l'arrache brusquement de ses pensées. Elle sursaute légèrement, reposant rapidement son téléphone sur la table comme si elle avait été surprise en flagrant délit de faiblesse. Le sourire habituel revient aussitôt se peindre sur son visage tandis qu'elle se retourne pour faire face à une mère, un peu gênée.
C'est drôle, pense-t-elle, tout le monde ici continue à l'appeler Mademoiselle Dudressie, comme si son mariage n'avait jamais eu lieu.
« Madame Briand », ce titre ne semble pas encore avoir trouvé sa place dans les mémoires des habitants de ce village, pourtant si attachés à leur communauté. Peut-être est-ce le reflet de ce qu'elle ressent, elle aussi, ce lien invisible avec Bertrand qui semble parfois si lointain, presque irréel.
— Oui ? dit-elle avec douceur, tout en dissimulant le petit pincement au cœur provoqué par cette appellation.
La maman, une femme d'une quarantaine d'années avec des cheveux blonds attachés en un chignon serré, lui sourit avec gratitude.
— Je voulais simplement vous remercier pour tout ce que vous faites pour nos enfants. Emma a adoré jouer sur scène, et je crois que ça l'a vraiment aidée à sortir de sa timidité.
Les mots de la mère réchauffent légèrement le cœur de Nelly. Elle sent son sourire s'agrandir, sincèrement touchée par ces retours. C'est pour ça qu'elle fait ce travail, pour ces petites victoires, ces moments où un enfant s'épanouit sous les projecteurs et trouve une nouvelle confiance en lui.
— Je suis heureuse d'entendre ça. Emma a fait un travail incroyable ce soir, répond Nelly avec un ton chaleureux. Elle a un vrai talent.
La mère rougit un peu, visiblement émue par le compliment.
— Merci beaucoup. Vous savez, nous avons de la chance de vous avoir ici.
Nelly hoche la tête, tout en essayant de ne pas laisser paraître le trouble qui l'habite toujours. Ces paroles lui réchauffent le cœur, mais elles ne peuvent combler le vide que Bertrand a laissé par son absence, une absence qui devient de plus en plus lourde à supporter.
Après quelques échanges sur les progrès d'Emma, la mère la remercie encore une fois avant de s'éloigner. La salle se vide enfin complètement, laissant Nelly seule, debout au milieu des sièges vides. Elle contemple la scène, où les costumes et accessoires sont encore dispersés, témoignage de l'effort collectif de cette soirée.

Elle soupire doucement, son cœur partagé entre la fierté de la réussite de ses élèves et la tristesse d'un vide personnel qu'elle ne sait plus comment combler. Ce spectacle, cette scène, c'était un de ses plus beaux projets, et elle aurait tellement voulu que Bertrand soit là pour le voir, pour le partager avec elle. Mais une fois de plus, il est ailleurs, pris dans une autre réalité qui semble chaque jour plus lointaine.
Elle inspire profondément, essayant de se convaincre que tout cela n'est qu'une mauvaise phase, que bientôt il sera de nouveau à ses côtés, que tout redeviendra comme avant. Mais quelque part en elle, une petite voix chuchote des doutes qu'elle préfère ignorer pour le moment.

Pour l'instant, elle laisse la lumière tamisée de la salle vide apaiser son esprit. Cette soirée a été un succès, et c'est ce qui compte.

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