🌼 CHAPITRE 6 🌼
Ses yeux semblaient suivre le moindre de ses faits et gestes comme s'ils étaient dans l'attente d'un mouvement pouvant le trahir. Néanmoins, dans le plus grand des silences, il s'appliqua à soigner aussi bien sa main nouvellement bandée, que son front blessé. Dans le plus grand des silences, avec seulement la pluie pour seule amie, Joséphine s'éprend d'un élan de curiosité pour cet homme qu'elle ne connaissait pas. Elle savait que si la situation avait été différente, elle ne l'aurait probablement pas laissé s'approcher ni ne l'aurait suivi. D'ailleurs quelle idée était-ce que de suivre le premier des étrangers dans une chambre sentant le renfermé ? Cela ne lui ressemblait guère, mais au final, avec les récents événements, elle n'est même plus certaine de savoir ce qui lui ressemble ou non. Qui est la Baronne Conquérant ? Si ce n'est juste une fille désolée. Qui est Joséphine ? Si ce n'est l'aînée d'une famille blessée.
Le regardant se rapprocher de la cheminée, ses yeux continuent de le suivre tandis qu'il s'affaire à retourner les quelques bûches posées sur le tas de bois brûlant.
- Vous savez, même le dos tourné, je peux sentir votre regard, lance Lucien gêné par une telle insistance, Vous avez les yeux bien inquisiteurs.
- Je cherche des réponses, lui répondit Joséphine
- Et je doute être en mesure de vous les apporter.
- Tout dépend de la question que l'on se pose me diriez-vous.
- Si vous avez une question, je serais ravi d'y répondre si cela est dans mes capacités.
Elle ne le savait que trop bien pour l'avoir elle-même expérimenté : Il n'existait pas en ce bas monde d'âme suffisamment bonne pour se soucier d'autrui. Le monde était devenu bien trop détraqué pour que les hommes se préoccupent de leurs pairs. Il était devenu commun, mais aussi préférable, que de s'occuper de soi-même quand cela était encore possible.
- J'aimerais avoir la naïveté de certains habitants de ce village, annonce Joséphine, hélas...ce n'est guère le cas. Vous n'êtes pas un bon samaritain n'est-ce pas ?
Malgré le fait qu'il l'écoute le dos tourné, Lucien sourit. Elle était maline. Peut-être était-ce cela qui expliquait sa réussite face à la moitié de la capitale qui semble voir en elle une dangereuse criminelle. Pour en avoir côtoyer certains, il pouvait d'ores et déjà savoir que la jeune femme assise ici derrière lui n'avait rien d'une tueuse. Cependant, il l'en savait capable. C'était presque comme s'il pouvait le sentir. Après l'avoir vu se débattre dans la ruelle, après avoir vu son regard plein de hargne et de colère...Il savait qu'il n'avait pas à faire à la typique demoiselle en détresse qui crierait au secours à la première occasion. Cette fille en avait bavé par le passé, mais il ignorait comment. Tout ce qu'il savait avec certitude c'est que ses combats ne sont pas terminés et malheur à quiconque se mettrait sur son chemin car trop de fois avait-il croisé la route de gens ayant ce genre de regard noir.
- Ne puis-je pas faire une bonne action une fois de temps à autre ? Ou alors suspectez-vous de façon générale quiconque osant s'aventurer pour vous aider ?
- J'aurai pu croire en votre bonne volonté si cette dernière était sincère, hélas vous ne vous êtes pas contenté de vous interposer comme une personne normale l'aurait fait.
- Une personne normale, hein ? Me voilà bien fâché. Et donc ? Ce n'est pas comme si je vous avez trompé d'une quelconque façon que ce soit.
- Il est vrai et même si cela était le cas, je ne pourrais m'en prendre qu'à moi-même en vous suivant jusqu'ici. Mais sur l'instant, vous ne m'avez pas semblé...
- Être une menace ? reprit-il en se retournant vivement vers elle
- C'est exact.
Joséphine n'a jamais su être un bon juge de caractère, mais elle a toujours su, avec plus ou moins de tact, deviner les intentions des uns et des autres car après tout ce n'était guère un exercice difficile. Un monde d'apparence et de faux semblant ou chacun prétend être ce qu'il n'est pas. Il ne fallait pas redouter les menteurs et les hypocrites, mais il fallait se méfier des honnêtes gens. Rares sont ceux vous approchant en vous voulant sincèrement du bien.
- Vous savez, nous ne nous connaissons pas, pas encore du moins, mais je peux presque percevoir les raisons de son affection à votre égard, sourit Lucien
- «Son» ? relève Joséphine en arquant un sourcil.
Peut-être n'aurait-il pas dû lui dire ? Ah peu importe. Il avait l'intuition qu'elle méritait la vérité, son fardeau étant déjà bien lourd à porter.
- Nous avons un ami commun. A ce propos, voulez-vous que je vous raconte une histoire ?
- Est-ce une histoire plaisante ?
- Tout dépend de ce que vous en ferrez une fois que je vous l'aurai contée. C'est une histoire de prince enfermé dans une tour ayant pour seul accès, une étrange petite porte scellée.
- Une histoire pour enfant, soupire Joséphine déçue.
- Je vous l'ai dit : Tout dépend de ce que vous en ferrez. Alors ? Voulez-vous l'écouter ?
- Ai-je le choix ?
- Ai-je l'air d'imposer quoique ce soit ? Vous pouvez soit me remercier gracieusement de vous avoir aider et retourner à votre vie de serveuse, soit...rester au chaud et écouter l'histoire d'un idiot.
- Va pour l'idiot alors, sourit-elle
- Je m'en doutais.
Il n'est pas rare de trouver ici et là, une ou deux personnes aimant les bonnes histoires. Il n'est pas de trouver ici et là, une ou deux personnes souriant, soupirant ou attendant la suite impatiemment. Il n'est pas rare de trouver ici et là, une histoire qui ne demande qu'à être écrite, écoutée et racontée.
- Il y a très longtemps, dans un heureux château vivez deux bonnes gens parfaitement heureux, et ce, jusqu'à la naissance d'un petit garçon. Les rires et les cris de joie remplirent le château et la joie semblait tantôt remplacer le soleil qui passait quelque fois à travers les imposantes fenêtres de la demeure. Jusqu'au jour où une sorcière, avide de pouvoir, froide et cruelle, maudit la jeune femme qui finit par trouver la mort. Son mari, triste et isolé, s'enferma sur lui-même, ne supportant même plus de voir son propre enfant lui rappelant que trop l'image de sa défunte épouse. Mis de côté, l'enfant fut à son tour piéger par la sorcière lui promettant monts et merveilles. Profitant du désordre régnant, la sorcière prit en pouvoir et remplaça très vite l'homme qui, à ce que l'on dit, finit par retrouver sa femme, décédant ainsi de tristesse. L'enfant quant à lui, afin qu'il ne pose aucun souci à l'ascension de la sorcière, fut éloigné de chez lui. Enfermé dans divers endroits, retenu prisonnier parfois, battu et affamé d'autre fois. Le garçon grandit alors dans la terreur, la solitude et la culpabilité. Peut-être que s'il était resté au château, il aurait pu se battre, mais hélas, le pauvre bougre n'avait guère conscience qu'il n'en avait pas les capacités à ce moment-là...
Joséphine connaissait cette histoire. Du moins, certains bouts. Cela lui rappelait étrangement une histoire dont elle connaissait déjà du bout des doigts le héros.
Tout ce qu'elle ignorait, c'était le passé de ce dernier.
- Cette histoire n'a pas encore trouvée sa fin, n'est-ce pas ? le coupe t-elle en le regardant droit dans les yeux
- Vous l'aurait-on déjà racontée ? relève Lucien intrigué
- Disons simplement que je connais un bout de celle-ci. Le petit garçon...vous parlez du Duc de Varox, n'est-ce pas ? Vous connaissez Jonah.
- Le «connaître» est un euphémisme ma chère, sourit-il
- Dans ce cas, je me vois dans l'obligation de réitérer ma question : Qui êtes-vous ? Et simplement «Lucien» ne me convient pas. Soyez plus précis cette fois.
- Quelle femme de caractère vous êtes ! s'offusque-t-il en riant
Mais voilà dont ce qui la rendait d'autant plus plaisante. Non. Intéressante.
Il y avait quelque chose qui ne cessait de piquer sa curiosité et cela faisait maintenant bien longtemps que Lucien n'avait pas eu un réel intérêt pour un autre être humain que lui-même. Pendant un temps, il avait ressenti ce petit frisson d'excitation avec Jonah. Cette ivresse et cette envie que de découvrir le moindre de ses secrets, de le mettre a nu devant lui et de lire en lui comme dans un livre.
Nombreux furent ceux et celles qui se méprenaient sur le compte de Lucien. Il n'y avait pas que l'argent qui le faisait vibrer, mais aussi ce besoin constant de tout savoir chez l'autre car il n'y avait rien de plus intéressant de de connaître jusqu'aux secrets les plus noirs des hommes.
Et cette jeune fille se tenant juste à sa portée, des secrets, elle en avait quelques uns. Il pouvait le sentir.
- Que vous dire si ce n'est ...Que je suis un magicien ? Voyez-le comme ça. J'existe dans le seul et unique but d'exaucer le vœu des gens.
- Vous mentez affreusement mal.
- Ce n'est pas un mensonge, ma chère, mais une demie vérité. J'ai un talent pour obtenir ce que d'autres souhaitent. Et effectivement, je connais Jonah de Varsox depuis maintenant...fort longtemps.
Venant près d'elle, Lucien s'arrête et se penchant légèrement en avant afin de se mettre à sa hauteur, il lui dit alors tout bas :
- Pendant un temps, j'étais vous. J'avais...une place particulière dans sa vie toute désuète, affirme-t-il
- Mais ne connaissez-vous pas l'adage ? Les absents ont toujours tort.
La remarque de Joséphine eut le mérite de le faire éclater de rire. Il s'attendait à ce qu'elle se vexe, lui saute à la gorge et lui pose mille et une questions sur ce qu'il sous-entendait, mais il fallait croire qu'elle comprenait très vite. Naturellement, il avait à faire à une personne jouant à cache-cache avec les gardes royaux. Elle était d'un naturel intelligent et si ce n'était pas pour quelque uns de ses talents, même lui doute du fait qu'il aurait su la retrouver. Quelle fille de noble se serait volontairement mise dans une telle situation ? Se rabaisser à travailler ? Et dans un taudis pareil ? Il fallait le voir pour le croire.
- Je pensais au moins avoir le droit à un petit cri d'effroi ou ne serait-ce que de surprise, boude-t-il déçu par son effet raté
- Suis-je supposée être choquée à chaque fois que j'apprends quelque chose ? Il m'en faut bien plus. En outre, qui a-t-il de choquant là-dedans ?
- Je viens de vous annoncer avoir eu une aventure avec...eh bien avec ce qui semble être votre partenaire.
- Puis-je être tout à fait honnête avec vous Monsieur Lucien ?
- Monsieur Lucien ? Juste Lucien me suffira, la reprit-il
- Nous n'avons jamais eu l'occasion de savoir ce que nous étions l'un pour l'autre. Du moins, nous n'avons jamais mis des mots clairs et précis sur cela. Mais je présume qu'il m'a demandé ma main donc cela fait de nous des personnes...intéressées par l'autre ?
Une nouvelle fois, Lucien éclate de rire. Etait-elle sérieuse ? En voilà un qui aurait le cœur très certainement brisé de ne pas avoir un juste retour de ses sentiments.
- Vous êtes décidément bien étonnante ! Je veux vraiment être votre ami ! insiste Lucien en essuyant du pouce les gouttes perlant aux coins de ses yeux tant il a rit.
- Si cela peut vous faire plaisir. Je présume que quiconque est ami avec le Duc mérite également mon amitié.
- Ami n'est pas vraiment le terme qui nous définit non plus, mais...soit. Je m'en accommoderais.
- Il va falloir, car je n'ai aucun autre rôle à vous proposer. Les autres places sont toutes occupées...Par moi-même, sourit Joséphine en lui glissant un large sous-entendu.
Effectivement, elle était une personne pour le moins étonnante et non ennuyante. Finalement Lucien n'a-t-il pas bien fait d'accepter ce rôle de Parrain la bonne fée ?
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