🌼 CHAPITRE 12 🌼

Dans de rares moments, alors que Ninon s'occupait de Thomas, Jonah restait silencieusement adossé contre la porte de la chambre de Ambre, se demandant si cette nuit allait être une ces fameuses nuits où aucun membre de la demeure ne peut ignorer ses cris. Ces derniers jours, les cauchemars de la jeune fille s'étaient intensifiés et il n'y avait pas cri, rempli de peur et de désespoir, qui n'appelait pas sa sœur aînée à son chevet. Ambre n'avait pas tout à fait seize ans et bien que le jeune Duc n'y connaissent pas grand chose en jeune fille, il savait qu'une jeune fille de seize ans n'était pas censé traverser ce genre d'épreuves. Elle devait rire. Elle devait s'émerveiller des nouvelles robes et faire des caprices pour avoir la dernière faite par le tailleur de la ville. Elle devait s'impatienter des nombreuses festivités auxquelles elle pouvait assister. Une jeune fille de seize ans aime de tout son cœur et rit de toutes ses forces. Mais ce n'était pas le cas de Ambre Conquérant. En l'espace de quelques mois, la benjamine avait perdu son père, ses repères avaient été bouleversés et son aînée adorée s'était brutalement envolée. On lui avait retiré toutes les choses qui devait normalement composer son bonheur.

- Monsieur ?

A peine Maxmilien avait-il fait un pas dans le couloir que Jonah lui fit signe de se taire et c'est ce que fit ce dernier, s'approchant alors de son maître à pas de loup tandis que le Duc ouvrit délicatement la porte de la chambre.

- Mais que faites-vous ? s'insurgea Maximilien.

Immédiatement, son regard s'était posé sur le corps frêle de la jeune Conquérant, replié sur elle-même, le visage enfoui dans les genoux. Elle avait peur et il le savait. Il le comprenait car quelque part, il n'y a de cela pas si longtemps, ses nuits avaient également ce visage-ci.

- Je peux m'asseoir ici ? demanda Jonah se trouvant près du lit.

Elle ne dit pas un mot, mais fit un signe de la tête lui accordant ainsi sa permission. S'il y avait, ne serait-ce qu'un seul moyen pour lui de lui retirer ses mauvais rêves, sa peur et son chagrin, il le ferait. S'il y avait, ne serait-ce qu'un seul moyen pour lui d'échanger sa place avec la sienne, il n'hésiterait pas à le faire.

Bien qu'il n'y ait aucun lien réel avec les autres membres de la famille Conquérant, occupé et préoccupé par leur aînée, il ne put s'empêcher en l'espace de deux semaines et plus encore, de les observer du coin de l'oeil. Comment pouvait-on encore sourire et ne pas en vouloir à la vie elle-même après avoir traversé ce genre d'épreuve ? Comment pouvait-on ne pas être en colère ? Comment pouvait-on faire comme si demain était un jour nouveau en oubliant ce qu'il s'était alors passé la veille ?

Il était jaloux de cette faculté qu'ils avaient. Tous autant qu'ils sont. Il était jaloux de cette force de caractère qu'ils partageaient et aurait aimé savoir leur secret. Ne serait-ce que l'apprendre pour lui-même.

La regardant renfermée sur elle-même, une subite envie de se cogner la tête contre les poutres du lit à baldaquin le frappa soudainement. Qu'était-il venu faire jusqu'ici ? Lui parler ? Afin de lui dire quoi ? Quels mots pourrait-il avoir qui saurait l'aider ou ne serait-ce que la consoler ?

Jonah n'y connaissait pas grand chose en jeune fille de seize ans, alors tout ce qu'il put faire pour elle, c'était d'espérer. Espérer que sa seule présence à ses côtés suffirait pour la rassurer. Espérer que son silence lui ferait comprendre qu'elle ne craignait rien ici et que personne ô grand diable personne, ne viendrait lui faire du mal. Tout ce qu'il pouvait espérer c'est que Ambre comprenne que tout ce qu'il s'est passé...Il n'était même pas certain de savoir avec exactitude ce qu'il s'était passé ce soir-là car quel soir cela avait été !

- J'aimerais te faire tant de promesses, mais j'ai peur d'être incapable de toutes les tenir. J'aimerais te promettre le fait que tu ne connaîtras ni le chagrin, ni le mal. J'aimerais te promettre une belle vie remplie de rires et de joie. J'aimerais te promettre une vie sans difficultés. Sans obstacles, mais si je venais à le faire, que j'en sois damné car je te mentirais. Même si je venais à y mettre toute la bonne volonté du monde, je ne saurais te protéger de tout ce qui se mettra en travers de ton chemin. Je ne saurais te protéger de la cruauté du monde, ni même de celle des êtres humains. Je ne saurais te protéger de notre bonne société tant celle-ci s'apparente à une jungle sans merci.

Il marqua une pause quand il vit son visage se relever, allant progressivement à sa rencontre comme quelqu'un s'éveillant. Dans ses yeux il ne vit ni tristesse, ni peur, ni chagrin. Il ne vit que solitude et incompréhension. Il était fort normal qu'elle ne le comprenne pas et peut-être même parlait-il dans le vide, mais Jonah avait bon espoir qu'un jour ou l'autre, ses mots referaient surface dans l'esprit de la jeune fille. C'était comme semer des graines et attendre que ces dernières poussent.

- Mais j'aimerais...Je souhaiterais sincèrement que tu comprennes que si jamais tu as besoin, peu importe le moment, je serais là.

En ville, pas une personne n'était ignorante des Conquérant. Ils n'étaient financièrement pas très remarquables, mais s'il y avait bien une chose les distinguant des autres familles c'était leur solidarité et l'amour qui émanait de chacun pour les autres. Il était raconté que jamais ô grand jamais leur père n'a forcé leur éducation, que ce dernier a toujours été attentif aux besoins et aux rêves de ses enfants. Sa fille aînée néanmoins, pour son comportement avait plus d'une fois fait parler d'elle, mais nul n'ignorait que Joséphine était une jeune femme ravissante, cultivée et tout particulièrement brillante avec les chiffres. C'était une perle rare que certains hommes convoitaient mais qu'aucun n'a réussi à avoir d'une manière ou d'une autre car plus d'un refus leur fut à tous adressé.

Sortant de la chambre quelques minutes plus tard, Jonah retrouva sur le seuil de la porte qu'il prit soin de refermer derrière lui, Maximilien et Ninon. Cette dernière avait le regard noir, contrarié.

- Je ne remercierais jamais assez Son Excellence pour tout ce que vous faites pour nous, sincèrement. Mais si vous voulez réellement faire quelque chose pour nous aider, pour aider ces enfants et surtout Mademoiselle Ambre, alors démenez-vous pour nous ramener Madame ! sortit violemment Ninon

- Ninon ! intervient Maximilien en la fusillant du regard.

- Non. Elle a raison, le coupa Jonah en souriant, Croyez-moi, je fais tout ce que je peux, hélas, je ne suis ni Prince, ni Roi.

- Vous êtes Duc. Peut-être que cela n'est qu'un titre, mais s'il y a bien quelque chose que j'ai appris durant toutes ces années, c'est qu'un titre suffit parfois à faire bouger le monde. Sinon, comment expliqueriez-vous le fait que ma maîtresse arrive ainsi à se débrouiller alors qu'elle n'est que Baronne. Mais peut-être me suis-je méprise sur vos intentions.

- Ça suffit !

- Max...

Jonah ne pouvait que comprendre la colère de Ninon, cependant avant même qu'il n'eut le temps de dire quoique ce soit, Maximilien l'attrapa par le bras et la tira jusqu'à disparaître à l'autre bout du couloir. Les voyant s'éloigner, le jeune Duc partit de son côté regagnant sa chambre.

Se laissant tomber sur le matelas de son lit, un soupir lui échappa. Sans en comprendre la raison, des mots provenant d'un vieil ami qu'il pensait avoir oubliés resurgit dans son esprit.

« Un jour viendra où tu devras faire des choses que tu n'as pas envie de faire. Prendre des décisions qui ne te plaisent pas, mais qui s'avèrent nécessaire. Tu as des responsabilités que tu le veuilles ou non et de cela en découlent deux choix : Soit tu les fuis, soit tu les assumes, mais tu ne pourras pas rester dans l'entre-deux bien longtemps. Tu n'es plus un petit garçon Jonah, tu es un homme.»

S'il était là, il serait fort à parier qu'il rirait en le voyant se débattre de part et d'autres. Il savait que son retour lui poserait quelques problèmes et qu'il rencontrerait des difficultés. Il s'y attendait, mais il n'était pas préparé. Pas préparé à la rencontrer dans tous les cas et encore moins à l'aimer. Peut-être que si le Duc avait écouté son conseiller de toujours il ne serait alors pas dans une situation comme celle-ci. Peut-être n'aurait-il dû que s'amuser comme l'espérait Maximilien. Mais tandis qu'il jouait, qu'il riait...Il s'éprit d'elle également.

Ce n'était pas prévu. Joséphine n'était pas prévue. Elle n'aurait pas dû entrer dans sa vie aussi facilement. Aussi rapidement. Elle n'aurait pas dû...

Et pourtant, aujourd'hui la simple pensée d'être loin d'elle lui est impensable. Difficile. Si ce n'était pour toutes les promesses qui lui avait faites, cela lui aurait même été insupportable. Il l'aimait, s'en était certain et s'il avait le choix, s'il pouvait ne serait-ce...Peut-être irait-il la rejoindre sur le champ.

Si seulement il savait où elle était. Si seulement...

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Son regard fit de nombreux allers retours entre elle, retenant ses larmes, mais aussi le couloir depuis lequel quiconque s'approchant suffisamment pouvait entendre leur conversation.

- Je suis désolée, finit-elle par dire avec une voix presque éteinte

Hélas, il ne pouvait pas lui en vouloir. Bien au contraire. Dès qu'il la vit à deux doigts de se briser sous son emprise, il la relâcha et s'en voulu de s'être emporté quelques minutes plus tôt. Maximilien savait, mieux que quiconque, à quel point la position de Ninon était aujourd'hui difficile. Lui qui n'avait eu qu'un maître à servir et à suivre, il ne pouvait que comprendre sa colère, son désarroi, sa crainte et toutes les autres choses pouvant graviter dans sa tête.

- Non, c'est moi qui le suis. Je n'aurai pas dû m'emporter, dit-il à sa suite en s'approchant de l'armoire en bois massif se trouvant à quelques pas de lui.

Il savait que les gens de la cuisine gardaient ici quelques bonnes bouteilles. Peut-être était-il finalement venu le temps de faire la fête de l'une d'entre elles. Peut-être même cela pourrait l'aider également. Il finit par trouver son bonheur et attrapa deux verres qu'il servit à part égale avant de lui en tendre un, accompagné d'un léger sourire.

- Je pense que nous avons tous deux besoin d'un petit remontant, avoua-t-il.

Et à sa grande surprise, elle prit le verre et vida son contenu d'une seule traite comme s'il s'agissait là d'un simple verre d'eau. Il en resta médusé, mais fut d'autant plus surprit du sourire l'accompagnant. Elle lui en était reconnaissante.

- Peut-être n'en a-t-il pas l'air quand on le regarde ainsi, mais il se donne beaucoup de mal pour réparer le mal qui a été fait. En fait, je crois que rien ne pourra jamais réparer un tel affront, mais il essaye. Réellement. Et cela...me rends fou. De le voir se battre et se débattre contre des forces qui, à l'heure actuelle, le dépasse très largement. Mais il le fait pour...

- Pour Joséphine, je sais, confessa Ninon, Je ne voulais pas me montrer ingrate, ni même...C'est juste que...Elle est tout ce qui reste comme pilier à cette famille. Elle est plus que la fille unique, héritière d'un titre qui ne lui sied guère. Joséphine...Madame la Baronne, depuis petite a toujours prit soin de cette famille. Elle a été aux chevets de chaque membre de la famille. Elle s'est pliée en quatre pour exaucer le moindre souhait de Mademoiselle Ambre ou Monsieur Thomas. Elle a toujours veillé à ce que feu Monsieur le Baron ne rencontre aucune difficulté dans son affaire. Pas une seule fois elle ne s'est plainte, n'a été capricieuse ou s'est même autorisée à rêver. Elle a tant sacrifiée pour cette famille...Elle est...ce qui nous unis. Ce qui nous maintient et sans elle, rien n'est pareil. C'est comme si nous étions sans foyer. Sans feu pour nous animer.

Maximilien devait avouer qu'aux premiers abords, il n'avait point d'avis favorable sur cette jeune femme. «Peut-être était-elle comme toutes les autres» et voilà tout ce qu'il espérait secrètement qu'elle soit. Une jeune fille aimant les festivités et les beaux garçons. Ainsi elle s'amuserait avec le jeune Duc le temps d'un petit moment, puis chacun finirait par se lasser de l'autre et reprendrait le court de leurs chemins. Mais il n'en fit rien car Joséphine Conquérant était loin, très loin, de l'image qu'il s'en était fait.

Quand il avait vu son jeune maître revenir un soir, avec cette jeune femme dans les bras, inconsciente et transpirant les vapeurs d'alcool, il ne put s'empêcher de grogner, mais quand il la vit avec lui, quand ils se croisèrent, il changea d'avis. Sans comprendre le comment du pourquoi. Il y avait quelque chose de naturel chez cette jeune femme qui, malgré tout ce que l'on pouvait penser d'elle, forcer le respect qu'on le veuille ou non.

Puis vint le moment où il se rendit bêtement compte qu'elle influençait le bonheur de Jonah. Il le vit sourire comme il ne l'avait jamais fait. Il le vit s'impatienter ou s'extasier ou bien même rêvasser comme jamais il ne l'avait fait. Pour la première fois de sa vie, le Duc s'était autorisé à être ce qu'il était au plus profond de lui-même : Un jeune homme d'une vingtaine d'années.

Alors posant sa main sur celle de la dame de compagnie se tenant presque affalée sur la table, Maximilien tenta tant bien que mal de la rassurer.

- Elle reviendra. Nous nous en assurerons. Elle reviendra et elle vous sera rendu. Nous avons fait des démarches pour requérir la présence du meilleur avocat du Royaume en cas de besoin et ce matin même, Monsieur le Duc était en entretien avec Sa Majesté le Roi. Il n'abandonnera pas. Peut-être ne s'est-il pas montré à ses clairs à propos de ses intentions,mais Son Excellence...aime profondément la Baronne et je suis certain que...

- Je sais, souffla-t-elle, Je sais.

Ninon posa son autre main sur la sienne et lui sourit tendrement. Que diable lui avait-il prit de s'attaquer ainsi à cette personne ? Si cela avait été un autre que lui, il est fort à parier qu'elle aurait finit châtier, voir pire. Mais il n'en avait rien fait. Au contraire, il avait accepté sa colère. Il avait accepté, l'espace de cinq minutes, d'être le réceptacle de ses mots alors qu'ils ne lui étaient même pas adressés. Ninon cherchait simplement un bouc émissaire.

- Avez-vous lu le livre que je vous ai ramené l'autre jour au fait ? demanda Maximilien pour détourner le sujet de conversation afin de détendre l'atmosphère déjà bien tendue de cette maison.

- Je l'ai lu, en effet et je dois dire que j'ai été plus que surprise par son contenu, finit-elle par dire en riant

- Pourquoi donc ?

- Ne l'avez-vous pas feuilleter avant d'en faire l'acquisition ?

- Non...Aurais-je dû ? demanda-t-il dans l'incompréhension de ses mimiques amusées.

Oh, il aurait dû. Peut-être aurait-il alors réfléchit à deux fois avant d'acheter un tel ouvrage. Néanmoins, cet ouvrage était le brin d'air frais dont Ninon avait besoin. Il était tout ce à quoi elle s'était récemment raccroché afin de ne pas craquer. Pas une nouvelle fois tout du moins.

- Puisque cela vous amuse autant et que moi, ça me frustre de ne pas savoir, je vous en pris. Parlez-moi-en.

- Je ne suis pas certaine que cela soit très...

- Eh bien allez-y ! Ne soyez pas timide, vous m'avez donné envie de le lire.

- Oh ! Dans ce cas, je ne devrais probablement pas vous gâcher le loisir de la découverte, bafouille-t-elle

- Ninon, je vous en prie. Vous me faites languir de curiosité.

- Très bien. Mais dites-vous bien que c'est vous qui avez insisté.

- Ma foi, je saurais me souvenir de mes mots.

Ninon prit alors une grande inspiration et résuma en quelques mots l'histoire fort passionnante qu'elle avait pu découvrir. Plus qu'une histoire d'aventure, il s'agissait surtout d'amour. D'amour interdit dans un vaste manoir entre deux serviteurs. Tous deux déjouèrent avec plaisir et excitation toutes les règles établis uniquement pour voler quelques instants de pur bonheur. Ils savaient que s'ils étaient attrapés alors ils seraient punis et probablement renvoyés, chacun de leur côté sans aucune promesse de pouvoir un jour se revoir.

Elle était la dame de compagnie d'une Duchesse et lui le valet du Prince.

Mais outre l'histoire en elle-même ce qui séduit Ninon fut les multiples similitudes qu'elle avait pu trouver entre ce personnage et sa propre histoire et cela laissa Maximilien dans le plus grand des silences.

- Peut-être que je le lirais, en effet.

- Il est sur ma table de chevet, je peux aller le chercher maintenant.

- Non, pas maintenant. Je n'ai pas fini mon verre moi, lui fit-il remarquer.

En effet.

Mais un verre en appela un deuxième. Et un deuxième verre appela une conversation. Puis une autre et encore une autre. Finalement, ce n'est qu'au petit matin que le cuisinier les trouva tous deux endormis sur la table se tenant mutuellement la main et quand on les réveilla et leur posèrent des questions sur ce qu'ils avaient fait ici toute la nuit durant, aucun ne répondit et chacun repartit de son côté, les joues plus rosées que le contenu de ce qu'ils auraient bu.

Il s'était effectivement passé quelque chose hier soir dans le plus grand des silences. Mais les silences se brisent au petit matin alors que la brise se lève et que le ciel se couvre.

Et tandis que les premières gouttes de pluie menacent à tout moment de tomber, une silhouette étrangement familière se tient sur le pallier de la maison du Duc de Varsox.

Une silhouette à laquelle personne ne s'attendait.

- Monsieur, la Vicomtesse Guillut est arrivée.

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