🌼 CHAPITRE 19 🌼

Assise tout près de lui, appuyée sur le matelas, ses doigts jouèrent avec les quelques mèches couvrant le visage endormi se trouvant tout près d'elle. Chacune de ses respirations, Joséphine les comptait. Elle les redoutait même car elle savait pertinemment que lorsque le Duc se réveillera de son profond sommeil alors il lui en voudra. Et avec raison. La voilà qui s'était mise en travers de ses projets et qui avait probablement compromis ses plans et vue la détermination de ce dernier, elle se doutait déjà que la fuite de l'homme qu'il s'évertuait à retenir n'allait guère lui plaire.

Pour la première fois depuis longtemps, Joséphine avait agit avec précipitation. Elle s'était hâtée à protéger un homme dont elle ne savait que trois fois rien, mettant ainsi de côté celui sur lequel tout son avenir reposait. Comment pouvait-il comprendre ses choix, elle qui était devenue si changeante ? Elle-même craignait de ne pas comprendre ce qui lui était passé par l'esprit. A vrai dire, cela faisait bien longtemps maintenant que Joséphine ne se comprenait plus elle-même. Elle était si réfléchie, si posée et calme, voilà que face au miroir elle ne voyait qu'une jeune fille agitée, désordonnée et hésitante. Un reflet qu'elle ne reconnaissait guère.

Que s'était-il donc passé pour qu'elle ait autant changée ? Etait-ce réellement dû aux récents événements ou bien était-ce plus lointain ?

- Je suis désolée...tellement désolée, murmura-t-elle alors tandis qu'une larme roula lentement sur sa joue.

Et tandis que cette dernière s'écrasa sur le dos de la main de Jonah étendu juste là, ce dernier finit par ouvrir progressivement les yeux, les posant alors sur la jeune femme se tenant côté de lui.

- Pourquoi ? lança-t-il à bout de voix

Ce mot avait tant de signification présentement qu'il n'avait de réponse. Pourquoi avait-elle choisi un autre que lui ? Pourquoi s'excusait-elle ? Tous deux attendaient probablement une réponse différente pour une question différente.

Mais au lieu de se faire face, au lieu de discuter, voilà que ces deux jeunes gens à l'âme perturbée se muaient chacun dans un silence lourd de sens. Il n'y avait aucune explication que Joséphine aurait pu donner qui aurait satisfait la question de Jonah car elle-même réalisait à peine ce qu'elle avait fait. Quelque part, son geste relevait de la trahison, mais de l'autre, elle avait tenté de protéger le peu de choses qui faisaient encore sens pour elle. Elle qui n'avait cessé d'encaisser, de courir et de fuir. Elle qui n'avait, jusqu'à présent, rien dit. Rien demander. Si ce n'est une vie de voyages et de découvertes. Voilà tout ce à quoi Joséphine n'a jamais aspiré : une vie sur les mers comme elle l'a toujours désirée. Mais il a fallut qu'elle naisse en tant qu'aînée, responsable d'une famille dont chaque membre avait ses propres rêves et désirs à accomplir. Devenue jeune femme bien trop tôt, Joséphine a passé sa vie entière derrière des livres de comptes, au bord des quais regardant son père partir à l'horizon ou bien revenir et quand elle ne s'occupait pas des affaires, la jeune fille s'occupait de ses cadets. Qu'il lui était bon et plaisant de les voir heureux et en bonne santé, mais elle ? N'a-t-on jamais fait attention à ce qu'elle désirait ? Ne lui a t-on jamais demandé ce qu'elle voulait ? Ne s'est-on jamais intéressé à son humeur ? Non. Car à chaque fois qu'on lui posait la question, Joséphine esquivait. Elle était devenue douée pour cela. Pour se faire oublier.

Jusqu'à l'arrivée de Jonah. Jusqu'à ce qu'un homme, un seul être, ne lui fasse réaliser qu'elle aussi avait le droit de rêver. Qu'elle aussi avait le droit de se tromper, de commettre des erreurs et qu'elle avait le droit de pleurer, de se plaindre et de demander de plus. Mais a-t-elle un jour osé ?

Bien évidemment Joséphine savait que l'acte qu'elle venait de commettre à son égard allait marquer le début de quelque chose. Le début d'une rupture, là où deux mondes qui étaient prêts à entrer en collision, s'éloignent progressivement l'un de l'autre. Elle l'avait comprit dans son attente : Ses désirs et ses ambitions ne coïncideront probablement jamais avec les siens.

Et comprenant cela, la larme silencieuse de Joséphine qui s'est précédemment perdue sur la main de Jonah, se transforma en un torrent presque trop calme. Joséphine pleura et pleura dans le plus grand des silences sans que le jeune homme n'ait pu y faire quoique ce soit. Elle était simplement assise là, lui tenant la main dans la sienne, la serrant contre son front presque comme si elle priait, néanmoins Jonah ne fit rien. Tout simplement parce qu'il était incapable de l'aider.

Lui-même avait réalisé les limites de son pouvoir. Ô comme il aurait aimé la soulager, prendre son chagrin, sa tristesse et tous les maux qui pesaient en elle, sur son cœur. Tout ce qu'elle gardait enfermé au plus profond d'elle-même depuis tant d'années, mais il ne fit rien car il réalisa tout bêtement qu'il en était incapable. Il l'aimait, à ne pas en douter, il l'aimait, mais il savait qu'il y avait des combats qu'il ne pourrait jamais mener pour elle. Voilà qu'il s'était déjà battu en espérant pouvoir la sauver, mais comme à chaque fois, il s'est rapidement rendu compte que personne ne sauve Joséphine Conquérant si ce n'est elle-même. Elle est cette héroïne de roman qui inspire et que l'on admire, malgré nous, silencieusement.

Alors, doutant que ses mots lui soit d'un quelconque réconfort, Jonah, toujours un peu hagard, prit péniblement Joséphine dans ses bras. Il comprit lui aussi, que bien malgré eux, un gouffre s'était creusé et qu'à présent, elle se tenait de l'autre côté du fossé, là où il était presque certain de ne pas pouvoir l'atteindre.

- Joséphine...Peut-être ces mots vous parviendront quand il sera temps pour vous de les entendre car vous vous apprêtez à vous rendre dans un lieu où je ne peux vous suivre et où je n'ai guère ma place à vos côtés, mais sachez ceci et je prie de mon côté pour que cette parole reste gravée en vous : Je vous attendrais. Peut-être n'est-ce pas le bon moment pour nous ou peut-être sommes-nous pris dans nos engagements, nos vies respectives pour nous autoriser un moment de joie, de plénitude et de bonheur total, mais c'est justement parce que j'ai connu tout cela avec vous que je refuse catégoriquement de vous abandonner. Vous entendez Joséphine ? Je préfère souffrir d'une attente de mille longues années plutôt que de vous abandonner. J'accepte de souffrir d'un quelconque mal plutôt que de lâcher votre main car elle est tout ce qui retient en un seul être composé, l'homme que je suis.

- Comment pouvez-vous encore me dire cela après ce que je viens de faire ? Après ce que je vous ai fait ? Je ne mérite ni vos mots, ni vos attentions, ni votre amour, sortit-elle soudainement presque en colère

Il était certain que Joséphine était en colère, mais pas contre lui. Contre elle-même. Toutes ces choses qu'elle a enfouit en elle. Toutes ces choses qu'elle n'a jamais osé dire à voix haute car elle les savaient blessantes. Toutes ces petites choses, entassées les unes sur les autres et qui aujourd'hui finissent par ressortir tel le torrent d'une rivière que l'on ne pourrait plus dompter.

- Vous ne pouvez pas me faire confiance, finit-elle par rajouter, Ni maintenant, ni jamais. Je ne me ferais pas confiance.

- Alors dans ce cas, que nous reste-t-il ?

Probablement rien. Mais était-ce tout ce dont à quoi une relation pouvait se résumer ? Pouvait-elle être à ce point secouée, ébranlée et marquée ? Ce n'était pourtant pas la première fois que leurs cœurs étaient mit à rudes épreuves et pourtant..

- Vous m'avez demandé de me battre à vos côtés. De le faire pour une cause juste. Pour une raison légitime, relança Jonah en la regardant avec la plus grande des attentions.

- N'y a-t-il pas une différence entre se battre et se débattre ? Est-ce que je mérite réellement que l'on se batte pour moi ? marmona-t-elle

- Vous le méritez. Peu importe le chemin sur lequel vous marchez. Peu importe où vous vous rendez...Je vous attendrais Joséphine et si mon attente doit me coûter une vie, alors cela mérite bien un si petit sacrifice, soupire Jonah en marquant un temps d'arrêt, Peut-être devrais-je être furieux contre vous, peut-être devrais-je vous en vouloir, mais j'en suis tout bonnement incapable car je sais...non, j'ai l'intime conviction que vous avez agit en pensant être dans le juste. Vous avez fait ce qui VOUS semble juste et je ne suis pas en position de critiquer cela. D'ailleurs quelle place ai-je pour me permettre de vous critiquer alors que j'agis de la même manière que vous ?

Sur le moment et mise face à face avec la douceur de ses paroles, Joséphine eut un doute. L'homme se tenant présentement devant elle et la regardant avec tant d'amour était-il un idiot ou tout simplement bon avec elle ? Ne comprenait-il pas la gravité de son acte ou feignait-il l'ignorance en transformant cela comme un geste sans grande importance ? Sans grandes conséquences ? Comment pouvait-il encore la regarder de la sorte alors qu'elle-même peinait grandement à soutenir son regard sans sentir la lame tranchante de la trahison lui poignarder la poitrine ?

- Joséphine, souffla le Duc en caressant son visage du bout de ses doigts

L'entente de son nom lui sembla être une supplice à son égard car Dieu qu'elle l'aimait, mais il y avait en elle un tel conflit qu'elle n'était pas certaine que son amour suffise à calmer ce qui faisait rage dans son cœur.

- Joséphine, regardez-moi...

- Je ne peux...

- Joséphine.

Mais malgré elle, la main de Jonah relève délicatement son menton, l'obligeant ainsi à lui faire face. Ses yeux partirent immédiatement se poser sur la table de chevet, incapables de le voir.

- Ne me faites pas ça, je vous en prie, insista-t-elle

- Je vous aime et je suis dans le regret de vous informer que je suis bien incapable de taire ce que je ressens pour vous. Néanmoins, si vous me dites, là maintenant que vous désirez prendre vos distances, je n'aurais d'autres choix que d'accéder à votre requête quand bien même j'en souffrirais. Car je souffre de vous voir dans un tel état et de ne pas être en mesure de vous aider d'une quelconque manière que ce soit.

- Comment pouvez-vous, trembla-t-elle, comment pouvez-vous vous montrez aussi bon avec moi ? Je ne suis pas une Princesse, ni même une Duchesse. Je n'ai rien à vous offrir, aucun titre de valeur, aucune richesse, aucun domaine. Je n'ai aucune qualité particulière et n'ai absolument rien pour moi. Je veux dire...regardez-moi !

C'est ce qu'il faisait. Jonah n'a eu de cesse de regarder la jeune femme se tenant devant lui que ce soit aujourd'hui comme hier. A quand cela remonte-t-il d'ailleurs ? Quand s'est-il aperçu que ses yeux se mirent à sa recherche où qu'il se trouvait ? Dans une soirée, dans la rue, au détour d'une d'après-midi, il la cherchait et ce qui était bien étrange c'est qu'il finit toujours par la trouver. Il la voyait rire. Il la voyait se battre et se débattre dans une société ne lui laissant guère une petite place. Il la voyait être contrariée, mais aussi amusée. Rares furent les moments où Joséphine Conquérant fut comme aujourd'hui, agitée. Chagrinée. Apeurée. Elle qui s'était toujours montrée si forte, semblait en ce jour bien épuisée.

- Je vous regarde. Je ne fais que ça depuis le premier jour où nous nous sommes rencontrés sur ce balcon. Je vous regarde et quand vous n'êtes pas dans mon champ de vision, j'ai l'impression de perdre une partie de moi. Il est vrai, vous n'êtes ni une Princesse, ni une Duchesse et peut-être dites-vous n'avoir rien à m'offrir, mais que les dieux me prennent pour un fou si je ne vous avouais pas que vous m'avez déjà tant offert sans le savoir. Je n'ai nul besoin d'argent. Nul besoin de titre. J'ai besoin de vous, Joséphine. Vous et vous seule. Vous êtes à mon sens, ce qui rends ce monde, mon monde, meilleur.

Quittant le lit afin de s'approcher d'elle, son corps encore sous l'effet de la drogue ingéré, tituba et manqua de peu de trébucher quand il finit par s'agripper aux bras tendus de Joséphine. Même sans rien dire, elle était là, agissant pour le mieux à son égard. Comme elle avait l'habitude de le faire. Comme il avait l'habitude de la retrouver. Bienveillante. Douce. Aimante.

- Mais encore une fois, faites-moi part de votre désaccord, dites-moi que vous aimeriez une vie différente et je vous laisserais. Non pas que je sois prêt à le faire, mais je suis arrivé à un stade où votre bonheur semble être plus important que le mien ou du moins que mon bonheur dépend du vôtre. Voilà une façon de penser bien idiote que de dépendre de quelqu'un, mais c'est là ce que je ressens et tout ce que je peux vous dire. Je vous ai dit que je vous aimais, je vous ai dit que je rêverais d'une vie à vos côtés, mais je ne peux vous retenir contre votre gré. C'est là quelque chose que je me refuse de faire. Vous seule pouvez décidez. Vous seule devez décider.

- Et si...et si je ne prends pas la bonne décision ? Ne vais-je pas le regretter ? Comment savoir alors que mon cœur ne cesse de me malmener ? Je vous aime, soyez en rassurez, je vous aime Jonah, mais je ne suis pas certaine d'être à la hauteur des attentes qu'à ce monde vis à vis de moi. Vous aviez par le passé tenté de me mettre en garde. Vous aviez essayé de me convaincre, naïve que je suis, que cette route serait difficile, mais je ne vous ai pas écouté. Quelle folie ai-je commise ? Je suis coincée entre deux murs qui m'oppressent et je ne suis pas certaine de réussir à choisir le bon chemin. Pour la première fois de ma vie, je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas où aller. Je ne sais pas quoi penser. Ni même quoi ressentir. Toutes mes convictions ont été piétinées. Toutes mes certitudes se sont effondrées. Tous mes piliers ont été détruits.

- Si vous êtes perdue, laissez-moi vous guider dans ce cas. Si vous êtes à terre, laissez-moi vous relever. Si vous êtes fatiguée, laissez-moi vous porter. Vous n'avez pas forcément l'obligation de tout affronter en étant seule, Joséphine.

- Je ne peux forcer le poids de mes émotions sur une autre personne. Notamment sur vous, Jonah.

Posant sa main sur son visage, son front contre le sien, le jeune homme pouvait presque, à cette distance, entendre le cœur battant et galopant de la jeune femme tremblante qu'il tenait juste là, dans le creux de ses bras. Aimer quelqu'un n'était-il pas suffisant pour faire disparaître sa peine et dissiper tous ses maux, ses craintes, ses incertitudes et ses peurs ?

- Je ne vous demande pas de forcer les choses et je ne l'ai même jamais requit, mais j'attends le jour où vous pourrez me parler en toute liberté. Je sais votre cœur chargé et je sais ô combien il est lourd de porter un tel poids, même pour une jeune femme telle que vous. Tout ce que je vous demande, Joséphine, c'est d'entendre ces mots que je ne cesse de vous dire et de comprendre que je ne lâcherais jamais votre main. Je vous tiendrais à portée, m'assurant que vous ne souffrez d'aucun mal. Je vous tiendrais tout près de moi, m'assurant de vous voir comblée. Je vous tiendrais la main, m'assurant que vous soyez certaine que je sois là pour vous. Aujourd'hui et pour les jours à venir.

Pouvait-il exister un être aussi bon que Jonah de Varsox aux yeux de Joséphine ? Pouvait-il seulement il y avoir quelqu'un s'accrochant désespérément à elle de cette façon ?

Essuyant alors les larmes trônant sur ses joues, Joséphine leva les yeux à son égard pour la première fois depuis leur échange. Elle n'y vit ni colère, ni amertume, ni regret, ni déception. Rien. Rien que de l'amour. Comment pouvait-il la regarder de cette façon ? Que pouvait-il voir en elle, elle qui ne voyait rien ?

- N'avez-vous donc pas peur ? Que je vous blesse ? Que je vous trompe ? Que je vous déçoive ?

- Peut-être le ferez-vous et devrais-je dire, faites-le ! Joséphine, je ne suis pas un enfant qui vit avec la tête bourrée de contes de fées. Je ne crois pas en l'amour éternel et merveilleux. Mais je crois en certaines choses et je crois notamment en l'amour sincère. Peut-être me ferez-vous du mal et peut-être allez-vous me décevoir, mais n'est-ce pas valable dans les deux sens dans ce cas ? Je ne suis rien de moins qu'un homme et non un prince charmant volant à votre secours sur mon cheval blanc. J'ai mes faiblesses, mes moments difficiles également...Ceci n'est-il pas naturel ? C'est dans ces moments-là que l'un devient la force de l'autre et si jamais vous en doutez alors laissez-moi vous le prouver. J'ai suffisamment d'amour et de courage pour deux.

Se séparant d'elle un instant, Jonah retourne s'asseoir sur le bord du lit, tapotant ses côtés pour inciter Joséphine à le rejoindre, ce qu'elle fit sans la moindre hésitation. Il posa alors naturellement sa tête sur son épaule et ses mèches vinrent chatouiller le cou de la jeune femme qui émit alors un léger sourire.

- Laissez-moi vous aimer Joséphine.

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