🌼 CHAPITRE 20 🌼

- Laissez-moi vous aimer Joséphine.

Oh comme elle aurait aimé croire en ces mots. Il n'y avait rien de plus qu'elle ne désirait entendre et pourtant cette seule phrase suffisait à la faire douter. Non pas de ce qu'il venait de lui dire, mais de ce qu'il se passerait si elle acceptait ses paroles. Pouvait-il réellement ignorer son geste ? Pouvait-il fermer les yeux sur ce qu'elle venait de faire ? Cela n'était pas de l'amour et Joséphine le savait, c'était tout simplement se mettre des œillères sur les yeux et ignorer le problème en lui-même. Le problème qu'ils représentaient tous deux réunis. Jamais encore la jeune femme n'avait ressenti pareil tiraillement en elle, partagée, coupée, tirée, entre deux choix qui lui paraissaient impossible à faire. Si elle choisissait ses rêves, elle savait que son chemin allait se séparer de celui de Jonah et que cela la briserait en deux. En revanche, si elle le choisissait lui et mettait derrière elle tout ce pour quoi elle s'était battu et avait tenu bon dans la vie, alors elle mènerait une vie bien malheureuse. Alors que faire ? Que choisir et comment savoir si l'un ou l'autre ne sera pas que regrets ?

Alors s'écartant de Jonah, Joséphine s'approcha de la fenêtre et prit un instant pour elle. Un instant qui parut durer une éternité.

- Vous et moi n'avons plus l'âge de vivre dans le mensonge et dans l'illusion, Jonah, vous le savez aussi bien que moi, finit-elle par dire en sortant de son silence, Nous pouvons nous aimer, mais combien cela va-t-il encore nous coûter ? Nous avons tous deux tant de batailles à mener que la liste me paraît impossible à énumérer et honnêtement, je peine déjà grandement à mener les miennes alors comment pourrais-je mener les vôtres ? Vous et moi avons des promesses qui nous lient au passé, des obligations et des responsabilités. Vous envers votre Duché et moi envers ma famille et l'entreprise de mon père. Je ne saurais mettre cela de côté.

- Et ce n'est pas ce que je vous demande. N'avez-vous donc rien entendu des mots que je vous ai dit ? Je ne vous demande aucun sacrifice et il faudrait me châtier si je vous ai fait croire le contraire ne serait-ce qu'un instant. Ce que je vous demande c'est de croire en la sincérité et l'honnêteté des sentiments que j'éprouve pour vous.

- Jonah, souffla Joséphine

Ce n'était pas tant en ses sentiments qu'elle ne croyait pas, mais plutôt dans les siens. Le fait d'avoir pris partie pour Lucien, un parfait inconnu, fit comprendre à Joséphine qu'elle pourrait à tout moment trahir Jonah. Une chance que ce vieil apothicaire lui ai donné une potion de sommeil et non pas un poison mortel car que se serait-il passé ? Elle réalisa alors qu'elle serait capable de se détourner de lui pour faire ce qui lui semblait juste. Au point d'aller probablement jusqu'à lui faire du mal. Alors, sachant cela, comment pouvait-elle se regarder dans le miroir et clamer haut et fort qu'elle l'aimait ? Etait-ce de l'amour que de blesser la personne que l'on aimait ?

- Peut-être n'est-il pas temps pour vous et moi de nous aimer. Peut-être devrions-nous d'abord arranger nos affaires respectives avant toute autre chose.

- Joséphine, qu'essayez-vous de me dire ? J'ai peur de comprendre.

Elle même tremblait à l'idée de prononcer ces mots ô combien blessant, mais à présent qu'elle s'était retrouvée confronté au pire de sa personne, Joséphine savait qu'elle ne pourrait plus revenir à la douce et aimable jeune fille qu'elle était et que Jonah voyait en elle. La famille Conquérant a toujours eu à se battre : Pour faire face aux rumeurs, aux calomnies, pour maintenir sa place dans la société, pour vivre avec fierté et honneur et peut-être est-ce l'accumulation de tous ces combats réunis qui font qu'aujourd'hui, la jeune femme est lassée de continuer.

- Je ferais transmettre le titre de propriété à votre nom et vous aurez ainsi la possibilité de rentrer chez vous, lança-t-elle de but en blanc

- Joséphine, je...

- Ma famille et moi nous débrouillerons, nous l'avons toujours fait, continua-t-elle sans tenir compte de ses protestations, Je veillerais sur eux et je continuerais à assurer l'avenir de mes cadets comme je l'ai toujours fait. Quant à vous, vous avez plus d'une bataille à mener et une guerre à remporter contre votre tante me semble-t-il et je prie pour votre réussite.

- Ecoutez-moi, je vous en prie. Vous n'êtes pas obligée de faire cela.

- Il est vrai. Rien ne m'y oblige mais je tiens à vous dédommager pour tout ce que vous avez fait et risqué pour moi. Depuis le premier jour où nous nous sommes rencontrés, vous avez toujours été de mon côté, vous avez été bon envers les miens et vous m'avez laissé voir une vie à laquelle j'avais renoncée depuis bien longtemps. Pour tout cela, je vous en serais éternellement reconnaissante, mais je crois qu'il devient nécessaire que je règle par moi-même certaines histoires qui me poursuivent. Je ne sais toujours pas pourquoi mon père a été assassiné. Je ne sais toujours pas pourquoi le Comte Detina a payé de sa vie. Je ne sais toujours pas ce que cette société attends de moi et je ne peux vivre plus longtemps dans l'ignorance et j'espère que vous, plus que n'importe qui d'autre, le comprenez. J'ai besoin de réponse, Jonah, et je ne cesserais tant que je n'en aurais pas obtenu. Je n'aurai guère l'esprit tranquille et ne trouverait le repos tant que je n'aurai pas le fin mot.

Elle le vit, à sa mine déconfite, combien elle le blessait, et elle s'en voulait. Elle s'en voulait terriblement de devoir en arriver là, de devoir lui dire toutes ces horribles choses, mais elle ne pouvait se restreindre à croire en ces doux mots qu'il lui avait précédemment murmuré. Elle ne pouvait accepter de le blesser et d'attendre de le faire dans un avenir plus ou moins lointain. Elle ne pouvait accepter de le voir lutter pour elle alors qu'elle ne savait comment lutter elle-même. Elle ne pouvait concevoir l'idée de le voir se battre pour elle. Il en avait bien assez fait. Il en avait bien assez dit.

Et elle savait. Elle savait qu'un jour ou l'autre ce moment finirait par arriver. Elle savait qu'un jour son monde bien trop beau volerait en mille éclats qu'elle serait incapable de recoller.

Elle l'aimait. Oh oui elle l'aimait. Mais elle l'aimait suffisamment pour savoir quand exactement il fallait lui rendre sa liberté. Contrairement à lui, elle ne pouvait se battre contre une Duchesse ou bien même une Princesse. Elle ne pouvait que se rendre compte de sa propre impuissance dans ce monde bien trop fort pour elle. Même armée de toute la bonne volonté du monde, Joséphine ne faisait pas le poids. Il n'y avait alors rien de plus blessant que de se rendre compte de cela.

- Devons-nous nous dire adieu ? demanda-t-il d'une voix tremblante peinant grandement à cacher sa peine et son chagrin.

- Non. Je détesterais l'idée de devoir vous dire adieu, sourit-elle faiblement, mais il faut se rendre à l'évidence...Ce n'est pas le moment. Ce n'est pas notre moment.

- Alors...que faisons-nous maintenant ? Allons-nous passer le reste de nos vies à nous attendre ? Car...Je suis incapable de vous abandonner, Joséphine. Mon âme brûle pour vous. Ma vie entière semble dépendre de vous. Je ne peux me résoudre à mettre tout cela de côté et reprendre ma vie là où je l'ai laissée avant de vous rencontrer.

Plus elle attendait, plus Joséphine eut l'impression de sentir son cœur s'écraser sous un poids dès plus douloureux. Il fallait que l'un d'eux quitte cette pièce. Il fallait que l'un d'eux passe la porte en premier sans se retourner. Il fallait que l'un d'eux lâche cette main qui le maintenait relié à l'autre. Il fallait.

- Vous êtes un grand homme Jonah, Duc de Varsox, et je prie pour que vous trouviez votre voie. Hélas pour cela, je me dois de vous lâcher la main car aimer quelqu'un c'est aussi souhaité son bonheur même quand nous ne sommes pas à la hauteur pour l'assumer. Je ne serais pas cette femme. Voilà probablement mon plus gros regret.

L'embrassant timidement sur le front, Joséphine, les larmes trônant au bord de ses yeux, quitta la pièce d'un pas précipité.

Elle fut celle qui mit un terme à cette histoire. Elle fut celle qui, avant bien des gens, comprit que s'ils avaient continués ainsi, alors leur amour se serait certainement mal fini.

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