🌼 CHAPITRE 14 🌼
S'il y avait bien des choses que le jeune Duc aurait aimé oublier, c'était sans nul doute le semblant de vie qu'il avait eu ces sept dernières années bien avant de revenir en ville. Une vie qu'il pensait avoir mise derrière lui, à l'abri des regards et des rumeurs les plus folles bien que certaines devaient probablement déjà courir il n'en doutait pas. Puis, il lui a semblé que cette dernière paraissait le rattraper depuis peu. Bien qu'il n'était pas la pire des crapules, Jonah ne fut pas toujours très fier des choses qu'il avait dû faire pour s'en sortir, ni même de ce qu'il avait fait sous la simple influence de Lucien et voilà que tout ceci lui ai aujourd'hui revenu au visage telle une bombe à retardement.
Lucien. Hélène. Deux noms qu'il avait tenté d'oublier, voir d'enterrer. Deux noms qu'il ne pensait plus entendre. Deux noms qui semblaient, à force, étrangers. Étrangers, mais aussi étrangement familiers.
- Cela peut te paraître étrange, mais je suis sincèrement heureuse pour toi, lance Hélène en déambulant dans la pièce.
- A quel sujet ? l'interroge Jonah perplexe
- Certaines rumeurs te disent très amoureux de la toute jeune Baronne. On vous voit ensemble vous promener, on vous voit aux soirées, on te remarque devant chez elle. Je suis contente, voilà tout.
- C'est étrange, je n'ai pas souvenir que le bonheur des uns fasse le tien. Aurais-tu changée ?
- Je ne suis pas un monstre non plus.
- Non, tu ne l'es pas en effet.
Néanmoins, il lui était difficile de cacher sa rancœur. La simple présence d'Hélène dans son salon suffisait à raviver en lui des choses, des événements et des méfaits qu'il aurait préféré oublier. Mais quelle tâche difficile quand la principale instigatrice de tout cela se trouve à seulement quelques pas.
Il y avait dans le monde, bien des monstres, des crapules en tout genre et des êtres vils et mal intentionnés, mais Hélène...Oh Hélène n'entrait malheureusement dans aucune de ces catégories et voilà ce qui le contrariait le plus : son incapacité à faire de cette jeune femme la sorcière de son histoire. Il fut un temps, il partageait même sa vision des choses et du monde. Ils la partageaient tous...jusqu'à ce que leur combat, celui qui les avait unis, finit par les séparer. Lucien et Hélène étaient anarchistes, pas lui. Ils voulaient d'un monde sans aucun ordre, sans aucune base. Un monde où il leur serait possible de faire tout ce qui leur plairait de faire. Un monde dans lequel Jonah ne s'est pas reconnu. Ce que lui voulait, c'était d'un monde sans classe sociale. Sans distinctions. Un monde où la valeur et l'importance d'un homme ou bien même d'une femme ne se juge pas à la grandeur et la profondeur de son porte-feuille.
Et pour obtenir ce monde-là ou du moins avoir un bref aperçu des prémices d'un tel monde, Hélène a usé de bien des méthodes, ce qui la rendait aux yeux du jeune Duc, presque détestable. Compréhensible, mais presque détestable et c'était justement parce que Jonah n'arrivait pas à franchir ce cap, qu'Hélène était toujours présente dans sa demeure.
Peut-être était-il tout bonnement attaché aux souvenirs qu'il avait d'elle ? Ceux lui rappelant une jeune fille bienveillante, légèrement timide, douce et cultivée. Une jeune fille qui aujourd'hui semble avoir laissé définitivement sa place à la femme sans scrupules et prête à tout. Tout sauf à aider la bonne cause.
- Puis-je te poser une question ? interromps Jonah en sortant de sa bulle, Pourquoi ? Dis-moi simplement pourquoi car j'aimerais comprendre ? Peut-être suis-je un idiot fini, mais j'ai l'impression que si je venais à te comprendre peut-être que...peut-être que...
- Peut-être que tu m'apprécierais ? poursuit Hélène en lui adressant un léger, mais triste sourire.
- Je t'apprécie Hélène, du moins j'essaye. Sincèrement. Par égard pour tout ce que nous avons pu traverser ensemble et je m'accroche à ces dernières bribes de souvenirs heureux. Donc j'attends de toi le même égard et j'aimerais que tu me dises la vérité sur ce qu'il s'est passé....ou si tu ne peux le faire, au moins tes motivations.
Un long soupir lasse échappe alors à la jeune femme, continuant silencieusement son cheminement, caressant sur son passage chaque mobilier se trouvant à sa portée. Un silence lourd de secrets dont Jonah, plus que curieux, semblait malgré tout comprendre la signification. Il savait qu'elle ne lui dirait rien ou du moins qu'elle se contenterait du strict nécessaire comme elle l'a toujours fait avec lui dans un but qu'il continuait à ignorer. Essayait-elle de le protéger ? De le maintenir à une certaine distance de son monde ? Parfois, il aimerait comprendre. Comprendre ce qui lui manquait pour se tenir à ses côtés.
- D'aussi loin que je puisse me souvenir, tu as toujours été une bonne personne Jonah. Même dans nos pires moments et je constate avec joie que cela n'a pas changé. Tu es droit, honnête, brave. Que de qualités réunies.
- Je ne t'ai guère demandé de flatter mon ego. Viens en au fait, peste-t-il
- C'est pour cela que je ne peux pas te dire ce que tu souhaiterais entendre. Ce monde...aussi corrompu soit-il a besoin de gens comme toi. De gens donnant amour et espoir à d'autres.
- Alors même par égard à ce que nous avons pu partager, tu comptes ne rien me dire ?
- J'aimerais. Mais je ne le peux et j'espère que tu le comprends. Toi-même en ta qualité de Duc, tu dois à présent savoir que nous avons parfois l'obligation, le devoir, de porter en nous certains secrets, et ce, pour le bonheur d'autres personnes. Mes secrets resteront miens, dit-elle dans un clin d'oeil malicieux
- Finalement, vous êtes relativement semblables. Lucien et toi.
Un éclat de rire traverse la pièce. Voilà un rire qu'il n'avait pas entendu depuis longtemps et cela le ramena loin. Trop loin.
- Je présume que nous avons eu un bon professeur toi et moi, souligne Hélène
- En serions-nous où nous en sommes aujourd'hui sans cela ? Lucien et toi avaient le don d'extorquer n'importe quelle information à n'importe quelle personne.
- Tandis que toi, Jonah, tu uses de ton charme pour obtenir ce que tu désires. Ce n'est guère plus reluisant.
- Il est vrai que j'ai sacrifié quelques nuits dans le lit de quelques jeunes filles d'importantes personnes...mais je ne regrette rien. Et toi, Hélène ? Ne regrettes-tu pas ta position aujourd'hui ? Oses me dire que non.
Pendant un temps, elle arrêta sa déambulation. Ce fut bref, mais Jonah le remarqua. Puis, elle reprit, arborant ce même sourire qu'elle portait telle une parure et s'approcha de nouveau de lui qui n'avait pas bouger de son fauteuil.
- Toi et moi savons, Jonah, que je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas une «bonne» personne. Alors non, je ne regrette rien. Peut-être aurais-je pu me débrouiller autrement à l'époque et peut-être aurais-je pu faire en sorte que cela se passe autrement pour Lucien et toi, mais j'ai agis dans le meilleur de mon intérêt car je suis ainsi. Tu as raison sur ce point-là et je ne peux te donner tort car nous ne nous connaissons que trop bien tous deux pour aujourd'hui se mentir en plein visage.
- Tu es une femme talentueuse, je ne le nie pas.
- Mais tu ne t'y fais pas, n'est-ce pas ? sourit-elle
- Non. Honnêtement non. Je comprends tes raisons, crois-moi, car il est vrai que nous devons parfois faire certaines choses disons, mais je ne les acceptes pas pour autant.
- Mon pauvre Jonah, si le monde partageait un intérêt commun, un même idéal, il n'y aurait pas besoin de gens comme moi. A présent, tu es assez mature pour le comprendre.
- Pour l'entendre, mais pas pour le comprendre, non. Je m'y refuse.
- Pourtant, toi-même tu as fais plusieurs fois des choses disons...Discutables, non ?
Certes. Il l'avait fait. Et même jusqu'à très récemment. Il ne pouvait, à cette mention, ne pensait qu'à cette affaire opposant les domestiques de Joséphine à celles de Son Altesse Royale la Princesse Sophia. Il ne pouvait que penser à cette pauvre femme qu'il avait châtié. Il ne pouvait que revoir cette scène sanglante tandis que le fouet arrachait progressivement des petits bouts de peau.
Il l'avait fait dans l'intérêt de Joséphine et cela avait heurté ses sentiments au plus profond, chose l'ayant lui-même blessé. Mais il l'avait sauvé ? Du moins c'est ce qu'il s'était répété pour se convaincre de la nécessité de son geste.
- A ton visage contrarié, je devine que oui. Donc sur ce point-là, nous sommes semblables. En outre, ne t'es-tu pas plié aux exigences de la Princesse, et ce, bien malgré toi ? Tu as essayé de résister, mais tu n'as pas réussi...Parce que personne ne s'oppose à la famille royale et tu le sais au plus profond de toi-même. C'est notre réalité Jonah. Que cela te plaise ou non. La liberté, ce n'est qu'une illusion.
Et sur ce point, le jeune homme ne savait que trop bien qu'elle avait raison.
- Tu as probablement raison, mais c'est parce qu'on baisse les bras et qu'on se contente de suivre cette voie qui nous est toute tracée que l'on finit par perdre de vue ce qui compte réellement. Ce qui nous est cher. Précieux. Et très honnêtement, tu peux me traiter d'idéaliste ou de fou, mais je ne veux rien perdre. J'ai trop donné pour me contenter de jouer le rôle du célibataire le plus convoité de la ville. Je pourrais. Passer une nuit dans chaque grande demeure, me faire entretenir par de belles et charmantes jeunes femmes, mais je me trahirais. Je trahirais qui je suis au plus profond de moi et je ne me souhaite pas cela, raconte Jonah en quittant son fauteuil.
S'approchant de la fenêtre, il vit brièvement un éclair pourfendre le ciel de part et d'autre et un léger sentiment de satisfaction l'envahit sans réellement comprendre sa présence.
- Je récupérerais les terres de mon père. De ma famille. Comme je l'ai toujours dit. Mais je refuse de sacrifier plus que ce que je n'ai déjà fait et pour empêcher cela, il est vrai...je suis prêt à faire beaucoup de choses, mais je connais mes limites.
- Vraiment ? Dans ce cas, tu es sans doute plus sage que ce que je n'aurai soupçonné.
- Tu as eu raison quand tu disais que les rumeurs me disaient très amoureux. Je le suis et je défendrais cela s'il faut que je le fasse. Que ce soit contre la Princesse ou même contre toi-même. De toute façon, cela reviendrait au même.
- Elle a alors beaucoup de chance.
- Non. C'est moi qui en ait. Car crois-moi, elle est tout simplement...plus admirable que je ne le serais jamais.
- Si elle l'est autant, que fais-tu encore là à me faire la conversation ? Je finirais bien par trouver Maximilien qui saura parfaitement se débrouiller. Rejoins la. N'as-tu pas dit que tu savais où Lucien se rendait ?
Se retournant vivement vers elle, un nouveau coup de tonnerre résonne à travers la pièce mais accompagné d'un sourire. Celui du jeune Duc. Il savait à présent que ce n'était qu'une question de temps. Qu'une question de temps avant qu'il ne la retrouve. Avant qu'il ne la revoie. Avant qu'il ne lui dise...Mais que lui dire ?
- Veille à ne pas retourner ma demeure sans dessus-dessous. J'y tiens. Et veille aussi à ne pas embêter Maximilien. Je crains avoir largement abusé de lui ces dernières semaines. Si tu y arrives, sache que je t'en serais reconnaissant.
- Je ne promets rien, mais je veux bien essayer de me comporter comme une Vicomtesse et non pas comme la fripouille que tu sais que je suis.
- Cela serait apprécié, en effet.
- Dois-je prévenir quelqu'un de ton départ ?
- Non. Je devrais être revenu d'ici peu.
Parce qu'il n'y avait qu'un seul endroit où Lucien pouvait se diriger et c'est probablement l'antre d'un vieil ami. En espérant que celui-ci soit plus prompt à le recevoir qu'il ne le fut à l'époque.
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