🌼 CHAPITRE 4 🌼

- Vous paraissez contrarié, Monsieur.

- Tout simplement parce que je le suis.

Depuis son retour chez lui, Jonah s'était enfermé aussi bien dans son bureau que dans ses pensées, les mots de Sophia rejouant sans cesse la même atroce mélodie.

«Réfléchissez Duc, l'avenir de Joséphine repose entre vos mains à présent. L'autoriseriez-vous à retrouver sa vie ? Ou allez-vous vous obstinez et la condamner ?» Encore une fois, ces mêmes mots. Encore une fois, cette même impasse, ce mur gigantesque qui semble se dresser contre lui et l'empêcher d'atteindre Joséphine. Pourquoi fallait-il que cela arrive ? Manquait-il à ce point de pouvoir ou bien même d'argent pour manquer à ce point d'allié ? Etait-il incapable de l'aider, elle, plus que n'importe qui ? Bien évidemment. Dans le cas contraire,ne l'aurait-il pas protéger ? Ne l'aurait-il pas garder à ses côtés ?

Chaque nuit, Jonah y pense. Aux choses qu'il aurait pu lui dire ou bien même faire pour elle. Il aurait pu se battre ou tout du moins, il aurait pu essayer. Mais il ne l'a pas fait, saisis et pris dans un élan de panique. De peur.

- Maximilien, tu es mon conseiller et mon ami le plus proche, n'est-ce pas ? s'inquiète Jonah en levant les yeux vers ce dernier qui se tenait droit comme un piquet devant son bureau, pratiquement au garde à vous

- Aux dernières nouvelles, c'est exacte. Cependant, je vous rappel qu'une autre de vos...fréquentions, disons, vous attends.

- J'irais. Quand la nuit sera à son apogée et qu'il sera l'heure de s'amuser, répond Jonah avec un léger sourire en coin s'attendant déjà à passer un moment dès plus désagréable, Mais là de suite, j'ai besoin de toi.

- Du conseiller ou de l'ami ?

- Du conseiller. J'aimerais que tu me dises ce qui te parais le plus judicieux avec ce que je vais te raconter.

- Très bien.Je vous écoute, dit-il alors en s'installant sur la chaise devant lui

Jonah lui fit alors part de son entretien avec Sophia, et ce, sans prendre la peine d'épargner le moindre détail. Bien qu'il eut toujours tendance à ne suivre que sa propre voie, il savait que Maximilien serait capable de voir un angle lui échappant. C'était un garçon rationnel. Lui faisant part constamment de son opinion même quand il ne la désirait point. Écoutant donc le récit de son maître et ami, le jeune conseiller finit par s'adosser à sa chaise sans même être surpris.

- Et donc vous aimeriez que je vous donne mon avis personnel sur la marche à suivre, c'est bien cela ? s'informe Maximilien avant de se lancer.

- Tu serais bien aimable d'éclairer ma pauvre chandelle, en effet.

- Dois-je vous parler en tant que conseiller ou en tant qu'ami ?

- J'aimerais si possible avoir à faire aux deux, mais je sais que cette situation impose une décision.

- Décision que vous connaissez déjà au plus profond de vous-même si je ne m'abuse, car Monsieur, jamais vous ne m'avez demandé mon avis. Les peu de fois où vous l'avez requit c'était uniquement dans le but de vous rassurer car vous saviez déjà quoi faire. Cela n'a pas changé. Vous savez quoi et je pense, que vous n'avez pas besoin que j'en rajoute.

Un soupire échappa au jeune Duc tandis que ce dernier se passa une main sur le visage. A force de courir, il est venu le temps de s'établir visiblement.

- Ne faites pas cette tête-là. Vous saviez que ce moment finirait par arriver car sinon, pourquoi auriez-vous demandé Lucien ? poursuit Maximilien devant son visage déconfit.

- Tu as raison. Néanmoins, j'espérais une autre issue.

- Avec tout le respect que j'ai pour vous, vous n'êtes pas un idiot ni un naïf alors pourquoi diable iriez-vous croire au fin heureuse quand celles-ci n'existent pas ?

- Pendant un temps Max...Vraiment pendant un temps, j'ai cru que cela n'était pas qu'un conte de fées.

- Je sais. Mais si vous voulez l'aider, alors devenez Duc. Prenez votre juste place au sein de la société et poussez votre tante en dehors de la demeure ancestrale. Dès que vous serez là-bas, il ne va s'en dire que vous aurez une autorité pleine et entière.

- Mais n'aurais-je pas obtenu cela par le biais du mariage ?

- Vous et moi savons que nous ne pouvons nous permettre de faire les fines bouches au vue de notre situation.

- Et cela me désole.

- Probablement pas autant que moi, Monsieur.

Se retirant, Maximilien attendit de refermer la porte derrière lui avant de soupirer à son tour. Il y a de cela quelques semaines, sa préoccupation première était de veiller à ce que Jonah, l'esprit papillonnant, accomplisse sa part du travail. Aujourd'hui, il le retrouve assis dans une pièce à peine éclairée, préoccupé. Aujourd'hui, il retrouve le Jonah d'il y a cinq ans.

Bien des pensées et des préoccupations passèrent en effet par l'esprit du jeune Duc et c'est probablement ce qui l'ennuya le plus. Jamais encore il n'était resté assis bien longtemps, toujours à courir à droite et à gauche après les opportunités. Jamais encore il ne s'était autant remis en question que ce soit sa façon de voir les choses ou bien même son avenir. Jamais encore il ne s'était senti à ce point-là perdu sans pourtant être effrayé. Oh, mais il ne faut pas croire qu'il n'avait là aucune appréhension, bien au contraire, mais aucune ne fut suffisamment forte pour le retenir cloué plus d'une heure sur sa chaise.

Quittant son bureau, il partit se préparer, quittant son costume d'apparat dont il s'était empressé de retirer la veste et de déboutonner les premiers boutons de sa chemise l'étranglant, pour passer dans une tenue plus confortable. Moins formelle. Moins «ducale» disons.

Jonah savait que l'endroit où il s'apprêtait à se rendre était d'une réputation plus que douteuse et qu'il suffirait d'un seul regard plus que curieux pour lancer multiples rumeurs à son sujet. Quiconque penserait que le principal et récent intérêt de la Princesse la plus vertueuse d'entre toutes, passerait ses nuits dans un bordel ? Néanmoins, si le bordel était l'enfer de bien des hommes, le jeune homme le préférait au Palais.

Tous les monstres et les démons ne sont malheureusement pas sous terre.

Passant par les toits des taudis voisins, Jonah réussit tant bien que mal à se frayer un chemin à hauteur de la fenêtre de de la chambre dans laquelle Lucien était supposé rester. Selon Maximilien ce dernier n'avait guère changer et cela ne l'étonna en rien. Lucien avait une vie pour le moins décousue, mais une vie qui lui était propre et dont personne ne semblait tirer les ficelles. Une vie loin de la sienne, comme cela a toujours été.

Sur ce, le jeune Duc retrouva une silhouette au dos balafré, simplement recouverte d'un drap couvrant sa taille et dont cette dernière ne semblait guère intéressée de lui faire face bien qu'un léger rire se fit entendre dans la petite pièce.

- Je savais que tu finirais par venir.

Se retournant enfin vers lui tandis que Jonah s'assit sur le bord de la fenêtre, Lucien le dévisagea avant de lui adresser un large sourire montrant sa satisfaction.

- Bonsoir Jonah.

Mais ce dernier ne dit pas un mot, si ce n'est laisser échapper un léger grognement. Loin d'être ravi d'être ici, Jonah savait qu'entre les mains de Lucien tenait son seul et unique petit bout d'espoir.

- Ne peux-tu donc pas t'habiller ? grogne ce dernier en quittant le rebord de la fenêtre

- Pourquoi ? La nuit n'est pas si fraîche et il fut un temps, cela ne te dérangeait pas plus que cela à ce que je sache, lance Lucien en s'approchant de lui

- Mais les temps changent et les gens aussi, Lucien. Je te prierais donc de te vêtir, insiste Jonah

- Tu oublies un détail, mon ami. Ici, je ne reçois d'ordre de personne. Pas même de toi. Tu as raison : Les temps changent car il fut un temps, je me serais peut-être exécuté.

Il n'y avait rien d'autre qu'entre les deux jeunes gens que de l'amertume et des regrets. Certaines affaires non terminées. Certains mots jamais dit ô combien ils en avaient eu la volonté. Si les choses avaient été différentes, peut-être que leur amitié aurait également été différente. Peut-être n'aurait-elle pas souffert des ambitions des uns et des trahisons des autres.

- Allons-nous rester là tous deux à nous dévisager dans le plus grand des silences ? Dis-moi donc ce pourquoi tu as envoyé ton mignon au lieu de venir toi-même. A moins qu'encore une fois, Monsieur le Duc est trop occupé pour me dire les choses lui-même de vive voix ?

- Ne joue pas à ce petit jeu là avec moi Lucien. De nous deux, nous savons très bien qui est celui qui a le droit d'être en colère et pour l'instant, je n'ai rien dis.

- Alors que me veux-tu ?

- Je te paierais généreusement pour que tu retrouves quelqu'un. Crois-moi, si j'avais le choix je me serais tourné vers quelqu'un d'autre, mais tu reste le meilleur pour ce genre de chose.

- Un compliment venant de toi...Mon dieu. Cela a dû te demander beaucoup.

- Ne teste pas ma patience car je n'en ai pas beaucoup ces derniers jours.

Lucien se mit alors un rire, quittant les abords de Jonah pour se diriger vers ce qui semblait être une armoire, s'habillant juste sous ses yeux, allant jusqu'à laisser tomber le drap avec lequel il était vêtu jusqu'à présent à même le sol.

- Pour l'amour de Dieu, un peu de décence, souffle Jonah en se retournant

- Il faudrait savoir : Si je suis nu, cela ne te plaît pas et si je fais l'effort de me mettre une chemise sur le dos, cela te contrarie également. Je ne te savais pas aussi indécis.

- Si je l'étais, je ne serais pas ici. J'ai besoin que tu me retrouves cette personne.

Posant un sac généreusement rempli d'un millier de pièces sur la table, Jonah détourne le regard à l'encontre de son ancien ami qui, en quelques minutes, avait réussi à s'habiller entièrement.

- Tadam ! Je suis prêt, fit le vaurien en se retournant tel un enfant satisfait

- Veux-tu une médaille ?

- Ne peux-tu pas être satisfait ?

- Je pensais que tu ne voulais pas m'écouter. De toute façon, as-tu un jour écouté quelqu'un d'autre que toi-même ? soupire Jonah en levant les yeux au ciel

- Hmmm ....pas que je m'en souvienne.

- C'est bien ce qui me semblait. Bon,puis-je finir ? Je n'aimerais pas m'attarder.

- Pourquoi ? La nuit est longue mon ami, et toi et moi connaissons plus d'une façon de l'occuper, souligne Lucien dans un sourire large de sous-entendus.

- Je préfère oublier cette sinistre et sombre époque.

- Je suis vexé. Cela voudrait dire que tu tiens aussi à m'oublier ?

- Surtout toi en fait.

Sans même s'en rendre compte, voilà que les deux hommes retrouvèrent en quelques minutes leurs échanges. La façon dont ils avaient de se lancer des piques, de rebondir sur tout ce que pouvait dire l'autre, de se regarder, de sourire malicieusement, amusé... Sans même s'en rendre compte, le fossé qui s'était alors creusé entre eux après toutes ces années, se comblait progressivement. Il y avait une alchimie naturelle entre eux et cela, ils ne pouvaient le nier ni même l'ignorer.

- Je vois que tu n'as pas oublié comment me parler, lance Lucien en secouant la poche déposée non loin

- S'il y a bien quelque chose que tu aimes plus que toi-même Lucien, c'est l'argent. Je l'ai compris il y a bien longtemps.

- Peux-tu m'en vouloir ? L'amour, Jonah, contrairement à ce que tu sembles penser toi le rêveur, ce n'est pas ce qui fait tourner le monde aujourd'hui. Peut-être ton monde, mais j'en doute car sinon, tu ne serais pas venu jusqu'ici aujourd'hui avec cela en poche. As-tu enfin appris la leçon ?

- Je devrais te remercier pour celle-ci, je présume. Ne nous as-tu pas laissé derrière pour une poignée de piécettes ? répond le Duc sur un ton plus froid et détaché

- Tu comprendras certainement que, tout comme toi, j'avais moi-même des choses à faire. Et je m'y suis plié. Ma vie n'est pas que sexe, rigolades et argent.

- C'est étrange, mais j'ai du mal à le croire.

- Tu me connais mieux que ça, s'inquiète le brigand

- Je pensais te connaître, là est toute la différence, mais je me suis trompé et cette erreur...crois-moi, il n'y a pas un jour où je ne la regrette pas. Peut-être, comme l'as-tu si bien dit, si j'avais été un moins doux rêveur à cette époque-là, les choses auraient été différentes.

- Peut-être, en effet.

Hélas, si les choses avaient été différentes, peut-être que Jonah ne serait jamais revenu jusqu'ici. Peut-être serait-il même resté là-bas. Pendant un temps, cette idée le séduisait. Le fait de ne pas être Duc, de se tenir loin de sa tante qui, de toute façon, lui mettrait des bâtons dans les roues. Il aurait pu faire sa vie là-bas. Non...Il avait une vie. Bien moins chaotique. Mouvementée, amusante, faite de petits coups bas, de soirées bien trop arrosées et d'amour. Une vie de fripouille. Une vie de brigand. Une vie bien trop tentante.

- Donc ? Dois-je me rendre au chevet de ta belle fugitive ? s'informe Lucien en lassant ses bottes.

- Comment le...

- Oh par pitié. Tout le monde ne parle que de ça. Crois-tu que les putains de cette établissement ne parlent pas ? Crois-tu que les nobles crasseux que tu fréquentes le jour, ne viennent pas se vider les poches et les bourses ici la nuit ? Je ne fréquente pas ce genre d'endroit pour la qualité du service. Il n'y en a aucun.

- Alors tu recueils des informations ?

- N'est-ce pas ce que je t'ai appris ? C'est la base. En outre, je ne serais pas aussi bon dans ce que je fais si je ne laissais pas traîner mes oreilles. Il n'y a pas que pas queue qui se promène.

- Par pitié... Epargne moi ce genre de détails.

- Pendant un temps, tu aimais les rapports détaillés. Dois-je t'en faire un dès que...

- Non. Je voudrais seulement que tu la protèges. Il y a de fortes chances que la garde royale vienne pour elle.

- Oh...Là c'est différent. Il ne s'agit pas que de retrouver quelqu'un.

Posant ses yeux sur la bourse, Jonah la pointe du doigt en prenant son air le plus blasé.

- N'est-ce pas pour cela que je t'ai si lourdement payé ? Et puis-je savoir depuis quand cela te perturbe-t-il de frapper des gens bossant pour la famille royale ? Tu n'as jamais été quelqu'un marchant dans le droit chemin.

Lucien ne put s'empêcher de rire, tendant alors sa main à l'encontre du jeune Duc se tenant devant lui avec son air le plus contrarié.

- En souvenir du bon vieux temps, je serais ton homme et je ferais le nécessaire. Mais crois-moi que si cela se complique, la demoiselle devra se débrouiller seule.

«C'est certainement déjà le cas» pensa Jonah. Il n'y avait aucun doute sur cela : Joséphine était une jeune femme de ressources et même lui cela avait encore aujourd'hui tendance à le surprendre. Certes, il s'attendait et espérait qu'elle fuie et qu'elle se cache, mais la garde royale avait tout de même une réputation et qu'une simple fille de marchand leur échappe...voilà qui faisait une belle tâche à leur palmarès.

- Tu m'enverras tes factures le moment venu. Je m'assurerais de payer la note, signale Jonah en se saisissant de sa main tendue la serrant dans la sienne.

- Toi-même ou enverras-tu encore ton mignon ?

- Cesse de l'appeler mon mignon.

- N'est-ce pas véridique ?

- Je refuse de répondre à cela.

Enjambant la fenêtre pour repartir comme il est arrivé, Jonah est arrêté par Lucien, qui, au milieu de la pièce et les bras croisés, le regarde tout sourire.

- Ne souris pas, tu es hideux quand tu le fais, rit le Duc

- Je vois que certaines habitudes ont la vie dure. Sais-tu que les portes existent ? Ou le fais-tu seulement pour me prouver que tu n'as plus besoin que je t'apprenne quoique ce soit ?

- Disons que je ne suis plus l'oisillon que j'avais l'habitude d'être. Je sais voler à présent, répond ce dernier.

- On se demande bien grâce à qui.

- Nous savons tous deux grâce à qui.

Sautant pour se rattraper sur le toit voisin, Lucien regarde la silhouette du jeune homme disparaître avec les rayons de la lune progressivement dissimulés par d'imposants nuages.

- Voyons si celle qui m'a remplacé vaut le coup de se risquer.

Voyons si celle dont tout le monde parle, mérite réellement l'attention que tous s'accordent à lui donner depuis les deux dernières semaines maintenant.

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