🌼 CHAPITRE 10 🌼
C'est un éclair qui est venu trouer l'obscurité de la cabane dans laquelle Joséphine et Lucien avaient trouvés refuge quelques heures plus tôt tandis que peu de temps après leur arrivée, la pluie s'était brutalement mise à tomber. Goutte par goutte, s'écrasant toutes contre les vitrines tremblantes, poussées par les bourrasques de vent se faisant de plus en plus violente.
- Il semblerait qu'une tempête se prépare, annonce Lucien en jetant un coup d'oeil rapidement par la fenêtre.
Non loin de là, assise sur un tabouret en bois menaçant de céder à tout moment, Joséphine ne dit pas un mot. Son esprit était ailleurs, préoccupé. A l'heure qu'il est, il est fort probable que les gardes aient trouvés ses lettres cachées dans sa chambre, qu'ils en ait même lu le contenu. Des lettres personnelles à destination de sa famille...de ses proches. Ses pensées se perdirent sur Ambre, mais aussi sur Thomas. Sur Jonah aussi. Avait-il seulement tenu promesse ? S'occupait-il de sa famille comme il l'avait promis ? Son esprit vagabonda ainsi de pensée en pensée ou plutôt de questions en questions. Cette course en avant finirait-elle un jour par prendre fin ? Reconnaîtrait-on un jour son innocence ? Voilà qu'un doute sortit de nul part la traversa et sa tête s'agita de part et d'autre comme si ce simple geste suffisait à chasser ses appréhensions concernant son avenir plus ou moins proche.
- Vous semblez pensive ma chère, relève Lucien en s'approchant d'elle tandis qu'un nouvel éclair illumine le visage contrarié de Joséphine
Attendant que le tonnerre éclate, Joséphine quitte son tabouret en se rapprochant de la fenêtre sans dire un mot. Son silence était suffisant. Comment lui expliquer et comment serait-il possible qu'il puisse présentement comprendre ce qu'elle ressentait ? Ce qu'elle pouvait bien éprouver de tout cela ? Car effectivement, n'y avait-il rien de plus éprouvant que de fuir constamment ?
- Aimez-vous jouer Lucien ? demande soudainement la jeune femme en sortant de son silence.
- Tout dépend. Je ne joue que si je suis absolument certain de gagner la partie.
- Donc vous ne jouez que pour la victoire ? Même pas pour le frisson et l'excitation du jeu en lui-même ?
- Je n'ai guère besoin de «jouer» pour être excité, croyez-moi.
Sur cette allusion plus que flagrante, Joséphine sortit son air le plus dégoûté.
- Ne faites pas cette tête-là voyons ! s'amuse Lucien, Vous n'allez tout de même pas me faire croire qu'une jeune fille telle que vous n'a pas réussi à s'amuser de certains petits plaisirs simples de la vie ?
Encore une fois, Joséphine ne dit rien, mais elle ne put cette fois s'empêcher de sourire et bien que le rictus fut dès plus discret, Lucien à l'affût du moindre détails lui échappant, le perçoit alors naissant au bout de ses lèvres.
- C'est bien ce qui me semblait, sourit-il alors.
- Ne vous méprenez pas sur moi, je ne suis guère ce genre de personne.
- A quel genre faites-vous mention au juste ? Aux débauchés ? Il n'y a aucun mal à en être un...ou une en l'occurrence.
- Parlez-vous en connaissance de cause dans ce cas ? relève Joséphine
- Allez savoir ? J'en suis peut-être un, mais notre ami commun également cela va s'en dire.
- Ne médisez pas sur son compte, le réprimande Joséphine.
- Pourquoi ? Je ne le vois pas parmi nous donc ce n'est pas comme s'il était en mesure de nous entendre. Cela vous vexe-t-il à ce point d'entendre du mal de Jonah ?
- Non, souffle-t-elle alors, Cela me chagrine d'entendre du mal de gens que j'apprécie.
- N'y a-t-il pas une large différence entre l'appréciation et l'amour ? Pourtant, vous l'appréciez. C'est un choix de mot intéressant, je dois dire.
Comment aurait-elle pu dire autrement ? Sa relation avec le Duc, bien que plaisante n'était que naissante. Certes, ils s'étaient dit certaines choses, s'étaient promis même certaines choses, mais après cet interlude, Joséphine n'est plus tout à fait certaine de vouloir s'acharner dans cette voie-là. Il était évident qu'il avait raison sur un point : Ils ne seraient pas heureux tous deux. Du moins, pas totalement. Ils sont différents en tant de points qu'elle ne saurait tous les énumérer.
Mais pour commencer, il est Duc et a une réputation à préserver. Quant à elle, eh bien sa situation avait changée au moment même où elle pensait ses problèmes réglés. Aujourd'hui, la possibilité d'un mariage avec une personne de son calibre, de sa stature lui semblait tout bonnement impossible. Il faudrait être fou pour épouser une jeune femme à la réputation souillée.
- Votre jeu consiste-t-il à se questionner mutuellement ? Dans ce cas et étant donné la longue nuit qui nous attends et le manque d'endroit où se reposer, je propose que cela nous occupe. A condition bien sûr que je commence !
- N'êtes-vous pas familier avec le principe de galanterie ? Un gentilhomme laisserait commencer une femme.
- Vous aurais-je trompé d'une quelconque manière pour vous laisser croire que j'étais un gentilhomme ? Je commence ! insiste-t-il tel un enfant excité
S'installant tous deux autour de la petite table en bois, chacun trouvant sa place sur un tabouret traînant ici et là à travers la pièce, Lucien fébrile ne put s'empêcher de dévisager la jeune Baronne étant face à lui. Il avait maintes questions à lui poser et maintes possibilités de lui faire dire ce qu'il voulait entendre d'elle. Néanmoins, si jouer à ce jeu idiot pouvait lui laisser penser qu'elle avait la main sur lui, alors soit, il jouerait. Il jouerait jusqu'au bout de la nuit s'il le fallait, mais il obtiendrait ce qu'il désirait : Des informations.
- Pourquoi une jeune fille tel que vous a apprit à se battre ?
- Votre formulation est maladroite. Si vous ne vous appliquez pas, je risque de donner des réponses à la hauteur de vos questions. J'ai appris à me battre pour me défendre. A moi, enchaîne Joséphine, qui êtes-vous réellement Lucien ?
Bien évidemment qu'elle n'allait pas y aller par quatre chemins. Joséphine a toujours été d'un naturel franc et direct, peut-être trop même selon certains, mais cela n'était pas pour lui déplaire. Dans un monde où chacun à un masque, se cache derrière des histoires ou des mensonges, la franchise était devenue une arme qui, si bien aiguisée, pouvait faire bien des dégâts. Elle le savait et à la tête de son interlocuteur se montrant aussi stoïque que possible, elle devinait qu'elle avait commencé certainement de façon trop abrupte.
Certes, elle ne jouait pas avec un gentilhomme, mais s'attendait-il réellement à jouer avec une gentille fille également ?
- Vous commencez fort, avoue Lucien
- Je n'aime guère tergiverser, répond Joséphine en le fixant du regard
- Pourtant, nous avons toute la soirée et la nuit à passer. Si vous commencez par les questions sensibles au tout début, je crains que nous n'ayons plus rien pour nous amuser, l'informe-t-il dans un sourire résonnant faussement
- Je ne sais pas pour vous, mais pour ma part, j'ai autant de questions qu'il n'y a de minutes qui nous sépare du levé du soleil, assure-t-elle avec une pointe de confiance.
- Peut-être devrais-je prendre cela comme un honneur ? Le fait que vous vous intéressiez tant à moi ? Peut-être même que cela fera un jaloux, ne croyez-vous pas ?
- Oh pitié. Allez-vous sérieusement me jouer ce numéro-là ? Nous savons tous deux que cela ne prendra pas. Si vous êtes un ami de Jonah, alors vous devez être au moins aussi intelligent que lui. Ne me faites pas penser le contraire, cela pourrait me décevoir.
- C'est quelque chose que je voudrais éviter. Je commence tout juste à vous apprécier.
- Donc répondez à ma question : Qui êtes-vous réellement ?
Il fut un temps où Lucien aurait été certain qu'en usant de ses charmes et en détournant son attention cela aurait suffit à échapper à cette question. Cependant, et sans vouloir s'en vanter, le jeune homme était assez bon juge de caractère et il avait comprit depuis le premier jour que la personne se tenant devant lui, avait elle aussi l'habitude d'obtenir ce qu'elle désirait. Elle ne le lâcherait pas. Pire encore, elle serait capable de partir de son côté en le laissant en plan s'il ne venait pas à satisfaire sa curiosité.
Sauf qu'il lui faudrait encore lui répondre et il avait l'air de croire qu'un petit mensonge bien enrobé ne suffirait pas. Il était intelligent, certes, mais Joséphine était brillante et il en avait conscience. Voilà ce qui était pour lui, d'autant plus exaspérant.
Depuis combien de temps n'a-t-il pas dit la vérité ? Depuis combien de temps n'a-t-il pas parlé de lui ? «Lucien» était tout ce à quoi il s'était raccroché ces dernières années. Tout ce qui pouvait le définir en tant qu'être alors qu'en réalité...Il y avait plus. Bien plus.
- Aimez-vous les histoires ? Car la mienne risque d'être un peu longue.
- Résumez la. Je suis certaine qu'un homme ayant vos capacités est au moins capable de faire cela.
- Je note un certain penchant pour la mesquinerie dans vos propos par moment, se vexe Lucien
- Je n'oserais point, je ne vous connais pas suffisamment pour m'abaisser à cela.
- Et pourtant ma chère, je le sens dans vos mots comme dans ma chair.
Un large sourire satisfait venu alors éclairer le visage de Joséphine, remplaçant de très loin l'orage qui n'était maintenant devenu qu'un bruit de fond pour eux.
- Alors nous dirons que je suis le Prince héritier d'un royaume voisin, s'amuse-t-il à répondre.
Tentant tant bien que mal de cacher sa surprise, Joséphine se laisse un court moment afin de procéder au traitement d'une telle information. Elle savait que Lucien pouvait mentir à son propos, s'inventer une vie et il ne serait certainement pas le premier à s'aventurer sur une telle pente glissante, et bien qu'elle ait préféré cette idée là, elle savait au plus profond d'elle-même, en le regardant, qu'il disait la vérité.
- Satisfaite ? lui demande Lucien en s'avançant légèrement vers elle avec un léger sourire en coin
- Surprise.
- Bien. Je n'attendais pas moins. Il faut dire qu'avoir en face de soit une personne de ma grandeur peut parfois...comment pourrais-je le formuler ? Impressionner.
- J'allais plutôt dire «choquer» étant donné que c'est la première fois que je rencontre un prince débauché, le coupe Joséphine non sans amusement
- Vous me froissez Mademoiselle, sachez-le.
- Tant mieux, je suppose ? Que faites-vous loin de chez vous, Votre Altesse ?
A l'entente de cette mention honorifique, Lucien leva les yeux au ciel. Voilà bien des années qu'il n'avait pas entendu quelqu'un l'interpeller de cette manière et honnêtement, cela ne lui manquait pas. Il avait fuit son royaume pour une raison bien précise et rien au monde ne saurait le ramener là-bas.
- Ne bafouez-vous pas les règles en enchaînant les questions ? C'est à mon tour il me semble, reprit Lucien
- Je ne vous pensais pas du genre à suivre les règles.
Un rire échappe à Lucien tandis que son regard se fixe sur la jeune femme se tenant tout près de lui. Il y a pensé. A combler cette distance entre eux. A se rapprocher. En quelques secondes il pourrait s'emparer de son visage, de ses lèvres et il pourrait... Il l'avait souvent fait pour moins que cela. Juste pour passer le temps. Juste pour voir si cela déclencherait quelque chose de nouveau en lui. Outre que de l'ennui. Outre que de la solitude.
- Je suis du genre à faire une multitudes de choses, Mademoiselle Conquérant, vous n'avez pas la moindre idée, murmure-t-il en se rapprochant d'elle d'autant plus
- Oh, croyez-moi, je commence à m'en faire une, bien au contraire. Donc ? Poursuivons-nous, lui souffle-t-elle en réponse sans prendre la peine même de bouger.
Elle n'avait pas peur. Ni de lui, ni de ses intentions, ni tout ce qu'il fut capable de lui dire dans ses silences et cela lui plaisait énormément. Elle lui plaisait énormément. Les filles de joie, on pouvait s'amuser avec, les nobles comme elle, on pouvait tout à fait se réinventer avec et cela lui plaisait. Cependant, il savait, en le regardant, que s'il s'approchait, il finirait par se blesser car tel était le sort qui lui était réservé tandis qu'il sentit une pointe de pied à hauteur de son entrejambe, appuyant légèrement afin de transmettre une pression à peine distinguable.
Il recula, sourit, et se reprit.
- Nous disions ? Ah oui, c'est mon tour.
Et tandis que le tonnerre vibra au dessus de leur tête, Lucien posa sa propre question.
- Qui êtes-vous réellement Joséphine Conquérant ? Et ne me dit pas une fille d'un petit baronnet, je ne voudrais pas être déçu.
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