Trois coups retentissent, résonnant dans l'air avec une gravité presque solennelle. Sourds. Fermes. Sonores. Le temps semble suspendu. Les murmures dans le public s'éteignent peu à peu, comme si chaque spectateur retenait son souffle, conscient du moment qui se prépare. La pièce peut enfin commencer !
Dans un silence vibrant d'attente, le rideau se lève lentement, presque avec délicatesse, dévoilant l'ombre d'un monde encore à construire. Les premières notes des applaudissements, hésitantes comme une aube timide, s'élèvent. Puis, rapidement, l'enthousiasme du public éclate, réchauffant la salle comme un brasier soudain.
Sous l'éclat de trois projecteurs, une silhouette gracieuse, élancée, se détache doucement. Nelly entre sur scène. Ses pas sont lents, presque cérémonieux, comme si chaque mouvement avait son importance. Sa silhouette longiligne se dessine sur le sol avant de vraiment apparaître devant les spectateurs. Son visage, radieux, illumine la scène. Un sourire sincère éclaire ses lèvres, et ses yeux, étincelants, trahissent une émotion qu'elle ne peut contenir. Le bonheur.
Son regard balaie la salle, elle capture l'attention de chacun. Sa voix, douce mais ferme, résonne avec une note d'émotion à peine voilée.
— Mesdames, Messieurs. Chers amis et parents, je suis profondément heureuse et émue de vous dévoiler la représentation de nos talentueux acteurs en herbe. Une pièce qui m'est chère, et que nous avons créée ensemble. Je vous souhaite à tous un excellent spectacle.
Sa voix, bien que maîtrisée, laisse transparaître un léger tremblement, comme une vibration discrète d'excitation et de fierté. Le projet d'une vie. Elle s'incline, saluant le public d'un geste gracieux, avant de se retirer discrètement vers les coulisses. Un dernier regard vers la scène, et un souffle, léger mais rempli d'anticipation, s'échappe de ses lèvres.
Une fois à l'abri des regards, l'énergie de Nelly change. Dans les coulisses, elle est le pilier, la guide. Elle passe avec un sourire apaisant devant chaque enfant déguisé. Elle ajuste un cheval de papier mâché avec une infinie délicatesse, ses doigts effleurant la crinière d'un geste maternel. Puis elle se penche, corrige la moustache farfelue d'un petit chaton rieur, et d'un coup rapide de main, redresse la crête d'un poulet nerveux. Son regard, doux et bienveillant, enveloppe chacun d'eux.
— Allez, mes bouchons, lance-t-elle avec enthousiasme, vous êtes fabuleux ! C'est maintenant ! Faites-leur voir qui vous êtes !
Les enfants rient, leurs yeux brillent d'excitation, mais aussi d'un léger trac. Ils la regardent, cherchant ce dernier éclat de confiance qu'elle leur offre sans compter. Nelly sait qu'ils sont prêts. Ils ont travaillé dur, plus dur que certains n'auraient osé le croire. Et maintenant, c'est leur moment. Un moment qu'elle a rêvé, planifié et pour lequel elle a combattu avec détermination.
Elle repense brièvement à ces mois précédents, aux discussions interminables avec la mairie. Elle avait dû se battre. Convaincre des personnes sceptiques, qui voyaient ces enfants de six à dix ans comme des êtres indisciplinés, incapables de concentration.
« Trop jeunes pour ça », disaient-ils.
Mais Nelly avait tenu bon. Elle connaissait leur potentiel. Et elle savait que, sous sa direction, ces petits loups pourraient briller. Alors, elle avait monté un dossier solide, détaillé, qu'elle avait défendu avec une passion farouche lors du collectif des fêtes. Et elle avait gagné.
Maintenant, en les voyant sur scène, tous vêtus de costumes d'animaux soigneusement confectionnés, elle ne peut s'empêcher de ressentir une immense fierté. Chaque sourire, chaque réplique, chaque geste est une victoire contre les doutes et les hésitations des autres. Ces enfants, que tant voyaient comme des tornades indomptables, se transforment sous ses yeux en de véritables petits artistes.

Derrière le rideau, son cœur bat au rythme des voix enfantines, montant et descendant avec la mélodie des rires, des murmures du public. Ses yeux brillent de larmes retenues, des larmes de fierté. Elle écoute, émerveillée, le public réagir, entendre les éclats de rire qui saluent les moments de maladresse adorable. Nelly sait que ces instants sont précieux. Ils marquent la mémoire de ces enfants, et, peut-être, le début de vocations futures.
Quand le rideau tombe enfin, après une heure trente de magie pure, un tonnerre d'applaudissements envahit la salle. Les plus grands ont pris le relais et ont eux aussi conquis le public. Nelly, dans l'ombre, tend les bras à ses petites vedettes, les accueillant dans un cocon de tendresse. Chaque enfant qui passe devant elle reçoit une caresse dans le dos, un mot doux.
— Bravo, mes chéris... Vous êtes des étoiles. Ne l'oubliez jamais.
Elle voit en eux ce que certains adultes peinent à discerner : un potentiel incroyable. Certains, elle en est convaincue, iront loin. Ils ont ce petit quelque chose dans le regard, cette étincelle qu'elle reconnaît si bien.
Enfin, elle inspire profondément, laissant l'air remplir ses poumons, puis expire, calmement. Le moment est venu pour elle aussi. Elle entre sur scène une nouvelle fois, sous une avalanche d'applaudissements. Ses jambes tremblent légèrement, mais son cœur est plein d'une joie sincère. Elle s'avance vers le centre de la scène, rassemblant toute sa gratitude dans son sourire, et remercie d'une voix forte, mais émue.
— Merci, merci du fond du cœur, pour eux, pour nous tous. Je vous demande maintenant d'accueillir à nouveau nos incroyables artistes pour leur salut final.
Les enfants reviennent, main dans la main, le visage rayonnant. Et, dans cet instant, sous les projecteurs, les yeux brillants de Nelly croisent ceux de ses élèves. Elle le sait au plus profond d'elle : elle a accompli quelque chose d'exceptionnel.
— Bravo !
— Félicitations !
— Super !
Les cris de joie explosent dans l'air, résonnant dans toute la salle comme un flot déchaîné. Acclamations, sifflements, applaudissements, tout se mélange en un tourbillon d'enthousiasme et de fierté. Pour ces petits monstres qui l'entourent, c'est une véritable consécration, un aboutissement de mois de travail, de répétitions, de doutes parfois, mais surtout de moments magiques passés ensemble. Pour eux, c'est une récompense méritée, une joie pure.
Nelly les regarde, une tendresse infinie dans le regard. Ces enfants ont grandi sous ses yeux, non seulement en taille, mais aussi en courage, en confiance en eux. Ses lèvres s'étirent en un sourire chaleureux, bien qu'un peu tremblant. La fierté qu'elle ressent la submerge. Elle voudrait tous les prendre dans ses bras, leur murmurer combien ils sont incroyables, combien ils la rendent fière. Mais la scène appartient encore au tumulte du moment, à l'effervescence collective.
Elle commence à se détendre, à relâcher la tension accumulée pendant le spectacle, quand une voix interrompt ses pensées.
— Mais ce n'est pas fini, annonce le maire, Monsieur Warid, en s'avançant d'un pas assuré vers le devant de la scène.
Nelly se fige. Un frisson traverse son échine, et elle sent une boule se former au creux de son estomac. Elle dévisage Monsieur Warid, soudain méfiante. Que va-t-il annoncer ? Elle n'a été mise au courant de rien ! Le maire, qu'elle connaît bien pourtant, est souvent imprévisible. Malgré leur bonne entente, il prend parfois des initiatives qui la laissent déconcertée. Et ça la rend nerveuse. Elle aime avoir le contrôle. Cela lui permet de se préparer mentalement à toute situation, de contrer ses idées parfois farfelues. Mais là... Que lui réserve-t-il encore ?
La scène semble se figer un instant, tandis que les battements de son cœur s'accélèrent.
— Lorie ?, lance soudainement le maire d'une voix chaleureuse.
Nelly tourne la tête, et là, elle voit Lorie. La jeune fille, timide et douce, s'avance doucement sur scène, ses mains serrées autour d'un immense bouquet de fleurs multicolores. Un éclat de couleurs vives et chatoyantes qui contraste avec son visage délicat et concentré. Elle semble disparaître un instant derrière cette mer de pétales, mais quand Nelly parvient à capter son regard, elle y voit un sourire rayonnant, un sourire qui touche directement son cœur. Nelly se sent émue. Elle sait ce que cet instant représente pour Lorie, elle connaît chaque pas que l'adolescente a dû faire pour en arriver là. Les années de doutes, de peurs, de solitudes. Lorie, cette fillette auparavant renfermée, en proie à des difficultés scolaires, peinant à se faire des amies, fuyant les interactions sociales... Elle était si fragile, si effrayée par le monde qui l'entourait. Nelly se souvient de ce premier jour où Lorie avait rejoint son cours de théâtre, hésitante, les épaules voûtées, comme si elle cherchait à disparaître.
Et pourtant, aujourd'hui, Elle est là, debout devant des centaines de regards, droite et fière. Le théâtre l'a transformée. Il l'a aidée à trouver une voix, une confiance nouvelle. Et voir cette transformation, voir ce sourire sincère, c'est la plus belle des récompenses pour Nelly.
— Merci, murmure Nelly, touchée, en déposant un baiser doux sur la joue rougissante de sa petite protégée.
Le contact est léger, mais porteur de toute la tendresse et la reconnaissance qu'elle ressent. Un instant suspendu passe entre elles, puis le maire tend le micro à Lorie. Nelly retient son souffle. Elle est curieuse de savoir ce que la jeune fille va dire. D'une voix assurée, étonnamment forte pour sa petite stature, Lorie commence à parler :
— Aujourd'hui, je voudrais remercier, du fond du cœur, Nelly, ma prof de théâtre. C'est grâce à elle que j'ai trouvé la force d'avancer.
Les mots résonnent dans la salle, mais aussi dans le cœur de Nelly. Elle sent sa gorge se nouer, touchée par la sincérité de la jeune fille. Ces mots, si simples, mais si puissants, lui rappellent pourquoi elle fait ce qu'elle fait, pourquoi elle s'est tant battue pour ce projet, pour ces enfants.
— J'ai plus confiance en moi, continue Lorie d'une voix tremblante d'émotion, et même ma famille a changé, suite à mon... évolution.
À ces mots, Nelly sent les larmes monter. Elle n'essaie même pas de les retenir. Elle attrape doucement la main de Lorie, la serrant dans la sienne. Ce contact, cette chaleur, c'est tout ce dont elle a besoin pour répondre au flot d'émotions qui l'envahit. Un simple sourire.
— J'ai une grande nouvelle, déclare Lorie, ses yeux brillants d'excitation. Grâce à tout ce que vous m'avez appris, j'ai décroché un petit rôle !
Les cris de joie éclatent à nouveau dans la salle, les applaudissements redoublent d'intensité. Nelly est stupéfaite. Elle regarde Lorie avec des yeux écarquillés, surprise et comblée à la fois. Elle ne pouvait imaginer une nouvelle aussi incroyable. Lorie, décrocher un rôle ! C'est un rêve devenu réalité, non seulement pour l'adolescente, mais aussi pour elle, en tant que professeur.
Lorie, radieuse, tend le micro au maire. Monsieur Warid, visiblement ému lui aussi, s'apprête à reprendre la parole.
— Lorie est une personne méritante, commence-t-il, mais tout cela aurait été impossible il y a de ça quatre ans, quand vous l'avez prise sous votre aile, Nelly.
Nelly rougit légèrement. Elle n'aime pas être mise en avant de cette manière, mais les mots du maire font écho à la vérité. Elle a vu tant d'enfants évoluer sous sa tutelle, et Lorie est l'une de ces réussites qui la touchent profondément.
— Nous sommes ravis de savoir qu'elle représentera la ville et ses cours de théâtre, c'est pourquoi...
Mon Dieu, pense Nelly en sentant la panique monter en elle. Que va-t-il encore dire ? Qu'a-t-il prévu ?
Le mystère l'inquiète. Elle jette un coup d'œil furtif vers la foule, puis vers Monsieur Warid. Son cœur bat plus vite. Le maire, avec son ventre imposant et son sourire malicieux, semble prendre plaisir à ce moment de suspense. Il garde le silence quelques secondes de plus, comme pour amplifier la tension, avant de poursuivre...
— Nous avons demandé l'intervention d'une star internationale, une icône pour les jeunes filles, mais aussi pour les femmes, dans notre établissement. Et cela, pour les six premiers mois de la rentrée scolaire !
Un murmure d'excitation parcourt la salle. Nelly reste figée, le sourire forcé, tandis que les regards se tournent vers elle avec une nouvelle ferveur. Une star internationale ? Mais... qui ? Pourquoi n'en avait-elle pas été informée ?
— Mais nous garderons le secret jusqu'au grand jour de son arrivée sur Saint-Jean-d'Illac, continue le maire avec un air mystérieux, savourant visiblement l'effet de son annonce.
Le public réagit d'un « Ohhh » collectif, marqué par la surprise et l'anticipation. Mais le cœur de Nelly s'emballe d'inquiétude. Son estomac se noue. Elle a toujours aimé tout savoir, tout anticiper. Mais cette nouvelle, elle ne l'avait pas vue venir, et cette ignorance la met mal à l'aise.
— Je vous souhaite à tous une belle soirée. Rentrez bien chez vous, et bonnes vacances ! conclut le maire dans un tonnerre d'applaudissements.