🌼 CHAPITRE 34 🌼

- Vous me faites grande peine à voir, souligna une voix familière.

Assise seule à la terrasse d'un café, le nez plongé dans les derniers divers documents dont elle devait s'occuper, Joséphine laissa échapper bien malgré elle un soupir lourd de sens quand elle comprit qui se tenait devant elle. Elle n'eut même pas besoin de lever les yeux, l'odeur marquante d'un parfum mélangeant extrait de rose et de citron suffisait à lui rappeler une seule et unique personne.

- Votre Altesse Royale, répondit l'intéressée sans prendre la peine de saluer la jeune femme très largement entourée.

- Est-ce une façon de saluer votre souveraine Baronne ? fit remarquer la Princesse.

- Ma souveraine, est à l'heure actuelle et si je n'ose me tromper, votre mère. Vous n'avez pas encore hérité du trône, à moins que les événements se soient soudainement précipités durant mon sommeil.

- Laissez-nous, ordonna la Princesse.

Se débarrassant de son escorte d'un geste de la main, Sophia venue prendre place en face même de Joséphine, les bras croisés contre la poitrine, appuyant alors sur les broderies de sa robe.

- J'aime à nous considérer comme deux femmes sachant ce qu'elles veulent, bien que cela entre parfois en concurrence, mais je dois bien admettre, que depuis quelques temps, vous me semblez être en dehors du coup, pesta la Princesse

- Loin de moi l'envie d'entrer dans une quelconque compétition avec Votre Altesse, j'en sortirais perdante de toute évidence, reprit Joséphine

- Que faites-vous Joséphine ?

- Je travail, je pensais qu'au vue de votre génie, vous l'auriez deviné ! ironisa la jeune femme

- Je ne parle pas de cela et moquez-vous de moi ?

- Je n'oserais point. Vous êtes le trésor de notre belle nation, rire à votre dépend serait commettre une trahison !

Jamais encore Joséphine n'eut espéré avoir un semblant de conversation avec la Princesse. A chacune de leur confrontation, un drame survenait et la Princesse n'avait eu de cesse que de la prendre de haut. Bien évidemment, Sophia était la future héritière du trône et par cette qualité, la personne la plus importante du Royaume, cependant, Joséphine ne reconnu en elle aucune des qualités que l'on admettait à un bon souverain. Elle n'était que vanité, arrogance et caprice.

- Vous semblez n'être que l'image de vous-même. C'est d'une tristesse, poursuivit la Princesse en jouant avec les couverts se trouvant devant elle.

- Je ne savais pas que mon bonheur ou bien même mon bien être était si primordial pour vous. Ne seriez-vous pas la première personne heureuse si je venais à sortir de votre champ de vision ? Après tout, vous vous y êtes attardez longuement ces derniers mois, siffla Joséphine non sans contenir une intonation plus qu'agressive.

- Comme je vous l'ai dit plus tôt, nos intérêts ont convergés à un moment donné et il était hors de question que je vous laisse avoir la main.

- Et maintenant ? Me laisseriez-vous avoir au moins l'esprit en paix ? Je ne sais pas ce que vous me voulez, Votre Altesse, ni même pourquoi vous vous êtes assise, mais je ne suis pas née de la dernière pluie et toutes deux, nous savons au moins cela. Donc jouez cartes sur table. Vous ne vous faites pas donné toute cette peine en vous débarrassant de votre escorte uniquement pour me faire la conversation en glissant, quand vous en avez l'occasion, quelques remarques désobligeantes.

S'affaissant contre le dossier en osier de sa chaise, Sophia posa les couverts qu'elle avait dans la main avant d'afficher un léger sourire en coin. Joséphine était effectivement une jeune femme brillante et intuitive comme elle l'espérait. Cela faisait d'elle une rivale remarquable bien qu'il lui faille beaucoup d'humilité pour la considérer à sa hauteur, mais également une sujette pleines de qualités. Des qualités intéressantes pour sa succession à venir.

- Il y a quelques mois, un ami, que nous avons en commun, m'a fait sous-entendre que certaines fleurs ne devaient pas être mises sous cloche afin que ces dernières puissent s'épanouir et montrer toute leur beauté. Je commence à penser qu'il avait effectivement raison.
- Navrée de vous l'apprendre, mais il ne faut pas être né jardinier pour savoir que si une fleur est arrachée à son milieu naturel, cette dernière finira par faner.

- C'est très juste. C'est pour quoi, vous, Joséphine Conquérant, vous allez devoir partir avec la délégation venue du Sultanat d'Omyr.

- Je suis certaine que Votre Altesse possède une flopée de jeunes femmes plus nobles et plus capables que ma petite personne. Après tout, ne suis-je pas qu'une Baronne insignifiante située tout en bas de l'échelle sociale ?

- D'une Princesse à une autre...

A cette phrase, Joséphine explosa la pointe de sa plume laissant alors de l'encre tâcher sa main comme sa robe. Bien évidemment. Un secret n'en est pas un s'il n'est pas propagé et gardé par plusieurs geôliers. Elle aurait dû être étonnée que la Princesse Sophia connaisse son secret, mais ce ne fut guère le cas, non. Au lieu de cela, elle redressa son dos et leva enfin ses yeux, regardant celle qu'elle avait tenté par tous les moyens d'ignorer.

- Nos services de renseignement sont extrêmement compétents, rajouta la Princesse Sophia comme si elle devina la question à venir de Joséphine

- Au risque de me répéter, vous ne vous adressez pas à la bonne personne. Je ne suis guère Princesse et je ne sais guère quelle fantaisie vous avez entendu Votre Altesse, mais ma réponse demeure la même.

- Nous avons vent que le Sultanat reçoit des armes d'un pays voisin et qu'ils pourraient envisager d'envahir les nations aux alentours. Nous parlons d'une guerre, Joséphine. Une guerre terrible si cette dernière devait se produire. Votre cadet n'est-il pas dans l'armée ? Ne pensez-vous donc pas à lui ?

- Je vous interdis de vous servir de ma famille pour vos intérêts ! pesta la jeune femme, Après tout le mal que vous nous avez fait, vous pensez sincèrement que je vous aiderais ? Voilà un bien mauvais jugement.

- Je conçois parfaitement que vous me détestiez et je ne m'en excuserais pas, mais je vous parle là d'intérêt global. Je vous parle d'une guerre imminente si ces informations s'avèrent vraies. Vous seule pourriez vous glisser parmi les membres de la délégation et vérifier ce qu'il en est directement sur place ! Cessez de vous cacher dans vos livres de comptes ou que sais-je, sauvez le Royaume. Je vous en supplie, Joséphine.

Durant des jours et des nuits, Joséphine avait rêvé du moment où elle étranglerait la Princesse. Oh comme elle se voyait lui tordre le cou et lui faire payer tout le mal qu'elle avait fait aux siens, mais jamais elle n'aurait cru un jour la voir s'incliner devant elle, la suppliant de l'aider. Cette image paraissait si fausse. Si irréaliste. Si guerre il devait y avoir, guerre il y aura, en quoi cela la regardait ? En quoi, elle, petite Baronne, pourrait-elle y changer quoique ce soit ? Elle n'est pas espionne. Elle n'est pas soldat. Rien de tout cela. Bien qu'elle ait apprit l'art de l'épée plus jeune et autres arts de combats de part son père, Joséphine ne se voyait pas partir. Du moins, pas pour cela.

- Vos conditions seront les nôtres. Je vous conjure d'y réfléchir et si vous vous décidez à nous aider, venez au Palais demain soir.

Sur ces derniers mots, Sophia se leva et aussitôt avait-elle fait un pas que toute son escorte la rejoignit. Elle jeta alors un dernier regard plein d'espoir à la seule personne à laquelle elle n'aurait jamais imaginé devoir un jour demander son aide. Joséphine allait-elle accepter ? Allait-elle pouvoir mettre toute la rancœur qu'elle éprouvait à son égard pour aider le Royaume ? S'ils envoyaient un quelconque espion et que ce dernier se faisait attraper alors il était certain que cela les conduirait jusqu'à la guerre, mais si Joséphine y allait...Si elle acceptait de reconnaître sa propre histoire alors peut-être auraient-ils une chance d'éviter le pire.

Mais à présent, tout reposait sur elle et le choix qu'elle déciderait de faire.

Repartant avec cet échange bien plus que troublant, Joséphine se mise à imaginer un monde sans conflits, sans guerres fantômes ou éventuelles, sans crainte du pays voisin. Un monde ma foi utopique. Un monde qui n'existera certainement jamais, mais elle se surprit à s'y voir, elle, voyageant sans peur, sans doute. Elle se surprit à s'y plaire car pour la première fois en presque vingt ans, personne n'attendrait rien d'elle. Fille aînée, héritière, cheffe de famille et d'entreprise, princesse...Tout ces titres semblaient s'être accumulés à une telle vitesse qu'elle n'eut guère le temps de s'ajuster à l'un d'eux. De s'habituer à l'un d'eux. Bien qu'elle fut plus que ravie et heureuse d'être l'aînée de sa fratrie, elle avait encore tant à apprendre concernant son rôle de cheffe de famille et d'entreprise. Quant à sa toute nouvelle découverte sur son supposé statut de princesse, cela allait sans dire qu'elle le refuserait jusqu'à sa mort. Elle, gouverner ? C'est à peine si le matin elle trouvait déjà le temps suffisant de se coiffer, alors s'occuper d'un pays...Il y avait forcément quelqu'un de beaucoup plus avisé qu'elle pour accomplir cette tâche là.

Passant le seuil de la porte d'entrée, Joséphine manqua de peu d'entrer en collision avec une domestique de la maison. Sous ses yeux, une scène de chaos. On courait partout. A droite, puis à gauche. On monta à l'étage serviettes et bassines d'eau. Jamais encore la maisonnée ne connut une telle agitation. Alors de peur qu'il ne soit arrivée malheur à l'un de ces cadets, la jeune monta les marches deux par deux avant de tomber, non sans surprise, nez à nez avec le Prince Landry, appuyé contre la paroi de l'étroit couloir, ce dernier lui adressant un faible sourire cachant une bien terrible nouvelle.

- Que se passe-t-il ici ? questionna Joséphine en essayant de suivre un domestique du regard

- Je suis navré. Je ne savais guère où aller, répondit-il à voix basse

- J'attends une réponse ! pressa-t-elle

Puis dans une chambre à la porte entrouverte, elle y vit Ambre et Thomas, jouant sur le lit de ce dernier. Seigneur, pendant un bref instant, un élan de soulagement la traversa de part et d'autres. Mais s'ils ne s'agissait pas d'eux...

Poussant légèrement le Prince, Joséphine entra dans la chambre d'amis temporairement devenu chambre de soin, tandis que Ninon, assise au bord du lit, s'affaira à nettoyer plaies et blessures de l'homme allongé près d'elle qui retenu bien malgré lui sa douleur entre ses dents.

- Maximilien, souffla Joséphine surprise de le voir dans un si triste état.

Si Lucien et Maximilien étaient chez elle, où était donc passé le Duc ? Où était Jonah ?

Retournant dans le couloir, la jeune femme prise d'une immense crainte réalisa qu'à ce trio il y manquait un membre.

- Où est-il ? demanda-t-elle la gorge nouée peinant à faire face à sa propre pensée

Quelques secondes. C'est le temps qu'eut Lucien pour baisser le regard tout en tenant son bras tout juste bandé. Quelques secondes, c'est le temps qu'eut Joséphine pour réaliser le malheur qu'il venait d'arriver.

- Je réitère ma question, dit-elle plus froidement, Où est-il ?

- Nous nous rendions vers le château d'un petit seigneur afin de requérir son aide quand notre convoi a été attaqué. Une embuscade. La plupart des gardes qui nous escortaient ont été tués sur le champ. Ils n'ont prit que Jonah. Max et moi les savons suivis jusqu'à la ville portuaire la plus proche et de là, ils ont prit la mer, raconta Lucien à voix basse

«Mon dieu». Si ce n'était pour ses mains tenant fermement le col du Prince blessé, Joséphine se serait peut-être laissé aller.

- Nous ne savons pas qui ils sont, mais...

- Le pavillon, le coupa Joséphine

- Joséphine, je...

- Le pavillon ! Quel est le pavillon du bateau sur lequel ils sont montés ! cria-t-elle comme si sa voix venait subitement de sortir d'elle-même en un éclat glacial et autoritaire.

Elle était orage comme elle était peur. A l'intérieur d'elle-même, Joséphine bouillonnait. Il y avait tant d'émotions, tant d'appréhensions. Qui aurait eu à y gagner ? Qui aurait pu orchestré cela ? De plus, il est fort à parier qu'aucun de ces hommes ne se soit laissé capturer sans s'être débattu. La preuve était là devant ses yeux. Lucien. Maximilien.

- Le pavillon était celui du Sultanat d'Omyr, avoua Lucien en posant sa main sur la sienne.

Encore eux. Soudain sa prise se fit plus lâche et elle finit par se laisser tomber, lentement contre le mur sur lequel était appuyé Lucien. Ses jambes étendues le long du couloir, Joséphine laissa l'orage qu'elle contenait difficilement exploser en une tempête qu'elle maîtrisait à peine.

Le Sultanat. Amir. La guerre. Ses parents. Des promesses fantômes.

Jonah.

Tout ça commença étrangement à l'énerver alors si c'est la guerre qu'ils désiraient, elle se ferait une joie immense d'en être l'émissaire.

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