💍 CHAPITRE 47 💍

D'aussi loin qu'il puisse se souvenir, Jonah n'a aucun bon souvenir concernant sa tante. C'était une femme sévère et froide en apparence, mais en réalité jalouse de son aîné ayant hérité du Duché. A la naissance de Jonah, Sacha se tenue à distance de la famille avant d'apprendre que son frère, souffrant d'une maladie inconnue, n'était plus en mesure d'assurer en tant que Duc et c'est là qu'elle décida de revenir. Dans ses cauchemars de jeune garçon, il ne voyait en elle qu'une horrible mégère, armée d'une cravache à la main dû à sa passion pour les longues promenades à cheval. Malheureusement, la cravache n'était guère pour l'animal, mais pour le petit garçon se trouvant constamment sur son chemin. Elle jugea son éducation trop laxiste et décida de l'envoyer à l'étranger, dans un pensionnat religieux où loisir et plaisir furent deux mots bannis. A l'âge de 11 ans, il y fut renvoyé pour avoir causé une bagarre et fut donc envoyé encore plus loin dans un autre établissement. Il n'eut jamais de ses nouvelles et les seules qu'il reçu fut l'annonce de la mort de son père. Fuyant son nouvel établissement pour essayer de rentrer afin d'assister à l'enterrement, il fut contré sur le chemin par des hommes que sa tante avait envoyés.

Et ainsi, il ne put entreprendre de revenir que tout récemment, entendant que le Duché allait au plus mal et que certains sujets de ce dernier se servaient allègrement dans les caisses. Si ce n'était pas pour le génie de Maximilien rencontré dans l'un de ces établissements, peut-être n'aurait jamais t-il pu revenir ne serait-ce qu'en ville.

Alors certes, il était peut-être le «Duc» en titre, mais officieusement, plus d'un noble savait qui détenait la main mise sur le Duché et ce n'était certainement pas le jeune homme.

D'ailleurs, à peine la femme d'une cinquantaine d'années était-elle arrivée qu'une nuée de murmures se mirent à bourdonner en fond. Un fond sonore dont Jonah n'arrivait même plus à écouter tant son attention s'était soudainement braquée sur la silhouette s'avançant petit à petit vers lui.

«Voilà donc ce que la Princesse espérait» pensa-t-il un instant et tandis qu'une vague de solitude l'envoyant se plonger dans ses plus jeunes années l'envahit, une main chaleureuse et réconfortante venue trouver la sienne. Ah. Joséphine. Pendant un bref instant, il l'avait oublié, mais la voilà qui le regardait déterminée comme si son silence en disait long. Joséphine n'avait pas peur de cette femme ni ne la craignait et il lui enviait cela. A dire vrai, il lui enviait bien des choses, mais son courage a toujours été quelque chose qu'il désirait secrètement. Il aurait aimé savoir comment elle faisait pour ne pas avoir peur et pour ne rien redouter. Elle rendait tout si facile comme si, d'un geste de la main, elle était en capacité de balayer n'importe quel obstacle de son chemin.

Alors, la Duchesse arrivant à leur hauteur, cette dernière ne put s'empêcher de lancer un regard noir à la jeune femme comme pour lui signifier de s'en aller et de lui accorder de l'intimité avec son neveu retrouvé. Malheureusement pour elle, Joséphine ne bougea pas.

- Je dois m'entretenir avec ma tante, lui souffle alors Jonah comme pour la rassurer, Je reviendrais vers vous après.

D'un hochement de tête commun, ils se mirent d'accord et se séparèrent. Jonah laissant Joséphine seule derrière lui, s'avançant progressivement vers son plus grand ennemi. Son propre sang, sa propre chair. Sa tante.

- Quelle joie que de vous revoir ma tante bien aimée. Cela fait bien trop d'années, dit-il en s'inclinant devant elle.

- En effet, cela ne fait que peu d'années. J'ai envoyé un enfant se former à reprendre la tête du Duché dans l'espoir de retrouver un homme et je m'aperçois que je n'ai que la moitié du résultat escompté. Avoir payé pour un tel résultat me mets profondément hors de moi.

- Je suis navré de vous décevoir, mais si vous attendiez quelque chose de précis de ma part, peut-être aurait-il fallu faire mon éducation vous-même.

- Penses-tu que j'ai du temps à perdre ?

- Peut-être en avez-vous assez aujourd'hui pour venir jusqu'ici ? Dans mes souvenirs, vous n'étiez pas une femme qui appréciait les festivités et je suis heureux de constater que cela a changé.

Leurs conversations étaient pleines de sous-entendus que seuls eux pouvaient comprendre et il ne fallait pas être un fou pour se rendre compte qu'une tension plus que palpable s'était formée entre eux d'eux. Sacha n'avait aucun plaisir à être ici, mais si elle avait fait le déplacement c'était évidemment pour poser un visage sur ce nom dont elle entendait bien trop souvent la répétition «Joséphine Conquérant». Alors c'était elle ? Un petit bout de femme a peine plus âgée qu'elle lorsqu'elle comprit que le Duché devait lui revenir. Une sombre idiote pour croire qu'elle peut se permettre de profiter de longues et belles soirées. Naïve également pour s'imaginer amante de son neveu car...oh elle le connaissait. Pendant toutes ces années où elle l'avait fait surveillé et suivi...Toutes ces années où elle entendu bien des choses à son sujet. Un jeune homme intelligent, mais aussi arrogant que son père. Elle savait ce qu'il voulait et jamais elle ne serait prête à lui concéder malgré toutes ses tentatives pour la renverser. Elle s'était battue pour avoir cette place et elle escomptait bien la préserver.

Jonah est un garçon rusé, mais trop jeune pour avoir l'expérience nécessaire. Il profitera de la demoiselle pour lui arracher ce qu'elle venait tout juste d'hériter et, comme tout bon homme de cette famille...Il s'en débarrassera quand il aura eu ce qu'il souhaitait.

- Tu es plein d'ambitions Jonah, mais fais attention à ce qu'elle ne t'étouffe pas. Un malheur dans cette famille est si vite arrivé.

- N'ayez crainte ma tante, je suis encore jeune et en excellente santé. Il me faudra plus que le venin d'une vipère pour m'abattre.

- Pourquoi attendre que l'animal travail quand l'imprudence de celui s'aventurant sur le chemin suffit à lui causer du tort ?

- Vous savez que vous ne pouvez pas m'empêcher de rentrer. Vous ne faites que gagner du temps, rien de plus. D'ailleurs, je ne sais pas à quel jeu vous estimez jouer avec la Princesse, mais cela ne prends pas avec moi. Je ne suis plus le petit garçon que vous avez envoyé au loin.

- Mais tu n'es guère un homme conscient de ton environnement pour autant. N'as-tu donc rien appris ? Rien retenu de tes années en exile mon enfant ? Ne t'ai-je pas prévenu en te disant que les De Varsox ne pouvaient se permettre d'avoir une faiblesse. Or la tienne semble se promener en robe et en talons au milieu de gens ne désirant qu'une chose : Manger la friandise qu'elle est.

- Ne la touchez pas. Je ne vous préviendrais qu'une fois. Jusqu'à présent, j'ai été patient et j'ai joué dans les règles, mais si vous vous en prenez à elle alors vous et moi allons passer un très mauvais moment.

Un rire hilare s'empare de la Duchesse tandis que s'approchant délicatement de son neveu, elle lui dit tout bas, presque dans le creux de l'oreille :

- Regarde autour de toi, jeune inconscient. Où est-elle ? Tu l'as conduite dans un jardin dans lequel il y a plus d'un serpent prêt à la mordre et plus d'une rose prête à la piquer. Je n'ai pas besoin de faire quoique ce soit. Pour le moment. Néanmoins, peut-être est-il venu le temps de donner une leçon aux deux garnements que vous êtes ?

S'éloignant de Jonah, le souffle chaud de sa tante persistant dans sa nuque lui arrache un frison tandis que ses yeux en alerte cherche désespérément Joséphine du regard. Effectivement, elle n'était plus là. Ni derrière lui, ni devant lui, ni nul part où il pouvait l'apercevoir. Avait-elle rejoint sa sœur en attendant ? A ce propos où est la jeune Ambre ?

- Profite de ta soirée Jonah. Du moins, si tu le peux.

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Le regardant s'éloigner en compagnie de la Duchesse, Joséphine resta un moment sur place, s'imaginant leur conversation. Cela ne devait être guère plaisant et elle pouvait aisément deviner à la façon dont Jonah se tenait. Il semblait tendu, droit, peut-être même trop. Que se disaient-ils ? Pourquoi souriait-elle ? Pendant un moment elle eut envie de savoir, mais quand ses yeux se mirent à chercher sa cadette, elle fut surprise de ne pas la trouver à portée de regard.

Quittant sa position, Joséphine se faufila entre les invités, esquivant regards indiscrets, murmures à son sujet et parcouru pendant plusieurs minutes l'intégralité des jardins où se tenait la soirée avant de comprendre qu'il lui était impossible de trouver Ambre. Où était-elle allé se fourrer encore ? Elle savait qu'elle avait une passion pour les endroits discrets et cachés dans lesquels elle se glissait avec ses amis souvent afin qu'ils puissent discuter loin des oreilles des adultes rôdant autour d'eux, mais cela ne lui ressemblait guère de ne pas respecter une consigne que Joséphine lui a donné. Même si le groupe de jeunes gens se seraient éclipsés de la soirée pour aller faire dieu ne sait quoi plus loin, Ambre, elle, serait restée.

Soudainement pris d'une vague d'anxiété, elle refit le trajet dans le sens inverse. Encore. Encore. Et encore. Rien. Personne n'en vue. Ne voulant guère attirer une attention supplémentaire dont elle se passerait volontiers, Joséphine interroge quelques domestiques passants ici et là, décrivant sa sœur dans les moindres détails et quand tout espoir semble perdu, une jeune domestique de l'âge de sa sœur décrit l'avoir vue partir, entraînée par un garçon légèrement plus vieux. Lui indiquant la direction qu'ils auraient pris, Joséphine rassemble ses jupons et quitte l'assemblée dans une foulée pouvant en faire pâlir plus d'un. Sans comprendre pourquoi ni sans être en mesure de l'expliquer, un terrible pressentiment l'a parcourue alors qu'un sentiment de culpabilité l'envahit. Elle n'aurait jamais dû l'amener ici. Elle le savait. Elle aurait dû la laisser à la maison, et ce, même malgré son insistance. Que ferait-elle s'il lui arrivait malheur ? Non. Autant ne pas y penser. Ambre était peut-être moins têtue qu'elle, mais elle avait toute la sauvagerie d'une Conquérant et saurait se défaire de n'importe qui s'en prenant à elle. Elle avait été éduquée pour cela, Joséphine s'en était assurée. La jeune Baronne ne connaissait que trop bien le monde des hommes pour savoir comment ces derniers pensaient. Surtout les plus jeunes d'entre eux.

Ses pas l'emmènent alors à l'entrée d'un labyrinthe depuis lequel des cris semblent retentir.

- Ambre ?

Elle ne reçut aucune réponse.

- Seigneur faites que...

S'apprêtant à entrer, elle aperçoit une silhouette lui arriver droit dessus, le souffle court. Voilà que sa sœur, la robe déchirée, les cheveux décoiffée, le visage déformé par les larmes et la peur crie son nom tandis qu'elle la retrouve.

- Ambre, Ambre, ma chérie...Je suis là. Je suis là, regarde moi. Que s'est-il passé ? Dis-moi ce qu'il s'est passé ?

La jeune fille, incapable de dire un mot, coupée dans les sanglots et tremblante, finit par pointer du doigt une direction dans laquelle un garçon arrive à son tour en courant. Peut-être espérait-il la rattraper avant qu'elle ne s'enfuit ? Comprenant ce qu'il s'était passé ou ce qui a failli se passer, l'anxiété de Joséphine se dissipe pour ne laisser qu'une immense vague de rage couler dans ses veines. Jamais encore elle n'avait ressenti cela si ce n'est à l'égard d'une seule personne. Elle lui fera payer. Pour ce qu'il avait osé faire ou ce qu'il a tenté de faire à sa sœur, elle lui fera payer.

- Vous...vous ne pouvez pas me faire du mal ! bredouille le garçonnet réalisant qu'il allait très certainement regretter son geste, Savez-vous qui je suis ? Mon oncle est le Comte Francis Detina ! Vous ne savez dont pas à qui vous vous en prenez ? Touchez moi et mon oncle vous le fera payer.

Mais loin de la fête, alors que la musique couvre le moindre bruit et sans aucun témoin aux alentours, Joséphine ne se fait pas prier.

- Tu vas couiner autant qu'un porc...

Prise dans un élan de violence, elle se perd dans la colère tandis qu'un garde du palais patrouillant aux alentours finit par intervenir, séparant la dérouillée que se prenait le neveu du Comte Detina. Cette soirée-là, il ne risquait guère de l'oublier. Mordu et battu par une fille, roué de coups par une femme...Voilà deux événements dès plus honteux.

Expliquant la situation au garde, ce dernier prends en charge la jeune Conquérant sous la demande de Joséphine tandis que cette dernière retourne à la fête. Elle l'avait vu précédemment. Ses yeux ne lui firent guère défaut, elle le savait. Elle avait aperçu bien qu'elle le renia, son ignoble et nauséabonde silhouette dans la foule quand ils sont arrivés. Il était là. Il devait être là.

Passant les gardes encadrant la soirée, des larmes de colère et de rage déferlant sur son visage, elle s'empare de l'épée de l'un d'eux avant de trouver le Comte, discutant et riant avec un petit groupe de hauts dignitaires.

- Espèce de...

S'apprêtant à lui asséner le coup, le Comte se replie sur lui-même tentant de se protéger tandis que la lame que brandissait Joséphine est soudainement stoppée par la main de Jonah s'interposant entre eux.

- Ecartez-vous Votre Excellence, j'ai un porc à égorger.

- Joséphine, ne faites pas ça.

Et plus Joséphine força pour ne serait-ce que lui frôler le crâne, plus Jonah empoigna la lame à pleine main, l'ouvrant progressivement jusqu'à laisser un filet de sang s'écouler le long de cette dernière.

- Voyez comme elle est folle ! Cette femme est une folle ! Elle veut me tuer ! bafouille Francis Detina toujours en boule au sol

- J'aurais dû le faire dans la forêt ! s'écrie Joséphine furieuse

- Elle a perdu l'esprit ! Gardes arrêtez-la voyons ! continue-t-il de beugler

- Joséphine, je vous en conjure, supplie Jonah en insistant sur son geste, Cela ne résoudra rien..Croyez-moi.

- Vous n'en savez rien.

- Il ne mérite pas que vous le soulagiez de ses crimes et de ses pêchés en lui accordant la mort. C'est une fin trop facile. Un jour viendra où il paiera. Je vous ai promis cela.

- Je n'ai que faire de ce genre de promesse.

Néanmoins, les quelques secondes que Jonah réussit à gagner permis à un petit groupe de gardes de venir et d'intervenir rapidement séparant une jeune femme bien trop en colère et un homme bien trop heureux d'être épargné. Sans savoir les raisons de sa colère, Jonah regarda Joséphine s'éloigner sous bonne garde, le cœur en peine. Que s'était-il passé ?

Cela il ne l'apprit que bien plus tard par le biais d'un commérage durant la soirée et à cet instant précis pour la première fois de sa vie, le Duc s'en est voulu d'avoir épargné une vie.

A présent comment pouvait-il lui faire face alors qu'à sa place il lui aurait très certainement réservé une bien plus triste destinée ?

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