🌼 CHAPITRE 48 🌼

L'acier se mit brusquement à claquer, emportant avec lui un cri plus léger que la brise elle-même. Le combat avait prit fin à l'instant même où la lame s'était enterrée dans les profondeurs du sable. Il n'y avait nul doute sur l'issu, ni même sur le gagnant.

- Vous me devez donc une faveur, Votre Altesse, souffla Joséphine en essuyant les perles de sueur sur son front.

Le Prince Amir, la joue légèrement entaillée afin de laisser transparaître un filet de sang, venait de se retrouver fesses au sol, désarmé, mais aussi complètement décontenancé et charmé. A dire vrai, le jeune prince, faute d'être surpris, était ravie.

Éclatant alors de rire, il finit tout de même par se relever, dépoussiérant ses habits et essuyant la blessure sur sa joue.

- Ma foi, je serai alors votre obligé !

- Veuillez ne pas l'oublier le moment venu ou alors je saurai vous le rappeler, signifia Joséphine en ramassant l'arme au sol.

- Je n'en doute pas. Vous connaissant, je suis certain que j'ai à votre égard, une dette d'une vie.

Le soleil finit par se coucher sur les traces de ce duel. Ici au sultanat les femmes n'avaient pas le droit aux armes, cela allait à l'encontre des croyances et pourtant, Joséphine, l'invitée du Prince, venait de se battre contre ce dernier devant une toute petite assemblée s'impatientant de raconter ce fait au premier qui voudra l'entendre. Une femme venait de battre le futur souverain de cette nation, mais si personne n'en dit rien, certains ne se priva pas pour émettre une certaine admiration à l'égard de celle qui faisait courir tant de rumeurs. La fille de Madeline Zaran, princesse héritière du Royaume de Zaranie, était finalement bel et bien là et aux yeux de certains, le fait que Joséphine tienne énormément de sa mère, pouvait changer tellement de choses.

Alors assise près du feu crépitant, cette dernière se perdit dans ses pensées, s'égarant dans ses univers puis revenant à la brusque réalité. Son visage impassible ne laissa en rien deviner sur quoi son esprit se perdait, mais Amir, prenant place à ses côtés, ne savait que trop bien que celle dont il convoitait l'amour et l'affection pensait ardemment à un autre.

- Vous êtes décidément pleine de surprises, lança le Prince en espérant capter son attention

Joséphine sortit de sa bulle face à ces quelques mots. Etait-ce vraiment de la surprise ou de la préparation ? Depuis son plus jeune âge et d'aussi loin qu'elle puisse s'en souvenir, une épée lui tenait dans les bois. Tantôt en bois puis progressivement en acier. Elle se souvenait de chacun de ses cours, de chacun des mouvements apprit que ce soit sous la pluie, la neige ou le soleil tapant. Jamais elle n'avait demandé, ne serait-ce que par curiosité, pourquoi elle devait endurer tout ça car les jeunes filles de son âge apprenait à broder, peindre, chanter ou à séduire. Mais pas à elle. La séduction était bel et bien la dernière de ses leçons et la dernière des priorités de son père une fois que sa mère eut disparue. Elle apprit à se battre et elle le fit une bonne partie de sa vie. Elle se bagarra contre Bartholomé puis contre d'autres garçons venus l'embêter. Elle se querella avec de nombreuses jeunes femmes ne voyant en elle rien d'autre qu'un échec de la société et le fruit juteux de leur jalousie maladive. Elle se disputa avec la société elle-même afin de s'y faire sa place aussi bien en tant que femme, mais également en tant que cheffe de famille et jusqu'à présent, aucun de ses combats ne fut remporté par une écrasante victoire. Elle gagna, certes, mais au prix d'efforts, de labeurs, de nombreux pleurs discrets et d'acharnement car l'acharnement c'était peut-être tout ce qu'il lui resté. La volonté d'en découdre, d'en finir et de mettre tout ceci derrière elle. De se dire que pour une fois dans sa vie, elle se coucherait en ayant l'esprit loin des soucis et loin des inquiétudes constantes qu'elle portait en elle.

- Petite, je n'ai jamais réellement comprit pourquoi mon père insistait constamment pour que j'apprenne à me défendre. A l'aube de mes dix ans et pour me servir de leçon, il essaya de me faire enlever, uniquement dans le but de tester ma réaction, mes réflexes... Je lui en ai voulu des années durant. Je l'aimais, mais j'étais en colère car j'avais l'impression qu'il me punissait. Qu'il était dur avec moi et pas avec mes cadets dans le seul but que je devienne...Quelque chose que je ne serais jamais. Aujourd'hui, je crains hélas que tout cela fasse sens et honnêtement, ça me terrifie. Par moment, j'ai l'impression de me perdre, de devenir une autre personne. Une personne que je n'apprécie pas tant elle est détachée de toutes choses. J'ai lutté des années pour prendre mon indépendance et me dire que j'arriverais à lui prouver que j'aurai cette vie différente, celle dont j'ai toujours rêvé. Mais aujourd'hui, je suis juste-là, assise dans un désert, à regarder les étoiles et à me demander si finalement, je ne suis pas en train de marcher sur le chemin qu'il m'a prédestiné à prendre.

Néanmoins en repensant à cette période de sa vie, Joséphine eut un léger sourire. Elle était si loin, à ce moment-là, de s'imaginer qu'un jour tout ceci lui arriverait. Elle se voyait reprendre le flambeau de son père et s'occuper de Ambre et même de Thomas jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge, peut-être même se serait-elle installée seule dans une maison plus modeste laissant, au premier des Conquérant qui se marierait, la maison familiale s'il le fallait car oui Joséphine n'avait aucunement prévue de se marier. Encore moins avec un Duc qu'elle s'apprêtait à sauver.

Traverser des mers et un océan, braver l'étranger et l'inconnu, défier un prince dans un désert brûlant, tout ça ne faisait pas partie de ses plans d'avenir et pourtant...

- Vous avez en vous quelque chose de spécial, Joséphine. En avez-vous certainement assez que je vous le répète, mais il y a ce sentiment qui vous anime que vous le vouliez ou non. Je pense que c'est ce dernier qui guide vos pas même si vous n'en avez guère l'impression. Vous transpirez cet élan de liberté qui nous fait envie à tous, vous donnez l'impression de frôler le sol et qu'à tout moment vous pourriez alors vous envoler vers d'autres contrées lointaines ou imaginaires. Vous n'êtes pas liée par ces chaînes du passé que, je pense, vous devez avoir brisé il y a de cela quelques années maintenant.

- Je ne saurai dire si je vous donne raison ou non car moi-même je me sens à la fois perdue et à la fois certaine dans ce que je fais. Je veux dire, ai-je perdu la raison ou le sens de la normalité ? Ma détermination à vouloir m'affirmer par moi-même fait-elle de moi une folle ?

- Vous savez aussi bien que moi que non. Vous n'êtes pas folle et il n'y a rien de plus honorable que de vouloir faire ses choix et de vouloir vivre de ses choix même si la société nous en imposent des différents. Nous vivons dans un monde qui nous pousse constamment dans le conflit. Il y a ce que nous aimerions faire et ce que nous devons faire. Ce que nous aimerions être et qui nous sommes. Ce que nous rêvons et ce qui fait partie intégrante de notre réalité. Souvent, ces aspects là ne cessent d'entrer en collision pour mieux nous torturer de l'intérieur.

- Et j'aimerais tant ne pas l'être ! soupira-t-elle, J'aimerais sincèrement que tout soit comme...

- Vous le désirez ? ria le Prince, Si seulement cela était possible. Si seulement...

Tous deux émirent un regard en disant long car tous deux se savaient prit dans les filets du destin. L'un deviendra sans conteste le plus grand souverain d'un Sultanat aux multiples richesses et l'autre deviendra l'une des figures majeures d'un mouvement féministe au sein de son propre Royaume.

- Nous devrions dormir. Une longue route nous attends encore, fit Amir en se levant

- Puis-je vous poser une question ?

- Mais je vous en prie, vous savez que je ne peux rien vous refuser.

- A combien estimez-vous réellement nos chances de réussite ? Je sais que je me suis montrée particulièrement...virulente, hâtive et ignorante sur bien des sujets, mais j'aimerais que vous soyez honnête avec moi.

Amir, prit de court par la question, s'arrêta et prit un instant de réflexion. Il y avait tellement de réponses qui sauraient très certainement la satisfaire et qui lui ferait plaisir à entendre, mais il savait que ce n'était pas ce qu'elle demandait. Joséphine voulait la vérité et la vérité pouvait parfois se montrer... pessimiste.

- Je vous ai déjà fait part de la dangerosité de notre mission et je ne saurai vous cacher la vérité : Les risques sont élevés. Le moindre faux pas, la moindre fausse manœuvre pourrait nous mettre en danger, compromettre notre position ou pir encore, mettre un terme à la vie du Duc. Néanmoins, j'ai pris mes meilleurs hommes et je suis certain que nous réussirons notre mission.

- Le pensez-vous réellement ?

- Je ne sais pas ce que veulent ces hommes, mais ce que je sais c'est qu'ils ne se compromettraient pas eux-mêmes dans leur quête, peu importe cette dernière. Ils auraient pu avoir cent occasions de tuer le Duc et ils ne l'ont pas fait. Non. Au lieu de cela, ils se sont donnés la peine de le capturer, de l'enlever et de vous attendre bien sagement dans leur forteresse. Il n'y a donc pas d'erreur, ils ne feront rien tant qu'ils ne vous auront pas vu.

Et bien que ces paroles furent d'un grand réconfort pour Joséphine, elles installèrent en elle un climat de doutes et d'appréhensions. A présent, elle avait la confirmation qu'elle redoutait tant et dont elle faisait son possible pour l'ignorer :

La vie de Jonah reposait entre ses mains.

Allait-elle seulement pouvoir le sauver et le ramener ?

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