🌼 CHAPITRE 5 🌼

Il n'y avait pas un matin où les yeux de Joséphine ne se posèrent pas sur ces quelques lettres qu'elle cachait soigneusement sous son oreiller. Au total, quatre lettres. Une pour chaque membre de la famille Conquérant, mais aussi une à l'attention du Duc de Varsox dont elle était restée sans nouvelles.

Cela faisait deux semaines maintenant. Deux semaines à vivre dans l'incertitude, l'inquiétude et l'appréhension. Deux semaines à se poser de multiples questions dont aucune ne semble pouvoir avoir de réponses dans l'immédiat. Deux semaines à ne pas savoir quoi faire, à n'avoir aucun allié et à avoir pu s'abriter dans cet étrange endroit. Dans sa course contre les officiers ou les quelques gardes royaux qu'elle a bien pu voir passer, Joséphine s'est trouvé à travailler dans cette ridicule et modeste auberge. Pas plus de dix lits la nuit, des clients pour la plupart de voyages : des aventuriers, des marchands, des ivrognes du Dimanche. Ici, personne ne savait qui elle était et personne ne chercherait à le savoir car personne n'était voué à rester. Tous les gens qu'elle avait bien pu croiser en ce petit laps de temps n'étaient que de passage et tous furent assez sage pour ne rien lui demander. Qu'aurait-elle bien pu leur répondre si ce n'est ce grossier mensonge qu'elle sert aux deux ou trois personnes travaillant ici avec elle ? Un faux nom. Une fausse excuse pour s'être retrouvée dans ce village perdu. Mais un réel intérêt.

Car si le village servait de point de passage pour la plupart, il était également l'endroit parfait pour trouver la moindre information tant cela brassait par ici. Entre l'aventurier revenu de la capitale ou bien le marchand, cela ne manquait pas. Ainsi, elle pu, bien indirectement, en posant deux ou trois questions ici et là, en savoir davantage sur sa situation qui, selon les derniers commérages ne se serait guère améliorer. En effet, les dernières nouvelles ne sont pas bonnes et elle sait que plus elle tardera à partir, plus vite les gardes auront mit la main sur elle.

Cachant des lettres qui ne partirons probablement jamais, Joséphine attache ses cheveux, passe rapidement un coup d'eau sur son visage et descend les quelques marches qui la sépare du hall principal de l'auberge servant également de salle de réception. Il était bien tôt et mise à part quelques clients, l'auberge était encore bien silencieuse.

- Oh Harmonie, tu es là !

«Harmonie» voilà un prénom auquel la jeune femme éprouve encore un certain mal à répondre. Néanmoins, la voilà qui se retourne vers son interlocuteur, tout sourire tandis que ce dernier s'approche d'elle. Il ne s'agissait que de Fabien, le boulanger du village. Un jeune homme proche d'elle en âge et n'hésitant pas à faire halte régulièrement dès qu'il en avait l'occasion.

- Bonjour Fabien, souffle-t-elle comme si le monde autour d'elle dormait encore, Es-tu venu livrer la fournée du matin ?

- Autant en profiter tant que le pain est encore chaud ! plaisante-t-il

Malheureusement, son humour semble échapper à la jeune femme et il ne tarde pas à le remarquer, se frottant le cou par gêne.

- Vas-tu travailler toute la journée encore ? s'inquiète-t-il en voyant les quelques légères cernes se dessiner sous ses yeux fins

- Il le faut bien, lui répond Joséphine tout sourire, Sinon comment pourrais-je gagner ma vie ?

- C'est vrai ! Ce n'est pas comme si tu étais une de ces nobles de la ville qui n'a qu'à taper des mains pour avoir tout ce qu'elle désire.

Hélas, pendant un temps, elle eut cette vie. Bien qu'elle n'a jamais ménagé ses efforts, préférant mille fois travailler que de se laisser vivre et entretenir par un noble ne rêvant que de la voir comme un trophée de plus, Joséphine était alors loin d'imaginer qu'un jour, elle finirait par devoir tout abandonner.

- On dirait qu'il va pleuvoir aujourd'hui, le ciel me paraît bien chargé...continue Fabien dans l'espoir de faire durer la conversation

- On dirait bien, en effet. Je devrais y aller maintenant, je suis certaine qu'une longue journée m'attends.

- Prends soin de toi Harmonie et puis si jamais tu as besoin, n'hésite pas !

Fabien n'était pas méchant pour un sou, mais le garçon n'était guère discret dans ses attentions et bien que cela eut le mérite de la faire sourire, Joséphine n'éprouvait rien d'autre que de la pitié pour celui qu'elle ne pouvait guère combler.

Durant ces deux dernières semaines, la jeune femme n'eut pas vraiment l'occasion de tisser des liens et se créer de nouvelles amitié, mais les petites discussions volées ici et là par Fabien avaient tendance à parfois, réussir à lui détourner l'esprit de ses pensées.

Les heures s'enchaînèrent et se ressemblèrent presque pour Joséphine. Rapidement, la pluie qui s'abattait dehors força les quelques traînards à venir chercher refuge dans l'auberge, profitant par la même occasion d'un repas chaud et d'une pièce devenant de plus en plus bruyante.

Occupée à nettoyer les assiettes et les plats servis, Joséphine observe d'un coin de l'oeil l'assemblée. Marina, de deux ans sa cadette, est dans la salle à faire le service. La jeune Marina est en quelque sorte la mascotte locale. Arrivée au village il y a trois ans à la recherche d'un travail, elle fut tout de suite prise à l'auberge qui avait grand besoin de bras à l'époque. Cependant, Marina qui n'était qu'une petite fille devient une jeune femme au fur et à mesure des saisons qui passent et cela ne laisse personne indifférent.

Chose que Joséphine a immédiatement remarqué. Une main aux fesses par ci. Un sous-entendu par là. Une remarque par ci. Une proposition indécente par là. Rien ne semble épargner la jeune fille.

Revenant justement à hauteur du comptoir sur lequel Marina dépose les assiettes récupérées, cette dernière mortifiée peine grandement à cacher sa frayeur.

- Veux-tu que je prenne la relève ? propose Joséphine.

- Harmonie...supplia indirectement Marina la voix tremblante

- Va en cuisine, tu seras certainement plus utile là-bas. Je m'occupe du reste, ne t'en fais pas.

Et si par «s'occuper du reste», Joséphine sous-entendit le fait de donner une leçon à ces grossiers personnages. Alors, oui, elle s'occupa du reste. Profitant de son passage dans les rangées de table, elle renversa malencontreusement des pichets de soupe chaude sur les genoux des uns, brisa un ou deux doigts en se saisissant de mains s'approchant trop près d'elle et en menaça plus d'un tentant de se frayer un chemin jusqu'à ses cuisses.

Après avoir sévit dans la salle, elle revenue comme si de rien n'était en cuisine sous le regard abasourdi de Marina.

- Tu es mon héroïne Harmonie ! s'écrit cette dernière en attrapant ses mains dans les siennes.

- Je ne pense pas mériter de telles éloges, mais cela leur apprendra. Marina, il faut que tu apprennes à leur dire «non» et s'ils sont trop illettrés pour comprendre la simple signification de ce mot, je te conseil vivement de passer par les gestes.

- Malheureusement, j'ai déjà essayé, mais...tu sais ici...Ce n'est pas comme si quelqu'un allait s'interposer pour me défendre si ça venait à mal se passer.

Effectivement, il n'y avait personne ici pour défendre qui que ce soit. C'est à peine si le patron de l'auberge se montre, sauf le soir quand il faut faire le compte de la caisse. Un homme bien étrange, qui ne pose aucune question et qui ne cherche même pas à en savoir davantage sur les gens qu'il embauche. Enfin, cette situation lui convient bien car sans cela, elle se serait probablement retrouvée dans de beaux draps.

- Alors tu dois apprendre à te défendre. Peu importe la manière dont tu t'y emplois. S'il n'y a personne pour te prêter secours, tu dois apprendre à te secourir toute seule.

- Est-ce ainsi que tu as appris ?

Un silence venu se suspendre sur les lèvres de Joséphine. Elle aurait aimé lui répondre, mais la réponse qu'elle aurait eu à lui donner allait peut-être la trahir et elle ne pouvait se permettre ce genre d'erreur.

- Effectivement, j'ai appris. Seule.

Et seule, encore aujourd'hui elle le demeure. Au fond, n'aurait-elle pas souhaité rester en ville et se battre ? Pourquoi a-t-il fallut qu'elle l'écoute ? Pourquoi a-t-il fallut qu'elle se plie à sa volonté alors que la sienne lui crier de rester ?

Ah. Elle lui faisait confiance. Voilà ce qu'il s'était donc passé ce jour-là. Cela fait des jours maintenant que Joséphine cherche des réponses à ses questions, se repassant sans cesse en mémoire les événements de ce jour-là. Pourquoi Jonah lui a dit de fuir ? Pourquoi avait-il l'air si effrayé ? Elle aurait pu se défendre. Elle l'aurait fait. Elle l'aurait fait car c'est ce qu'elle a toujours fait. Elle se serait battue bec et ongles pour obtenir sa liberté et la reconnaissance de son innocence.

Mais au lieu de ça, elle a fuit, seule, des jours durant avant de trouver refuge dans ce miteux petit village paysan ou rien ne se passe si ce n'est ce genre d'incident.

Sentant un brin de colère l'envahir, elle défit le nœud de son tablier avant de le poser sur le comptoir.

- J'ai besoin de prendre l'air. Peux-tu y arriver pendant une petite dizaine de minutes ? Viens me chercher sinon, je serais à l'arrière.

Sortant par la porte de la cuisine permettant de réceptionner les quelques livraisons se faisant dans l'établissement, Joséphine se retrouve dans une ruelle jonchée de caisses et tonneaux en bois laissés là, complètement à l'abandon. S'asseyant sur l'un d'eux, ses yeux se levèrent pendant un temps vers le ciel devenu noir. La pluie ne risque pas de cesser et il y en aura probablement pour toute la journée si ce n'est toute la nuit.

- Dites donc toi là-bas, mon cousin et moi, on voudrait te parler !

Interpellée par deux individus, Joséphine fit mine de les ignorer jusqu'à ce que ces derniers se rapprochent suffisamment d'elle pour entendre jusqu'à leur raclement de gorge.

- Hé ! Je te parle, t'es sourde ? T'as souillé le pantalon de mon cousin et il aimerait des excuses.

Allons donc. Voilà deux grossiers personnages qui s'approchent.

Un soupire échappe à la jeune fille tandis que ses yeux quittent le ciel pour se poser vers les deux silhouettes se rapprochant d'elle tandis que l'un des deux hommes se saisit d'une planche de bois posée juste là.

Descendant de la caisse sur laquelle elle avait trouvée temporairement refuge, Joséphine regarde attentivement les hommes arrivant à sa hauteur.

- Vraiment les garçons ? Vous voulez faire ça ici ? Sachez que je passe une très mauvaise journée...

- Excuse-toi !

- Demandez poliment cela ne vous ai pas venu à l'esprit ? Oh, j'oubliais, encore faudrait-il que le vôtre soit suffisamment éclairé pour une quelconque lueur y passe et fasse son œuvre, lance Joséphine

- Fais lui fermer son caquet à celle-là ! s'écrit un des deux hommes

Se jetant sur elle, Joséphine l'évite en faisant seulement un pas de côté tandis qu'il se vautre lamentablement contre le mur se trouvant derrière elle. A la vue de son échec, son cousin, armé, charge à son tour. L'étroitesse de la ruelle ne facilite en rien le combat, ni même les pavés glissants dû à la pluie ruisselant sur ces derniers. Trébuchant, Joséphine ne se prends que le bord de la planche de bois, laissant alors un léger filet de sang s'écoulant sur son front. S'apprêtant à recevoir un deuxième coup, ce dernier est stoppé quand une sorte de corde sortie de nulle part arrête le bras de son adversaire.

- Mais que vois-je ? Me voilà tout retourné par un tel spectacle ! s'écrit une voix, Deux gaillards grands et costauds s'en prenant à une femme seule dans un coin reculé. Si je ne m'y connaissais pas, je pourrais croire à bien des choses.

- Tenez-le ! ordonne Joséphine

Se relevant et se servant de son meilleur crochet du droit, elle envoie le deuxième homme au sol sous le regard étonné, mais non moins amusé, de son nouvel allié.

La douleur du contrecoup affligé par son geste, oblige Joséphine à s'asseoir, trempée et le front blessé. Un violent mal de tête l'envahit tandis que l'homme s'approche d'elle, en profitant pour attacher dans un coin ses deux attaquants.

- Je dois dire que je m'attendais à bien des choses, mais me voilà tout de même surprit, avoue-t-il.

Se saisissant d'une main du visage de la jeune fille, l'homme inspecte sa plaie en grimaçant.

- Il faut s'occuper de cela. Et de votre main aussi.

- Qui êtes-vous ?

- Considérez-moi comme un ami intéressé.

- Je n'ai guère d'ami, vous m'en voyez navrée, siffle-t-elle en se frottant la main contre son jupon.

- Dans ce cas, je suis honoré d'être le tout premier de la liste. Venez avec moi.

Ne se voyant pas retournée dans l'auberge avec un tel accoutrement et une plaie ouverte, Joséphine se voit contrainte de suivre l'étranger présent devant elle. Ce dernier la guide alors jusque dans une chambre de bonne, non loin de l'auberge.

- Asseyez-vous là, lui dit-il

Allumant un feu dans la cheminée, Joséphine le regarde s'agiter autour d'elle, tandis qu'il lui indique le lit se trouvant juste derrière. Préférant néanmoins le regarder faire, elle trouva en lui un semblant de familiarité.

- Avez-vous l'habitude de faire ce genre de chose ? lui demande Joséphine toute intéressée

- Quoi donc ?

- Amener la première étrangère que vous rencontrez dans votre chambre.

- Plus souvent que ce que vous ne pourrez imaginer et je ne m'arrête pas aux étrangères, les étranges comptent aussi, lui répond-t-il tout sourire

- Cela est étrangement honnête, suspecte-t-elle

- Etais-je supposé vous mentir ?

- Peu de gens sont aussi ouverts que vous lors d'une première rencontre.

- Il est fort probable que ce soit le cas, en effet. Néanmoins, je n'ai rien à cacher et je tiens à rectifier une chose, poursuit-il

Prenant un tabouret pour s'installer face à elle, l'inconnu pose une trousse de soins sur le lit en invitant Joséphine à s'asseoir à son tour.

- Je m'appelle Lucien et vous, ma chère, n'êtes guère une étrangère. Ne l'ai-je pas dit ? Je suis fortement intéressé pour être votre ami.

- Alors que vous ne me connaissez pas ? se méfie Joséphine

Lucien ne put s'empêcher de pouffer. Bien entendu qu'il ne la connaissait pas, mais avec ce qu'il avait entendu d'elle et avec ce qu'il avait vu d'elle, il comprit à présent pourquoi cette jeune fille au semblant fragile et frêle avait piqué l'intérêt de Jonah. Elle portait en elle cette différence que le jeune Duc affectionnait tant. Il pouvait le sentir sur elle tel un parfum se dégageant de sa personne même. En outre, quelle demoiselle censée irait jusqu'à se battre contre deux hommes ? Cela est fou. Mais remarquablement séduisant.

- Profitons de la journée pour faire plus amples connaissances dans ce cas, propose Lucien en soignant avec la plus grande et surprenant délicatesse sa main.

- Vous êtes décidément bien étrange, reprit-elle

- Le suis-je ? Ne le sommes-nous pas tous les deux ? Car après tout, n'avez-vous pas accepté de suivre un inconnu jusque dans sa chambre ? N'éprouvez-vous aucune méfiance ?

Elle marqua une pause et Lucien le vit. Il vit que certains de ses mots restèrent sur le bord de ses lèvres. Puis un sourire vint. Timide, discret, mais un sourire tout de même.

- Je ne saurais l'expliquer, mais vous avez quelque chose de familier. 

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